Folie électorale (à l’américaine)

Nous mobiliser contre tout obstacle à la vie, à la liberté, à la recherche du bonheur

Le Parti Démocrate n’a rompu avec son conservatisme historique, sa complaisance envers les riches, sa prédilection pour la guerre que quand il a rencontré en face de lui la rébellion d’en bas, comme dans les années 30 et 60. Nous ne devons pas nous attendre à ce qu’une victoire dans les urnes en novembre commence à libérer le pays de ses deux maladies fondamentales : l’avidité du capitalisme et le militarisme. C’est pour cela que nous devons nous libérer de la folie électorale qui emporte toute la société, y compris la gauche.

En Floride, il y a un homme qui m’écrit depuis des années (dix pages manuscrites) sans que je ne l’aie jamais rencontré. Il me raconte les différents travaux qu’il a faits, vigile, technicien réparateur, etc. Il a fait toutes sortes de travaux postés, nuit et jour, en arrivant à peine à entretenir sa famille. Ses lettres ont toujours été pleines de rage, elle pestent contre notre système capitaliste qui ne garantit pas aux travailleurs « la vie, la liberté, la recherche du bonheur ». Aujourd’hui justement j’ai reçu une lettre de lui. Heureusement elle n’était pas manuscrite, maintenant il se sert d’Internet : « Voila, aujourd’hui je vous écris parce que ce pays est pris dans une situation désastreuse que je ne peux pas accepter, je dois dire quelque chose là -dessus. Je suis vraiment furieux de cette crise des crédits. Ca me fout en l’air que la majorité des américains doive passer sa vie dans une situation d’endettement perpétuel, et que tant d’entre eux soient en train d’être ensevelis sous ce poids. P… , ça me fout en l’air. Aujourd’hui j’ai travaillé comme vigile et mon boulot était de surveiller une maison qui a été saisie et sera vendue aux enchères. Ils ont ouvert la maison aux visiteurs, et moi j’étais là pour monter la garde pendant la visite. Dans le même quartier il y avait trois autres vigiles qui faisaient la même chose, dans trois autres maisons. Pendant les moments creux je m’asseyais et je me demandais qui étaient ces gens qui avaient été expulsés, et où ils étaient maintenant ».

Ce même jour où j’ai reçu cette lettre, le Boston Globe a publié un article intitulé « Des milliers de maisons saisies dans le Massachusetts en 2007 ». Le sous titre disait : « on a réquisitionné 7563 maisons, presque le triple de 2006 ». Quelques soirs plus tôt, Cbs avait déclaré que 750.000 personnes infirmes attendaient depuis des années leurs allocations de prévoyance sociale parce que le système était insuffisamment financé et qu’il n’y avait pas assez de personnel pour traiter toutes les requêtes, même les plus graves.

Ce genre d’histoire est rapporté par les médias, mais elles disparaissent instantanément. Ce qui ne disparaît pas, ce qui occupe la presse jour après jour, impossible de l’ignorer, c’est la frénésie électorale.
Ca, ça passionne le pays tous les quatre ans parce que nous sommes élevés pour croire que voter est fondamental pour déterminer notre destin ; que l’acte le plus important qu’un citoyen puisse accomplir c’est de se rendre aux urnes pour choisir une des deux médiocrités qui ont déjà été choisies pour nous. C’est un test à choix multiples tellement limité, tellement spécieux qu’aucun enseignant qui aurait le moindre respect pour lui-même ne le donnerait à ses étudiants.

Et c’est triste de le dire, le défi présidentiel a hypnotisé de la même façon les libéraux et les radicaux. Nous sommes tous vulnérables.

Est-il possible ces jours ci de voir des amis en évitant ce thème des élections présidentielles ?

Ces personnes même qui devraient être les plus averties, ayant critiqué l’emprise des médias sur la mentalité nationale, se retrouvent paralysées par la presse, scotchées à la télé, pendant que les candidats décochent oeillades et sourires en proposant une marée de clichés avec une solennité qui tient du poème épique.

Même dans nos soi-disant périodiques de gauche, il faut reconnaître qu’une quantité exorbitante d’attention est consacrée à l’examen minutieux des principaux candidats.

0n jette à l’occasion un os à ronger aux candidats mineurs, même si tout le monde sait que notre merveilleux système politique démocratique les laissera dehors.

Non, je ne suis pas en train de prendre une position d’ultra-gauche selon laquelle les élections seraient totalement insignifiantes, et que nous devrions refuser de voter pour préserver la pureté de notre moralité. Oui, il y a des candidats qui sont un peu mieux que les autres, et dans certaines périodes de crise nationale (les années 30, par exemple, ou aujourd’hui) même une légère différence entre les deux partis peut être une question de vie ou de mort.

Je suis en train de parler d’un sens des proportions qui a disparu de la folie électorale. Soutiendrais-je un candidat contre un autre ? Oui, pendant deux minutes : le temps qu’il faut pour abaisser le levier dans une cabine électorale.

