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Financer l’économie par un pouvoir financier indépendant des élus mais démocratique et supprimer les marchés financiers

Une assemblé de citoyens tirés au sort contrôle le pouvoir judiciaire et une nouvelle administration qui a le monopole du crédit. Comment marche ce 4ème pouvoir et quelle vision de l’économie sous-tend-il.

1ère partie

Sortir des constats d’échec

L’accroissement régulier du chômage, de l’endettement, du prix des matières premières ne sont pas des accidents. Ils ne forment pas une crise économique un peu plus grosse, un peu plus longue et qui guérirait naturellement au bout d’un temps plus ou moins long et dans des souffrances plus ou moins grandes. La crise actuelle est la conséquence même des logiques de notre système économique et politique poussées jusqu’à leur paroxysme. Notre société n’est pas un fumeur qui a attrapé la grippe mais un fumeur qui a le cancer des poumons. Certes, quoiqu’il advienne, cette crise aura bien un terme. Mais le monde d’après sera nécessairement très différent du monde d’aujourd’hui. Car les alternatives auxquelles nous faisons face sont radicales : soit rembourser les dettes, soit vivre ; soit devenir misérable avec ou sans travail, soit vivre ; soit achever de détruire la nature, soit vivre ; soit renoncer à la démocratie, soit vivre. De tous côtés notre société est cernée par la logique même de son fonctionnement financier, productif, environnemental et politique. Elle n’en survivra pas, tout au moins dans sa forme actuelle.

Si la résignation l’emporte alors le système tendra naturellement vers une dictature où sous des apparences démocratiques une minorité de très riches rentiers décideront entre eux de notre avenir. Et il sera de plus en plus misérable. Cette logique avance actuellement avec le contrôle du budget des États par l’Union Européenne. Si le sursaut survient, alors le bonheur sera toujours possible, mais sous un autre régime. Où la démocratie sera renforcée, la nature respectée, la production sera au service de tous ses acteurs et où la dignité ne se concevra plus sans une égalité effective.

La littérature de toutes obédiences foisonne d’analyses de ces impasses et de leurs articulations en entre elles. Or si les dangers qui nous poursuivent sont parfaitement connus, les alternatives qui nous attendent sont beaucoup moins diffusées. Car il est de la logique morbide du système qu’elles le demeurent. Que quand elles sont diffusées, elles semblent à nos esprits formatés marginales et en étant cynique les idiots utiles du système, soulageant la misère la plus insoutenable, faisant croire à sa tolérance et faisant oublier sa perversité. Il importe donc maintenant d’engager ce combat des propositions pour donner à ce monde nouveau un visage aimable. Et parce que le coeur du système est le système financier, incarné par les marchés financiers, la révolution doit d’abord porter sur celui-ci. Et elle doit être radicale à la mesure de la crise et de ses crimes, pour ne laisser à ses agents aucune chance de renaître et de nuire à nouveau. Il faut donc viser à financer l’économie par un pouvoir indépendant démocratique mais indépendant des élus pour supprimer les marchés financiers.

Une ancienne idée

Je voudrais exposer ici une revendication politique très concrète et fondatrice d’un nouveau régime en ajoutant dans la constitution d’un pays, la France, un nouveau pouvoir, politique mais indépendant des élus et chapeautant les institutions financières mais aussi judiciaires. En effet l’idée était à l’origine de rendre le pouvoir judiciaire indépendant de l’exécutif, car la justice actuelle est une justice de classe, c’est à dire qu’elle opprime les plus misérables tout en permettant aux hommes d’influence de se soustraire à la loi. Voici donc les grandes lignes de ce nouveau pouvoir puis quelques digressions, avec moins de raison que d’enthousiasme, sur ses caractéristiques.

