30 ans après, l’holocauste au Cambodge et le souvenir des lendemains

(LGS : Quoi ? On ne vous a jamais expliqué que les Khmers Rouges ont été soutenus par l’Occident et ont été renversés par les communistes Vietnamiens ? )

Dans un article publié dans le Daily Mirror de Londres, John Pilger se souvient de la misère abjecte qu’il a trouvé au Cambodge en 1979 qu’il décrit dans un mémorable documentaire et une série d’articles « Year Zero : the Silent Death of Cambodia » (An zéro, la mort silencieuse du Cambodge - trad. litt. NDT). Il nous rappelle que Pol Pot est arrivé au pouvoir à la suite des bombardements ordonnés par Richard Nixon et Henry Kissinger, et que le Cambodge fut « puni » parce que ses libérateurs sont venus du mauvais côté du rideau de fer et que le gouvernement (britannique) de Thatcher avait envoyé des forces spéciales pour entraîner les Khmers Rouges en exil.

L’avion volait bas, en suivant le cours du Mékong à l’ouest du Vietnam. Lorsque nous sommes arrivés au-dessus du Cambodge, ce que nous voyions était indescriptible. Il n’y avait apparemment plus personne, aucun mouvement, même pas un animal, comme si la population de l’Asie s’était arrêtée aux frontières.

Des villages entiers étaient vides. Des chaises et des lits, des casseroles et des matelas jonchaient les rues, une voiture couchée sur le côté, un vélo tordu. Derrière des câbles d’électricité tombés au sol, une silhouette humaine solitaire se tenait debout ou assis, sans bouger. Dans les rizières, les hautes herbes poussaient en lignes droites, fertilisées par les restes de milliers et de milliers d’hommes, femmes et enfants, signalant ainsi les charniers dans un pays où prés de 2 millions de personnes, soit plus du quart de la population, étaient « portées disparues ».

A la libération d’un camp de la mort nazi à Belsen en 1945, le correspondant du Times avait écrit : « Il est de mon devoir de décrire quelque chose qui dépasse l’entendement ». Je ressentais la même chose en 1979 lorsque je suis entré au Cambodge, un pays hermétiquement clos au monde extérieur pendant presque quatre ans depuis « l’An Zéro ».

L’An Zéro a commencé peu après l’aube du 17 avril 1975, lorsque les guérilleros des Khmers Rouges de Pol Pot sont entrés dans la capitale, Phnom Penh. Habillés de noir, ils marchaient en file indienne le long des grandes avenues. A 13 heures, ils ont ordonné l’évacuation de la ville. Les malades et les blessés, sous la menace des armes, ont été forcés à quitter leurs lits d’hôpital ; les familles ont été séparées ; les vieux et les handicapés tombaient au bord des routes. « N’emportez rien avec vous, » ordonnaient les hommes en noir. « Vous allez revenir demain ».

Mais il n’y a jamais eu de lendemain. Une ère d’esclavage avait commencé. Tous ceux qui possédaient une voiture ou autre « objet de luxe », tous ceux qui vivaient en zone urbaine ou avaient un métier moderne, tous ceux qui connaissaient ou travaillaient avec des étrangers, courraient un grave danger. Certains étaient déjà été condamnés à mort. Parmi les 500 membres du Ballet Royal du Cambodge, pas plus de 30 ont survécu. Médecins, infirmières, ingénieurs, enseignants ont été affamés, forcés à travailler jusqu’à une mort par épuisement ou assassinés.

Pour moi, entrer dans Phnom Penh, dans le silence nimbé d’une humidité grise, c’était comme entrer dans une ville de la taille de Manchester au lendemain d’un cataclysme nucléaire qui n’aurait épargné que les bâtiments. Il n’y avait pas d’électricité, pas d’eau potable, aucun magasin, aucun activité. A la gare ferroviaire les trains étaient immobilisés, vides, dans les différentes positions où ils se trouvaient lorsqu’on a interrompu leur départ. Des affaires personnelles et des bouts de vêtements voletaient à travers les voies, comme ils voletaient au-dessus des fosses communes plus loin.

J’ai marché le long de l’Avenue Monivong jusqu’à la Bibliothèque Nationale qui avait été symboliquement convertie en une porcherie, après que tous ses livres avaient été brûlés. C’était comme dans un rêve. Là où s’était dressée une cathédrale catholique de style gothique, il n’y avait plus qu’un terrain vague. Elle avait été démontée pierre par pierre. Lorsque les pluies de la mousson tombaient, les rues étaient inondées de billets de banque. A chaque averse, une nouvelle fortune virtuelle, composée de billets neufs et usagés inutilisables, s’écoulait de la Banque du Cambodge que les Khmers Rouges avaient fait sauter avant de s’enfuir.

