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8 octobre 2025

Le Monde Diplomatique, octobre 2025

Bernard GENSANE

Les coupables et leurs complices, par Benoît Bréville. Monsieur Emmanuel Macron voulait attendre « un moment utile » pour reconnaître l’État de Palestine. Quand l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont décidé de sauter le pas en mai 2024, c’était encore trop tôt. La Suède n’avait reconnu la Palestine que depuis dix ans, le pilonnage de Gaza n’avait duré que huit mois, la Palestine n’avait déclaré son indépendance que depuis trente-six ans et seuls les trois quarts des pays de la planète avaient franchi le cap : le président français pouvait bien attendre encore quelques mois. Il lui en fallut seize. Le 22 septembre 2025, à la tribune de l’Organisation des Nations unies (ONU), M. Macron annonça enfin la reconnaissance française, juste après le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et le Portugal, qui lui avaient soufflé la politesse la veille, mais en même temps que la Belgique, le Luxembourg, Malte ou Monaco... « Le temps est venu d’arrêter la guerre, les bombardements à Gaza, les massacres et les populations en fuite », expliqua-t-il, le ton grave, en prenant soin toutefois d’épargner à Israël toute menace de sanctions, et en évitant bien de préciser quelles frontières seraient reconnues.

Alexander Zevin. Socialiste, propalestinien, et demain maire de New York ? Alors que le président Donald Trump a lancé une chasse aux sorcières contre ses opposants, un musulman socialiste et propalestinien, évidemment traité d’antisémite par ses adversaires, pourrait être élu maire de la ville qui abrite Wall Street. New York est aussi la cité qui compte le plus grand nombre de Juifs au monde avec Tel-Aviv. Nombre d’entre eux voteront pour M. Zohran Mamdani le 4 novembre prochain.

Frédéric Lordon : Pour en finir avec le chantage à la dette. Un ministre américain vient de suggérer un moyen pour l’État de reprendre le contrôle du financement de l’économie. D’orienter l’épargne vers les secteurs industriels stratégiques. De gérer la dette publique sans dépendre des caprices des marchés. Délicieux paradoxe ou occasion à saisir ?

Une jeunesse dupée par l’État (par Florence Ihaddadene). Il faudrait désendetter la France pour ne pas obérer l’avenir de sa jeunesse. Les gouvernants, les chefs d’entreprise le répètent à l’envi. Pourtant, il y a longtemps que les jeunes sont considérés comme redevables : à eux de convaincre de leur bonne volonté, en particulier de leur « employabilité ». Et peu importe que la Constitution garantisse à chacun le droit d’obtenir un emploi.

En Côte d’Ivoire, la « Françafrique » sévit encore (Un reportage de Fanny Pigeaud ) : Alors que son influence est dénoncée ou rejetée dans nombre de pays africains francophones, la France conserve des liens étroits avec la Côte d’Ivoire de M. Alassane Ouattara. Briguant un quatrième mandat présidentiel, dont la constitutionnalité est sujette à caution, ce dernier peut compter sur le soutien de Paris. Mais cette alliance est à la fois fragile et contestée.

Paysans en Cisjordanie, tenir à tout prix (Un reportage de Léonore Aeschimann & Pierre Casagrande )

Depuis le début de l’année, l’armée et les colons israéliens ont provoqué le déplacement forcé de cinquante mille Palestiniens de Cisjordanie. En imposant des lois iniques, en exerçant une violence quotidienne, Tel-Aviv poursuit une annexion rampante qui vise notamment l’appropriation de terres agricoles et la construction de nouvelles colonies, illégales au regard du droit international.

Le consentement israélien au génocide (Gideon Levy). Journaliste au quotidien « Haaretz », Gideon Levy a passé sa carrière à dénoncer l’occupation des territoires palestiniens, la colonisation, les expulsions, le chantage à l’antisémitisme. Depuis deux ans, il est l’une des rares voix dans son pays à s’élever contre le bain de sang à Gaza. Comment une telle tragédie a-t-elle pu se dérouler dans le silence et l’indifférence de la plupart des Israéliens ?

La démographie, mère de toutes les batailles (par Philippe Descamps) :
Les massacres commis contre la population civile de Gaza interviennent à un moment singulier sur le plan démographique. Si une « menace existentielle » pèse sur l’« État juif », elle tient moins à des incursions cruelles de groupes armés hostiles qu’à une défaite d’Israël dans la guerre des berceaux entre Méditerranée et Jourdain. e bilan humain de l’intervention israélienne à Gaza reste provisoire, mais il dépassera très largement le nombre des victimes directes, tombées sous les balles et les bombes : 65 000 morts et 170 000 blessés en deux ans, selon le ministère de la santé de Gaza, repris par le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires. Analysant les chiffres à la lumière d’autres sources, The Lancetconsidère qu’ils sous-estiment les décès dus à des lésions traumatiques et minorent d’environ 40 % la réalité. Un correspondant de cette revue scientifique rappelle aussi que, lors des conflits récents, « les décès indirects représentent entre trois et quinze fois le nombre de décès directs ». Dans une telle situation de confinement, de harcèlement et de destruction, les mauvais traitements et la famine organisée produiront des effets funestes sur la population à moyen et long termes.

Le Golfe à la recherche d’un protecteur (par Akram Belkaïd) :

Le bombardement du Qatar par l’aviation israélienne a provoqué une onde de choc dans la péninsule arabique. Les pétromonarchies doutent désormais de la volonté des États-Unis de les protéger, à l’heure où le bellicisme de Tel-Aviv ne connaît plus de limites. De quoi pousser l’Arabie saoudite à se placer sous l’ombrelle nucléaire du Pakistan.

