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Le tsunamis de la croissance va broyer le continent noir que les P.A.S avaient déjà noyé, par Isabelle Likouka.


Septembre 2005


La dette et les PAS (Plans d’ajustement structurel), qui ont obligé les Etats d’Afrique à opter pour le libéralisme quels qu’en soit les méfaits, ont fait rater sa chance au continent noir et ont assuré une misère durable.

La santé et l’école sont devenues payantes : seule une élite pourra respecter l’hygiène, prévenir les maladies les plus bénignes, être consciente des dangers de l’existence et de ses secrets, s’informer, préserver l’environnement etc.

L’eau et l’électricité, délaissées par l’Etat appauvri, sont devenues hypothétiques sauf pour les plus riches qui peuvent s’offrir container de réserves, surpresseur et groupe électrogène.

Les transports publics ont disparu, laissant la place à une jungle de véhicules privés aux abois. Les axes routiers n’ont jamais été construits ou ne sont plus entretenus faute de budget étatique. Or, les paysans, sans ces axes, ne peuvent plus survivre, incapables de transporter en ville leurs productions éphémères et périssables.

Aujourd’hui, le nouveau mot magique, chargé de sauver le continent, (et le monde !) c’est : « la croissance ». La logique de la « croissance », imposée grâce à la définitive dépendance assurée par l’endettement, et posée sur la misère, va assurer une destruction physique, morale et écologique du continent.

En effet, lassés d’un quotidien de privations constantes, de souffrances sans issue, de décès aberrants, les Africains tombent dans le panneau de la consommation effrénée à tout prix. Le manque du nécessaire rend chacun plus avide de superflu, selon une logique humaine inaccessible au raisonnement logique : en Europe, les catégories sociales les plus démunies se surendettent pour consommer plus que les classes moyennes qui, elles, en auraient les moyens mais restent souvent plus raisonnables.

Sur le continent noir, le téléphone portable devient une priorité loin devant la sécurité alimentaire ; et chacun ingurgite des morceaux de poulets importés dont 83,5% ont été déclarés impropres à la consommation par l’Institut Pasteur du Cameroun. Les produits importés sont tous meilleurs que les produits locaux ; quelle que soit leur inadaptation aux réalités locales : les vêtements et chaussures, en nylon et sky, vendus après avoir été donnés par les habitants des pays occidentaux à des associations caritatives ou invendus des magasins, ont un succès fou dans des pays à la température au-delà de 30° et au taux d’humidité de 80% où ces matières plastiques assurent au corps une macération tout à fait malsaine, source de maladies de peau.

Offrir à Noël aux enfants une game boy est devenu vital alors qu’elle ne durera que quelques semaines car elle vient de Chine et a été conçue pour être accessible aux petites bourses, c’est-à -dire avec des matériaux de basse qualité qui durent un temps minimal qui puisse assurer l’illusion de la possession mais également un renouvellement le plus rapide possible, surtout dans les conditions de température, d’humidité et d’utilisation du continent (jeu dans le sable de la cour, bagarres entre enfants). Croissance oblige. Ainsi, la game boy passera avant le paiement de la facture d’eau, qui assurerait aux enfants une hygiène minimale qui les prémunirait au moins contre la gale, les amibes, les gastro-entérites.

Acheter le dernier téléphone portable, devenu accessible puisque bas de gamme fabriqué en Chine par des esclaves, pour l’exposer sur la table du bar où on échange ses problèmes est devenu plus important que d’acheter la moustiquaire qui sauvera ses enfants du paludisme car le paludisme est devenu une fatalité contre laquelle on ne lutte plus.

Les panneaux publicitaires ont remplacé dans toutes les rues du continent les panneaux de prévention sanitaire : peu de gens savent encore aujourd’hui les causes, les vecteurs des maladies de base (amibes, kwashiorkor, etc.) qui étaient enseignées à l’école ou lors des campagnes nationales de prévention, avant que les PAS n’imposent des restrictions budgétaires draconiennes afin d’assurer « l’équilibre macro-économique du budget », c’est-à -dire rembourser la dette et exonérer de taxes les investisseurs étrangers.

