Le suicide ordinaire à France Télécom

Un grand auteur anglais écrivant à l’époque des totalitarismes estimait que l’individu ressemblait à une guêpe sectionnée en deux, à qui le moi pensant et ressentant avait échappé.

Depuis quelques dizaines d’années, l’école a, à son corps défendant, coupé l’homme de sa conscience, de son histoire individuelle, de l’Histoire qui se fait. La fin des humanités - diminution des cours de français, d’histoire, de latin - fige l’humain dans l’immédiateté, empêche le retour sur soi, le recul, mais aussi la projection vers l’avant. Il devient très difficile de percevoir les conséquences à terme de chaque acte politique posé par la classe dominante. On a pu observer que les universitaires dans leur majorité n’ont pas compris que chaque petit bout de loi, chaque petit bout de décret les concernant visait à privatiser l’Université et à les transformer en marchandises dans le vaste marché concurrentiel de la " connaissance " .

Un peu d’histoire :

En 1988, pour répondre à une directive européenne (donc hors du champ démocratique et politique français), la direction générale des télécommunications (une administration) devient France Télécom. En 1991, France Télécom est assujettie aux règles de droit commercial et non plus administratif, avant de devenir société anonyme, l’État conservant 51% du capital. Pas question de privatisation, juré-craché. A partir de 1997, l’actionnariat privé prend progressivement le contrôle de l’entreprise (73% actuellement). A l’occasion de la requalification de la dette, France Télécom doit rembourser, de 2002 à 2005, entre 5 et 15 milliards d’euros annuellement. Le cours de l’action plonge à 7 euros en 2002 alors qu’il était à 219 euros en 2000 (elle est à moins de 20 euros aujourd’hui).

Les résultats de la privatisation furent catastrophiques, l’entreprise se lançant dans des investissements excessivement hasardeux. En 2001 et 2002, FT perdit près de 30 milliards d’euros. De 2006 à 2008, en revanche, elle accumula près de 15 milliards de bénéfices. Pour le grand bonheur des actionnaires. Au détriment des travailleurs, mais aussi des clients. Cela dit, l’endettement financier net de FT fin 2008 s’élevait encore à 38 milliards d’euros.

Ces bouleversements furent systématiquement accompagnés par la CFDT. Chez les militants CGT, la lucidité ne fut pas toujours au rendez-vous. Dans un centre du Sud-Ouest que je connais bien, sur 150 salariés, une poignée seulement refusa de prendre des actions FT. Parmi ceux qui se laissèrent tenter par l’aventure capitalistique, on comptait des membres de la CGT.

Depuis que la privatisation est effective, l’entreprise ne recrute plus de fonctionnaires. Ceux-ci sont désormais moins de 80000. Les autres travailleurs sont recrutés en CDI dans le droit - fluctuant - des pays où France Télécom est implantée. Ils subissent par conséquent un moins disant social particulièrement rude.

Les suicides à France Télécom ne datent malheureusement pas d’hier. Pour s’informer pleinement sur la question, on pourra lire le livre de Dominique Decèze La machine à broyer : de France Télécom à Orange ; quand les privatisations tuent (publié en 2008), ou encore l’ouvrage de Christophe Dejours et Florence Bègue, Suicide et travail : que faire ?

La dernière personne qui s’est suicidée dans les locaux de FT l’a fait au cours d’une réunion. La question est : que peut-il bien se passer dans ces réunions ? L’entreprise peut, par exemple, décider, parce qu’elle est à court d’espèces sonnantes et trébuchantes pour ses actionnaires, de vendre tel local important et de rester dans ce même local dont elle était propriétaire, mais cette fois-ci à titre de locataire. Elle peut également décider, toujours au cours de ce type de réunion psychodrame, de changer de poste des travailleurs qui donnaient parfaitement satisfaction là où ils étaient (14000 mutations entre 2006 et 2008). Entre 2000 et 2002, 57 salariés se sont suicidés. Vous en souvenez-vous ? Jean-Pierre Pernaut fit systématiquement de ces drames l’ouverture de son JT de 13 heures ! Cette année, nous en sommes à 23. Une suicidée de l’été dernier notait dans sa lettre d’adieu que FT était la seule cause de son suicide : « Urgence permanente, surcharge de travail, absence de formation, désorganisation totale de l’entreprise. Management par la terreur ! » Si les mots ont un sens, et ils en ont un, nous sommes là en plein fascisme.

