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11 commentaires

Libération dévisse

Clément Sénéchal

Le journal d’Édouard de Rothschild nous a fait à tous une démonstration de communication (on connaît Libération pour la flamboyance de ses jeux de mots et la patine glacée de ses photographies).

Dans son édition du week-end, une fois n’est pas coutume, Libé s’en prend à Mélenchon. Le contexte : devant la corruption des élites, le Front de gauche appelle à une marche pour une sixième République et la convocation d’une constituante.

L’enjeu : faire passer Mélenchon pour un agent rouge-brun de la guerre civile et discréditer toute alternative politique à la gouvernementalité oligarchique actuelle.

Libé a ses raisons que la raison ignore : le « journal de gauche » de Nicolas Demorand, après avoir fait activement campagne pour DSK, s’était livré à une sublime campagne pour son remplaçant néolibéral au PS : François Hollande. Comment faire autrement ? Comment Libération pourrait-il cautionner une remise en cause de l’oligarchie (i. e. un système politique dans lequel le pouvoir appartient à un petit nombre d’individus ou de familles, à une classe sociale restreinte et privilégiée) alors que le journal appartient lui-même à un oligarque ?

La une d’abord, ce premier signal essentiel, qui donne le ton :

A Libé, on a donc choisi de ressortir des tiroirs une photo de la campagne présidentielle, une photo où Mélenchon attend patiemment son tour pour prendre la parole lors d’un meeting. Libé coupe la photo afin d’isoler Mélenchon, qui apparaît seul assis dans une ombre noire, les mains croisées, en contre-plongée : épouvante garantie. Le diable en personne. On songe immédiatement aux clichés du Docteur Folamour (en exergue de ce billet), le chef-d’oeuvre de Stanley Kubrick : vous savez, cet ancien nazi en fauteuil roulant (qui commet encore parfois le salut hitlérien par inadvertance) chargé de définir une stratégie nucléaire complètement kamikaze des États-Unis pendant la guerre froide. Le docteur Folamour est un personnage qui aime la bombe nucléaire, la destruction, la guerre de manière presque sexuelle. C’est évidemment un personnage trouble, mi-nazi mi-yankee, dont l’intelligence diabolique penche inévitablement vers le chaos.

Voici donc l’effrayant docteur Folamour réincarné dans le corps de Jean-Luc Mélenchon. Quant au code couleur choisi, il rappelle furieusement les années 1930 : le noir, le rouge et le blanc, assemblage chromatique dont la signification politique n’échappe à personne. Voici le Front de gauche repeint grossièrement par Libé.

Les éléments textuels qui soulignent la photo, triés et constitués en éléments de langage par les soins de Libération, expliquent que Mélenchon a parlé de « purification ». Une déformation puisque Mélenchon a dit en fait : « Je veux faire la proposition que l’on manifeste (…) pour que le peuple s’empare, par une Constituante, du grand coup de balai qu’il faut donner pour purifier cette atmosphère politique absolument insupportable ». Purifier, donc, et non purification : différence de charge symbolique. L’intérieur du journal va même beaucoup plus loin puisqu’un article est titré : Affaire Cahuzac : Mélenchon pour la « purification » éthique. De « purification éthique » à « purification ethnique » : il n’y a qu’un pas. Triple stigmatisation : sémiologique, sémantique et phonétique.

L’édito enfin, ce sommet de finesse propre à Libération, dont la fonction est d’expliquer au lecteur comment interpréter l’actualité. Titré " Rejet " , avec une double-signification dont Libé s’est fait l’expert : rejet des élites par Mélenchon, mais également rejet de Mélenchon pour l’éditorialiste éclairé. Il suffit de lire la délicate prose du probe Éric Decouty pour s’en convaincre : « Paroles impuissantes comme volonté de moraliser la vie publique répétée par tous les gouvernements, ou inquiétantes comme l’ambition de Jean-Luc Mélenchon « de purifier l’atmosphère politique » après un grand « coup de balai ». L’élégant Éric Decouty ne goûte pas l’expression. Pourtant, en septembre 2011, Ségolène Royal avait déclaré : « A ce stade d’accumulation d’affaires et d’atteintes graves portées à la morale publique, la seule solution, c’est un bon coup de balai à ceux qui dirigent si mal le pays, font honte à la France. » Libé ne s’en était pas ému une demi-seconde. Libé a ses raisons que la raison ignore.

