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Moyen-Age hi-tech à Modi’in Illit (il manifesto).





il manifesto, Modi’in Illit, 21 juin 2006.


Le rabbin Yakov Guterman considère qu’il est à la fois un pionnier et un bienfaiteur. Le maire de la colonie israélienne de Modi’in Illit a trouvé la façon de faire coexister les traditions des juifs ultra orthodoxes avec les lois du marché de l’industrie hi-tech. Son expérience fonctionne si bien qu’un riche et florissant pole de la production d’out-sourcing est né dans la colonie, locomotive pour le développement impétueux de cette bourgade de 32.000 habitants, qui espère bien être reconnue, bientôt, comme municipalité.

Des centaines de jeunes femmes entre 20 et 30 ans, protagonistes, comme l’indique une panneau à l’entrée, de ce qui est « la ville haredi de l’avenir », digitalisent des documents ou produisent des logiciels pour plusieurs des principales multinationales du secteur, huit heures par jour et pour un salaire moyen de 3500 shekels (635 euros) par mois. Le labeur de ces jeunes femmes (en majorité d’origine lituanienne ou hassidique) permet aux hommes de mener une vie entièrement dédiée à l’étude de la Torah, et à une communauté qui se proclame fièrement anti-moderne, de faire face à sa crise économique chronique.

Ces entreprises, qui ont découvert l’eldorado à deux pas de Ramallah la palestinienne, ont des noms du 21ème siècle : Matrix, Tech-Tav, Image Store, Top Trans, Citybook Services et Tikshuv. La main d’oeuvre spécialisée est assurée par des femmes qui vivent, par contre, dans un environnement similaire à celui de leurs ancêtres ashkénazes qui avaient fui les persécutions à la fin du 19ème siècle, en Europe orientale : ni télé, ni ordinateur dans leurs appartements surpeuplés, interdit d’aller au cinéma. A la radio, elles n’écoutent que les programmes religieux ou les informations, elles ne conduisent pas. Elles doivent éviter par tous les moyens de distraire les hommes, et portent pour cela des jupes longues, des pulls à col montant et des chemises avec des manches qui doivent toujours couvrir le coude.


Le « gros ventre » sous le bureau

Nombre d’entre elles, enceintes, casent leur ventre sous le bureau : enceintes du septième, huitième mois, elles passent huit heures de leur journée devant l’ordinateur, puis rentrent immédiatement chez elles pour s’occuper des enfants. « C’est notre choix, personne ne nous a mises en cage », assure Freydie, 24 ans et deux enfants, arrivée de Elad il y a quatre mois, attirée par les 3500 shekels de Matrix, qui lui permettent d’entretenir sa famille pendant que son mari passe sa journée au kolel, la partie de la yeshiva réservée aux hommes mariés. « Pour nous haredim lituaniens, plus encore que pour les hassidiques, c’est comme ça : la femme travaille pendant que l’homme se consacre à l’étude des textes sacrés, dit Freydie. Cette entreprise me permet de vivre en accord avec la Torah, dans un milieu uniquement féminin, sans aucun contact avec les hommes ». Si, chez les hassidiques, l’admor - un rabbin dont la fonction essentielle est de faire la médiation entre Dieu et l’homme - a le rôle principal, pour les lituaniens le centre de la vie est constitué par les institutions religieuses : l’heder, de trois ans à l’adolescence, la yeshiva, pour les hommes célibataires, le kolel pour ceux qui sont mariés.

Pendant que des ouvriers chinois et philippins terminent les pièces destinées à accueillir les nouveaux bureaux, Chavie, qui est responsable du personnel chez Matrix, raconte : « Il y a un an et demi, nous avons commencé avec 20 programmatrices, maintenant nous en avons 150 ». Pour elle aussi « c’est essentiel que les femmes travaillent dans des milieux homogènes, à côté de chez elles ». L’entreprise, qui pense arriver à mille employées à la fin de 2006, produit des programmes et fait des contrôles de qualité sur des logiciels pour Motorola, Sap, Formula telecom solutions et quelques autres colosses de l’électronique. « Il n’y a aucun problème pour le travail des femmes enceintes, assure Chavie. Nos clients le savent et la loi donne droit au congé maternité à six semaines de l’accouchement ».

