RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Mexique : Maà­z santo ou Monsanto

illustration : Maiz Azul, westerngraphics.com

Tandis que le blé, le riz et les autres céréales existaient déjà à l’état sauvage, et n’ont fait que bénéficier d’améliorations successives, la plupart des historiens de l’agriculture estiment que le maïs a été entièrement créé par l’homme, à partir d’une plante à la fois proche et fort éloignée : le téosinte. Les découvertes archéologiques les plus récentes concernent des épis de maïs (Zea mays) retrouvés dans les vallées centrales de l’Oaxaca, au Mexique, datés vers 7000 ans avant notre ère. On peut aisément imaginer le patient et probablement passionnant « travail » de sélection mené par les hommes et les femmes (1) de cette région du monde, et qui a dû précéder cette apparition pendant des siècles, voire des millénaires.

Résultant de ce labeur et des soins apportés depuis à leur invention, plusieurs dizaines de races et des milliers de variétés locales, adaptées à des conditions extrêmement variées de sols et de climats, ont apporté aux communautés amérindiennes, du nord au sud, le renforcement de leur autosuffisance alimentaire. On ne saurait donc s’étonner d’entendre des indigènes dire aujourd’hui que sans le maïs, leur civilisation aurait depuis longtemps disparu.

Pourtant, loin de revendiquer un quelconque droit d’auteur sur la plante, les indiens des Amériques ont fait exactement l’inverse, dans tous leurs mythes et légendes. Le Popol Vuh, livre sacré des mayas Quiché, nous rapporte que les dieux, après avoir tenté de créer les premiers hommes avec de la glaise (rapidement dissoute sous les averses tropicales), puis avec du bois (beaucoup plus résistant, mais pas vraiment idéal sur le plan de la sensibilité ou de l’intelligence), ont fini par pétrir les ancêtres des quiché dans une pâte faite de trois variétés de maïs. Les inventeurs du maïs se disent donc issus de celui-ci. Cette belle inversion laisse apparaître dans toute son ampleur la mesquinerie des entreprises agro-alimentaires, tentant, elles, de déposer des brevets sur la vie.

Là où ils disposent de terres en quantité suffisante, les indiens du Mexique (et d’ailleurs) continuent d’y vivre, et de démontrer leurs étonnantes capacités à cultiver pour nourrir convenablement leurs familles, les malades et les vieux des villages. La milpa, le champ de maïs, est au centre de la vie indà­gena. Il y pousse également, en étroite association, des haricots (qui profitent de la tige de la céréale et enrichissent le sol en azote), des calebasses (dont les larges feuilles rampantes retiennent l’évaporation de l’eau et ralentissent la croissance des herbes adventices), des tomates et des physalis, ainsi que tout une foule de plantes aromatiques.

Les préparations à base de maïs sont aussi variées que savoureuses et nutritives. Bouilli dans une eau additionnée de chaux (la nixtamalisation, celle-ci permettant d’améliorer la disponibilité des vitamines, notamment PP, et d’éliminer le risque de pellagre), écrasé ensuite sur une pierre ou moulu, il permet de fabriquer les célèbres tortillas, mais aussi le pozol (fermenté 24 heures dans une feuille de bananier, puis consommé dissout dans de l’eau), l’atole, les tamales... et les innombrables spécialités que possède l’art culinaire mexicain (tacos, enchiladas, chilaquiles, pozole, sopes, totopos, nachos, etc).

Pour les mayas, par exemple, le maïs possède une âme (ch’ulel). Des récits racontent aux enfants que si l’on oublie de ramasser quelques épis de maïs, et qu’on les abandonne dans un coin du champ, ceux se mettent à pleurer, rappelant le paysan à son devoir. Dans les langues du Chiapas (tsotsil, tseltal) le verbe manger (ve’el, we’el) s’applique au maïs, le seul aliment capable de restaurer, de reconstituer l’individu. Pour la viande, les haricots, les fruits, on emploiera d’autres verbes. Car on est déjà dans une sorte de grignotage...

Mais pour nourrir les villes, ces monstres engendrés par la déraison d’un développement devenu incontrôlable, les belles histoires indiennes ne suffisent pas. Au contraire. D’autres mythes, ceux du progrès et d’une humanité tournée vers un futur radieux, urbain, technologique et soumis au « règne machinal », se font entendre bien plus fort. Ils exigent que l’on en finisse avec ces individus arriérés qui ne produisent quasiment rien pour le marché, occupent des terres que l’on verrait bien plus utiles à la production, disons, de bio-carburants, et refusent de devenir la main d’oeuvre compétitive et pas chère du tout dont les entreprises ont grand besoin, dans ce contexte de crise.