Mais avant et après ces deux minutes, notre temps, notre énergie, nous devrions les employer à instruire, mobiliser, organiser nos concitoyens sur leur poste de travail, dan notre quartier, dans les écoles. Notre objectif devrait être construire, laborieusement, patiemment mais énergiquement, un mouvement qui, une fois que nous aurions atteint une certaine masse critique, puisse secouer qui que ce soit à la Maison Blanche, au Congrès, en imposant le changement de politique nationale sur les questions de la guerre et de la justice sociale. Souvenons-nous que même quand il y a un candidat « meilleur » (oui, mieux Roosevelt que Hoover, mieux n’importe qui que Georges Bush), cette différence ne signifiera rien à moins que le pouvoir du peuple ne s’affirme en des modes que l’occupant de la Maison Blanche aura du mal à ignorer.

Les politiques sans précédents du New Deal - prévoyance sociale, assurance chômage, créations d’emplois, salaire minimum, subventions pour le logement- ne furent pas simplement le résultat du progressisme de Roosevelt. L’Administration Roosevelt, dès son installation, trouva face à elle une nation en ébullition. La dernière année de l’Administration Hoover avait vu la rébellion du Bonus Army : des milliers de vétérans de la première guerre mondiale avaient marché sur Washington avec leurs familles pour demander de l’aide au Congrès, parce que leurs familles crevaient de faim. Des manifestations de chômeurs eurent lieu à Detroit, Chicago, Boston, New York, Seattle.
En 1934, au début de la présidence Roosevelt, il y eut des grèves dans tout le pays, y compris une grève générale à Minneapolis, une grève générale à San Francisco., des centaines de milliers de gens qui croisèrent les bras dans les industries textiles du Sud. Dans tout le pays on assista à la naissance des conseils de chômeurs. Les gens, désespérés, se mobilisèrent, de façon autonome, en imposant à la police de remettre à leur place les meubles des locataires expulsés, et en créant des organisations d’aide mutuelle avec des centaines de milliers de membres. Sans une urgence nationale -destitution et rébellion économique- l’Administration Roosevelt aurait peiné à décider ces réformes courageuses.

Aujourd’hui, nous pouvons être sûrs que le Parti Démocrate, à moins de se trouver devant une mobilisation populaire, ne quittera pas le centre. Les deux principaux candidats à la présidence ont été clairs : s’ils sont élus ils n’arrêteront pas la guerre en Irak immédiatement, et ils n’institueront pas un système d’assistance sanitaire gratuite pour tous. Ils n’offrent pas de changement radical par rapport au statu quo.
Ils ne proposent pas ce que le désespoir actuel de la population demande désespérément : la garantie de la part du gouvernement d’un poste de travail pour tous ceux qui en ont besoin, un revenu minimum pour toute famille, une aide pour tous ceux qui risquent l’expulsion ou la saisie.

Ils ne suggèrent pas les coupes radicales dans les dépenses militaires ou les changements radicaux dans le système fiscal qui libèrerait des milliards, et même des trillions, pour les destiner aux programmes sociaux afin de transformer notre mode de vie.

Rien de tout cela ne doit nous étonner. Le Parti Démocrate n’a rompu avec son conservatisme historique, sa complaisance envers les riches, sa prédilection pour la guerre que quand il a rencontré en face de lui la rébellion d’en bas, comme dans les années 30 et 60. Nous ne devons pas nous attendre à ce qu’une victoire dans les urnes en novembre commence à libérer le pays de ses deux maladies fondamentales : l’avidité du capitalisme et le militarisme. C’est pour cela que nous devons nous libérer de la folie électorale qui emporte toute la société, y compris la gauche.

Oui, deux minutes. Avant, et après, nous devons nous mobiliser personnellement contre tous les obstacles à la vie, à la liberté, et à la recherche du bonheur.

Par exemple, les saisies qui arrachent des millions de personnes à leurs maisons devraient nous rappeler une situation semblable qui eut lieu après la guerre révolutionnaire, quand les petits agriculteurs (comme aujourd’hui nombre de nos SDF) ne pouvaient pas se permettre de payer les impôts et furent menacés de perdre leur terre, leur foyer. Ils se rassemblèrent par milliers autour des tribunaux et empêchèrent le déroulement des ventes aux enchères.

Aujourd’hui, l’expulsion des gens qui n’arrivent pas à payer leur loyer devrait nous rappeler ce que firent les gens dans les années 30, quand ils se mobilisèrent et remirent les affaires des familles expulsées dans leurs appartements, en défiant les autorités.

Historiquement le gouvernement, qu’il fut dans les mains des républicains ou des démocrates, des libéraux ou des conservateurs, a failli à ses propres responsabilités, jusqu’à ce qu’il n’y soit obligé par la mobilisation directe : sit-in et freedom rides pour les droits des noirs, grèves et boycotts pour les droits des travailleurs, rébellions et désertions des soldats pour arrêter la guerre. Voter est un geste facile et d’utilité marginale, mais c’est un pauvre ersatz de la démocratie, qui requiert la mobilisation directe des citoyens engagés.

(Traduit de l’anglais à l’italien par Maria Impallomeni)

« The progressive magazine ».

Howard Zinn est l’auteur de «  Une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours  » traduit de l’américain par Frédéric Cotton, Editions Agone.

