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Poésie et révolution (5)

Charles Bonnet fut condamné par contumace à la déportation. Il continua à militer à Genève, où il était réfugié (en ce temps-là , la Suisse n’abritait pas que des banques). Dans la capitale suisse, Bonnet publie en 1872, aux bons soins d’une imprimerie coopérative, un texte intitulé " Entrée triomphale du général Espivent à Marseille " . Cet Espivent de la Villeboisnet appartenait à une grande famille de la noblesse française. En 1871, il avait été envoyé à Marseille pour y réprimer l’insurrection communarde. Il fut plus tard sénateur et décoré de la Grand-croix de la Légion d’honneur. La violence du poème de Bonnet répond à la violence de la répression :

C’est à toi, grand héros, que la brune Marseille

Doit son repos présent … et ses assassinats.

Dans l’art de massacrer, tu fais vraiment merveille ;

Sauveur, cache tes mains … le sang rougit tes bras !

Fais chanter tes soldats, leur voix couvre le râle

Des enfants étendus pêle-mêle à tes pieds !…

Continue à présent ta marche triomphale !…

Victimes, dressez-vous !… Offrez-lui des lauriers.

Étrange destin que celui de Maurice Boukay. De son vrai nom Charles-Maurice Couyba, ce professeur au lycée Arago chantait le soir au Chat Noir. Il fut élu député radical en 1896 et devint ministre du Commerce en 1911. Son vrai plaisir était d’écrire des chansons romantiques. Il est l’auteur immortel d’" Adieu, Venise provençale " (interprétée ici par Brassens, avé l’assent, (http://www.youtube.com/watch?v=cec4U8NY1nY). Vers 1889, il rencontre Paul Delmet, auteur, avec Michel Vaucaire, des " Petits pavés " , cette étrange et bouleversante chanson d’amour, interprétée ici par Lys Gauty : http://www.youtube.com/watch?v=vxcXOgVt0q0&feature=related. Delmet mettra en musique des dizaines de poèmes de son ami Boukay. Le drame de la Commune amènera Boukay à écrire, par exemple, " Tu t’en iras les pieds devant " , un poème dont la force rend à merveille la violence de l’époque :

Tu t’en iras les pieds devant,

Ainsi que tout ceux de ta race,

Grand homme qu’un souffle terrasse.

Comme le pauvre fou qui passe,

Et sous la lune va rêvant,

De beauté, de gloire éternelle,

Du ciel cherché dans les prunelles,

Au rythme pur des villanelles,

Tu t’en iras les pieds devant.

Tu t’en iras les pieds devant,

Duchesse aux titres authentiques,

Catin qui cherches les pratiques,

Orpheline au navrant cantique.

Vous aurez même appris du vent,

Sous la neige, en la terre grise,

Même blason, même chemise,

Console toi fille soumise,

Tu t’en iras les pieds devant.

Tu t’en iras les pieds devant,

Oh toi qui mens quand tu te signes,

Maîtresse qui liras ces lignes,

En buvant le vin de mes vignes,

A la santé d’un autre amant,

Brune ou blonde, être dont la grâce,

Sourit comme un masque grimace,

Voici la camarde qui passe.

Tu t’en iras les pieds devant.

Tu t’en iras les pieds devant,

Grave docteur qui me dissèques,

Prêtre qui chantes mes obsèques.

Bourgeois, prince des hypothèques,

Riche ou pauvre, ignorant, savant,

Camarade au grand phalanstère,

Vers la justice égalitaire,

Nous aurons tous six pieds de terre.

Tu t’en iras les pieds devant.

Dans son recueil Les Chansons rouges (1896), Bouquet rendra hommage aux déportés de la Nouvelle-Calédonie et des Fédérés fusillés au Père-Lachaise :

Coq rouge, au sommet du clocher,

Que vois-tu là -bas, dans une île ? -

Je vois des hommes qu’on exile

Et qui meurent sur leur rocher. -

Coq rouge, au sommet du clocher,

Que vois-tu dans le cimetière ? -

Je vois les morts lever leur pierre.

Les martyrs vont se revancher. -

Secrétaire de la Commission exécutive de la Commune, Pierre Brissac sera condamné aux travaux forcés, dont il purgera sept ans en Nouvelle-Calédonie. Il reviendra de son exil avec Souvenirs de prison et de bagne (1882), puis adhèrera au parti ouvrier de Jules Guesde. Dans l’île Nou, les autorités pénitentiaires contraindront ce militant contre la peine de mort à participer au montage de la guillotine. Je citerai de lui ce magnifique " En remplissant des sacs " :

La chaux, comme un simoun, tourbillonne en atomes

Ses vagues, peuplant l’air épais de blancs fantômes,

Font choir leur avalanche, en poudrant à frimas

Les marquis de la Chiourme et les ducs du ramas.

La maudite. - l’enfer, certes, l’a fabriquée ! -

Remplit d’une âcre odeur ma gorge suffoquée,

Verse la cécité sur mes yeux impuissants,

La toux dans ma poitrine et l’horreur de mes sens.

Vole aussi, toi, poussière impalpable d’idées !

Pénètre les esprits ! Féconde les cerveaux !

Jettes-y les clartés des horizons nouveaux !

Répands-toi sur le monde en laves débordées !

Étienne Carjat découvre, adolescent, le dessin et la lithographie. Puis la photographie. Il ouvre son propre atelier en 1861. Son cliché le plus connu est celui du jeune Rimbaud, réalisé en octobre 1871. Il se lie à plusieurs opposants notoires au Second Empire, tels Vallès, Courbet ou Verlaine. Il soutient pleinement le mouvement révolutionnaire et publie des poèmes politiques dans le journal La Commune. En janvier 1872, une querelle éclate au cours d’un dîner organisé par un groupe d’amis artistes auquel il appartient. Rimbaud le blesse à l’aide d’une canne-épée. Carjat détruira la plupart des clichés qu’il a pris du jeune poète, dont il ne reste aujourd’hui que huit photographies le représentant. Je propose ici un extrait des " Versaillais " , un long poème publié en mai 1871, un portrait sans nuances de la campagne réactionnaire et collaborationniste :

Comme un roquet hargneux qui jappe après la blouse,

Et montre, en s’enfuyant, ses petits crocs aigus,

La campagne imbécile, ô Paris, te jalouse,

Et t’insulte de loin en serrant ses écus.

[…] Que le Prussien vienne et montre sa monnaie,

[Les paysans] offriront leur pain, le vin et leur cellier ;

Ils livreront leur lit, leur femme, et, s’il les paie,

Au moment du départ, lui tiendront l’étrier.

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