Pour terminer, j’évoquerai la situation d’un de mes proches, employé de France Télécom depuis près de trente ans, qui ne s’est pas suicidé mais qui vit depuis bientôt dix ans un véritable calvaire. Je le ferai, on le comprendra, avec les précautions d’usage.

Il avait 45 ans lorsque survint la privatisation effective de l’entreprise qu’il prit comme une véritable trahison. Militant CGT depuis toujours, il s’efforça de résister. Le rouleau compresseur patronal, le rapport de forces ne lui permirent que des actions symboliques. Ainsi, durant les réunions, il s’obstinait à parler d’usagers et non de clients. A cette forte tête, on apprit donc la vie. On commença par placer au-dessus de lui son subordonné immédiat, qui plus est plutôt incompétent. Technicien d’intervention sur le terrain, il se vit dépouiller de sa voiture de service. Puis, de son téléphone portable. Après quelques mois durant lesquels il se demanda si tout cela était du lard ou du cochon, on le confina dans un minuscule bureau, sans téléphone, sans ordinateur, sans rideau. Chaque jour, pendant plusieurs mois, on lui confia les deux mêmes missions : aller chercher à la machine à café une boisson pour son supérieur. Il finit naturellement par craquer, d’autant qu’à la même période, lui qui était humilié, méprisé et dévalorisé, voyait ses enfants démarrer brillamment dans la vie professionnelle. Il est depuis en congé psychiatrique. Je n’ai pas eu le courage de lui demander ce qu’il percevait en salaire ou indemnité.

Ce n’est pas faire preuve de poujadisme que de dire que les sommes d’argent considérables empochées par François Bon, Thierry Breton et les grands actionnaires de l’entreprise ont une relation dialectique pleine et entière avec les défenestrations de victimes broyées et l’existence misérable menée par des dizaines de milliers de travailleurs.

Bernard GENSANE

COMMENTAIRES  

15/09/2009 10:55 par Anonyme

bonjour monsieur ;votre texte me replonge dans une realite que j’ai connue ,j’etais a la POSTE ,syndique cgt,avec mes collegues FT ,l’on s’est battu comme des lions malgre qu’ une grande partie des agents FT avaient abandonnes leurs anciens statuts qui les protegeaient,on a tout fait pour que ces derniers comprennent qu’ils allaient entrer dans un systeme de privatisation ,la loi QUILLES en dessinait dejâ les contours ;malheureusement beaucoup d’agents se sont fait pieger par les offres d’action(sûrement par necessite !) ;une minorite ont resiste ,mais les directions deFT ont utilise le rouleau compresseur broyant les agents dans leurs propres intimites ;et a l’epoque ,peu de Français croyait a cette dûre realite,nous a la Poste on voyait nos anciens collegues deprimes dangeureusement,et avec le peu d’agents que l’on etaient on essayaient de lutter ,mais les armes n’etaient pas les même et surtout le mepris des directions qui recretaient
des jeunes loups affames de pouvoir et en face une minorite des derniers mohicans.aujourd’hui les memes scenaris se reproduisent a la Poste ,et tout cela malgre nos recours reussis au Conseil d’Etat ;pour l’instant a ma connaissance il n’a pas encore et heureusement de suicides de postiers ! ;ma femme travaillait comme aide soignante en hopital ,elle ausssi cegetste et la meme destruction s’y produit ;tout cela n’est que la consequence des directives europeennes de ’Accord General du Commerce des Services ,et
bien des elus ont laisse faire ;beaucoup de Français n’ont pas preter attention a ces directives et je craint que les belles decisions du GLORIEUX CONSEIL NATIONAL DE LA RESISTANCE qui avaient ete etablies pour une societe plus equitable sont en train d’etre sacrifiees sur l’autel des profits financiers d’une minorite ;essayont d’esperer que cela ce termine !
gege54