Travaillistes tendance Thatcher (par Daniel Finn) : Cadeaux au « big business », coupes dans les dépenses sociales, alignement sur Washington, complaisance à l’égard d’Israël : M. Keir Starmer s’est inscrit sans ambiguïté dans les pas de M. Anthony Blair. Gouvernant à droite toute, le premier ministre britannique a brutalisé ses parlementaires, révulsé une partie de l’électorat travailliste et ouvert un espace à gauche du Labour.

Du multilatéralisme au règne de la brutalité (par Anne-Cécile Robert & Christophe Ventura ) :
C’est une Organisation des Nations unies (ONU) affaiblie qui célèbre son 80e anniversaire. « L’ONU ne règle pas les problèmes (...), elle en crée de nouveaux que nous devons résoudre », tançait M. Donald Trump devant son Assemblée générale, le 22 septembre. Confrontée au désengagement des États-Unis et aux désordres d’un monde chaque jour plus menaçant, l’institution doit se réinventer.

La « Genève internationale » dans la tourmente (par Alain Jourdan) :
Le 25 avril 2025, une note interne signée par le chef de cabinet du secrétaire général António Guterres ébranle l’Organisation des Nations unies (ONU). Elle enjoint aux directions du secrétariat général d’identifier, dans un délai de trois semaines, les fonctions pouvant être supprimées ou délocalisées...

Pionniers panaméricains (par Giancarlo Summa) : C’était bien avant que la Maison de verre devienne l’emblème de la diplomatie mondiale, dans un hôtel particulier de quatre étages à façade de briques, construit au milieu du xixe siècle à Washington. Là, entre le 20 janvier et le 27 avril 1890, les représentants de dix-sept pays d’Amérique latine se réunissent, à l’initiative du secrétaire d’État américain James G. Blaine, pour un marathon diplomatique qui sera plus tard désigné comme la première conférence panaméricaine.
Ce que l’Afrique attend de l’ONU (par Ndiakhat Ngom) :
Trois États africains indépendants (Égypte, Éthiopie, Liberia) faisaient partie des cinquante et un signataires de la Charte des Nations unies, le 26 juin 1945 à San Francisco. Cinquante-quatre des 193 membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) proviennent désormais du continent noir.

À Tbilissi, une modernité effacée (par Jens Malling) : La Géorgie postsoviétique n’a eu que dédain pour les édifices modernistes bâtis au temps de l’URSS. Ils manifestaient pourtant une réelle inventivité architecturale, un souci esthétique souvent aigu, une attention au bien commun et à l’utilité sociale. Aujourd’hui, quelques passionnés s’emploient à sauver de la ruine et de l’oubli ce patrimoine délaissé.
Une référence qui transcende les clivages.

L’Europe à contresens sur l’autoroute de l’histoire (par Morvan Burel) : Imaginé il y a plus de vingt-cinq ans, au temps du libre-échangisme triomphant, l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur suscite un rejet croissant. Le gouvernement français lui-même affiche des réserves. La Commission de Bruxelles n’en a pas moins choisi de précipiter la ratification du traité

De Gaulle partout, gaullisme nulle part (par Aurélien Bernier) : Cinquante-cinq ans après sa disparition, le général de Gaulle jouit sur la scène politique française d’une faveur peu commune. De M. Jean-Luc Mélenchon à Mme Marine Le Pen en passant par M. Sébastien Lecornu, tout le monde – ou presque – se réclame de lui, salue ses mérites, revendique une partie au moins de son héritage. De Gaulle est omniprésent. Mais le gaullisme, lui, demeure introuvable.

Au-delà de l’« affaire Cohen-Legrand ». Qui a tué l’audiovisuel public ? (par Serge Halimi et Pierre Rimbert) : Deux journalistes de l’audiovisuel public surpris dans un restaurant en train de conseiller deux dirigeants socialistes. Des grands médias privés, de droite et d’extrême droite, eux-mêmes férocement militants, qui profitent de l’occasion pour réclamer la privatisation totale de l’information. Le parti pris évident des uns alimente les projets destructeurs des autres.

Les biscuits mémoriels du président Macron (par Thomas Deltombe) : Face aux mouvements qui réclament justice pour les crimes du passé, les responsables politiques cherchent la parade. M. Emmanuel Macron, s’appuyant sur quelques historiens complaisants, a fait des « questions mémorielles » une arme stratégique, en politique intérieure comme sur la scène diplomatique. L’Afrique est la cible prioritaire de ce qui s’apparente à une entreprise de blanchiment intellectuel.

Que reste-t-il de la cinéphilie ? (par Emilie Bickerton) : Avec ses rites et ses chapelles, ses passions et ses querelles, la cinéphilie a constitué, en France, un univers à part autant qu’un art de vivre. Mais le temps a passé : bouleversements techniques, nouvelles pratiques, évolution des mœurs ont changé la donne. À l’heure où les plates-formes de streaming imposent leurs normes et où les réseaux sociaux métamorphosent l’exercice critique, que devient l’amour du septième art ?

Hommes au bord de la crise de nerf (par Hélène Fiche) :
Dans une décennie 1970 marquée par les luttes féministes et la conquête de nouveaux droits pour les femmes, le cinéma français a largement mis en scène la « crise de la masculinité ». Enregistrant les métamorphoses et les bouleversements de l’ordre sexuel, il a souvent servi de vecteur à une contre-attaque patriarcale protéiforme.

Jorge Amado, rouge feu par Sébastien Lapaque : Être un écrivain engagé ne signifie pas être ennuyeux. Le Brésilien Jorge Amado, qui fut un temps député communiste, sut passer des chroniques de la misère aux romans de la joie, et fêta avec exubérance toutes les résistances et indiscipline – ainsi que la puissance d’agir corps et âme.