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50e anniversaire de l’UA. L’unité africaine à l’épreuve des Africains.

« Le grand dessein des intérêts impérialistes est de renforcer le colonialisme et le néocolonialisme et nous nous tromperons nous-mêmes de la façon la plus cruelle, si nous devons considérer que les actions des Occidentaux sont distinctes et sont sans rapport entre elles », avait prédit N’Krumah.

Par un concours de circonstance, j’ai lu dans le même temps le discours prémonitoire de Kwamé N’Krumah prononcé le 23 septembre 1963 à Addis Abéba devant l’Assemblée de l’OUA à l’ouverture du sommet et un papier de la dépêche diplomatique datée du vendredi 22 février 2013 écrit par Jean Pierre Béjot et publié par le faso.net avec pour titre « Laurent Gbagbo en meilleure posture à La Haye que comme Président de la République à Abidjan ».

Laurent Gbagbo selon Béjot

Le texte de Pierre Béjot dénote une singulière connaissance du président Laurent Gbagbo. Tel qu’il dépeint « son » personnage, il faut croire que Gbagbo a usé d’un « fétiche » particulièrement efficace pour entraîner les Ivoiriens dans une aventure aussi longue, cinq ans de pouvoir, plus cinq ans « volés » pour paraphraser Béjot ; contre le gré de cette « puissante communauté internationale » ; laquelle a été surprise de le constater au pouvoir et qui a dû utiliser les grands moyens pour le déloger de la résidence du Président en fonction.

Il faut croire que le fétiche fonctionne encore, au regard des nombreux Ivoiriens, Africains et citoyens du monde qui continuent de se mobiliser pour la cause de celui que Béjot a jugé et condamné ; sauf si Laurent Gbagbo avait adopté une posture qu’il n’est pas aisé de percevoir dans la chute de son papier : « Gbagbo peut choisir : avoir été l’acteur d’un drame qui, trop souvent, l’a dépassé ; ou se vouloir misérablement une victime. Ce n’est pas Saint Georges s’efforçant de terrasser le dragon (mais ayant échoué). C’est l’agneau de sacrifice. Pas motivant ». Ce sont en fait les réactions des internautes au papier de Béjot qui m’ont interpellé. On y retrouve le procès curieux qui est fait aux Ivoiriens sur leur prétendue xénophobie qui serait à l’origine de la crise en Côte d’Ivoire.

L’essence du texte de Kwamé N’Krumah

Quant au discours prophétique de Kwamé N’Krumah, premier président du Ghana, République indépendante dès 1957, il traite de la question fondamentale de l’Unité africaine. N’Krumah soulignait devant les chefs d’État l’impérieuse mission de jeter dès cette première rencontre au sommet de 1963, les bases d’une Afrique unie afin d’éviter les manœuvres de division des puissances coloniales. « L’Afrique doit s’unir », conclura-t-il.

N’Krumah n’a pas été suivi par ses pairs. Pour le malheur des Africains, des chefs d’État dont l’idéologie était la longévité au pouvoir, ont prêché le nationalisme étriqué et ont suivi les démons de la division. En 2013, soit cinquante ans après le discours de N’Krumah, l’Union africaine est encore en gestation. Kwamé N’Krumah, dès 1966, a été chassé du pouvoir par un coup d’État. Aujourd’hui, il est l’objet de vénération dans son pays et dans le monde.

Découpage de l’Afrique et conséquences

Ceci étant, les frontières entre les États hérités de la colonisation demeurent donc intangibles. Les Ivoiriens sont ceux qui sont nationaux du territoire de la Côte d’Ivoire ; les Burkinabés, les nationaux du Burkina Faso etc. L’affirmer n’est pas faire preuve de xénophobie. C’est même une tautologie. L’hospitalité plus ou moins longue accordée au ressortissant d’un autre État ne fait pas de lui ou de sa progéniture automatiquement des nationaux du pays d’accueil. Des conditions existent pour adopter un tel statut. Il en eût été autrement si les dispositions préconisées par N’Krumah avaient été adoptées.