15/09/2009 11:14 par GerFaut

Oui, moi aussi votre texte me replonge dans la tragédie que j’ai vécue puisque mon épouse, salariée de FT s’est suicidée en 2007. Elle n’a pas accusé FT directement mais, à ses dires j’ai soupçonné fortement cette entreprise (mutation, pression de la hiérarchie, mise en concurrence injuste et probablement remise en cause de ses compétences...) d’être pour une part dans sa décision. Elle est tombée en dépression et s’est suicidée ce 17 mars 2007.

15/09/2009 14:46 par sytre

Michel ... Michel Bon ;-)

Vous êtes l’un des seuls à parler des suicidés pré-2008
Hé oui, le phénomène n’est pas nouveau. Mais je pensais que cela avait été passé sous silence
Hors si Pernot (oui encore que ... parce que Pernot tout de même ...) en a parlé, pourquoi cela ne touche-t-il qu’aujourd’hui les médias et l’ensemble de l’opinion française ?
La crise est passée par là  ? on découvre les travers du libéralisme et de la dictature du marché ?

15/09/2009 19:51 par alain girard

Si les mots ont un sens, et ils en ont un, nous sommes là en plein fascisme.
curieuse comparaison, le fascisme, pardonnez-moi, c’est autre chose et c’est bien pire encore....30millions de soviétiques ne pourront jamais en témoigner.
Nous sommes confrontés dans une multitude d’entreprises dont les dirigeants ont une seule variable d’ajustement : la masse salariale.
Dire que cela est conforté par une concurrence exacerbée, qui oppose le travailleur européen à celui du reste du monde et vice versa.Nous sommes passés d’entreprises à gestions paternalistes à celles des killers issus de grandes écoles, formatés pour ajuster, limer, rogner jusqu’à la moelle le salarié, jusqu’ à la liquidation des biens.
Dire que la diminution des cours et la non perception des conséquences par le monde enseignant fige l’humain etc est, à mon sens, accorder un bien grand pouvoir au monde enseignat et une bien lourde responsabilité...
Pour ma part étant salarié je n’ai jamais connu d’époque où l’école redressait les méfaits d’un système dont il est quand même opportun de rappeler qu’il repose sur l’exploitation d’hommes par d’autres hommes.
L’école, l’université ne sont , ne peuvent être à l’abri de la société, de ses traits dominants, des lois qu’elle édicte pour protéger la classe dominante, la bourgeoisie monopoliste.
Des femmes et des hommes meurent, souffrent au travail, se sacrifient pour lui puis en fin pour payer les traites et le reste.
Totalement déshumanisée la société capitaliste empêtrée dans sa crise durable, profonde, masquée un temps par le triomphe de la contre révolution à l’Est, démontre que le capital et le travail sont inconciliables.
Il arrive, certes que des militants de la CGT cèdent mais comme dit Fidel, l’essentiel sont ceux qui restent, ceux qui n’ont pas soutenu la privatisation oeuvre d’un gouvernement à direction social démocrate, injustement oubliée dans cet article.
Agir et voter contre la privatisation de la poste c’est agir et voter pour que le mal ne s’étende déjà pas à l’autre fleuron du service aux usagers.
La solidarité doit se révéler exemplaire, aussi en direction de tous les militants sanctionnés ces derniers mois, à Edf, dans le privé.
En cassant les métiers, les conventions collectives, les services, en externalisant, en délocalisant, en déqualifiant,en méprisant, tous les ingrédients sont réunis pour zombifier le salarié, un nouveau taylorisme avec une classe ouvrière morcelée, éparpillée, privée de ses repères et organisations de classe.
De là , ceux qui n’ont plus rien à perdre que leurs chaînes doivent collectivement trouver un nouveau chemin de résistance, en sachant comme le fait à sa dimension l’Amérique latine, inventer sa propre voie.
Le mouvement ouvrier et le mouvement syndical ont ces lourdes responsabilités, parviendront ils à abattre le capital si chacun demeure à son poste, celui où l’on crève...