Une assemblée désignée par tirage au sort…

Ce nouveau pouvoir est exercé par une assemblée d’environ 700 citoyens siégeant 7 ans. Chaque année on tire au sort des citoyens ayant voté à la dernière élection. Ceux qui acceptent suivent une formation rémunérée qui leur permettra d’exercer en toute compétence leur mandat. Cette formation est validée par un examen. Cet examen n’est pas un concours, il ne vise pas à sélectionner les meilleurs, car cela signifierait une sous-représentation de la majorité de la population au profit d’une élite scolaire. Donc on retire au sort parmi les lauréats surnuméraires ceux qui vont siéger dans cette assemblée plébéienne. En cas d’échec à l’examen on peut le retenter, toujours pour favoriser une représentation la plus fidèle possible de la population. Le renouvellement par septième tous les ans facilite aussi une transmission de l’expérience entre chaque classe et une continuité de l’exercice des différentes missions.

J’imagine et j’espère que ces citoyens forts de cette expérience pourraient avoir l’envie de s’investir dans la politique et cette assemblée pourrait alors être une pépinière d’élus, comme l’ENA actuellement. Mais afin de prévenir toute collusion d’intérêts entre ces futurs élus et les citoyens de l’assemblée, ses anciens membres ne pourront se présenter à un scrutin que 7 ans après la fin de leur mandat.

Il y a un vieux débat sur les avantages entre la désignation des représentants du peuple par le vote ou par le tirage au sort. Peut-être qu’en confrontant ces deux légitimités dans des institutions indépendantes on pourrait cumuler les atouts et minimiser les défauts de ces deux modes de désignation : représentativité impersonnelle contre incarnation non représentative. L’équilibre des pouvoirs, le « check and balance », devient trop souvent la collusion des pouvoirs. Surtout si leur légitimité découle du même mode de désignation, le suffrage universel. La désignation d’une troisième assemblée par tirage au sort permet aussi de briser cette alliance et cette autonomisation des pouvoirs politiques. Et ce premier pas pour le tirage au sort pourrait en appeler d’autres.

… Supervise le pouvoir judiciaire…

Puisque l’idée originale était d’instituer enfin un pouvoir judiciaire vraiment indépendant de l’exécutif, voici tout d’abord, pêle-mêle et rapidement, les différentes missions que remplira cette assemblée pour la justice. Elle agira principalement avec l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Elle a un pouvoir disciplinaire et de gestion des carrières des juges et de véto sur la carrière des procureurs. Accessoirement les procureurs n’ont plus qu’un rôle d’avocat général, toutes les enquêtes d’élucidation et de recherche d’infraction sont supervisées par les juges d’instruction. Elle nomme les membres du Conseil Constitutionnel, du Comité Supérieur de l’Audiovisuel. Elle a un pouvoir de véto sur toute nomination de l’exécutif,… sur les contingents de légion d’honneur par exemple et même les ministres et membres des cabinets. Elle seule peut autoriser le licenciement des salariés protégés et détient le droit de grâce. Elle prévient les conflits d’intérêts et notamment le pantouflage. Elle est compétente pour lever le secret-défense. Elle peut s’autosaisir pour juger tout procès. Elle juge tout procès impliquant un élu. Elle est trésorière des comptes des campagnes électorales nationales voire locales et valide toutes les élections. Elle peut démettre tout élu de son mandat. Elle définit le découpage des circonscriptions électoral. Elle donne un avis sur la politique pénale du gouvernement et peut y opposer un véto avec une majorité des deux tiers qui peut être levé par le parlement avec cette même majorité. Elle est garante du respect de la vie privée : elle a notamment le droit d’abusus sur tous les fichiers nominatifs automatisés publics et privés et elle seule détient ce droit de vie et de mort sur ceux-ci. Elle reçoit copie de tous les rapports de la Cour des Comptes et est propriétaire des archives nationales, voire du patrimoine national. Elle peut être saisie par les lanceurs d’alertes et assure leur protection. Elle peut créer des commissions d’enquête avec les mêmes pouvoirs que les commissions d’enquête parlementaires. Il s’agit là moins d’une concurrence qu’une manière de garantir aussi l’indépendance du parlement : si ce dernier enterre une affaire dans une telle commission, il peut s’attendre à ce que l’assemblée plébéienne mène elle-même sa propre investigation au risque de révéler le scandale et la compromission des parlementaires, alors autant prendre soi-même ses propres responsabilités de contre-pouvoir direct de l’exécutif. Bref on entend bien combien ces prérogatives font écho à une certaine actualité.