Même les règles de libre circulation des personnes et des biens en vigueur au sein de la CEDEAO ne disposent nullement de la nationalité automatique. Au demeurant, les réactions de certains internautes semblent indiquer que les ressortissants étrangers, particulièrement burkinabé, auraient subi des traitements inhumains en Côte d’Ivoire. L’ancien président sénégalais Wade s’en est même fait l’écho dans ses diatribes contre Laurent Gbagbo.

De quels traitements inhumains s’agit-il ? En réalité, ce sont des rumeurs tenaces sans fondement. Au regard du nombre important de ressortissants étrangers sur le territoire ivoirien, de leur intégration dans le tissu social, cette propagande est fausse. Pendant la présidence de Laurent Gbagbo, aucun acte de gouvernement, aucun ne peut être rapproché de la xénophobie. Ce qui se passe aux frontières ou aux postes de contrôle routiers de nos différents États ouest-africains est si similaire que la « xénophobie » peut être considérée comme la règle au sein de la CEDEAO.

Des civils ou militaires qui reconnaissent une vêture, une langue ou une couleur de documents, de l’étranger les assimilent à des délits passibles « d’amende ». Cette pratique fait partie de ce que les institutions africaines ont pompeusement baptisé barrière non tarifaire. En fait, ces pratiques avérées de corruption communes à toute la sous région sur les voyageurs transfrontaliers ou les visiteurs prend le qualificatif excessif de xénophobie pour traiter du cas de la Côte d’Ivoire. L’avènement des dozos, pourtant ressortissants du Sahel présents sur l’ensemble du territoire ivoirien n’a pas mis fin à ces pratiques « xénophobes », bien au contraire.

Promenez-vous si vous n’êtes pas locuteur Minan, au marché de Lomé ou Cotonou ; ou celui d’Accra sans parler le Twi, ou à Ouaga avec votre français accent ivoirien et vous sentirez l’effet « xénophobie » sur les prix des marchandises. Avec votre PME en règle de national ivoirien, essayez de décrocher un marché public au Burkina Faso ; si vous avez pu l’exécuter, tentez de vous faire payer par le trésor burkinabè ; avec votre véhicule en règle, négociez en votre qualité de national ivoirien, une insertion comme taxi auprès des professionnels nigériens par exemple, vous verrez bien que la préférence nationale peut s’apparenter à la « xénophobie ». En clair, sur le thème de la xénophobie, le procès qui est fait à la Côte d’Ivoire est injuste. Le procès fait à Laurent Gbagbo l’est encore plus.

Le véritable défi de l’Unité de l’Afrique

Nous Africains devrions nous inspirer des enseignements du discours de N’Krumah qui dit en substance : « Le grand dessein des intérêts impérialistes est de renforcer le colonialisme et le néocolonialisme et nous nous tromperons nous-mêmes de la façon la plus cruelle, si nous devons considérer que leurs actes sont distincts et sont sans rapport entre eux ».

Olympio au Togo, Yaméogo en Haute Volta, Ahomadégbé au Benin, Hamani Diori au Niger, Modibo Kéïta(photo) au Mali… ont subi des coups d’État ; Sankara a été assassiné… Leur crime, après N’Krumah, avoir défendu l’intérêt de leur pays, la dignité de l’Afrique. Sékou Touré a dû utiliser des méthodes discutables pour résister à tous les complots ourdis contre la Guinée par les puissances coloniales.

Le colonel Kadhafi a été l’artisan acharné de la mise en oeuvre de l’Union africaine. Il avait engagé le financement de grands projets tels que préconisés par N’Krumah. Le Guide a été assassiné par les puissances occidentales sur le mobile fallacieux de génocide du peuple libyen.