Pour en terminer l’idée de totalitarismes qui assimile nazisme et communisme me laisse un goût étrange et j’ai bien du mal à faire le lien entre la société soviétique et France Télécom.
Un célèbre écrivain anglais en additionnant les deux parvint à résister à Londres en partageant ses tickets de rationenement, acte glorieux s’il en est...Pendant ce temps Guy Möquet, Manouchian...
Salut et fraternité

16/09/2009 08:49 par Bernard Gensane

Mon ironie était un peu lourdingue. Il va de soi que Jean-Pierre Pernaut n’a jamais parlé de ces suicides ou des accidents du travail en général.

En mai 2009, le Monde Diplomatique a publié un article trèsintéressant sur FT :
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/05/BENILDE/17072

Le Diplo vient, par ailleurs de publier cette note sur son site internet :

Travailler tue

De gré ou de force… les restructurations, chez France Telecom, sont menées tambour battant : 22 000 suppressions en trois ans et des suicides en cascade - vingt-trois en dix huit mois. « Un phénomène de contagion », a expliqué le président-directeur général du groupe, Didier Lombard, droit dans ses bottes. Pas un mot de regret. Et ce ne sont pas les agitations verbales de M . Xavier Darcos qui changeront les objectifs du groupe privatisé par la grâce de la majorité parlementaire.

France Telecom n’est pas le seul à pratiquer ces politiques inhumaines qui font craquer les salariés, les rendent malades - au sens propre du terme - les poussent à prendre la porte ou même à attenter à leurs jours. Renault, EDF, de grandes banques ont été également sous le feu de l’actualité pour cause de suicides en chaîne, les salariés ne pouvant répondre aux objectifs fixés autoritairement par des managers les yeux rivés sur la courbe des profits. Il est vrai que Mme Parisot, présidente du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) a trouvé une explication, la réduction du temps de travail (RTT). « Je suis persuadée, a-t-elle expliqué, que les 35 heures ont eu aussi un rôle dans l’aggravation de la pression ces dernières années. » Epidémie (comme la grippe H1N1), RTT… le patronat refuse de remettre en cause ses choix économiques et de management. Pourtant le stress au travail est devenu l’une des causes majeures de maladie. Et si l’on parle régulièrement des drames dans les grandes entreprises où les syndicats sont actifs, ils ne sont pas moins nombreux dans les petites et moyennes entreprises où les salariés se retrouvent souvent seuls.

22/09/2009 23:14 par Anonyme

Merci de si bien décrire et si bien comprendre ce que je vis. Je fais partie de ceux qui ont refusé de prendre des actions. Je ne pensais cependant pas que je ferai partie de ceux qui envisagent de mettre fin à leur souffrance et au deni qu’ils subissent en coupant le fil de la vie. Je résiste mais jusqu’à quand ? Vous lire me fait du bien : quelqu’un comprend et exprime.

01/10/2009 10:44 par pierre

bonour,mon prenom est pierre,asistant social de metier,je suis aujourd’hui psychotherapeute famililal,de par mon parcours et mon vecu je suis specialisé sur la depression,jusque juin 2009 j’etais aussi militant cfdt et j’ai accompagné des collegues contre le harcelement moral...je ressens l’appel a proposer mes services aux emplyée de FT mais comme dit bernard gensane FT est un systeme qui broit les employes...au debut je pensais joindre la drh et peut etre me faire embaucher mais je pense que les empoyés ne me feront pas confiance...l’avantage aurait pu etre les consultations gratuites pour le personnel...d’un autre je dois peut etre proposer mes services directement aux employés et au syndicat...qu’en pensez vous ?c’est la compassion et le désir de guerir qui guide mes pas et non l’argent...mais comme tout travail il doit etre remunéré...je suis pret a donner de mon temps et le meilleur de moi meme si mon cadre de travail est clair...j’aime cette belle phrase:un jeune travailleur ou travailleuse vaut plus que tout l’or du monde...pierre...amitiés...au plaisir de vous lire....n’hesitez pas a me donner vos reactions notamment le personnel de FT...