A l’intérieur, un chéquier était ouvert sur un comptoir. Une paire de lunettes posée sur un registre ouvert. J’ai glissé et je suis tombé sur le sol jonché de pièces de monnaie.

Pendant les premières heures, j’ai eu l’impression qu’il ne restait plus rien de la population. Les quelques formes humaines que j’avais entraperçues semblaient incohérentes et s’éclipsaient dans une passage en me voyant. Un enfant a couru pour se réfugier dans une armoire couchée sur le côté qui lui servait d’abri. Dans une station d’essence en ruines une vielle dame et trois enfants malingres étaient accroupis autour d’une casserole remplie de racines et de feuilles, chauffée par un feu de billets de banque. L’ironie était grotesque : les gens qui n’avaient rien avaient de l’argent à brûler.

Dans une école appelée Tuol Sleng, j’ai parcouru ce qui avait été une « unité d’interrogatoire » et une « unité de torture et de massacre ». Sous des lits en fer, j’ai trouvé du sang et des touffes de cheveux au sol. « Il est absolument interdit de parler, » disait un panneau. « Avant de faire quelque chose, n’importe quoi, il faut obligatoirement obtenir l’accord du gardien ».

Les jours se succédaient dans un rythme terrible. Sans lait et sans médicaments, les enfants mourraient de maladies curables, comme la dysenterie. On aurait dit que le tissu même de la société avait été détruit. Les premières enquêtes ont montré que de nombreuses femmes n’avaient plus de menstruations.

La situation était aggravée par l’isolement imposé au Cambodge par l’Occident parce que ses libérateurs, les Vietnamiens, venaient du mauvais côté du rideau de fer, après qu’ils aient chassé les Américains de leur pays en 1975. Le Cambodge avait été le sale petit secret bien gardé de l’Occident depuis que le Président Richard Nixon et son conseiller à la sécurité nationale Henry Kissinger avaient ordonné un « bombardement secret », pour étendre la guerre du Vietnam au Cambodge, au début des années 70, en tuant des centaines de milliers de paysans. « Si ça ne marche pas, » avait dit Nixon à Kissinger, « c’est toi qui trinquera ». Mais ça a marché et Pol Pot a eu l’opportunité de prendre le pouvoir.

Lorsque je suis arrivé, aucune aide de l’Occident n’était parvenue au Cambodge. Seule OXFAM avait défié le Foreign Office (ministère des affaires étrangères - NDT) à Londres, qui avait menti en déclarant que les Vietnamiens bloquaient l’aide. Au mois de septembre 1979, un DC-8 a décollé du Luxembourg en emportant suffisamment de pénicilline, de vitamines et de lait pour environ 70.000 enfants - le tout payé par les lecteurs du Daily Mirror qui avaient répondu à mes articles et aux images d’Eric Piper publiés dans deux numéros historiques dont tous les exemplaires avaient été vendus.

A la suite du Mirror, le 30 Octobre 1979, la chaine ITV a diffusé « Year Zero, the silent death of Cambodia », un documentaire que j’avais réalisé avec feu David Munro. En quelques jours, quarante sacs postaux de courriers sont arrivés aux studios d’ITV à Birmingham, avec £1 million. « C’est pour le Cambodge » a écrit un chauffeur de bus anonyme de Bristol, en joignant l’équivalent d’une semaine de salaire. Un parent seul a envoyé ses économies, £50. Les gens ont fait preuve de cette décence et de cette solidarité absolue qui sont au coeur de la société britannique. Sans y avoir été invités, ils ont donné plus de £20 millions. Cela a aidé à rétablir une vie normale dans un pays lointain ; à rétablir l’eau potable à Phnom Penh ; à équiper des hopitaux et des écoles ; à aider des orphelinats ; à rouvrir une usine de vêtements.

Cette mobilisation publique extraordinaire a brisé le blocus du Cambodge instauré par les gouvernements américains et britanniques. D’une manière incroyable, le gouvernement de Thatcher a continué à soutenir le régime défunt de Pol Pot aux sein des Nations Unies et a même envoyé le SAS (Forces Spéciales - NDT) pour former ses troupes exilées au Thailande et en Malaisie. Au mois de mars dernier (2009), un ancien membre du SAS, Chris Ryan, aujourd’hui un auteur à succès, s’est lamenté dans une interview que « lorsque John Pilger, correspondant à l’étranger, a découvert que nous formions les Khmers Rouges, nous avons été renvoyés chez nous et j’ai du rendre les £10.000 que j’avais reçues pour mes frais. »

Aujourd’hui, Pol Pot est mort et plusieurs de ses sbires âgés sont jugés par une cour ONU/Cambodgienne pour crimes contre l’humanité. Henry Kissinger, dont les bombardements ont ouvert la voie au cauchemar de l’An Zero, court toujours. Les Cambodgiens sont toujours désespéramment pauvres, dépendants du tourisme et de la vente de leur main d’oeuvre bon marché.