Jusque dans les années 1970-80, le Mexique était auto-suffisant en maïs (celui-ci constitue, on l’a vu, l’essentiel du bol alimentaire de la plus grande partie de la population). Des politiques gouvernementales désastreuses ont précarisé la situation des petits et moyens producteurs, qui fournissaient les villes. De hauts dirigeants (2) possèdent, il est vrai, des intérêts dans les trusts de l’agroalimentaire. En 1994, l’entrée du pays dans le TLC (Traité de Libre Commerce, appelé également ALENA, ou NAFTA), avec les USA et le Canada, a entraîné la suppression des barrières douanières avec ces pays, dont l’agriculture fortement subventionnée, mécanisée, s’appuie sur des arrosages intensifs, des intrants chimiques en quantité massive, des semences hybrides à haut rendement à l’hectare. Le TLC a précipité la crise des producteurs traditionnels, tandis qu’il a renforcé les secteurs de l’agro-industrie tournés vers l’exportation. La désertification des campagnes s’est accrue, augmentant au passage le poids de la dépendance des villes sur le plan alimentaire. Aujourd’hui, le Mexique doit importer le quart de sa consommation de maïs. On sait, par ailleurs, que les prix de la tortilla ont flambé, suite à la spéculation et la concurrence de la production de biocarburants. Pendant 10 ans, un moratoire avait empêché la culture de maïs transgénique. Même si l’on avait déjà observé des cas de contamination (notamment dans l’Etat de l’Oaxaca, berceau historique du maïs), le maïs OGM n’était jusqu’à ces derniers temps présent que dans la farine industrielle (la fameuse Maseca). La levée du moratoire, décrétée par le gouvernement de Felipe Calderón, suscite de vigoureuses réactions dans tout le pays. Les associations, les manifestations se multiplient. Une campagne (Sin maà­z no hay paà­s, Sans maïs pas de pays) a sillonné le Mexique. La chercheuse Silvia Ribeiro n’hésite pas à parler de maïcide (3). Mais Monsanto, le « libre-commerce » et tout un système économique et social reposant sur la diminution constante du nombre de paysans, sur l’urbanisation et l’aliénation massive de la population, auront le dernier mot.

L’objectif, ne l’oublions pas, est bel et bien l’appropriation et l’exploitation par une poignée de multinationales de l’ensemble des semences utilisées sur la planète. Les OGM, au-delà des quelques dégâts collatéraux sur la microfaune et la flore, sur la biodiversité et, peut-être, sur la santé humaine, sont la voie royale pour y parvenir.

Sur le terrain, c’est à dire sur leurs terres et territoires, les seuls qui mèneront la résistance jusqu’au bout seront très probablement des paysans indigènes4. Que ce soit les zapatistes tsotsil, tseltal, ch’ol, tojolabal ou zoque de l’EZLN au Chiapas, des zapotecos ou des mixtecos de l’Oaxaca, des p’urépecha ou des nahuas au Michoacán, il s’agit pour ces hommes et ces femmes de défendre ce dont ils sont faits. Ou leur création, comme l’on préfère : le Santo Maà­z.

Jean-Pierre Petit-Gras

1 Le rôle des femmes dans la sélection des semences, dans les sociétés traditionnelles, est bien connu. Au Mexique, cette tâche est toujours l’occasion de fêtes et de réjouissances.

2 La famille de Salinas de Gortari, par exemple, est liée au trust Gruma (Maseca), qui contrôle la fabrication de farine de maïs et de tortillas industrielles.

3 Silvia Ribeiro anime un groupe de recherche intitulé ECT. Lire en français www.legrandsoir.info/Mexique-mais-et-infamies-par-Silvia-Ribeiro

4 Au Chiapas, les zapatistes poursuivent la construction de leur autonomie, dans un contexte de guerre « de basse intensité »de plus en plus aigu. Ailleurs, dans l’Oaxaca, au Guerrero ou au Michoacán le processus de récupération des terres et de l’autonomie rencontre lui aussi la répression, les assassinats et une militarisation croissante.

URL de cet article 9447
  

Autopsie des terrorismes - Les attentats du 11-septembre & l’ordre mondial
Noam CHOMSKY
Les États-Unis mènent ce qu’on appelle une « guerre de faible intensité ». C’est la doctrine officielle. Mais les définitions du conflit de faible intensité et celles du terrorisme sont presque semblables. Le terrorisme est l’utilisation de moyens coercitifs dirigés contre des populations civiles dans l’intention d’atteindre des visées politiques, religieuses ou autres. Le terrorisme n’est donc qu’une composante de l’action des États, c’est la doctrine officielle, et pas seulement celle des États-Unis. (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Puisque le commerce ignore les frontières nationales, et que le fabricant insiste pour avoir le monde comme marché, le drapeau de son pays doit le suivre, et les portes des nations qui lui sont fermées doivent être enfoncées. Les concessions obtenues par les financiers doivent être protégées par les ministres de l’Etat, même si la souveraineté des nations réticentes est violée dans le processus. Les colonies doivent être obtenues ou plantées afin que pas un coin du monde n’en réchappe ou reste inutilisé.

Woodrow Wilson
Président des Etats-Unis de 1913 à 1921

Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.