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Bonheur en soldes. Prêt-à -porter de la félicité

Notre contemporain s’ennuierait-il tellement, serait-il tellement dans le malheur qu’il n’a de cesse de courir après le bonheur ? Les meilleures ventes de l’année vont à des livres exposant les manières d’être heureux et les seuls philosophes encore lus par les non initiés sont ceux qui résument les mille et une manières (expérimentées ou apprises) d’être sur le bon chemin de l’accomplissement de soi ; sans compter les revues et les magazines qui s’en font des pages innumérables, des dossiers mensuels et des interviews exclusives de lamas, de chamans ou de thérapeutes de la félicité…

Que ce soit seul, en couple, au travail, à l’école, avec les amis, dans les loisirs ou pendant le sommeil -que ce soit à court, à moyen ou à long terme-, que cela se passe dans la solitude de l’écritoire, face à l’écran de l’ordinateur ou dans le fond de l’assiette : tout doit être source de bonheur, mener à la félicité. Et il en va tellement ainsi, que la culpabilité est grande dès que le moindre grain de sable, pour infime qu’il soit, semble venir gripper la machine à bonheur qu’est devenue le corps (avec ses aspirations au sain et à la sainteté) ou s’immiscer dans les liens tissés avec l’extérieur !

Une véritable hantise de la différence s’installe alors. Non pas la hantise de l’autre différent -dont on pourra reparler ailleurs- mais celle, plus subtile et difficile à cerner qui voit l’autre comme modèle et soi comme en marge de cet ensemble que l’on nous montre et qui se trouve donc supposé être source de bonheur. Ne pas atteindre cet objectif, ne pas être capable d’y tendre sereinement et sainement, selon les modes et modèles exposés, plongeant dans une mélancolie profonde où l’image de soi renvoie, forcément, à l’inutilité, à l’échec et à l’horreur absolue.

D’où vient donc cette quête enragée du bonheur ? D’où ce sentiment de non-bonheur ou, plutôt, de non-existence en dehors des sentiers qui y mènent ?

La recherche du bonheur, du Bien, de l’Absolu sont inscrits dans l’histoire de l’Humanité depuis qu’elle est entrée dans l’histoire. Les philosophes Antiques, pour ne citer qu’eux, en sont le meilleur exemple.

Ainsi, au cours des siècles et des millénaires, le bonheur a-t-il été dans la connaissance de soi, l’éloignement des superstitions et l’avènement de l’esprit critique, la logique et les sciences ; quand il n’a pas été dans le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand que l’individu (groupe, collectivité, culture, sentiment divin) ; il fut, pendant les temps reculés de l’esclavage, dans le non-travail et la recherche des plaisirs ; il fut aussi dans l’avoir et le pouvoir de l’argent ; il fut, enfin, dans la famille, le travail et les idéaux modernes… Il fut…

Aujourd’hui que les groupes se disloquent, que la science a montré ses limites aussi bien que ses dérives possibles les plus effrayantes ; aujourd’hui que le travail devient une denrée rare, la culture réservée à une élite qui continue (malgré tout) de penser, que le célibat et la solitude sont en passe de devenir la norme face à la famille dite traditionnelle ; aujourd’hui où les religions et les idéaux ne sont plus de mise et où la Nature se révèle rebelle et cataclysmique… Aujourd’hui -sans poursuivre cette énumération- on peut aisément comprendre qu’il soit moins aisé, moins évident, moins « automatique » de marcher sur la voie du bonheur. Un bonheur qui ne se conjugue plus qu’à la première personne… Et le Je prend, naturellement, toute la place laissée vide par les délestages opérés par l’histoire et la conscience globalisée -instantanée- du « village global ».

