Paradis amour ou : les ex-soixante-huitardes font du tourisme sexuel.

L’hédonisme, devenu depuis mai 68 l’idéologie officielle de notre société, mène-t-il au bonheur ? la "tolérance" face à toutes les conduites sexuelles ne serait-elle que du nihilisme ? Ulrich Seidl a son avis là -dessus, et Paradis : amour en apporte une démonstration percutante.

La presse a souvent stigmatisé le film, son voyeurisme, son cynisme, son goût pour l’abjection (tandis qu’elle s’extasiait volontiers sur le talent de Haneke et d’Emmanuelle Riva, octogénaire filmée sous la douche !). Et, de fait, on ne se sent pas fier (et pas seulement : pas fière) à la sortie du film . Les 4 sugar mamas qui se rencontrent, au Kenya, dans un hôtel de Mombasa, persuadées que la jouissance de corps mâles noirs est incluse dans le prix du séjour (sea, sex and sun), sont grotesques et hideuses, encore plus moralement que physiquement : elles jaugent les jeunes noirs comme des marchandes d’esclaves, appréciant leurs dents, leurs cuisses, leur cul ; elles se moquent, devant lui, d’un barman, comparant son sourire à celui du bonhomme Banania ; et elles se lancent dans la drague, sans complexes ("Les Noirs nous aiment comme nous sommes", donc inutile de se gêner avec eux).

L’héroïne, Teresa, a d’abord des scrupules, mais ses échecs, dans sa recherche d’amour, ne feront que la stimuler jusqu’à la frénésie. Car elle veut tout : le sexe, mais aussi la tendresse, et c’est là qu’elle devient à la fois odieuse et pitoyable, quand elle prétend enseigner aux jeunes Noirs les gestes de la tendresse, pensant que ces sauvages sont trop grossiers pour les connaître, et qu’ils ont besoin des leçons de la "white lady". En fait, ils ont déjà beaucoup de mérite à accomplir les gestes sexuels techniques sur ces corps flasques et massifs. Ainsi, lorsque ses amies offrent à Teresa, pour son anniversaire, un jeune Noir, il fait son travail (danse langoureuse et strip-tease) avec compétence et résignation, mais, elles auront beau s’escrimer sur lui, elles n’arriveront pas à le faire bander (leur manège rappelle la scène où, dans un village touristique, un groupe de crocodiles sautent lourdement pour happer le morceau de viande qu’on leur tend). De même, lorsque Teresa, en désespoir de cause, racole le barman, nommé Josfat, et qu’elle essaie de le forcer à lui faire des "gâteries", elle devra reconnaître son échec (il sera trop heureux, tel Joseph face à la femme de Putiphar, de pouvoir s’enfuir).

Le film montre ainsi une des apories de "l’amour pour tous" : les clients masculins n’ont besoin que de la passivité des prostituées ; pour les clientes féminines, l’entreprise est plus difficile, il n’est pas toujours possible d’imposer l’activité ! Comment nos sugar mamas n’y ont-elles pas pensé ? Comment expliquer que des ménagères raisonnables et disciplinées comme Teresa (avant de partir, elle insiste auprès de sa fille sur l’importance de l’ordre) tombent dans un tel désordre moral, perdant tout sens de la dignité, de l’autre, et d’elles-mêmes ? C’est que toute l’industrie de la propagande, publicitaire et culturelle, avec son slogan de base : "Eclatez-vous !", martèle que nous avons droit à l’amour et que notre seul projet existentiel doit être de faire le plus d’expériences sexuelles possible, le plus longtemps possible. Quelques exemples entre mille : l’affiche de Un enfant de toi montre une fille au lit entre deux hommes ; une pub pour club de rencontre nous suggère, avec espièglerie : "Et si ce soir je trompais mon amant avec mon mari ?" ; l’an dernier, un film racontait la virée en Espagne d’un groupe d’handicapés désireux d’exercer leur droit à l’amour dans un bordel ; et nous sommes bombardés de sujets sur l’amour au 3e âge).