Alors, l’espérance de vie diminue chaque année, pour cause de Sida selon les Institutions Internationales, mais en réalité surtout car la majorité de la population n’a plus accès aux soins.

D’abord, parce que depuis 10 ans que les salaires des fonctionnaires sont gelés après avoir été divisés par deux avec la dévaluation du franc Cfa en 1994, mesure macro-économique elle aussi, les soins sont devenus l’objet des spéculations les plus macabres : pour une césarienne, au Congo Brazzaville, vous payez 45 euros à la caisse de l’hôpital mais ensuite, pendant que votre femme est dans le bloc opératoire, le médecin, l’anesthésiste, les infirmières, les uns après les autres viennent vous réclamer des paiements successifs et l’opération revient finalement à 300 euros. Alors, une femme sur 100 meurt en couche.

Mais également parce que les soins assurent si peu de guérisons aujourd’hui, en raison de la dégradation du matériel et des compétences (la majorité des médecins qualifiés étant en Occident), que les gens n’y croient plus et préfèrent s’en remettre à la fatalité ou pire, au pouvoir des pasteurs des sectes les plus diverses, majoritairement états-uniennes.

Submergés par les dettes auprès d’usuriers habiles, les gens baissent la garde, abandonnent toute vigilance et toute morale, que de toute façon l’école ne leur a pas inculquée, faute d’enseignants d’une part (réduction des effectifs et des salaires des fonctionnaires exigée par les institutions financières internationales pour équilibrer les budgets) et faute de moyens financiers des parents au chômage d’autre part.

Le travail salarié, qui n’assure plus un revenu permettant de vivre, est dévalorisé par rapport au trafic et à la débrouille qui permettent aux voyous (voyous des rues ou voyous étatiques) de consommer.

Toute activité non productrice d’argent est considérée comme improductive. Les activités productrices de paix sociale ou familiale, de développement intellectuel, de rétablissement de la morale, d’équilibre psychologique individuel, de santé, de richesse culturelle sont raillées, méprisées. La valeur sociale ne se mesure qu’à la production de richesse financière et les enseignants, qui ne peuvent « consommer » faute de moyens et ne « produisent » rien, seulement des âmes plus conscientes, sont parmi les plus raillés de la société.

Les grands voleurs qui piochent allègrement dans les caisses de l’Etat, assurant la dégradation générale des services, sont qualifiés de « forts » par les « petits » qui ramassent leurs miettes de temps en temps. Alors que ces « forts » traversent la ville et le pays à tombeau ouvert dans des 4X4 flambants neufs arrivés au pays à 100 000 euros, on les laisse passer, on leur fait le passage, par crainte certes, mais pas seulement : une vague admiration devant celui qui « a réussi » est là , au fond de chacun. Il « a réussi » à avoir la chance d’avoir un membre de sa famille dans les structures étatiques. Alors, il peut consommer, gaspiller, dégrader : il en a le droit, le devoir même, pour être respecté.

Pourtant, lui aussi aujourd’hui, grâce à la « croissance » de la Chine et de l’Inde, va consommer des produits à la durée de vie éphémère : frigo qui dure 2 ans, et souvent moins car le courant dégradé et inadapté envoyé par la compagnie nationale d’électricité maintenue en faillite pour pouvoir être privatisée bientôt à un franc symbolique à une multinationale occidentale, est également pour lui. Car les ruptures d’essence, provoquées par les déraillements du train (de la compagnie nationale maintenue en faillite) peuvent le concerner aussi, même si lui, il sera toujours prioritaire sur les quantités restantes avant la pénurie totale, mais son groupe électrogène peut être en panne sèche !