Voici donc les principaux rôles de protection des libertés publiques que cette assemblée remplit mais on peut certainement en ajouter d’autres. Elle pourrait aussi pouvoir initier un référendum ou bien désigner le Président de la République : cela mettra fin à la personnalisation du pouvoir que permet la légitimité du suffrage universel direct, sans pour autant faire dépendre son élection de compromis partisans.

… Et le pouvoir financier

Mais cette assemblée plébéienne est aussi la gardienne d’une nouvelle administration : le crédit public. A l’image du corps des magistrats, il est institué un corps de créditeurs publics chargés d’accorder des crédits et des assurances aux personnes physiques et morales, aux entreprises, aux collectivités publiques, françaises et même aussi étrangères. Ce corps administrera aussi les sociétés en redressement judiciaire. A l’image du CSM, un conseil supérieur des créditeurs publics, conseillera l’assemblée plébéienne, collectera et interprétera les données économiques afin de donner une vision la plus complète de la situation économique et financière du pays.

Le gouvernement soumet périodiquement sa politique économique à l’assemblée des citoyens et au parlement. La première a seulement un droit de véto avec une majorité des deux tiers, car le rôle politique d’amendement reste dévolu au parlement. Il est déjà assez compliqué d’obtenir l’accord dans les mêmes termes de deux assemblées, pour ne pas en ajouter une troisième. Dans le cadre de cette discussion qui comprend aussi l’examen du budget de l’État, l’assemblée plébéienne fixe, cette fois-ci toute seule, le montant du déficit du budget qu’elle décide d’accorder au gouvernement et le taux d’intérêt de ce crédit. Donc même si elle n’a pas un droit d’amendement mais un droit de véto radical, le gouvernement aura fort intérêt à se concilier ses faveurs et à ne surtout pas snober ses critiques comme il le fait quand elles émanent d’une opposition impuissante parce que minoritaire. Ce débat et ces pouvoirs obligeront tout gouvernement à définir une vraie politique industrielle, environnementale et sociale, une planification, une « politique de civilisation », et restaurera ses lettres de noblesse au pouvoir politique.

C’en sera fini des promesses reportées et des débats escamotés car les « caisses sont vides » et de l’avenir de la nation subordonnée à la volonté des multinationales qui par leur lobbying orientent l’action du gouvernement dans le sens de leurs intérêts au mépris de l’expression du suffrage universel. Car les limites véritables de notre économie, ne sont pas des limites financières, mais des limites de ressources en matières premières, en savoir, en hommes. Car contrairement aux ménages, l’État n’a pas à inscrire son action à l’intérieur d’une enveloppe budgétaire qu’il subit. L’État n’est pas contraint par ses recettes mais par ses dépenses, c’est-à -dire les missions qu’il se donne. Il est de l’intérêt de ceux qui ne veulent pas payer d’impôt de faire croire l’inverse : autrement dit que l’économie s’impose au politique. La vraie chaîne de causalité est en fait : d’abord définir la politique que l’on veut mener, en déduire son coût et donc les recettes nécessaires, puis en cohérence avec la politique menée définir où trouver ses recettes : en imposant les pauvres, les riches, ou en empruntant.

Comme pour le pouvoir judiciaire l’assemblée a aussi un rôle disciplinaire et de gestion des carrières sur le corps des créditeurs publics. La symétrie est donc quasi parfaite entre les magistrats et les créditeurs publics, quoique ces derniers ne porteraient pas de robe.

La contrainte extérieure européenne et mondiale

Une commission issue de l’assemblée se réunit (secrètement pour éviter toute spéculation) pour fixer le taux de change du… Franc par rapport aux monnaies étrangères… dans le cas où l’Euro n’existerait plus. Mais puisque la nationalisation des banques est autorisée par Maastricht, pourquoi un monopole public et indépendant en matière de création monétaire ne le serait-il pas ? Si la Banque Centrale Européenne peut racheter indirectement les obligations d’État, pourquoi une institution indépendante et publique, qui ne serait pas la Banque de France, ne pourrait-elle pas être l’unique créancier de l’État ? Cette proposition, tout comme les mesures prises par l’UE pour maintenir à flot le radeau ordolibéral européen dans l’océan déchaîné des dettes, ne respectent pas l’esprit du traité de Lisbonne. Pourquoi donc se soucier du respect d’un traité bafoué par ses défenseurs mêmes ? Bafouer Lisbonne est une nécessité pour qui veut seulement surmonter l’impuissance de ce traité, une nécessité pour qui entend éviter toutes ses effets funestes.