20/10/2010 15:03 par Anonyme

La situation explosive au sein de France Télécom est désormais connue de tous car elle a été fortement relayée par les médias, mais en réalité le malaise est ancien et les suicides ont eu lieu au même rythme depuis plusieurs années, seule la médiatisation autour de cette affaire est récente.
La généralisation des pressions dans l’entreprise, ce véritable "mangement par la terreur" érigé en mode de gestion pour écoeurer les gens et les pousser vers la sortie, afin d’obtenir le plus grand nombre de démissions possibles (ou de suicides ...), est un choix délibéré qui revient à faire un plan social sans débourser le moindre centime.
N’’importe quelle autre entreprise privée confrontée à des sureffectifs aurait eu recours à un plan social, plutôt que de mettre en oeuvre ces méthodes abjectes affectant la totalité du personnel ; oui seulement voilà France Télécom n’est pas une entreprise comme une autre.
Pour comprendre ce qui se passe, il suffit tout simplement de se poser la question à l’envers : qui dit plan social dit licenciements, or comment des prétendus " fonctionnaires" avec comme corollaire la garantie de l’emploi, auraient ils pu faire l’objet de licenciements économiques ??? ....
Voilà bien le coeur du débat ....
La mise en place de plans sociaux obligerait à dévoiler le pot aux roses et à avouer à ces soi-disant « fonctionnaires » de France Télécom et par symétrie à ces soi-disant « fonctionnaires » de La Poste qui ils sont en réalité (des salariés de droit privé depuis belle lurette…), or personne n’ose leur dire précisément, cela risquerait de mettre le feu aux poudres, et puis surtout cela reviendrait à dire que les politiques et les syndicats collabos (vecteurs de la réforme) leur ont menti depuis des années pour obtenir leur assentiment...

Vous rendez vous compte, ce serait, reconnaitre que le statut sur mesure et mirifique propre à France Télécom et à La Poste, créé dans le cadre de la réforme des PTT (introduite par la loi du 2 Juillet 1990), présenté jadis comme la panacée pour faire face aux défis de l’avenir, car il devait permettre d’affronter la concurrence tout en garantissant la sécurité de l’emploi avec des rémunérations plus attractives (en somme le meilleur des deux mondes " public" et "privé"), n’était finalement qu’un leurre ! ...

En réalité la réforme des PTT menée depuis 1990, n’avait d’autre but que de « délester » sournoisement l’Etat-employeur de ses serviteurs affectés à un service marchand (pour se préparer à l’ouverture à la concurrence du secteur programmée par Bruxelles), tandis que parallèlement la jeune société anonyme France Télécom s’efforçait pour sa part de réduire ses effectifs importants de salariés (ex fonctionnaires de l’Etat), sans pour autant procéder à des plans sociaux (bien qu’elle aurait pu le faire depuis longtemps dans l’absolu), car le dilemme à gérer, c’est qu’il fallait en même temps entretenir la supercherie et faire croire au plus grand nombre et le plus longtemps possible, à un statut préservé de « fonctionnaire », afin que le seul et unique bénéficiaire dans l’histoire, c’est à dire l’Etat français, puisse (via France Télécom et via La Poste) engranger toujours plus de signatures (par appât du gain, par lassitude ou par peur de représailles) entrainant la perte du statut initial.

Dans un contexte aussi tortueux, explosif (et sensible politiquement), et sans pour autant se faire l’avocat du diable, il faut reconnaître que l’entreprise privée, tiraillée entre ses actionnaires et l’Etat qui la bride, n’avait pas véritablement d’autre alternative pour réduire ses effectifs.

