RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Un entretien avec Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre, prix Goncourt pour Au revoir là-haut, a accordé un entretien aux responsables de l’Institut d’histoire sociale du Gers et à moi-même.

Vous avez toujours rendu hommage aux écrivains qui vous ont influencé. Avez-­vous conscience de vous inscrire dans une chaîne ininterrompue de créateurs ? Construisez-­vous des fictions pour vivre, pour résister au réel ? Autrement dit, pourquoi écrivez-­vous ?

Si je cite et rends hommage à certains écrivains ce n’est pas consciemment pour me situer dans une généalogie d’auteurs, c’est simplement que si quelque chose d’eux me vient lorsque je travaille (trois mots, une situation, une tonalité, etc.), il me semble normal de le dire. Je ne m’adresse pas à la postérité mais à ceux qui me lisent, ces citations sont donc également un clin d’œil que j’adresse à ceux pour qui j’écris. Ce qui répond à la seconde question : j’écris pour être lu. J’ai choisi d’être romancier, j’écris donc des romans. Je ne suis rien d’autre que ça, juste un type qui raconte des histoires.

Avec Au revoir là-­haut, l’Académie Goncourt a couronné un grand roman populaire, en ce sens qu’il peut être lu avec autant de plaisir et d’intérêt par une aide-­soignante ou par un chef de service. On imagine que vous ne partagez pas l’opinion de Mallarmé pour qui « l’art pour tous est une bêtise, du caviar pour le plus grand nombre ».

Evidemment que « l’art pour l’art » n’est pas mon slogan préféré. Cela étant, l’expression « littérature populaire » n’est guère pratique non plus... Qu’est-­‐ce que c’est un « roman populaire » ? Un roman lu par un grand public ? En ce cas, « L’amant » de Marguerite Duras est un roman populaire, il a été lu par plusieurs millions de lecteurs. Un roman assez simple pour être lisible par tous ? On peut alors penser aux « Misérables » et à « Madame Bovary ». Un roman qui tente avant tout de séduire, faisant de « populaire » une variante de « populiste » ? On peut alors penser à Gérard de Villiers et sa série des SAS. En fait, personne n’en sait rien. Mais la catégorie romanesque capable de regrouper Duras et de Villiers, Flaubert et Hugo a bien des chances de poser plus de problèmes de classification qu’elle n’en résout. C’est pourquoi, chacun en a une définition. Moi pas. J’écris des romans et il appartient à ceux qui les lisent de dire ce qu’ils en pensent, de les placer sur l’étagère qui leur convient.

Pourquoi, à ce moment de votre vie d’homme et d’écrivain, avez-­vous souhaité écrire sur la Première Guerre mondiale et ses suites immédiates ?

Je crains que la réponse soit là encore assez prosaïque : c’est simplement que c’était possible. Je venais d’achever une trilogie policière, commencée en 2006. Pour la première fois depuis que j’écrivais, j’avais l’occasion de faire autre chose, de m’évader un peu des contraintes exigeantes du genre policier. Cette Première Guerre m’avait toujours intéressée et ce roman, entamé en 2008, n’avait pas pu être poursuivi à ce moment pour des raisons de calendrier éditorial. Quant à choisir la fin de la guerre plutôt que la guerre elle-­même, c’est parce qu’il m’a semblé que cette période avait été moins traitée par le roman et que cela me permettait d’éclairer sous un jour un peu original cette guerre, en la montrant, en quelque sorte, dans le rétroviseur.

Vous avez rassemblé une documentation historique considérable. Pourriez-­vous nous éclairer sur les moyens et les arguments utilisés pour motiver les combattants du front ? Comment le peuple à l’arrière a-­t-­il vécu cette guerre ?

Très franchement, ma documentation n’a pas été phénoménale. C’est un carton de livres et les quotidiens de l’époque sur une période de deux ou trois ans, rien de plus. Quant à la question concernant la motivation des soldats, c’est une querelle historique dans laquelle je ne veux pas entrer parce que je ne suis pas historien. Je n’ai aucune légitimité à donner un avis. Je lis André Loez et Stéphane Audouin-‐Rouzeau, Nicolas Offenstadt et Annette Becker, j’ai mon opinion... qui n’a aucune importance.

Je trouve toutefois très intéressant que les historiens discutent cette question, je trouve dommage qu’ils se déchirent mais je reste dans mon domaine : je suis romancier. Et dans l’écriture de mon roman, je n’ai pas voulu aborder cette question parce qu’elle n’était pas au centre de mes préoccupations.

Par delà la création romanesque, avez-­vous souhaité transmettre un message historique et politique qui vaudrait encore pour aujourd’hui ?

Non, je ne porte pas de message. Tout lecteur peut voir quelle est mon échelle de valeurs et donner à mon histoire le sens qui lui convient. Je la bâtis en espérant que mon point de vue sera clair et accessible, je tâche de faire ce que je dis et de dire ce que je fais. C’est ma manière à moi d’être simple qui est ma conception du roman : tenter de faire très bien des choses très simples.

Reste que tout lecteur peut voir des corrélations entre l’époque que je décris et la nôtre : un système social incapable de faire de la place à une population qui pourtant n’a pas démérité, plaçant ceux qui l’ont servie dans une situation de précarité proche de l’exclusion et faisant de ceux qui parviennent à surnager des travailleurs pauvres. Si un lecteur aperçoit ce constat derrière les vicissitudes de mes personnages, ce n’est pas du tout un hasard.

Au plan philosophique, quelle est votre idée de l’Homme au vu des événements que vous rapportez ? Votre vision de l’humanité n’est-­elle pas trop noire ?

« Trop noire », je ne sais pas. Chacun place le curseur où il le veut, en fonction de son analyse, de sa conception du monde. Je pense qu’un romancier tente de déployer un monde et c’est bien le but de la littérature que de permettre à chacun, en lisant des romans, de dire si ce monde correspond ou non à sa vision personnelle de l’existence et, ainsi, de faire évoluer sa réflexion.

Photo (B.G., d.r.) : Pierre Lemaitre et Angel Rossi, président de l’Institut d’Histoire Sociale du Gers.

On retrouvera cet article dans la dernière livraison de la revue de cet institut.

Petit rappel concernant Au revoir là-haut ici.

URL de cet article 25066
  

Même Auteur
Éric Dupont-Moretti : "Condamné à plaider"
Bernard GENSANE
Il a un physique de videur de boîte de nuit. Un visage triste. De mains trop fines pour un corps de déménageur. Il est toujours mal rasé. Il sera bientôt chauve. Parce que ce ch’ti d’origine italienne est profondément humain, il est une des figures les plus attachantes du barreau français. Il ne cache pas sa tendance à la déprime. Il rame, il souffre. Comme les comédiens de boulevard en tournée, des villes de France il ne connaît que les hôtels et ses lieux de travail. Il a décidé de devenir avocat le (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique.

Guy DEBORD

L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.