Hélas, il paraît que le coût de sortie de l’Euro serait très élevé pour tous les pays européen. Il faudrait donc sauver cet héritage du régime ancien. Dans ce cas, on peut imaginer d’étendre cette proposition de monopole public du crédit soit au niveau européen soit au niveau national dans chaque pays. Ou bien un nouveau traité peut aussi redonner plus de latitude à chacun des États et dans ce cas, si aucun autre pays n’imite la France, toute personne physique et morale européenne ne pourrait que légitimement demander des crédits aux créditeurs publics français en se rendant sur le territoire national. Est-ce que cela ferait de la France un paradis monétaire ? Est-ce compatible avec le maintien du système financier actuel dans les autres pays et en particuliers ceux de la zone Euro ? Les banques étrangères ne hurleraient-elles pas à la mort contre cette concurrence forcée et faussée, alors que bien sûr les paradis fiscaux, les dévaluations compétitives, le dumping environnemental et social de la Chine,… ne sont que de la concurrence libre et loyale. Mais si cette idée a quelque pertinence, elle devra moins vaincre des intérêts puissants que la catatonie de leur mort si on en croit les prophéties de Lordon.

Au niveau international, le système le plus juste pour définir la parité des monnaies serait le bancor de Keynes. Mais tant au niveau mondial qu’européen, à cause d’intérêts partisans et des idéologies dominantes il est tout à fait illusoire d’espérer en cette solution. L’issue de cette crise sera brutale et non pas douce tant les montant des dettes accumulées sont au-delà de toute crédibilité et car la croissance ne reviendra plus. L’issue de cette crise ne sera malheureusement pas solidaire car le FMI, l’OMC, l’UE sont pour la poursuite de la dérégulation et le G20 pour le chacun pour soi. L’alternative est donc simpliste : soit sombrer avec tous les autres dans un monde asservi aux marchés financiers, soit interdire ceux-ci et trouver un système meilleur tant au niveau national pour sortir de la crise, qu’au niveau international pour résister aux pressions extérieures. Le monopole public sur les crédits est clairement une partie de la solution pour la seconde alternative, comme l’armée de conscrits a permis à la France révolutionnaire de résister à l’Europe des monarchies.

Un nouveau corps de fonctionnaire : les créditeurs publics

Les créditeurs publics accordent des crédits par simple création monétaire. Les créditeurs agissent dans le cadre de la loi et de la politique économique soumise par le gouvernement à la nouvelle assemblée. Mais comme les juges, ils sont totalement indépendants pour juger de la validité de chaque demande particulière de crédit, et pour fixer son montant et son taux d’intérêts. En fonction des montants en jeu, ils décideront en collégialité ou seuls.

Les créditeurs publics sont donc un nouveau corps de la fonction publique. Dans un premier temps il comptera tous les employés de banque dont le métier est actuellement d’accorder des crédits aux particuliers et aux entreprises. Puis ils seront issus d’une école nationale où l’entrée se fait par concours. Aux États-Unis, toujours par analogie avec le pouvoir judiciaire, ce pouvoir financier serait constitué de citoyens élus comme le sont déjà le shérif et le juge. Le traitement de ces fonctionnaires ne comptera aucune part indexée sur un quelconque objectif (taux de remboursement, total des montants accordés,…) afin que seule l’utilité sociale du projet soit prise en compte dans son évaluation, et car de toute façon il n’existe aucun critère objectif quantifiable et mesurable de la qualité de leur travail, comme dans bien des métiers d’ailleurs. Les primes au rendement des traders illustrent parfaitement que ce genre d’incitation favorise les prises de risques douteuses de très court-terme qui débouchent sur des catastrophes. A contrario une rémunération fixe permet une prise de distance envers toute pression et rend possible le financement d’activités sociales structurellement déficitaires et de projets de très long terme notamment de recherche fondamentale aux débouchés incertains mais quelquefois révolutionnaires comme ce fut le cas pour Internet.