A mes yeux, leur résistance relève de la magie. Dans les années qui ont suivi leur libération, je n’avais jamais vu autant de mariages ou reçu autant d’invitations à des mariages. Ils sont devenus les symboles de la vie et de l’espoir. Et pourtant, il n’y a qu’au Cambodge qu’un enfant demanderait à un adulte, comme cet enfant de douze ans me l’a demandé, avec la peur dans les yeux : « Vous êtes un ami ? Dites-le moi s’il vous plait ».

John Pilger

ARTICLE ORIGINAL : http://www.johnpilger.com/page.asp?partid=553

Traduction VD pour le Grand Soir

COMMENTAIRES  

25/11/2009 00:34 par JACQUES RICHAUD

Sur les origines et sur la guerre menée contre le Cambodge, avant la tragédie des Khmers rouges, il faut lire cet ouvrage US essentiel :

William Shawcross : Une Tragedie Sans Importance, Kissinger Nixon ...

N’oublions pas qu’il y a eu un ’avant’ la prise du pouvoir par Pol Pot et que le Cambodge avait reçu plus de tonnage de bombes que l’Allemagne avant 1945 ! Ceci n’excuse rien, mais nous oblige à ne pas voir les seuls crimes des ’rouges’, pour ne pas oublier l’immense responsabilité des Etats Unis dans la tragédie et la destruction de ce pays...

Pour mémoire aussi, un document historiquement très important avant ce drame qui était ’évitable’ :

Discours du général de Gaulle de Phnom Penh : accueil et fête (Vidéo intégrale du discours)
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF94060215/discours-du-general-de-gaulle-de-phnom-penh-accueil-et-fete.fr.html
Discours du général de Gaulle de Phnom Penh : accueil et fête
- 01/09/1966 - 08min53s
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"De tout coeur, je remercie Son Altesse Royale le prince Norodom Sihanouk de nous réserver un accueil aussi magnifique ...... De part et d’autre, une histoire chargée de gloires et de douleurs, une culture et un art exemplaires, une terre féconde, aux frontières vulnérables, entourée d’ambitions étrangères et au-dessus de laquelle le péril est sans cesse suspendu.... Nous voyons le Royaume, malgré de graves difficultés, agir en faveur de l’équilibre et de la paix dans la région du monde où il se trouve, tout en maintenant sa personnalité, sa dignité, son indépendance. Nous assistons, sous l’impulsion très dynamique de Votre Altesse Royale, à un développement intérieur, dont des centaines d’écoles, d’hôpitaux, de dispensaires, des milliers de petites et de moyennes entreprises, des milliers de kilomètres de routes et de pistes, des dizaines de milliers d’hectares de plantations - le tout réalisé par des ingénieurs, des experts, des travailleurs cambodgiens - attestent d’année en année la vigueur et l’étendue. La devise "Le Cambodge s’aide lui-même", que Votre gouvernement a inscrite sur tous les chantiers, est, pour le peuple khmer, un motif de juste fierté et, pour d’autres, un encourageant exemple.... Au total, nous voyons le Cambodge, bien qu’il demeure fidèle à ses antiques traditions, s’ouvrir délibérément à la civilisation moderne et, grâce à une rare stabilité intérieure, accomplir pas à pas, au profit de tous ses enfants, une remarquable transformation.

Mais, tandis que le Royaume avance dans la bonne voie, pourquoi faut-il qu’à ses frontières la guerre provoque un déchaînement de massacres et de ruines qui menace son propre avenir ?

Ces malheurs, le Chef de l’État khmer les avait prévus, mais il avait aussi indiqué à temps ce qu’il convenait de faire pour les conjurer, à condition qu’on le voulût de bonne foi. Au lendemain des accords de Genève de 1954, le Cambodge choisissait, avec courage et lucidité, la politique de la neutralité, qui découlait de ces accords et qui, dès lors que ne s’exerçait plus la responsabilité de la France, aurait seule pu épargner à l’Indochine de devenir un terrain d’affrontement pour les dominations et idéologies rivales et une sollicitation pour l’intervention américaine. C’est pourquoi, tandis que votre pays parvenait à sauvegarder son corps et son âme parce qu’il restait maître chez lui, on vit l’autorité politique et militaire des États-Unis s’installer à son tour au Viêt-Nam du Sud et, du même coup, la guerre s’y ranimer sous la forme d’une résistance nationale. Après quoi, des illusions relatives à l’emploi de la force conduisirent au renforcement continuel du Corps expéditionnaire et à une escalade de plus en plus étendue en Asie, de plus en plus proche de la Chine, de plus en plus provocante à l’égard de l’Union Soviétique, de plus en plus réprouvée par nombre de peuples d’Europe, d’Afrique, d’Amérique latine, et, en fin de compte, de plus en plus menaçante pour la paix du monde.

