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7 novembre 2025

Le Monde Diplomatique novembre 2025

Bernard GENSANE

Pour Benoît Bréville, Donald Trump mérite le Nobel ! : héoricien de la « diplomatie du gourdin », le président Theodore Roosevelt considérait l’Amérique latine comme une « arrière-cour » où les États-Unis pouvaient intervenir à leur guise. À la moindre menace contre les intérêts américains, il envoyait ses marines — au Honduras, en République dominicaine, à Cuba. En 1903, Washington parraine un mouvement sécessionniste au Panamá, alors province colombienne, afin de s’assurer le contrôle du futur canal. Trois ans plus tard, auréolé de sa médiation dans le conflit russo-japonais, Roosevelt reçoit le prix Nobel de la paix.

M. Donald Trump pouvait donc légitimement nourrir quelques espoirs pour l’édition 2025. Lui aussi déploie ses troupes dans les Caraïbes. Lui aussi pratique le chantage à l’aide américaine, en menaçant l’Argentine d’asphyxie financière en cas de revers électoral de M. Javier Milei. Lui aussi multiplie les assassinats (de moins en moins) ciblés au nom de la lutte contre le terrorisme — c’est ainsi qu’il justifie l’élimination en pleine mer de citoyens vénézuéliens, accusés sans preuve de trafic de drogue. Et lui aussi planifie des coups d’État contre les gouvernements récalcitrants, comme au Venezuela où il a autorisé la Central Intelligence Agency (CIA) à renverser le président Nicolás Maduro. »

Francesca Bria évoque le concept récent de la tech autoritaire : « Une nouvelle puissance se cristallise à Washington. Plus pressée, plus idéologisée, plus privatisée que tous les complexes militaro-industriels antérieurs, la tech autoritaire ébranle les fondations de la démocratie comme jamais cela ne s’était vu depuis les débuts du numérique. La Silicon Valley ne se contente plus de produire des applis ; elle bâtit des empires. »

Pour Laurent Bonelli, le narcotrafic est un ennemi commode : « Sitôt nommé, le nouveau ministre de l’intérieur français, M. Laurent Nuñez, ancien préfet de police de Paris, a annoncé que la « guerre contre les narcotrafiquants » serait une de ses deux priorités. Ce thème suscite des discours de plus en plus affolés, sur fond d’analogies avec l’Amérique latine. La question de la demande croissante de drogues semble moins passionner que la chasse aux pourvoyeurs. »

Julia Haes et Klaus Mühlhahn passent l’histoire chinoise à la moulinette : En 1945, aucun Européen n’ignorait le rôle joué par l’Union soviétique dans la victoire sur les nazis. Un long travail d’oblitération de l’histoire conduit désormais une partie de la population à penser que les États-Unis ont, seuls, sauvé le Vieux Continent. Un même phénomène de réécriture des faits est désormais à l’œuvre au sujet des combats sur le théâtre asiatique. »

Au Honduras, la gauche défend son bilan (Maurice Lemoine) : « Au pouvoir depuis 2022, Mme Xiomara Castro et ses ministres ont multiplié réformes sociales et mesures agraires, mais peinent à solder l’héritage de la période ouverte par le coup d’État de 2009. Pris entre les attentes populaires, la résistance de l’oligarchie et les manœuvres de Washington, ils se préparent à de nouvelles élections générales, le 30 novembre. »

Pourquoi la droite revient en Bolivie, constatent Maëlle Mariette et Franck Poupeau : « La gauche, fracturée et absente du second tour de l’élection présidentielle, quitte le pouvoir après vingt ans de domination. Derrière la victoire du candidat Rodrigo Paz, face à son concurrent Jorge « Tuto » Quiroga, une stratégie : le « capitalisme pour tous ». Et une profonde mutation sociologique et culturelle, profitable aux représentants du libéralisme. »

Hugo Laulan nous présente la Gagaouzie, l’autre Moldavie : « Orthodoxe et russophile, la petite province autonome moldave a le regard tourné vers l’est. Moscou voit en elle un avant-poste précieux sur le front occidental, et tâche d’y consolider son emprise. Mais d’autres puissances s’intéressent aussi à cette région carrefour, habituée aux influences impériales. »

Hélène Richard revient sur l’OTAN, de l’Atlantique à l’Oural : « M. Vladimir Poutine accuse les Occidentaux d’avoir trahi leur promesse de ne pas étendre l’Alliance atlantique à l’est — une thèse que ces derniers contestent. Trente ans après la réunification allemande, les archives déclassifiées révèlent l’offensive diplomatique menée par Washington face à une Russie impuissante. Les réserves des Européens n’ont pas suffi à enrayer la dynamique. »

 

Selon Seth Harp, l’armée des EU est en petite forme : « Le 30 septembre dernier, le ministre de la défense américain – désormais rebaptisé ministre de la guerre – a prêché devant plusieurs centaines d’officiers supérieurs l’urgence d’une révolution culturelle contre le présumé laxisme régnant dans les rangs : diversité, obésité, manque d’entraînement. Un défilé raté à Washington, quelques semaines plus tôt, aurait-il provoqué sa colère ?

par Seth Harp 

Evgeny Morozov voit la souveraineté comme une marchandise, en particulier aux EU : « Partout dans le monde, des gouvernements font ruisseler des centaines de milliards pour développer une « intelligence artificielle (IA) souveraine » — un oxymore, tant cette technologie dépend des industries américaines. Dopée par les tensions internationales, la souveraineté est devenue une marchandise qui rivalise avec l’or, les cryptomonnaies ou les voitures de luxe. »