Sur les 6500 familles de Modi’in Illit, 1500 s’en sortent grâce au soutien du ministère des affaires sociales et 70 % des hommes ne travaillent pas. Ici ne vivent que des ultra orthodoxes, presque la moitié haredim de la Cisjordanie (70 000 personnes, sur une communauté israélienne d’environ 200 000 habitants). Toutefois, même si les financements publics à la communauté haredi sont en diminution constante, Modi’in Illit s’accroît au rythme de 13 % par an : 24 % des familles a plus de quatre enfants, 18 % plus de six, 40 nouveaux-nés par semaine lui assurent la première place en Israël pour la croissance démographique. « C’est comme ouvrir une nouvelle classe chaque semaine », nous dit fièrement Guterman dans son bureau. Peot (mêches de cheveux sur les tempes, ndt) courts, typiques des lituaniens, attachés derrière les oreilles, kippa et costume foncé, le maire siège satisfait à son bureau, il a reçu la veille le président de la Cofindustria (le patronat italien, ndt). Derrière lui, les plans d’expansion de la colonie, fondée en 1996, avec la partie orientale transformée en un gigantesque chantier où cinq entreprises du bâtiment construisent trois nouveaux quartiers, Ne’ot Hapisgah, Nachalat Cheftsibah et Green Park. « Grâce à mes pressions sur le gouvernement, je suis arrivé à obtenir qu’on garantisse 1000 shekels par mois pour chaque embauche aux industries qui investissent ici, pendant les cinq prochaines années. En échange les chefs d’entreprise s’engagent à donner une paye majorée de 5% sur le salaire minimum ». Avec la position stratégique de l’habitat - à mi chemin entre Jérusalem et Bnei Brak, les deux centres principaux des ultra orthodoxes - l’initiative de Guterman a fait décoller Modi’in Illit où, « avec l’aide de Dieu, nous arriverons à 150 000 habitants en 2020 ».

Pour Dror Etkes, qui s’occupe du monitoring des colonies israéliennes dans les Territoires occupés pour l’organisation pacifiste Peace Now, « il est probable qu’après les élections politiques du 28 mars prochain, Modi’in Illit sera déclarée conseil municipal par le gouvernement, comme ça a été le cas jusqu’à présent pour Ariel, Ma’aleh Adumim et Beitar Illit ». « Attirer des investissements dans une ville serait plus facile », confirme Guterman, qui est en train de négocier pour amener aussi la firme Radix, leader des problèmes de sécurité sur le Web, dans son conseil local (statut actuel). Selon Etkes, cependant, le développement frénétique de cette colonie (trois kilomètres à l’intérieur de la Cisjordanie) lance un message négatif à l’autre partie : nous israéliens nous faisons ce que nous voulons. "Quels que soient les scénarios de l’avenir, ils ne la céderont jamais aux palestiniens - ajoute Etkes- mais il faut comprendre que l’expansion de cette colonie, acte illégal parce qu’il viole les principes de la Road Map pour la paix acceptés par l’Etat hébreu, contribue à rendre impossible le dialogue avec les arabes ».


De Pretoria aux Territoires occupés

Gideon a 28 ans et déjà cinq enfants. Il a immigré en Israël de Pretoria, en Afrique du Sud, parce que « là bas, après la fin de l’apartheid il y avait trop de violence, et nous voulions venir dans la terre du sionisme ». Il représente ces 30 % d’hommes de Modi’in Illit qui travaille : « Ici il y a plus de recherche philosophique, chacun de nos actes se déroule en accord avec les principes de la Torah, dit-il. En plus, tu peux acheter quatre pièces pour 110 000 dollars, moitié moins qu’à Jérusalem et Bnei Brak ». Et les palestiniens, à quelques centaines de mètres d’ici, au delà du mur qui va englober Modi’in Illit au territoire israélien ? « Ils font exploser leurs enfants, c’est quelque chose d’animal, je ne crois pas qu’il pourra y avoir une cohabitation entre juifs et musulmans, parce que le peu de bons arabes n’arrivera jamais à arrêter les méchants » soutient Gideon. Internet ? « Nous y sommes absolument contraires, ça t’ouvre un monde dont la moitié est négative ».

«  Une partie de l’attraction exercée par le mode de vie ultra orthodoxe consiste dans la clarté absolue de ce qui est licite et ce qui est interdit » explique Avishai Margalit, professeur de philosophie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Pour l’auteur du recueil d’essais intitulé « Visages d’Israël », ces personnes « sont libérées, au moins partiellement, de la nécessité de prendre certaines décisions qui, pour tout le reste d’entre nous, sont une source d’angoisse. Les unions sont en grande partie arrangées par des entremetteurs matrimoniaux. Même les décisions telles que se faire opérer ou choisir leur médecin sont déléguées au rabbin ». Margalit rappelle que dans l’histoire millénaire du peuple juif il n’y a jamais eu une telle quantité de gens qui consacre entièrement sa vie à l’étude des textes sacrés. « Les ultra orthodoxes peuvent être vus comme une réaction à la modernité - pense l’universitaire dans son bureau du Van Leer Institute de Jérusalem. Les juifs étaient une corporation au Moyen-Age ; après le début de l’ère moderne et de l’urbanisation, ils ont eu peur que ce processus puisse éroder leur style de vie hébraïque. D’où la nécessité d’élever un mur qui protège leur pureté ». L’idéologue des ultra orthodoxes modernes est Hazon Ish (l’homme visionnaire), un lituanien mort en 1953, qui fut l’artisan d’une incroyable renaissance de l’ultra orthodoxie, pendant la guerre de 1948. Après plusieurs décennies pendant lesquelles le pouvoir des quelques 250 000 trépidants (traduction de haredim, d’après le verset du prophète Isaïe : « Ecoutez la parole du Seigneur, vous qui trépidez à sa parole ») a constamment augmenté en Israël, à travers leurs représentants à la Knesset, le dernier gouvernement Sharon a réduit leur poids en excluant leurs partis de l’exécutif et en supprimant leurs allocations. « Le développement de Modi’in Illit - poursuit Margalit- peut être lu comme une réponse à la crise économique profonde que la communauté haredi a traversé pendant les trois dernières années ».

