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Poésie et révolution (7)

Ah ! Victor Hugo, le bon Totor, l’immense Totor. Face à ce géant qu’on a dit paradoxal, il y a toujours eu de fines bouches. Cocteau, qui a déjà bien mal vieilli, disait que Victor Hugo était un fou qui se prenait pour Victor Hugo. Quand on demandait à André Gide quel était le plus grand poète français, il répondait, admiratif, mais également très ironique : « Victor Hugo, hélas  ». Hugo ne fit peut-être pas voler en éclats les normes esthétiques de son temps comme, par exemple, Mallarmé, mais son oeuvre poétique est indépassable, et elle pèse des tonnes, non parce qu’elle est pesante, mais parce qu’elle est impossible à déplacer du champ littéraire. Baudelaire, dont l’oeuvre et la démarche étaient aux antipodes de celles de l’auteur de La légende des siècles, rendit cet hommage particulièrement pénétrant à son aîné :

« Quand on se figure ce qu’était la poésie française avant que Victor Hugo apparût et quel rajeunissement elle a subi depuis qu’il est venu ; quand on imagine ce peu qu’elle eût été s’il n’était pas venu, combien de sentiments mystérieux et profonds qui ont été exprimés, seraient restés muets ; combien d’intelligences il a accouchées, combien d’hommes qui ont rayonné par lui seraient restés obscurs ; il est impossible de ne pas le considérer comme un de ces esprits rares et providentiels, qui opèrent, dans l’ordre littéraire, le salut de tous... »

Si un million de personnes (dans un pays qui en comptait 35) se pressèrent aux funérailles de celui qui était, quand il mourut, la personne la plus connue au monde, c’est que cet homme, de tradition royaliste et très conservatrice, lutta aux côtés du peuple sans jamais faiblir. Il subit volontairement 19 années d’exil : « Je resterai proscrit, voulant rester debout », préviendra-t-il en 1853 dans Les Châtiments :

J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.

Vingt années plus tard, il soutiendra la Commune.

Il rentre à Paris le 5 septembre 1870 après son long exil. Sans tarder, il adresse un appel Aux Allemands , les adjurant de ne pas poursuivre leur attaque contre la République. Hystérique, la presse allemande répond par un Pendez le poète au haut du mât ! Le 17 septembre, il adresse alors Aux Français un appel pour organiser «  l’effrayante bataille de la Patrie. » « Que pas un point du territoire ne se dérobe au devoir  », exhorte-t-il. Il ajoute - et là , on reconnaît bien le père et le grand-père des poésies de notre enfance - : « Arrêtez-vous seulement, quand vous passerez devant une chaumière, pour baiser au front un petit enfant endormi. Car l’enfant c’est l’avenir. Car l’avenir c’est la république. »

Pendant le terrible hiver du siège de la capitale, Hugo abandonne tous ses droits d’auteur au profit de la souscription pour les canons. Il fustige les capitulards incapables, « le tas de gens de guerre qui a rendu cette ville » alors que

[…] les petits enfants, bombardés dans les rues,
Ramassaient en riant obus et biscayens,
Quand pas un n’a faibli parmi les citoyens,
Quand on était là , prêts à sortir, trois cent mille,

Il est élu à l’Assemblée qui doit ratifier les conditions de la paix, devant Gambetta, Garibaldi et Thiers. Le 1er mars 1871, à la tribune de l’Assemblée de Bordeaux, il fustige, au nom de Paris, « la paix infâme », cette paix sans honneur qui nourrira la haine. Il s’en prend aux « Ruraux » réactionnaires qui veulent décapitaliser Paris. Il démissionne de cette Chambre introuvable pour mieux la combattre de l’extérieur.

Son fils Charles meurt. Dans L’Enterrement, il donne cette stupéfiante réflexion sur la mort de son enfant et sur les combats nécessaires :

Les morts sont des vivants mêlés à nos combats,
Ayant tantôt le bien, tantôt le mal pour cibles ;
Parfois on sent passer leurs flèches invisibles.
Nous les croyons absents, ils sont présents ; on sort
De la terre, des jours, des pleurs, mais non du sort ;
C’est un prolongement sublime que la tombe.

En avril 1871, il propose l’extraordinaire allégorie de " La mère qui défend son petit " :

Au milieu des forêts, asiles des chouettes,
Où chuchotent tout bas les feuilles inquiètes,
Dans les halliers, que semble emplir un noir dessein,
Pour le doux nouveau-né qui frissonne à son sein,
Pour le tragique enfant qu’elle emporte effarée,
Dès qu’elle voit la nuit croître, sombre marée,
Dès que les loups obscurs poussent leurs longs abois,
Oh ! le sauvage amour de la femme des bois !