La ville est devenue le théâtre de la peur selon Thomas C. Jusquiame : « Le monde libre ». Durant la guerre froide, les démocraties occidentales claironnaient que leurs citoyens pouvaient aller et venir sans endurer la surveillance des autorités, contrairement aux Soviétiques. Mais aujourd’hui, nul citadin n’échappe à l’œil inquisiteur des caméras assistées par ordinateur. Comment l’État et l’industrie collaborent-ils pour anéantir l’anonymat et la vie privée ? »

Pour Gilbert Achcar, le gagnant est... Benyamin Netanyahou : « Déploiement d’une force intérimaire sous l’égide des États-Unis, retour d’une Autorité palestinienne « réformée », projets de mise en valeur économique : l’accord forgé pour Gaza par l’administration Trump suscite une impression de déjà-vu. Présenté par la Maison Blanche et ses relais comme un succès diplomatique exceptionnel, il sert d’abord la partie israélienne, et laisse bien des questions en suspens. »

Nitzan Perelman Becker voit en Israël, d’indéfectibles loyautés identitaires : « La fracture qui divise la société juive israélienne ne sépare pas les partisans de la démocratie de ses ennemis. Elle oppose deux conceptions de la loyauté, l’une tournée vers l’État et l’autre vers l’identité juive. Mais ces camps adverses partagent des présupposés et des aveuglements communs : une foi inébranlable dans le caractère « démocratique » du régime, et le refus de reconnaître sa dimension coloniale. »

Qu’est-ce qu’une bonne paix ? demande Jean-Arnault Dérens : « Dans un monde qui sortait de la guerre froide, la lente et sanglante désagrégation de l’ex-Yougoslavie inspira de nombreuses solutions diplomatiques. Souvent bâties sur des négociations secrètes, et guidées par la volonté obsessionnelle de tracer des frontières « ethniques ». Pourtant, d’autres manières de faire la paix existent, et fonctionnent. Rien n’interdit de s’en inspirer. »

Ça bouge dans le tennis canadien : « Classée à la 350e place mondiale des joueuses de tennis fin 2024, Victoria Mboko s’est hissée au 23e rang huit mois plus tard, après avoir défait quatre anciennes gagnantes d’épreuves du grand chelem. La victoire au tournoi du Canada à l’âge de 18 ans de la joueuse d’origine congolaise a emballé les médias, toujours prêts à produire des mythologies sportives qui occultent l’essentiel. » (Alain Deneault).

Chez les fous, derechef

Où en est la psychiatrie française ? demande Emmanuel Venet : « La grande inventivité thérapeutique et institutionnelle qui avait marqué les décennies d’après-guerre tend à s’estomper. De nouvelles logiques — scientistes, sécuritaires, comptables — s’imposent. Elles laminent le secteur et dégradent l’offre de soins. Au détriment des patients, de ceux qui les accompagnent, et de tout le corps social. »

Pour François Bégaudeau, on ne peut pas toujours filmer : « Le protagoniste israélien de Synonymes (2019) s’exilait à Paris. Dans Le Genou d’Ahed (2021), un réalisateur tourmenté délaissait la préparation d’un film sur une militante palestinienne. Le musicien de Oui doit, lui, composer un hymne patriotique après le 7 octobre. Comment fuir Israël ? Comment ne plus fuir ses responsabilités ? L’œuvre tortueuse de Nadav Lapid se débat dans ces questionnements.

Mathilde Roussigné analyse le combat entre modernité et tradition dans la danse : « Modernité contre tradition, création contre patrimoine : pour des raisons politiques et économiques, la danse contemporaine s’est épanouie en Afrique francophone, et l’importance des ballets folkloriques y a diminué. Irréductibles à cette dualité, les pratiques populaires font vivre une danse où se joue la transposition des rapports sociaux. »

Pierre Rimbert a trouvé une docteure Folamour à Bruxelles : « Le 1er décembre 2024, la nouvelle haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité entrait en fonction. Trois cents jours plus tard, Mme Kaja Kallas affiche un bilan mirobolant.

Relégué dans le décor des négociations sur l’Ukraine, le Vieux Continent doit se contenter de payer à l’industrie américaine les fournitures militaires de M. Volodymyr Zelensky. Son influence sur le cours de la guerre à Gaza tend vers zéro. La diplomate européenne en chef n’a pas déployé le même acharnement pour convaincre Berlin et Rome de sanctionner Tel-Aviv que pour inciter les Européens à livrer des armes à Kiev : dix-neuf trains de sanctions adoptés contre la Russie, zéro contre Israël. Enfin, Mme Kallas a renforcé à Pékin, New Delhi ou Washington l’idée d’une Europe qui compense son inexistence en débitant des sermons. Sa russophobie rabique, politiquement rentable à Tallinn, renvoie une image tellement étriquée de la politique étrangère européenne que les vingt-sept pays membres ont dû lui suggérer par courrier au début de 2025 de s’intéresser un peu à l’Afrique. En mars, elle a tenté de leur imposer un énième plan d’aide à l’Ukraine, d’un montant de 20 à 40 milliards d’euros — sans succès. À sa décharge, la coordination d’une Union aux intérêts aussi divergents que ceux de l’Estonie et du Portugal appelle des qualités d’équilibre, d’humilité et de patience. Or c’est précisément son impétuosité et sa passion antirusse qui ont valu à Mme Kallas une nomination en forme de défi à Moscou. « Ses journées commencent et se terminent avec la Russie », a confié, sous couvert d’anonymat, un diplomate bruxellois. Un autre ajoute : « Nous attendions qu’elle se montre, disons, plus diplomatique ».