Nico HIRTT
Une large coalition d’experts auto-proclamés, de pédagogues aventureux et d’économistes bien-pensants a profité de la crise du Coronavirus et de la fermeture subséquente des écoles pour avancer deux pièces maîtresses du libéralisme sur l’échiquier des débats scolaires : l’école numérique et la « classe inversée ». Dans cet article, nous analysons ces deux stratégies sous trois angles : celui de la transmission du savoir, celui des inégalités scolaires et celui du contexte économique sous-jacent à cette offensive.
Cet article est une version légèrement retravaillée d’une video-conférence assurée le 30 juin 2020 par l’auteur, à l’initiative du Parti de la Gauche Européenne (PGE).
Sur le terrain, le confinement résultant de la COVID-19 a permis aux professeurs de constater, dans leur grande majorité, ce qu’ils pressentaient depuis longtemps : l’enseignement à distance et l’auto-apprentissage à domicile, notamment via les technologies digitales de communication, ne peuvent être, au (…)
Nico HIRTT
Donald Trump a fait de la Chine l’ennemie publique numéro 1. Dans le sillage de la guerre économique qu’il a engagée contre Pékin, la propagande antichinoise se déverse par torrents dans les médias mainstream d’Occident. Alors, quand Véronique Kiesel du journal Le Soir arbore comme un trophée un sondage révélant que la cote de popularité de la Chine est en baisse à l’étranger, quand elle s’interroge insidieusement sur les raisons de ce désamour, Nico Hirtt ne peut s’empêcher de lui adresser une lettre ouverte. Une missive qui vaut également pour tous les journalistes qui (dés)informent sur la Chine. (IGA)
Chère Madame,
Dans Le Soir du 7 octobre 2020 vous nous apprenez que, selon une étude du Pew Research Center à Washington, l’image de la Chine se serait fortement dégradée auprès des opinions publiques de nombreux pays. Ainsi 71% des Belges et 70% des Français auraient désormais « une opinion défavorable » sur le patrie de monsieur Xi Jinping.
Vous vous interrogez, madame, sur les raisons de cette dégringolade de la Chine et de son président dans l’opinion de nos concitoyens. Vous tentez d’y voir le résultat de « la gestion chinoise de la crise du Covid-19 » et des « virages successifs pris par Pékin en matière de relations internationales ». Mais vous omettez la cause première de l’évolution négative des opinions publiques. Sans doute est-ce par excès de modestie, puisqu’il s’agit de l’effet de votre propre action, du « China bashing » auquel vous et la plupart de vos collègues journalistes occidentaux vous adonnez avec un acharnement croissant.
Assurément, l’opinion des (…)
Nico HIRTT
Nous reproduisons ci-dessous le texte du discours prononcé par Nico Hirtt le 16 mars 2016 à Montreal, à l’occasion des Rendez-vous CSQ de l’éducation organisées par la Central des syndicats du Québec.
En éducation comme dans bien d’autres domaines, nous vivons une époque de profonde contradiction entre les discours et les pratiques. Jamais, dans les documents de l’OCDE ou dans les promesses des gouvernements, on ne nous aura autant parlé d’équité et de chances égales alors même que les inégalités sociales à l’école augmentent globalement au lieu de diminuer.
Je sais qu’il existe, à juste titre, pas mal de réserves quant aux enquêtes PISA. Tant il est vrai qu’elles jouent un rôle néfaste dans la mise en compétition du marché éducatif. Gardons en tout cas à l’esprit que les savoirs — et les inégalités de savoirs — qu’elles mesurent ne portent que sur les quelques compétences jugées utiles pour l’adaptation au marché du travail. N’espérerez pas y trouver une évaluation des capacités d’expression artistique, de la beauté ou de la pertinence d’un écrit, des connaissances historiques, philosophiques, littéraires... Mais ne crachons pas dans la soupe : pour autant que l’on comprenne (…)
Nico HIRTT
À l’école, la relation entre théorie et pratique oscille toujours au bord de deux dérives. D’un côté on entretient une séparation théorie-pratique que reflètent les divisions en filières d’enseignement général et professionnel. Cette séparation s’accompagne d’une hiérarchie implicite : la théorie, apanage supposé des classes dirigeantes, est jugée supérieure à la pratique. Mais d’un autre côté, la démocratisation de l’accès à l’enseignement a encouragé des tendances pédagogiques utilitaristes (approche par compétences, results driven teaching...) qui placent la capacité pratique d’utiliser les savoirs au-dessus de leur maîtrise théorique. Afin d’y voir plus clair dans ce débat, peut-être faut-il commencer par quitter le terrain de l’éducation pour celui de l’épistémologie, afin de mieux comprendre la place respective de la pratique et de la théorie dans le processus de production des savoirs.
La pratique joue un rôle crucial, à plusieurs égards, dans la naissance et le développement des connaissances. On peut résumer ce rôle ainsi :
La pratique est à l’origine de savoirs élémentaires, « empiriques », dont l’accumulation finit par engendrer des savoirs « théoriques », abstraits.
La pratique est la source de questionnements, auxquels la théorie est appelée à répondre ; c’est donc souvent la pratique qui donne sens à la théorie.
La pratique est le critère de vérification des savoirs théoriques
Du savoir empirique au savoir théorique
Dans leur pratique productive et sociale, les hommes accumulent des connaissances, parfois directement accessibles aux sens : quels fruits ont meilleur goût, où l’on peut traverser la rivière, quel est l’oiseau dont le cri résonne là haut, que la pierre sous les braises est très chaude... Mais à un moment donné, l’accumulation de telles connaissances factuelles, élémentaires, peut déboucher sur un savoir d’un autre type, plus (…)
Nico HIRTT
De proche en proche, l’incapacité de nos sociétés à produire un enseignement socialement équitable finit toujours par déboucher sur ce vieux discours justificatif qui affirme, en substance : « il y a les bons élèves et les moins bons ; n’espérerez donc pas amener tout le monde au plus haut niveau ». Dans une version moderne, davantage « politiquement correcte », cela devient : « il y a différentes formes d’intelligence ; alors pourquoi voulez-vous imposer les mêmes savoirs scolaires à tout le monde ? ».
Après la publication de résultats PISA montrant combien l’école était inégalitaire en Flandre, deux psychologues, Wim Van den Broeck (VUB) et Wouter Duyck (UGent), sont montés au créneau pour contester ces analyses. Selon eux, la critique des inégalités sociales à l’école repose sur une prémisse fausse : « la thèse cruciale de la sociologie, selon laquelle l’intelligence est répartie équitablement » (VdB, p5). Ils estiment que ce n’est pas l’école, ni même la société qui reproduit les inégalités, mais simplement nos gènes, qui s’expriment dans cette « intelligence générale » (ou « facteur g ») mesurée par les tests de QI (quotient intellectuel). Celle-ci serait « le facteur causal le plus fondamental dans la transmission intergénérationnelle de l’intelligence » (ibid).
Pour choquante qu’elle paraisse, cette thèse n’est pas facile à contester. Le débat fait rage depuis plus de cent ans, relancé régulièrement par des publications polémiques, comme le célèbre livre The Bell Curve (…)