Un monopole public sur les crédits

Pour remédier au refus des banques actuel d’accorder des crédits car la crise (qu’elles ont pourtant elles-mêmes provoquée) rend tout remboursement très aléatoire, on parle souvent de constituer un pôle bancaire public. Je ne crois pas que ce soit une solution censée car tout ce qui se nationalise se privatise et de fait tout ce qui a été nationalisé a été privatisé… pour le pire. Alors que si on institue un monopole public avec un corps de fonctionnaires indépendants et fiers de leur prérogative, toute volonté de créer une concurrence privée sera bien plus difficile à mettre en oeuvre. Et cela d’autant plus que ces fonctionnaires et l’assemblée plébéienne détiennent les cordons de la bourse, aussi bien celle de l’État que dirigeraient ces élus pro-finance que celle de leurs futurs concurrents privés. Et car une telle restauration signifierait qu’ils auraient failli à leur mission publique. Ce qu’ils seront peu enclins à reconnaître. Et leur résistance pourrait aboutir à une crise de régime. Ce qui est autrement moins gérable qu’une loi de privatisation soumise à un parlement travaillé par les lobbies. Et vu leur nombre, les corrompre avec des promesses de rémunérations très élevées dans le renouveau d’une industrie financière risque de coûter très cher et les fuites inévitables déclencheront bien des scandales.

Cette nationalisation ne consisterait en fait qu’à remplacer un tyran par un autre tyran que l’on espère plus raisonnable alors que sa logique propre est de se détruire dans les mêmes dérives que le système actuel. Si l’on a besoin d’un félin pour chasser des souris, on ne va pas apprivoiser un lion mais adopter un chat. Tous ces grands « machins » trop grands pour faire faillite, n’existent pas pour servir, mais se servir et asservir.

La suppression du marché du crédit tel qu’on le connaît n’est pas une atteinte à la liberté. Tout refus ou accord qui ne satisfait pas le demandeur pourra être réexaminé par un autre agent public. Il n’y a aucune bureaucratie centralisée, d’État dans l’État. Il y a toujours un marché : la demande est libre, seule l’offre est un monopole public. La liberté est dans la décentralisation et l’indépendance des créditeurs publics et surtout dans la liberté d’entreprendre, dans l’initiative privée que ne remettent absolument pas en cause le monopole de la finance publique. Au contraire, il vise à la susciter, à la ressusciter même, pour bâtir le nouveau visage économique du pays. Et la crise des subprimes a montré que la pluralité de l’offre n’était pas une condition suffisante pour éviter l’aliénation (des pauvres), et ce n’est pas non plus une condition nécessaire : le monopole des juges sur la justice, d’EDF, des PTT,… n’ont jamais nuit à la liberté de leurs usagers. Au contraire l’objet social de tous ces monopoles publics est au service des citoyens alors que l’objet social des banques est au service des actionnaires : c’est la « liberté » de ces derniers qu’elles servent aux dépens de leurs clients.

Le financement de l’activité économique par les créditeurs publics sera plus efficient que par les agents du marché financier. Car ceux-ci n’élisent jamais la plus belle fille, mais celle qu’ils croient que les autres trouveront la plus belle comme l’a montré Keynes. Aucune théorie économique, même avec les hypothèses les plus favorables, n’a jamais démontré que l’équilibre trouvé par les marchés financiers était le meilleur. Elles ont tout juste pu démontrer que cet équilibre pouvait exister. Ce qui fait des agents du marché, des particules encore moins « intelligentes » que les particules des gaz qui elles ont toujours une température d’équilibre. Or ici il s’agit en plus non pas de trouver UNE température, mais LA température : celle qui convient le mieux à l’intérêt général. Et puis dans le cas de marchés financiers où l’on achète non pour consommer mais pour revendre avec plus-value, si le marché était capable de déterminer le vrai prix cela signifierait que toute plus-value serait impossible et donc cela n’aurait aucun intérêt pour les spéculateurs. Ceux-ci ne se rendent sur ces marchés que parce que les prix y sont donc faux et donc cela signifie que la société n’a aucun intérêt à se baser sur ces marchés et qu’il vaut donc mieux s’en passer et les interdire.