Mais il faut consommer, des produits en plastique, des jouets de plus en plus éphémères, des gadgets quotidiennement achetés au feu rouge, vendus par des immigrés en errance, des articles informatiques et des téléphones plein de matières minérales polluantes incontrôlées, des produits chimiques de beauté (pour s’éclaircir la peau), des aliments chimiquement maintenus mangeables après la date de péremption, etc.

Produits jetés ensuite dans la piste devant la maison ou ramassés par des misérables ramasseurs de poubelles qui les jetteront où ils pourront, de préférence au bord d’une rivière car « l’eau lave tout ». Des produits tous plus polluants les uns que les autres car issus d’usines non contrôlées, sans normes, sans composition indiquée. Produits qui pollueront pendant 200 ans après avoir servi un jour ou 2 mois.

Le paludisme aussi flambe actuellement pour raison de consommation : les petits sachets noirs donnés gratuitement et systématiquement à toute personne qui consomme forment aujourd’hui des couches telles dans le sol africain que l’eau ne peut plus s’y infiltrer, maintenant ainsi devant les maisons, sur les pistes jonchées de poubelles, des flaques immenses, encore présentes une semaine après la dernière pluie, assurant une reproduction aisée et efficace des larves de moustiques. Le bétail et la volaille des campagnes africaines meurent d’ingérer des sachets qui compromettent également l’agriculture.

La « croissance », c’est-à -dire l’augmentation exponentielle de consommation de produits manufacturés ou vendus après légère transformation, présentée officiellement comme source d’accroissement du confort individuel et preuve de fonctionnement de l’économie du pays, n’est en réalité qu’un moyen de permettre aux entreprises multinationales de dégager des profits à placer en bourse ou en banque et de pousser les individus et Etats à faire des emprunts pour faire tourner le broyeur de la finance internationale.

Il faut assurer la « croissance », présentée comme seul salut mais surtout présentée comme garantie d’une réduction de la misère alors que même la CNUCED aujourd’hui reconnaît que la croissance permet aux plus riches de s’enrichir plus mais accroît la misère des plus pauvres. « Etant donné que la croissance ne profite pas automatiquement aux pauvres, la nouvelle approche insiste davantage sur la fourniture de services publics d’éducation primaire et de soins de santé. La nouvelle politique continue d’escompter qu’une rapide libéralisation commerciale et financière améliore l’accès des pauvres aux actifs financiers et autres qui leur permettraient d’échapper à la pauvreté. Or, l’expérience en Afrique devrait inciter à la plus grande prudence en la matière. L’étude montre qu’un accroissement des dépenses publiques à tous les niveaux reste le moyen le plus sûr de réduire les inégalités de revenus. [1] »

Pourtant, chaque pays d’Afrique fait ses prévisions de croissance : dans sa prévision de budget 2005, le Congo Brazzaville table sur un taux en termes réels de 9,2%, le Nepad espère au début du texte 7% pour les 15 ans à venir, puis à la fin 6% (!), mais comment cette croissance viendra et quels effets pervers elle engendrera : Silence consommons ! La science se chargera de réparer les dégâts sur l’environnement ! Quelle science ? Une science issue d’une recherche scientifique sans budget ?

Isabelle Likouka, APASH/CADTM [2] Brazzaville, CONGO.

- Source : ATTAC info n° 526 du mercredi 21 septembre 2005.
http://attac.org


Lire en portuguais :

à frica : O tsunami do crescimento
http://resistir.info/africa/tsunami.html


Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) dans l ’agriculture : Enjeux et Etat des lieux en Afrique de l’Ouest.



[1De l’ajustement à la réduction de la pauvreté : qu’y a-t-il de nouveau ?
www.un.org/publications. Voir aussi le dernier rapport CNUCED "Le Développement économique en Afrique, Repenser le rôle de l’investissement étranger direct", septembre 2005.

[2APASH, Association Pour une Alternative au Service de l’Humanité ; CADTM, Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde.


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