Frères Africains, frères du Burkina, tous ces actes ne sont pas distincts, ils sont en rapport. « Tout cela fait partie d’un plan d’ensemble élaboré avec le plus grand soin, et orienté vers un seul objectif : la continuation de l’asservissement de nos frères encore dépendants et un assaut contre l’indépendance de nos États africains souverains », poursuit N’Krumah. Le crime de dirigeants écartés violemment : ils ont refusé l’asservissement…

L’héritage d’Houphouët

Parmi les dirigeants de l’époque qui se sont opposés à l’esprit d’Unité africaine de N’Krumah, il y a le président Houphouët- Boigny de la Côte d’Ivoire. C’est un fait. Sa longévité est certainement le fruit d’un asservissement aux puissances coloniales. On peut comprendre, sans l’admettre, que certains Africains s’en prennent aux Ivoiriens pour le rôle joué par Houphouët-Boigny sur la scène africaine, mais la question de la xénophobie est absolument inopérante. Surtout lorsqu’elle est mise en avant pour justifier les agressions subies par la Côte d’Ivoire depuis 1999.

Béjot écrit : « Politiquement, il (Laurent Gbagbo) n’avait rien à perdre en cédant le pouvoir à son challenger. » Quid des résultats des élections, quid des procédures constitutionnelles. Laurent Gbagbo devait s’effacer malgré le verdict favorable des urnes validé par le Conseil Constitutionnel de son pays. Au motif que la communauté occidentale dite internationale a un avis contraire. Le recomptage des voix proposé comme juste porte de sortie par Laurent Gbagbo fut une concession de trop. Cette voie a pourtant été qualifiée d’« injuste » par les Occidentaux. Ils ont préféré la guerre « plus juste » au regard du gardien de leurs intérêts. Certains Africains se taisent sur cette imposture. D’autres se réjouissent du sort de Gbagbo en regard au rôle d’Houphouët-Boigny dans les turpitudes de leur pays ou de l’implication de leurs compatriotes dans le prétendu miracle ivoirien.

La mainmise de l’Occident sur le monde

N’Krumah proclamait dans son discours, déjà en 1963 que : « En tant que continent, nous avons émergé dans l’indépendance à une époque différente, où l’impérialisme est devenu plus fort, plus implacable, plus expérimenté, plus dangereux aussi dans ses associations internationales. Notre évolution économique exige la fin de la domination colonialiste et néocolonialiste en Afrique. »

Dans le contexte économique de 2013, l’Occident est en crise sévère et concurrencé par la Chine. L’Occident est devenu plus agressif au plan militaire et ne compte plus que sur son hégémonie mondiale et sa mainmise sur les institutions internationales – ONU, FMI, Banque Mondiale, CPI- ou sur le Dollar US- pour résister à la crise, à la Chine et à la Russie. Le Parti Communiste russe, en réaction au raid israélien sur la Syrie en Mai 2013, a déclaré : « Les Etats Unis, dans leur quête de domination mondiale, s’éloignent de plus en plus des formes politiques et économiques de la lutte et recourent à la force militaire contre les pays qui ne partagent pas les valeurs occidentales. »

« Pour l’Occident, éliminer les gouvernements alignés contre ses intérêts, c’est réduire la base de soutien à la Russie et la Chine », analysait David Urra en Mars 2013. La rébellion, variante militaire de la déstabilisation des pays « insoumis », utilise les mercenaires locaux. Elle a été à l’œuvre en RDC, a été appliquée en Centrafrique après avoir été expérimentée en Côte d’Ivoire. Elle est en œuvre au Mali, pays coupé en deux par des mercenaires, armée nationale bloquée au Sud, rébellion au Nord, contingent français sur la zone tampon, mission de l’ONU avec Koenders comme représentant spécial, élections sous la férule de la France. Bis repetita du cas ivoirien.