C’est ce que Houellebecq appelait l’Extension du domaine de la lutte : à l’intérieur du grand marché des produits et de l’exploitation de la force de travail, on a organisé un gigantesque marché du sexe à l’échelle de la société ; et, en bonne logique libérale, cela n’a pas abouti à satisfaire tous les besoins, mais à organiser la pénurie. Dans cette dérégulation des relations sexuelles et amoureuses, il y a des gagnants et des perdants : les hommes, en général (et en dépit de toute la propagande féministe qui nous accable) sont les gagnants, car, en vertu de la logique biologique, chaque homme a, à sa disposition, plusieurs générations de femmes en concurrence (les sociologues ont-ils calculé si, en moyenne, les femmes divorcées se remarient aussi souvent, et jusqu’au même âge, que les hommes ?) ; et, parmi les hommes, comme parmi les femmes, la concurrence libre aboutit à éliminer plus férocement les moches, ceux qui ne correspondent pas aux canons (car, comme pour les pommes ou les tomates, la consommation de masse entraîne ici un formatage des produits).

C’est bien ce dont se plaignent les sugar mamas : en Europe, elles sont hors jeu, victimes de cette nouvelle misère sexuelle. Houellebecq montrait en 1998, dans Les Particules élémentaires, le triste sort des femmes qui, conformément aux injonctions de la société post-soixante-huitarde, ont organisé leur vie autour du sexe, et qui, après 40 ans, se retrouvent seules (périmées par la présence sur le marché de produits plus jeunes), sans savoir quel sens donner à leur vie. Apparaît alors la vraie finalité de la promotion du sexe : la solution est de se tourner vers les expériences tarifées.

Mais, alors que la prostitution féminine explose en Europe (avec l’apparition de méga-bordels, tel le Paradise, à La Jonquera, récemment cible d’attentats ; mais qui sont les pires malfrats, les auteurs des attentats, ou ceux qui exploitent ce genre d’établissements ?), la prostitution masculine tournée vers la clientèle féminine est plus rare - d’où l’utilité des colonies (ex-nouvelles-colonies). Jadis, outre leur exploitation économique,elles servaient à déporter les marginaux sociaux, criminels ou subversifs, aujourd’hui, les agences de voyage y envoient les hommes désireux d’expériences exotiques, et les femmes exclues du marché sexuel.

Toutefois, Houellebecq ne dressait ce diagnostic lucide de l’échec des relations entre hommes et femmes dans la société occidentale que pour condamner l’humanité entière et appuyer le projet du cyborg (développer, par manipulations génétiques, une nouvelle race, comme dans Le Meilleur des mondes), c’est la stratégie du "jeter le bébé avec l’eau du bain". Il serait plus juste d’en tirer un jugement critique non sur l’humanité, mais sur cette société occidentale qui a méthodiquement organisé la solitude des individus (ainsi, Teresa, divorcée, vit avec une ado taciturne qui ne dialogue qu’avec son portable, et est réduite à l’amour de son chat) : en effet, la consommation vient occuper tout l’espace que perdent les relations humaines, et les hommes eux-mêmes se consomment sur le mode des produits.

Et la condamnation devrait surtout porter sur la façon dont nous exportons notre mal-être dans des sociétés qui avaient mieux réussi que nous leur développement humain. Dans Le Monde, le critique Th. Sotinel suggère avec ironie que Seidl a peut-être voulu faire de son film "une métaphore des rapports entre l’Europe et l’Afrique" : he ! bien oui, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Seidl clôt sa présentation de la vie de Teresa en Europe par une séquence cruelle qui montre le groupe de mongoliens et handicapés mentaux dont elle s’occupe dans un parc d’attractions, au volant des autos tamponneuses, se percutant dans tous les sens avec des cris et des grognements de joie, d’agressivité ou de frayeur : on peut aussi y voir une métaphore de notre société, "une histoire de bruit et de fureur racontée par un idiot", et on pourrait souhaiter au moins que nous cessions de vouloir l’exporter, par les bombes. En cela, Paradis : amour est un commentaire édifiant de la récente agression contre le Mali d’un des Prix Nobel de la paix de cette année.