Decouty continue : « Si la référence au peuple (…) est indispensable, elle ne doit pas se résumer à une marche de colère dont on voit bien ce qu’elle apportera d’antiparlementarisme et de rejet de la démocratie » (?!) Assimiler la tenue d’une Assemblée constituante à une procédure antidémocratique, c’est amusant, pour un redchef. Mais ce n’est qu’un amuse-gueule. Plus loin : « La VIe République, que le leader du Front de gauche appelle de ses voeux, est inéluctable, mais cette refondation de la vie politique ne lui appartient pas (…) En pleine crise politique et sociale, et à la veille d’une crise morale, c’est de République et pas de guerre civile dont la France a besoin. » Guerre civile. Le mot est lâché. La menace brandie. Voilà Jean-Luc Mélenchon associé au phénomène politique le plus violent connu dans l’histoire. Accusé d’en préparer l’explosion.

Voilà donc comment Libé traite l’affaire Cahuzac, après avoir soigneusement évité de prêter main forte à Mediapart dans ses enquêtes : non pas le signe d’un écroulement du système politique, non pas le point de passage de toutes les corruptions qui minent les élites du pays ou la crise d’une classe sociale, mais le moment où le Front de gauche aura dérapé dans l’ignoble et franchit des seuils de radicalité inacceptables. Plutôt que de dénoncer les déficits démocratiques de nos institutions, Libé préfère dénoncer ceux qui les dénoncent. Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt, dit le proverbe.

D’ailleurs, reprenons un instant la logique sophistique de Libération : la défiance populaire envers les élites ne serait pas liée aux agissements indignes de ses dignitaires pris en flagrant délit, mais à ceux qui dénoncent ces même agissements pour les condamner. On appelle ça une tautologie. Or si l’on suit ce mode de raisonnement, n’est-on pas fondé à prétendre qu’en évoquant la « guerre civile », Libération contribue à la précipiter ? Casuistiques fallacieuses, donc.

Mais qui demeure encore prisonnier de Libération à part ses journalistes ?

Source : http://lesions.ragemag.fr/liberation-devisse/

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COMMENTAIRES  

07/04/2013 22:35 par hase

Je me demande si Sartre ne se retourne pas dans sa tombe ! Quand on pense à ce qu’était Libé dans les années soixante dix, qui faisait appel à ses lecteurs toutes les semaines pour récolter quatre sous, on voit bien que tout a été pourri, oui, pourri, mais cette pourriture n’a rien d’un compost nourrissant ! Combien sont-ils aujourd’hui, qui pensent que Libé est encore un journal de gauche ? Sait-on qui le lit ? Belle analyse linguistique de cet article de ce journal, que je n’ai pas lu : je ne lis pas Libération !

07/04/2013 23:17 par Louna

Merci pour cette clairvoyante analyse de ce torchon.
Il n’y a qu’à lire les commentaires affligeants de "beaufitude" et de "réactitude" des lecteurs sur le site pour comprendre que ce journal est fini. Quelle tristesse.

07/04/2013 23:38 par Geb.

Mais qui demeure encore prisonnier de Libération à part ses journalistes ?

"Prisonniers" les "journalistes" en question, ou autoproclamés tels ???

De bien beaux eunuques bien gros et gras dans une cage dorée plutôt.

Ceux du "Volskische Beöbatcher" se définissaient probablement aussi comme "journalistes".