Edition de jeudi 28 février 2008 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

Traduit de la version italienne par Marie-Ange Patrizio

COMMENTAIRES  

01/03/2008 17:27 par Rosay.

Comme depuis la nuit des temps, arrivé à l’extrême ,il faut se bouger le cul .
Pas encore nouveau sous le soleil .(voir la bible).
Partageant l’avis de l’exposé de ce monsieur des Amériques,la solution ???c’est la Contestation permanente ,mais jusqu’où ???
Dur dur de se rendre compte des inepties des systèmes économiques ,sans pouvoir faire bouger les lignes !!!
Faut-il recréer les tributs ??? je ne crois pas,savoir et se convaincre que chacun d’entre nous devra se battre toute sa vie durant contre un ennemi commun et invisible .
Salut et Fraternité.Amitiés Sociales. Rosay.

01/03/2008 18:01 par Anonyme

comment pourrions nous faire un appel à la" grève generale mondiale" tous les salariés sont dans la même galère.

01/03/2008 18:36 par Zlotzky

Bravo pour cet article lucide. J’ai terminé il y a peu le passionnant ouvrage d’Howard Zinn, "une histoire populaire des Etats-Unis", un incunable que chaque américain (et même les autres) devrait avoir lu pour se remettre les idées en place...

02/03/2008 09:42 par Anonyme

Ouvrez un dico à la page "incunable", ça vous évitera d"écrire des âneries

15/05/2008 21:44 par Zlotzky

Cher monsieur sachez que le mot incunable est souvent utilisé en littérarure ou dans le langage courant dans une acception extensive ou métaphorique. Pour être plus direct cela revient à dire que l’ouvrage de Zinn peut-être considéré comme une sorte de Bible. Mutatis mutandis, cela va sans dire.

Hi-han !

01/03/2008 19:33 par Anonyme

Pourriez-vous ajouter le lien vers l’article original ?

http://www.zcommunications.org/znet/viewArticle/16590

Merci et bravo pour votre site.

02/03/2008 09:40 par vladimir

en complement d’ "une histoire populaire des Etats-Unis" :

ETATS-UNIS : Un homme sur cent est derrière les barreaux

NOUVELOBS.COM | 29.02.2008 | 17:45

C’est le pays qui détient la plus importante population carcérale au monde, avec un jeune Noir sur neuf en prison et un Hispanique sur 36.

Selon un rapport publié jeudi 28 février, plus d’un adulte sur 100 se trouve actuellement en prison aux Etats-Unis, pays qui détient la plus importante population carcérale au monde, avec un jeune Noir sur neuf en prison.
Sur une population adulte de 230 millions de personnes, la population carcérale y a augmenté l’an dernier de 25.000 personnes et s’élevait à quelque 2,3 millions de personnes, soit le taux le plus élevé dans l’histoire américaine, selon le Pew Center (un centre de recherche indépendant basé à Washington).

Statistiques frappantes

Les statistiques sont particulièrement frappantes parmi les minorités : alors qu’un adulte blanc sur 106 est incarcéré, c’est un Hispanique sur 36 et un Noir sur 15 qui sont en prison.
Toujours selon le Pew, la population carcérale féminine "progresse d’une manière beaucoup plus rapide" que celle des hommes. Une femme sur 265, entre 35 et 39 ans, se trouve en prison, mais les femmes appartenant à des minorités sont placées en détention en plus grand nombre que chez les femmes blanches.
Le rapport indique que davantage qu’une augmentation de la criminalité, c’est un durcissement de la loi, avec notamment des mesures augmentant nettement la durée d’incarcération pour les récidives, qui aurait fait exploser la population carcérale.
Malgré l’augmentation de la population carcérale, le taux de récidivistes reste relativement stable avec environ la moitié des détenus libérés retournant en prison dans les trois ans suivant leur libération, indique encore le document.

Pas de résultats "convaincants"

L’étude souligne que l’augmentation de la population carcérale oblige les autorités locales de chaque Etat américain à des choix budgétaires draconiens.
Adam Gelb, du Pew Center, indique dans un communiqué qu’"en dépit de tout l’argent déversé dans le système pénitentiaire aujourd’hui, il n’y a pas eu de résultats clairs et convaincants concernant la sécurité publique".
La pression économique a conduit certains Etats à changer leur politique et à trouver d’autres moyens d’empêcher les délinquants peu dangereux de récidiver, comme des travaux d’intérêt général ou des systèmes de surveillance électronique, ajoute le rapport. Susan Urahn, une directrice du centre de recherche, explique que "certains responsables politiques expérimentent tout un éventail de sanctions qui sont aussi efficaces que l’incarcération pour protéger la sécurité publique et permettent aux Etats de mettre un frein à l’explosion de la population carcérale".

Chine et Russie

Par comparaison, la Chine, avec une population de plus d’un milliard de personnes arrive en deuxième position avec 1,5 million de prisonniers, suivie de la Russie avec 890.000 personnes détenues, précise le rapport.

http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20080229.OBS2795/un_homme_sur_cent_est_derriere_les_barreaux.html

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