Rosa Llorens

COMMENTAIRES  

13/01/2013 23:58 par Anonyme

Est-ce qu’il y a eu des enquêtes statistiques permettant d’évaluer le nombre de soixante-huitardes qui font du tourisme sexuel dans le style que décrit ce film ?

Perso, je n’ai même pas les moyens de me déplacer aussi souvent que je le voudrais pour aller voir mes enfants à 450 km de chez moi ! Et je bénéficie d’une retraite à taux plein, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent pour les femmes !

Des touristes sexuelles de mon âge, c’est à dire de l’âge des baby-boomers, donc des soixante huitardes, pour ma part, je n’en connais pas.
Il est possible évidemment que toutes les soixante-huitardes ne soient pas égales entre elles. Une autre hypothèse me semble également possible : celles que décrit ce film n’existent que dans l’imagination (sinistre et quelque peu machiste) de son auteur.
Moi, ça me fait penser à tous ces discours qui attribuent aux baby-boomers en général, la responsabilité du chômage des jeunes, des réformes de la retraite (dont entre parenthèse ils sont les premières victimes, dans leur grande majorité) et de la paupérisation généralisée, comme on attribue aux fonctionnaires tout les privilèges dont sont privés les salariés.

(Accessoirement, c’est quoi des sugar mamas ? Mamans sucres ? Quel rapport avec le tourisme sexuel ou les soixante-huitardes ? Ca sort d’où cette expression ? )

Enfin, l’hédonisme implique-t-il l’aliénation/exploitation/abus du corps d’autrui ?
S’il me semble plus que légitime de dénoncer le tourisme sexuel, y compris féminin s’il existe, et de façon plus générale, l’exploitation de l’homme par l’homme ou par la femme, je trouve un peu suspect qu’on y réduise l’hédonisme : la vie est courte et les plaisirs sont rares ; on fait bien de profiter au mieux de ses bons moment, dès l’instant que ce n’est pas aux dépens des autres. Je ne vois pas de raison d’en abandonner le privilège à une minorité.

14/01/2013 00:10 par legrandsoir

c’est quoi des sugar mamas ?

Argot. Sobriquet désignant les "femmes caucasiennes d’un certain age, financièrement à l’aise, qui paient pour des services sexuels". Définition non officielle, mais il me semble que c’est pas trop mauvais.

14/01/2013 01:15 par Anonyme

Merci grand soir (mais j’avoue que je ne saisis toujours pas le rapport).

14/01/2013 09:29 par domi

Le film est saisissant. La misère affective, sexuelle, morale et spirituelle de ces occidentales qui vieillissent seules (concéquence à la fois de l’individualisme du notre époque et du féminisme qui en « libérant » la femme lui a enlevé toutes ses protections à l’exemple des pays que nous « libérons » pour en faire des marchés ouverts) n’a d’égale que leur vulgarité et leur manque de sensibilité aux autres.

Pour elles les Africains ne sont que des sortes de sous-hommes (« qui se ressemblent tous ») dans le vieil esprit colonial (la référence à Banania est révélatrice) supposés leur être reconnaissants de pouvoir caresser leurs chairs flasques de femmes supérieures (parce que blanches)…