Dans un premier temps, son ralliement au prolétariat n’est pas net. Depuis la fin de son exil bruxellois, il ne sait trop à qui attribuer la responsabilité des massacres, alors qu’elle est exclusivement le fait de Thiers, des Versaillais qui ont attaqué dès que Bismarck a reconstitué leur armée en leur rendant les prisonniers de Sedan :

Verser, mêler, après septembre et février,"¨
Le sang du paysan, le sang de l’ouvrier,"¨
Sans plus s’en soucier que de l’eau des fontaines !"¨
Les latins contre Rome et les grecs contre Athènes !
Qui donc a décrété ce sombre égorgement ?
(Un cri )

Toujours depuis Bruxelles, il marque une opposition larvée à la Commune : « Je suis pour la Commune en principe et contre la Commune en application  », écrit-il dans Le Rappel, en avril 71. Mais il bascule le jour où il fait personnellement l’expérience de la haine des possédants pour le peuple. Le gouvernement belge ayant fait savoir qu’il s’opposerait à l’entrée sur son territoire des Communards réfugiés, Hugo rédige une lettre ouverte par laquelle il offre asile aux fugitifs, dans sa maison sise dans la place bien nommée des Barricades. Une bande de jeunes conduits par le fils du ministre de l’Intérieur se lance à l’assaut de sa maison en hurlant « A mort, Jean Valjean ! » Le gouvernement expulse le poète de Belgique. Hugo se réfugie au Luxembourg. Durant la Semaine sanglante, il prend définitivement parti pour les Communards. Dans un texte très violent, La prisonnière passe…, il vitupère contre les bourgeoises qui insultent une femme du peuple qu’on emmène en prison :

Charmantes, laissant pendre au bras de quelque amant
Leur main exquise et blanche où brille un diamant,
Accourent.
Je plains la misérable ; elles, je les réprouve.
Les chiennes font horreur venant mordre la louve.

Dans Sur une barricade, au milieu des pavés, il narre cet histoire incroyable d’un enfant qui, après être allé remettre sa montre à sa mère, vient s’adosser « au mur sombre où sont morts ses amis » :

Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
" Es-tu de ceux-là , toi ? - L’enfant dit : Nous en sommes.
" C’est bon, dit l’officier, on va te fusiller.
Attends ton tour. - L’enfant voit des éclairs briller,
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit à l’officier : Permettez-vous que j’aille
Rapporter cette montre à ma mère chez nous ?
" Tu veux t’enfuir ? - Je vais revenir. - Ces voyous
Ont peur ! Où loges-tu ? - Là , près de la fontaine.
Et je vais revenir, monsieur le capitaine.
" Va-t’en, drôle ! - L’enfant s’en va. - Piège grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle ;
Mais le rire cessa, car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : Me voilà .

La mort stupide eut honte, et l’officier fit grâce.

A ce moment précis, Hugo soutient pleinement la Commune, mais sans être un Communard lui-même. Il raisonne sur les bases de 1789. Il croit en une « révolution faite à l’amiable ». Lui qui, sa vie durant, a vécu des intérêts de ses rentes sans jamais toucher à son capital, souhaite la démocratisation de la propriété, « la réconciliation du travail avec le capital par le billet à rente ». Sa position est essentiellement morale : «  Au bout de peu de temps, l’ordre faux que fait le sabre est vaincu par l’ordre vrai que fait la liberté…  »

Il entame une campagne pour l’amnistie. Il demande la grâce pour tous les condamnés à mort : « Assez de victimes ! Qu’on fasse enfin grâce à la France ! C’est elle qui saigne… »

Ce soutien lui fera perdre les élections suivantes. Ce qui ne l’empêchera pas d’écrire Viro major cette ode à Louise Michel, une femme plus grande que les hommes. Six ans seront encore nécessaires pour que les proscrits puissent rentrer :

Et ceux qui, comme moi, te savent incapable
De tout ce qui n’est pas héroïsme et vertu,
Qui savent que si l’on te disait : " D’où viens-tu ? "
Tu répondrais : " Je viens de la nuit ou l’on souffre ;
Oui, je sors du devoir dont vous faites un gouffre !
Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs donnés à tous,
Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
Ta parole semblable aux flammes des apôtres ;
Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain
Le lit de sangle avec la table de sapin
Ta bonté, ta fierté de femme populaire.
L’âpre attendrissement qui dors sous ta colère

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