Les créditeurs publics ne sont pas en concurrence entre eux, ils décideront en leur âme et conscience, sur dossier, de « la plus belle fille ». Leur indépendance vis-à -vis des intérêts politiques et économique garantit qu’un projet sera jugé sur sa valeur intrinsèque par rapport à l’intérêt général. Là où on n’avait que conformisme, panurgisme, on aura désormais une vraie diversité avec un foisonnement d’initiatives. La science économique promeut la concurrence, car elle permettrait de faire triompher le meilleur, mais dans le monde néolibéral, où la concurrence consiste à tuer les plus faibles pour constituer des oligopoles rentiers, ce n’est pas le meilleur qui gagne mais le plus fort voire le plus mauvais au sens moral du terme. La concurrence qui peut permettre de faire émerger le meilleur ne peut être que dans un cadre apaisé où chacun survit et s’adapte car l’information circule librement, notamment celle qui a permis à certains de réussir. Parce que le pouvoir financier est public, les brevets deviennent aussi illégitimes et contre-nature que le secret en sciences.

L’arbitrage personnel des créditeurs publics ne fausse aucunement la concurrence ou la compétitivité des entreprises car celles-ci sont toujours relatives à un cadre technologique, environnemental, légal et notamment comptable, donnés. C’est cet environnement qui détermine quelles sont les entreprises viables et c’est à l’intérieur de ce champ des possibles que s’exerce dans un second temps l’habileté des chefs d’entreprises et des salariés. Il n’y a pas de critère de compétitivité ou de rentabilité absolue. L’arrivé des créditeurs publics a donc un impact structurel et global et non pas particulier.

De même cela ne fausse nullement les prix, car il n’y a aucun prix naturel : le prix de toute chose est déterminé par le choix politique de la manière de vivre que nous voulons. Le rapport entre le prix d’une voiture, d’un pain, d’un loyer, d’un salaire,… n’est pas naturel. A tout moment des lois, des subventions,… interviennent qui ont une influence déterminante sur le prix de vente de ces produits. Le financement public de l’économie va certainement changer nombre de ces rapports, mais cela est tout à fait normal, car c’est ainsi que l’on verra que l’on change de mode de vie.

Instituer un monopole public à la source de toute activité marchande, faire dépendre la sphère marchande de la sphère publique, c’est restaurer au pouvoir politique, au pourvoir démocratique sa place : la première, celle qui oriente la société. On montre que le marchand ne peut jamais exister sans le public, que ses critères de rentabilité ne sont pas premiers, ni objectifs. Alors on pourra détruire le mythe du PIB comme l’alpha et l’oméga de toute politique car ce dernier ne valorise que la production marchande. Dans une démocratie il y a autant d’indicateurs que d’objectifs que se fixe le gouvernement et le seul indicatif synthétique est le résultat électoral. Mais si on doit juger une politique sur un unique indicateur synthétique, pourquoi ne pas prendre l’espérance de vie sur la consommation d’énergie primaire intérieure et importée par unité de superficie du pays. La consommation d’énergie primaire importée étant évaluée par le produit du montant des importations par l’efficacité énergétique du pays producteur. Le numérateur synthétise la qualité de vie, le dénominateur son coût.

Accorder un crédit par création monétaire est ce que les économistes appellent un bien public. Au même titre que les connaissances, que l’air ou l’eau, c’est un bien essentiel et dont l’usage par l’un n’empêche pas l’autre d’en jouir aussi. Certes dans un deuxième temps, quand les emprunteurs vont dépenser leur argent sur les marchés, ils seront en concurrence, mais pas lors de ce premier temps. Et justement qui d’autre qu’un agent impartial est apte à juger de celui qu’il vaut mieux financer lors de cette étape. Puisque la création monétaire est un bien public, il est de l’essence de l’État de le fournir.