La société marchande qui a sacralisé la consommation a fait du sexe (et même de l’amour) un bien qu’on doit posséder si on veut se dire heureux (ce qui est obligatoire, car si on n’est pas heureux c’est qu’on se débrouille mal dans notre société où le citoyen est responsable de tout et l’aristocratie technocratique qui nous gouverne de rien) mais les hommes blancs se détournent des femmes de plus de 50 ans sauf exception (Je le sais j’en ai 65 ans et mes amies aussi) et il ne leur reste plus qu’à changer de valeurs et à construire leur vie autour d’autre chose (le militantisme, l’étude, le service aux autres/bénévolat, les petits enfants, la spriritualité, etc…) ou à finir comme les héroïnes du film en quête frustrante de "l’amour" sur internet ou dans les pays pauvres. J’ai même une amie qui, écoeurée par ses contacts masculins internet, a fini par se tourner vers les femmes et nouer une relation homosexuelle (une autre manière de changer de valeurs)...

La chose n’est pas nouvelle mais avant il s’agissait de cas particuliers car les structures de la société (le mariage, la famille, les liens sociaux) protégeaient les femmes vieillissantes. Somerset Maugham a traité (en version plus chic) le cas d’une veuve dans « l’été indien ». C’est l’histoire d’une célèbre actrice vieillissante qui perd son mari (et producteur) et qui désemparée fait seule un voyage en Italie où son désir et sa solitude la rendent dépendante de gigolos.

14/01/2013 13:50 par Anonyme

Vous êtes qui pour affirmer tant de conneries avec autant d’aplomb ? Un femme vieillissante ? une femme seule ? une femme libérée par le féminisme et qui n’a plus de protecteur ? Un homme africain "supposé leur être reconnaissants de pouvoir caresser leurs chairs flasques de femmes supérieures (parce que blanches)" ?

Eh bien non ! Si vous savez si bien tout ce que vous écrivez, c’est, comme vous nous l’expliquez, parce que vous êtes un homme blanc de plus de 65 ans dont les amies (du même âge ?) sont acculées à ... militer ! Dieu quelle horreur ! Et qui a même une amie qui, écoeurée par ses contacts masculins internet, a fini par se tourner vers les femmes et nouer une relation homosexuelle ! Un comble !

Et ben mon vieux Domi, j’ai 65 ans moi aussi et je t’emmerde en attendant la centaine ! Il y a des blancs et des blanches, et même des noirs et des noires, qui militent avec moi et qui m’aiment telle que je suis, bien que je n’ai pas les moyens de voyager jusqu’en Afrique ! Et puis, quand mes chairs flasques manquent de caresses, je leur accorde moi-même ce qui leur fait défaut : c’est gratuit et c’est mieux fait que quand on tombe sur un vieux con.

14/01/2013 19:38 par legrandsoir

Il me semble que vous n’avez pas compris l’intervention de Domi.

Et une preuve de plus que certains sujets sur LGS provoquent plus de passions que le sort fait à Bradley Manning... :-((

14/01/2013 13:51 par Lionel

Anonyme, ce n’est pas une nouveauté, aussi sinistre que ce soit j’ai été témoin d’arrivées de vols charter dans les années 85-90 venant du Canada, dont les passagers étaient en majorité des passagères qui venaient dans le Sud de la Martinique passer un séjour à caractère sexuel...
Le même phénomène a eu lieu en Guadeloupe à la même époque, s’est perpétué en République dominicaine, etc...
La détresse dont il est fait mention est certaine et probablement la misère sexuelle et DONC affective aussi, ce qui n’enlève rien à la possibilité que le réalisateur soit un odieux macho caricaturiste et que les "soixantuitardes" en question soient en fait de simples bourgeoises.
Ne serait-ce pas alors une intention de dénigrer une certaine volonté de libération des femmes en leur disant "vous voyez vos conneries à quoi ça vous a mené ?", 68... c’est dépassé...
Un train peut en cacher un autre et ce film en parlant d’une certaine réalité d’un point de vue fortement marqué idéologiquement mais d’une vision très moderniste ( ce n’est pas un compliment ! ) peut être un message extrêmement réactionnaire, du genre bombe à sous munitions.

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