Devant une telle situation, dont tout donne, hélas ! à penser qu’elle va aller en s’aggravant, je déclare ici que la France approuve entièrement l’effort que déploie le Cambodge pour se tenir en dehors du conflit et qu’elle continuera de lui apporter dans ce but son soutien et son appui. Oui ! La position de la France est prise. Elle l’est par la condamnation qu’elle porte, sur les actuels événements. Elle l’est par sa résolution de n’être pas, où que ce soit et quoi qu’il arrive, automatiquement impliquée dans l’extension éventuelle du drame et de garder, en tout cas, les mains libres. Elle l’est, enfin, par l’exemple qu’elle-même a donné naguère en Afrique du Nord, en mettant délibérément un terme à des combats stériles sur un terrain que, pourtant, ses forces dominaient sans conteste, ....

Eh bien ! La France considère que les combats qui ravagent l’Indochine n’apportent, par eux-mêmes et eux non plus, aucune issue. Suivant elle, s’il est invraisemblable que l’appareil guerrier américain vienne à être anéanti sur place, il n’y a, d’autre part, aucune chance pour que les peuples de l’Asie se soumettent à la loi de l’étranger venu de l’autre Pacifique, quelles que puissent être ses intentions et si puissantes que soient ses armes. Bref, pour longue et dure que doive être l’épreuve, la France tient pour certain qu’elle n’aura pas de solution militaire.

A moins que l’univers ne roule vers la catastrophe, seul un accord politique pourrait donc rétablir la paix. Or, les conditions d’un pareil accord étant bien claires et bien connues, il est encore temps d’espérer. Tout comme celui de 1954, l’accord aurait pour objet d’établir et de garantir la neutralité des peuples de l’Indochine et leur droit de disposer d’eux-mêmes tels qu’ils sont effectivement, en laissant à chacun d’eux la responsabilité entière de ses affaires. Les contractants seraient donc les pouvoirs réels qui s’y exercent et, parmi les autres États, tout au moins les cinq puissances mondiales. Mais la possibilité et, à plus forte raison, l’ouverture d’une aussi vaste et difficile négociation dépendraient, évidemment, de la décision et de l’engagement qu’aurait auparavant voulu prendre l’Amérique, de rapatrier ses forces dans un délai convenable et déterminé....

... Elle le dit compte tenu des avertissements que Paris a depuis longtemps multipliés à l’égard de Washington quand rien encore n’avait été commis d’irréparable. Elle le dit, enfin, avec la conviction, qu’au degré de puissance, de richesse, de rayonnement, auquel les États-Unis sont actuellement parvenus, le fait de renoncer, à leur tour, à une expédition lointaine dès lors qu’elle apparaît sans bénéfice et sans justification et de lui préférer un arrangement international organisant la paix et le développement d’une importante région du monde, n’aurait rien, en définitive, qui puisse blesser leur fierté, contrarier leur idéal et nuire à leurs intérêts. Au contraire, en prenant une voie aussi conforme au génie de l’Occident, quelle audience les États-Unis retrouveraient-ils d’un bout à l’autre du monde et quelle chance recouvrerait la paix sur place et partout ailleurs ! En tout cas, faute d’en venir là , aucune médiation n’offrira une perspective de succès et c’est pourquoi la France, pour sa part, n’a jamais pensé et ne pense pas à en proposer aucune.

Où donc, mieux qu’à Phnom-Penh, aurais-je pu formuler cette attitude et cette espérance, puisque ce sont aussi celles du Cambodge, puisque le Royaume, au milieu de l’Indochine déchirée, apparaît comme un modèle d’unité et d’indépendance, puisque l’amitié active de nos deux gouvernements et de nos deux peuples est aujourd’hui plus vivante que jamais, puisqu’en voici la preuve inoubliable !
Vive le Cambodge !"

De JACQUES RICHAUD, chirurgien ’coopérant’ à Phnom Penh d’octobre 1971 à janvier 1973 , lorsque les bombes US, le napalm et les défoliants de l’Empire visaient à ’ramener le pays à l’âge de pierre’ comme l’avait exprimé au sujet du Viet Nam le général en chef US Westmoreland ; le même qui proclamait que durant la seconde guerre mondiale ’l’Amérique s’était trompée de camp’...Non l’histoire n’est pas aussi simple et échappe à nos classifications binaires...Les salauds ne portaient pas tous l’écharpe à damier du Kampuchéa démocratique, certains mieux vétus eurent même un ’prix Nobel’ de la Paix...

30/11/2009 13:29 par Ben du Cambodge

a l’histoire..

Récit très poignant sur l’année zéro au Cambodge.

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