Dans les bureaux de Image Store, les documents papiers et les microfilms à transformer en dossiers informatiques défilent rapidement sur les écrans au plasma des employées. Le crépitement simultané de milliers de claviers produit un bruit de fond qui n’est interrompu que par la chef du personnel, qui réprimande les filles quand elles se distraient en échangeant quelques bavardages d’un poste à l’autre. Mikal a 26 ans et trois enfants, elle est arrivée il y a cinq ans de Rehovot : « Ici, on nous permet de travailler de façon religieuse, dit-elle. Nous ne nous sentirions pas en sécurité dans une société hi-tech avec un environnement laïc ». Tova, 21 ans, a déménagé de Jérusalem attirée par les possibilités de travail à Modi’in Illit : « Cet endroit nous donne la possibilité de discuter entre nous seulement de questions religieuses et d’éducation pour nos enfants, c’est pour ça que nous nous y sentons à l’aise » dit-elle avant de reconnaître que « huit heures c’est trop, et quand j’aurai des enfants je chercherai autre chose ».

Ebrahim Reich est le manager général d’Image Store, qui a ouvert ses bureaux au deuxième trimestre 2005, et a dans ses principaux clients le National Insurance Institute, l’Israël Land Authority et les Archives d’Etat. « Nous convertissons tous les types de medias en dossiers digitaux, dans ce domaine nous sommes les premiers au Moyen-Orient et parmi les premiers mondiaux. Nous travaillons aussi pour des banques étasuniennes et canadiennes ». A court terme, Reich prévoit d’embaucher 50 autres jeunes femmes. Un chiffre d’affaires de 40 millions de shekels en 2005 et une croissance de 20 % annuels lui permettent d’être très optimiste. « Nous faisons travailler toutes les filles enceintes dans un milieu sain, déclare-t-il. Celles qui viennent d’accoucher, nous les autorisons à aller chez elles quelques minutes pour allaiter ». « Nous sommes en train de monter une crèche » dit-il avant de montrer une petite pièce de deux mètres sur quatre où les employées s’arrangent, pour le moment, pour allaiter. Le professeur Margalit rappelle que « quand je vivais, enfant, dans les environs de Mea Sharim, le quartier ultra orthodoxe de Jérusalem, les haredim avaient leur propre économie, pauvre mais vivable : ils étaient charpentiers, artisans, ils avaient un petit marché ». Depuis les années 60, ils n’ont fait qu’étudier. « Le manque de productivité entre les juifs, phénomène que le mouvement sioniste avait toujours âprement critiqué, est devenu une réalité dramatique dans les communautés haredim » conclut l’enseignant.


Le devoir des filles d’Israël

A Modi’in Illit, une organisation sociale et religieuse rigide est en train de transformer les femmes en anges du foyer et anges du clavier. Les filles chez Image Store, avant d’être embauchées, vont faire un mois de stage pratique à Petah Tikva, une ville industrielle assez éloignée de l’homogénéité de Modi’in Illit et à deux pas de Tel Aviv la peccamineuse. Freydie, de Matrix, avoue qu’ « une fois j’ai ouvert accidentellement une page Web et, je t’assure, je me suis tout de suite sentie mal à l’aise ». Tova, Mikal, Chavie et les autres ne peuvent utiliser que l’email pour communiquer avec les clients, pour le moment. En déplaçant une partie de la production d’autres pôles de l’état juif à Modi’in Illit, les industriels peuvent garder des coûts plus bas, au point de permettre aux entreprises qui ont commandé le travail en out sourcing d’épargner jusqu’à 50 % sur le produit final.

Mais combien de temps le rêve du rabbin Guterman d’avoir une communauté haredi de plus en plus grande et pure, arrivera-t-il à garder le pas sur la frénésie hi-tech de Modi’in Illit ? Combien de filles, après le contact avec l’autre monde, celui de l’entreprise et celui d’Internet, feront-elles le choix de Malka, qui, dans la scène finale de « Kadosh », s’enfuit de Mea Sharim, loin des trépidants ?

Michelangelo Cocco


- Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio




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