Dans ce monde pourri y a ceux qui ont en charge l’univers carcéral concret, les matons et autres geôliers, et ceux qui s’occupent de l’univers carcéral virtuel de la pensée à travers les médias dominants.

Je sais pas ceux qui sont les pires... Ou les plus dévastateurs.

En tout cas, à leur décharge, les matons de la Pénitentiaire sont bien moins payés et considérés par leurs employeurs et leurs victimes.

Geb.

08/04/2013 03:13 par ADSkippy

Le journalisme "objective", est mort depuis longtemps. Bienvenue au monde de la "prostitution médiatique". Au moins je suis rassure que parmi ce beau monde de la presse écrite "libre", il ne me manqueras pas de quoi.. envelopper mes épluchures..

08/04/2013 09:47 par babelouest

@ ADSkippy
Je pense que le vrai journaliste existe toujours. Mais c’est un courageux, car il risque gros parfois. Je pense à Denis Robert... mais il y a aussi ceux qui ... ont des... accidents. Dans notre pays, c’est assez rare. Dans d’autres, c’est bien trop courant.

Le plus souvent, le vrai journaliste n’a tout simplement aucune audience faute de structure pour le protéger. C’est comme s’il n’existait pas. Et s’il n’a qu’un blog pour s’exprimer, pas d’illusion : ses lecteurs ne seront pas légion, et il n’aura pas les (nécessaires) moyens pour investiguer, ni le temps s’il est obligé d’avoir un emploi à côté pour survivre.

08/04/2013 09:48 par calamejulia

Wouhaou ! j’ai peur.
Le titre inégalable : Libération des vices !

08/04/2013 10:54 par triaire

Libé va bientôt faire faillite, on ne le regrettera pas .Qui lit encore cette feuille ? Ceux d’en bas, jamais , restent les " journalistes " et les bobos .Ils représentent peu .Qu’ils en profitent , nous espérons que ça ne durera pas non pas à cause d’une guerre civile mais d’une prise de conscience du peuple qui finira par ne plus voter contre ses intérêts en continuant à voter pour l’UMPS ou pire pour La Marine !

08/04/2013 12:14 par ADSkippy

@ babelouest
Il a des militant "révolutionnaire" ( pas salaries) qui paient le prix de leurs convictions souvent encore plus terrible que certain "journalistes", mais ils gardent leurs intégrité.
Et heureusement, il existent encore des journalistes intègres.
Je ne visais pas le "journalistes" mais le journalisme des organisations pour lesquelles ils travaillent, en se contentant de toucher un salaire.

08/04/2013 20:36 par Lionel

Un excellent article sur la presse papier du GS posait une question opportune : mais pourquoi donc de grands groupes industriels ou militaro-industriels se donnent-ils la peine de renflouer un secteur économiquement voué à perdre de l’argent ?
La réponse n’est pas dans la question ?...
Libé n’est que ce que l’on a voulu qu’il soit : un outil de propagande néolibéral, ceux qui n’y croient pas portent encore des couches-culotte...

08/04/2013 20:52 par an

@ triaire.Libé faire faillite je doute, ne pas oublier qu’il y a Rothschild derrière qui arrose et a les moyens de leurs offrir Open bar. Tenir les médias a permis a cette banque de placer des gars a eux(Stéphane Macron, Stéphane Israël) au sein même du gouvernement et ils feront tout pour garder la main sur l’information qui permet de nous vendre leur propre poulain. Rothschild se sont fait une immense fortune en spéculant sur la défaite de Napoleon à Waterloo et on depuis gardé en mémoire comment faire énormément d’argent en étant le premier a avoir l’info. http://www.youtube.com/watch?v=Na3LlV5hoQA

09/04/2013 08:59 par Birg

En plus, ils mentent
http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=5751
LIBÉ, ET LE "PROCHE" DE MÉLENCHON QUI NE L’AVAIT JAMAIS RENCONTRÉ
Le chercheur Christian Salmon critique la présentation d’une interview

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