Les banques sont démantelées

Dans ce nouveau cadre le rôle des banques actuelles se réduit donc à fournir des moyens de paiement et de gestion des comptes. Elles deviennent ainsi des prestataires de services aussi anodins que des opérateurs de téléphonie, des magasins,… Pour arriver à ce stade une loi pourrait imposer leur partition en trois entités : une « bad bank » où leurs actionnaires actuels pourront s’entre-tuer, des guichets, franchisés dans un réseau ou bien indépendants ou bien fusionnés dans un service public à l’image de la Poste, qui gèrent les comptes et enfin un réseau d’agences qui accorde les crédits et qui sera seul nationalisé pour former le nouveau corps des créditeurs publics.

En cas de faillite des guichets, l’argent déposé n’est pas perdu, car ils n’en sont pas propriétaires. Tout comme un garde-meuble qui fait faillite n’est pas propriétaire des biens dont il avait la garde. Pour l’épargne il est institué un seul livret dont les taux d’intérêts dégressifs en fonction de son capital sont fixés par l’assemblée plébéienne. Ces intérêts n’ont aucun adossement : ils sont versés périodiquement sur les comptes gérés par les guichets par simple création monétaire.

Seules les banques mutuelles sont encore autorisées, épargnées, c’est-à -dire qu’elles peuvent accorder des crédits et des personnes peuvent y apporter leur épargne contre rémunération. Elles doivent néanmoins remplir des conditions très strictes. Elles doivent être à but non lucratif, prêter à des termes supérieurs à celui des dépôts et pour des montants inférieurs à ceux-ci. Elles doivent informer tous leurs épargnants des montants et de l’identité des emprunteurs. Tout crédit accordé l’est dans un but bien précis. Ce but ne peut être que l’acquisition d’un bien ou service pour le long terme ou définitivement si son usage implique sa destruction. Ces banques ne peuvent pas se refinancer auprès d’autres banques ou institutions financières ce qui élimine tout risque systémique. En cas de faillite l’argent placé peut être perdu, car il n’y a pas de préteur de dernier ressort. Leur taille sera limitée… avant tout par l’épargne disponible.

Cette exception n’est justifiée que comme la reconnaissante du rôle bénéfique que continuent de jouer les banques coopératives comme la NEF dans la crise actuelle. C’est-à -dire que le rôle des banques privées est de constituer un contre-pouvoir économique à la politique menée par le gouvernement, l’assemblée plébéienne et les créditeurs publics. Malgré l’indépendance et la multitude des créditeurs publics, il peut encore être intéressant de garder cette alternative privée aux pouvoirs publics. Elles deviennent l’expression d’un devoir civique, celui d’un citoyen qui veut financer une action qu’il estime mal financée par le secteur public, qui veut offrir une alternative indépendante à un service public, qui veut s’investir dans la politique dans ce cadre de l’orientation de l’activité économique. C’est là un moyen de placer son argent autrement plus intéressant que le boursicotage, car on n’est plus un petit actionnaire impuissant qui surfe sur les variations de cours en espérant à chaque fois attraper une vague ascendante, mais un investisseur qui doit évaluer la qualité d’un projet.

La Banque de France, symbole de l’ancien régime monétaire, Bastille de l’oligarchie financière, impitoyable envers le pauvre et si prodigue envers les riches, est dissoute. Le ministère de l’économie reprend l’activité de fabrication des pièces et des billets et de leur approvisionnement auprès des guichets.

Pour un citoyen ou une entreprise lambda, leurs comptes sont toujours gérés dans une agence, il n’y a plus qu’un seul livret réglementé, s’ils veulent un crédit ils devront s’adresser à une banque d’affaire ou à un créditeur public. Donc ce système ne bouleverse aucunement leurs habitudes et manières de penser.

Un monopole public sur l’assurance

Les créditeurs publics sont également assureurs de tout risque selon des conditions définies par la loi et adaptées à chaque cas lors de la déclaration par l’assuré du risque dont il souhaite être garanti. L’assuré n’a pas besoin de cotiser pour être couvert. L’assurance des créditeurs publics couvre les accidents, les aléas naturels, les risques de variations de cours des monnaies et des prix notamment des matières premières et de l’énergie. Elle pourrait couvrir aussi la santé, le chômage, la retraite, la perte de revenus.

