Thème Culture/Société/Sports

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué

Ilyes BELLAGHA

Les académiques, les médias, les médecins, tous les corps constitués utilisent le jargon pour dominer. Comme les proxénètes avec leurs prostituées, ils créent une dépendance linguistique. Si vous ne comprenez pas leur langue, vous êtes dehors. C'est exactement ce qu'ils veulent.

INTRODUCTION Les universitaires, les IA, les médias, les médecins, tous les corps confondus et fondus dans leur moule-récipient se protègent et s'identifient en utilisant un jargon. Ah, j'ai oublié les maqueraux quand ils parlent à leurs prostituées. Mais mêler les académiciens aux jules, c'est politiquement incorrect, bien que chacun prêche sous son clocher. Ces corps, même infectés et creux, tuent la citoyenneté. I. LE PROXÉNÈTE ET SON LANGAGE Le maquereau ne parle pas normalement à sa prostituée. Il utilise un langage crypté : « faire le tapin », « le pèze », « la zone », « le micheton ». Pourquoi ? Pas pour être compris. Pour créer une dépendance linguistique. Elle entre dans son monde, elle adopte son vocabulaire, elle pense avec ses mots. Elle est capturée. C'est de la domination pure. Le langage n'est pas là pour communiquer. Il est là pour identifier qui est dedans et qui est dehors, qui maîtrise les codes et qui les subit. II. LES ACADÉMICIENS FONT EXACTEMENT (…)

Derrière la façade collaborative de Wikipédia, une communauté verrouillée ?

Yves GUÉCHI
Créée en 2001, Wikipédia s’est imposée comme la référence encyclopédique mondiale. Avec plus de 6,7 millions d’articles en anglais, 2,5 millions en français, et une centaine de langues représentées, le projet incarne à première vue un idéal : celui d’un savoir libre, universel, accessible et écrit par tous. Pourtant, derrière cette vitrine d’ouverture, se dessine une réalité bien plus complexe. De nombreux contributeurs dénoncent aujourd’hui un fonctionnement opaque, contrôlé par une minorité ultra-active, qui impose sa vision de ce qui peut – ou non – entrer dans l’encyclopédie. Certains vont jusqu’à qualifier ce système d’élitiste, voire de sectaire. Enquête sur les coulisses de la plus consultée des encyclopédies. Une minorité très active qui fait la loi Contrairement à ce que laisse penser son principe fondateur – « l’encyclopédie que chacun peut améliorer » –, Wikipédia repose en réalité sur un noyau réduit de contributeurs. Selon les données de la Wikimedia Foundation, (…)

Palombella rossa : le jeune Nanni portait déjà en germe le vieux Moretti

Rosa LLORENS
Ayant vu Palombella rossa à sa sortie en France, fin 89, immergée dans des événements qui semblaient se succéder en accéléré, je me demandais, après avoir vu le grotesque Vers un avenir radieux, si ma réaction aujourd’hui serait aussi positive, sachant tout ce qui allait découler de la chute du mur de Berlin. Justement, Palombella rossa est ressortie sur les écrans (et ce n’est pas un hasard), le moment de la vérité est donc venu. Bien sûr, Palombella Rossa est pleine de fantaisie et d’inventivité : Nanni Moretti était encore jeune (36 ans) ; le dispositif choisi est aussi original qu’efficace : une piscine, entourée des gradins du public, qui devient une scène de comédie, et un héros, Michele Apicella, double du réalisateur et joué par lui, qui, tout en faisant des passes ou nageant vers les buts, au cours d’un match de water-polo, s’interroge sur son parcours de militant et sur la situation du PCI. Cela dit, qu’est-ce qui ressort du film ? Le contenu répond-il à ce contenant (…)

Fantôme utile ou la mémoire des luttes collectives

Rosa LLORENS
Il ne faut pas se laisser leurrer par les synopsis qu’on peut lire (par exemple dans l’Officiel des Spectacles) : Fantôme utile n’est pas une comédie déjantée, « délicieusement absurde », ou une histoire d’amour entre un homme et un aspirateur. C’est en réalité un film politique et engagé sur l’histoire récente de la Thaïlande. Une remarque d’abord sur les noms thaïlandais, difficiles à mémoriser : pour Apichatpong Weerasethakul, je me sers d’une formule mnémotechnique qui s’est toujours montrée efficace : le ping-pong c’est cool. Pour Ratchapoom Boonbunchachoke, il pourrait suffire de se rappeler : boum-boum a choqué. Ratchapoom Boonbunchachoke a voulu éviter de faire un film politique méritoire mais rébarbatif, ce qui est l’écueil des films engagés. Fantôme utile emprunte donc la forme d’un film fantastique, on ne peut plus original, avec un aspirateur au comportement bizarre, dont on ne tarde pas à soupçonner qu’il est possédé ; en effet, le fantôme d’un ouvrier mort d’une (…)

Qui sommes-nous, qui sont les autres ? – Le ciment social fissuré

Ilyes BELLAGHA

Dans une société où le ciment social se fissure et où les relations deviennent des champs de bataille, cette tribune explore le miroir de notre humanité : qui sommes-nous pour les autres, et que faisons-nous des autres pour nous-mêmes ? Un texte pour réveiller les consciences et appeler à une révolution nécessaire.

Rares sont ceux qui échappent à cette interrogation : « Qui suis-je pour les autres ? » Et à côté, il existe une seconde, plus brutale, que tout le monde s’est déjà posée : « Que sont les autres pour moi ? » Ces questions ne sont pas de simples caprices de conscience. Elles révèlent une vérité intemporelle : l’homme est fondamentalement social. Ibn Khaldoun l’avait écrit : al-insân madanî bi-l-ṭab‘. Mais dans une société malade, cette dépendance devient un piège. Parole d’architecte : le ciment social d’aujourd’hui est biaisé. Il ne solidarise plus, il cloisonne. Il ne relie pas, il sépare. Comme un mortier mal préparé, il craque à la première tension et menace de s’effondrer. La société est construite sur un mélange vicié : le sable de la méfiance, le ciment du chacun-pour-soi, l’eau sale de la corruption. Rien qui puisse tenir dans le temps. La relation sociale ressemble désormais à un vieux refrain : « je t’aime, moi non plus ». Les liens s’inversent, s’attaquent à (…)