Alors évidemment le jour où la réalité économique l’emporte sur la volonté de maintenir un "écran de fumée" en interne pour rassurer des crédules et /ou des incultes, et quand il faut tailler dans le "gras des effectifs" pour assurer la pérennité de la société dont la période de prospérité est bien finie, alors que la plupart se croient encore protégés par un statut bidon, il y a comme une incompréhension et un profond malaise qui s’installent chez le personnel avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui ...

Ce qui n’est jamais dit en revanche, c’est que les méthodes décriées aujourd’hui ont d’abord été employées à l’encontre des fonctionnaires titulaires des PTT qui ont toujours refusé, comme la loi les y autorisait, d’opter pour le statut (dépouillé) spécifique aux exploitants France Télécom et La Poste, et qu’il fallait donc préalablement contraindre ces opposants au système à démissionner de leur statut protecteur. Ceux là ont été les « précurseurs » des méthodes répressives qui s’inscrivent dans le même objectif global qui consiste à pousser les gens vers la sortie par tous les moyens, quelque soit leur statut. C’est seulement quand ces pionniers de la résistance ont été réduits à une « quantité négligeable », qu’il a fallu ensuite s’attaquer au gros des troupes ; à savoir les fameux « fonctionnaires de France Télécom » avec leur statut atypique qui est en fait une coquille vide si bien que ce terme fallacieux revêt à peu près la même signification que de parler de « fonctionnaires de DARTY » ou de « fonctionnaires de CARREFOUR »…

Pour leur part, les fonctionnaires PTT qui ont refusé le changement de statut, auraient du être rapatriés dans le giron de l’Etat lors de la privatisation de l’entreprise. Ils y sont au contraire abandonnés et transformés en otages, exclus, marginalisés, spoliés de tous leurs droits et embarqués dans des procès interminables, tandis que l’Etat se lèche les babines car son objectif premier a été atteint : en misant sur la durée et le déni de droit, la plupart de ces fonctionnaires de l’Etat titulaires de l’ex administration des PTT sont tombés sous les pressions tant psychologiques que financières perpétrées en toute impunité par leur hôte la société anonyme FT SA. En réalité, c’est l’Etat qui viole délibérément et durablement ses propres lois et sa propre Constitution pour parvenir à ses fins, cela lui a permis de faire l’économie d’une loi impopulaire et couteuse de dégagement des cadres (seul moyen légal pour licencier des fonctionnaires de l’Etat moyennant indemnisation). C’est bien l’Etat et lui seul, le grand gagnant dans cette histoire sordide, même si on peut dire qu’à son tour, la SA France Télécom suit le même chemin avec son personnel propre, puisqu’en l’espèce, elle fait tout autant l’économie de plans sociaux pour se débarrasser de ses sureffectifs, en privilégiant le harcèlement pour pousser à la démission plutôt que de recourir à des licenciements économiques.

Avec de telles méthodes : mensonges, tromperie, appât du gain, corruption, répression, harcèlement, sanctions, privation de ressources… il sera facile de prétendre que cette réforme reposait sur un processus démocratique et qu’elle était basée sur le principe du libre volontariat, alors que cela s’apparente à des pratiques dignes des méthodes NAZIS…

Il ne faut pas se tromper de cible, France Télécom n’est qu’un instrument, en réalité, c’est l’Etat qui est derrière tout ça, qui donne le tempo, qui a laissé faire (car il y avait son propre intérêt), qui est responsable et qui feint de s’émouvoir d’une situation dramatique qu’il a lui-même créée car il est l’instigateur de cet imbroglio machiavélique.

Ce même Etat a beau jeu aujourd’hui de se dédouaner sur France Télécom , de focaliser sur une période récente (le plan NEXT), et de montrer du doigt la gestion d’un seul homme (Lombard), alors qu’en réalité tout ce gâchis humain est la conséquence d’un dol, de désinformations, de paradoxes, d’un déni de droit délibérément entretenu et d’un consensus politique qui durent depuis 20 ans.

Voilà la face cachée de l’iceberg, voilà ce qu’on ne dit jamais, et pourtant elles sont là les véritables causes du malaise actuel avec ses conséquences désastreuses …

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