Gbagbo, un « insoumis »

En réalité, depuis son accession à la magistrature suprême, Laurent Gbagbo ne cadrait pas avec les intérêts des Occidentaux ; comme N’Krumah, Sékou Touré ou Sankara, toute concession de sa part n’aurait aucunement changé la donne.

Laurent Gbagbo avril 2011

Laurent Gbagbo a été élu pour cinq ans, il est resté dix ans au pouvoir à cause d’une rébellion. Béjot écrit : « …Il a résisté à la tentative de coup d’État du 18-19 septembre 2002, géré Marcoussis qui lui était défavorable, survécu aux intrigues noués, dans le cadre de gouvernements dits d’union nationale, par des premiers ministres opportunistes et des ministres plus opportunistes encore ; élu pour cinq ans, il aura régné dix ans. » Au terme de la capture du Président Laurent Gbagbo par l’ONUCI et les Forces françaises, le conseil constitutionnel a proclamé l’actuel locataire du palais d’Abidjan vainqueur (...). Ce même conseil constitutionnel avait proclamé et investi Laurent Gbagbo Président de la République de Côte d’Ivoire, conformément à la loi suprême.

L’Histoire, c’est-à-dire l’Avenir, retiendra que Gbagbo est resté garant de la Constitution de son pays. Comme l’Histoire en France a retenu De Gaulle, mais aussi Pétain. L’unité : voie obligée pour l’essor de l’Afrique Le drame des Africains, c’est les Africains eux-mêmes. Plutôt qu’un processus réfléchi d’intégration bénéfique pour l’ensemble des communautés, certains dirigeants africains continuent la déstabilisation d’États voisins avec l’appui des puissances impérialistes ; les premiers s’installent en occupants armés, les seconds font main basse sur les richesses minières, énergétiques et agricoles.

Si nous nous réjouissons de ce qui est advenu de Kadhafi, de Gbagbo, de N’Krumah, nous nous trompons de façon cruelle. Le parachutage par la force militaire de valets ne sert que les intérêts de la puissance de tutelle et d’une ploutocratie. Prenons le cas du cacao. La Côte d’Ivoire et le Ghana rassemblent sur leur territoire près de 60 % des exportations mondiales, produites à partir de propriétaires paysans petits à moyens. Ces deux États sont donc en mesure d’influencer à leur profit les cours mondiaux. Gbagbo l’a évoqué avec les autorités ghanéennes en 2001. Imaginons cette éventualité avec des prix de fèves très avantageux aux producteurs. Ce sont des milliers de paysans ghanéens, ivoiriens et burkinabés présents en Côte d’Ivoire qui verraient leur sort amélioré. Sans compter les possibilités offertes par la transformation locale des fèves sur les revenus du pays, propices pour tous ceux qui partagent la vie en Côte d’Ivoire et au Ghana et dans la sous région.

Aujourd’hui, résultat de la rébellion, des multinationales, des intérêts liés proches des nouvelles autorités ivoiriennes gravitent au cœur de la filière. Ils ne travaillent pas pour les intérêts des paysans, ni pour les États. Ils spéculeront à leur profit dans les places boursières. Ils ne contribueront pas à l’évolution économique de l’Afrique.

Pire, ils couvrent les activités de milices qui vont utiliser en servage une main d’œuvre colportée du Burkina. Cette aventure risque de tendre durablement les rapports entre les Burkinabés et les Ivoiriens et ne rien rapporter aux deux États sans compter les bas prix pratiqués. Les vrais bénéficiaires seront les grands chocolatiers et leurs agents locaux.

Conclusion

L’Afrique doit s’unir parce que notre évolution économique exige la fin de la domination colonialiste ; or chaque État sera impuissant face aux impérialistes. Répétons le : « ...Nous nous tromperons nous-mêmes de la façon la plus cruelle, si nous devons considérer que les actes des Occidentaux sont distinctes et sont sans rapport entre elles », avait prédit N’Krumah.

Hervé Amani

Sociologue

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