L’image de notre contemporain reflète-t-elle, ainsi, la photographie d’un être perdu, sans repères stables, abandonné à lui-même et aux forces (redevenues) incontrôlables d’un destin (d’un avenir, si vous préférez) sur lequel il a définitivement renoncé à un jour avoir prise. Un contemporain qui, de ce fait, se lance corps et âme dans le premier recueil de recettes disponible dans le seul et unique but d’apaiser son angoisse à être : les règles de la vie en couple, celles du célibat, les Lois de la santé préservée, celles de la jeunesse éternelle, le code fondamental du bonheur en soi… Sans compter les trucs et astuces de ceux qui « savent » : les blessures originelles qu’il s’agit de cicatriser, les pièges à éviter, les élixirs prometteurs d’infaillibilité émotionnelle et relationnelle, les pilules du bonheur, les règles pour un travail, une famille, des amis sans contraintes ni harcèlements… Etc. La quête du bonheur s’annonce comme une fuite incessante de mille et un malheurs annoncés, parce que possibles, parce que déjà présents « quelque part » dans cette douleur lancinante, ces manques et ces frustrations du quotidien ; un quotidien de plus en plus aliénant, infantilisant et pervers qu’il s’agirait, « simplement », de mater, d’utiliser ou de mettre à distance (par le lâcher prise, l’immersion en soi, le non-désir, la remise de soi entre les mains de spécialistes-professionnels-gourous du bonheur et autres balivernes postmodernes).

Tout est fait comme si seule la victoire avait droit au chapitre et que celle-ci, comme l’infâmante, innommable défaite, ne dépendait que de l’individu et de lui seul, par qui tout commençait et finissait, en un mouvement de balancier sans fin. Comment, dans ces conditions, ne pas se sentir coupable si d’aventure on en venait à perdre ? Ue ce soit son boulot, sa femme, ses enfants, sa jeunesse, sa peau de satin, ses certitudes… ? La souffrance est réelle et loin de moi l’idée de la dénier de quelque manière que ce soit !

Mais, enfin, comme je ne suis spécialiste en rien, je me limiterais, ici, à poser quelques questions qui me paraissent, elles aussi, évidentes :

- Le chômage, la crise, la perversion et l’infantilisation tous azimuts dépendent-ils de nous et de nous seuls ?

- La solitude, la maladie, les échecs personnels ou familiaux, de même que la frustration et la vieillesse, ne font-ils pas partie inhérente de la vie et de sa beauté ?

- L’attitude voulant se trouver des recettes et des trucs et astuces contre un mal-être qui, en fin de compte nous dépasse, ne fait-elle pas, en fin de compte, que renforcer le sentiment vague de culpabilité parce que venant renforcer cette idée selon laquelle tout dépendrait de soi-individu et des bonnes attitudes à prendre ?

- L’esclave est-il plus malheureux lorsqu’il prend conscience de son statut et qu’il se rebelle et se bat au péril de sa vie (auparavant tranquille) que lorsqu’il « fonctionne », de manière machinale, comme le bon esclave exemplaire qui ne se pose pas de question parce qu’on ne se pose pas de questions « sur ce qui est et qui a toujours été » ?

En gros : et si le bonheur des uns venait aussi marqué du bonheur des autres ? Et si le meilleur antidote au sentiment de vide se trouvait dans l’action résultat d’une réflexion qui aille au-delà de soi-même ? Car, enfin, tout est fait pour que les choses restent en l’état et que l’esclave ne sorte pas de son statut mais qu’il en « souffre » le moins possible ; pour atteindre, in fine, un collectif d’esclaves « heureux » qui n’auront rien changé, ni même envisagé de changer quant à la position d’esclave elle-même…

Celui qui ne bouge pas ne sent pas ses chaînes, écrivait Rosa Luxemburg. Aujourd’hui, ne pas agir consciemment, ne pas oeuvrer à une véritable révolution globale (et donc, ne pas comprendre que la plupart des plaintes exposées ici sont autant de symptômes de « riches », synonymes d’avancées réelles dans le sens d’un mieux-être et d’un mieux-vivre en termes de culture, de loisirs, de sécurité, de santé, de longévité, de connaissances, d’ouverture sur le monde, de démocratie, etc.) c’est être sûr d’une chose : le cataclysme généralisé qui s’annonce et qui ne peut pas ne pas survenir si l’on n’agit pas tout de suite, ici et maintenant ! Cataclysme écologique ; cataclysme économique ; cataclysme démocratique où l’on aura à choisir (si on nous laisse encore le choix) entre la bouffonnerie berlusconienne et l’apogée de dictateurs et oligarques plus ou moins fous.

© Hozé 1/2011
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