Une simple déclaration préalable et si un accident automobile survient on est remboursé selon un barème public, avec franchise bien sûr. Une simple déclaration préalable et à la livraison de la commande on est remboursé de la différence des cours entre la date de déclaration et la date de paiement. Et si les cours ont en fait baissé, pas besoin de rembourser : cela n’encouragera pas la spéculation, car que ferait un spéculateur de tonnes d’un produit dont il n’a aucun usage. Cela ne provoquera pas non plus d’inflation de second tour car si la marchandise livrée est moins cher, cela signifie que le volume de production a été plus important que prévu et qu’il faudrait donc un supplément de masse monétaire pour l’acheter, supplément qui correspond exactement à la variation des cours. Mais si l’offre est moindre, les prix ne tendront pas vers l’infini pour autant, tout comme ils n’explosent pas actuellement quand le shorteur en est de sa poche : le créditeur public fixera des limites à la hausse qu’il compensera, comme tout bon spéculateur.

Mais si l’on croit à l’importance du signal prix, ne faut-il pas plutôt interdire ce genre de couverture ? Car celles-ci permettent à l’acheteur de reporter le coût d’une défaillance de l’offre sur un tiers, ce qui lui permet de faire comme si cette défaillance n’avait pas lieu. Et s’il faut se prémunir de la volatilité des cours n’est-ce pas surtout car celle-ci est exacerbée et souhaitée par les spéculateurs ? En fait il n’y a qu’une solution à la stabilité des prix à terme : une politique agricole et industrielle volontariste de l’État.

Tout cet argent qui servaient à se prémunir d’un risque et que l’on retire intégralement des marchés financiers va retrouver une vraie utilité économique : baisse des prix, augmentation des salaires, de l’investissement et des impôts qui pourront ainsi encore plus orienter l’économie par leur effet de dissuasion, bien connu avec les taxes sur le tabac.

Comme les banques, les compagnies d’assurances seront donc démantelées, les fonds, douteux, restent aux actionnaires, le réseau se reconvertit dans la gestion des comptes et le personnel est fonctionnarisé en créditeurs publics.

Même le marché des actions pourrait disparaître

Et si une loi oblige à convertir toutes les actions en obligations, les créditeurs publics devenant la seule source de financement de l’économie, alors on n’a plus besoin d’aucun marché financier. Les sociétés anonymes deviendraient des personnes morales, des sortes d’associations de loi 1901 à but lucratif, dirigées et contrôlées par leurs salariés mais aussi par tout tiers à qui la loi peut reconnaître un intérêt légitime : collectivités locales, clients, ONG,… Mais peut-on encore parler de but lucratif quand il n’y a plus d’actionnaires ?

Si les explications de la crise actuelle ne se focalisent pas sur le marché des actions, il a néanmoins largement prouvé son inefficacité. Les actionnaires sont sensés apporter des capitaux, mais via les dividendes ils coûtent bien plus chers qu’ils ne rapportent. Les opérateurs de ce marché sont aussi sensés via leur ordre d’achat et de vente déterminer le juste prix d’une action. Mais l’histoire de ce marché montre, par ses nombreuses crises, qu’en fait ce n’est jamais le cas : les opérateurs achètent et vendent suivant le sens de la foule. En fait pour déterminer la vraie valeur d’une action il faudrait connaître des informations très précises sur la société. Précises au point que cela constituerait un délit d’initié, ce qui est assez paradoxal ! Délit d’initié que font quotidiennement les banquiers d’affaires et les grands capitalistes avec la complicité des administrations chargés de les contrôler comme l’a illustré l’affaire EADS sur les retards de l’A380.

Lire la seconde et dernière partie

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Histoire de ta bêtise
François Bégaudeau
PREFACE D’abord comme il se doit j’ai pensé à ma gueule. Quand en novembre les Gilets jaunes sont apparus pile au moment où Histoire de ta bêtise venait de partir à l’imprimerie, j’ai d’abord craint pour le livre. J’ai croisé deux fois les doigts : une première fois pour que ce mouvement capote vite et ne change rien à la carte politique que le livre parcourt ; une second fois pour que, tant qu’à durer, il n’aille pas jusqu’à dégager Macron et sa garde macronienne. Pas avant le 23 janvier 2019, date de (...)
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Yevgeny Yevtushenko

Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
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Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
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Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
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