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Preneurs d’otages d’Europe, soulevez-vous !

En plus de trente ans de régime "démocratique" l’Espagne n’avait jamais eu recours à l’état d’urgence. C’est désormais chose faite depuis le weekend du 4 décembre 2010. Surpris par une « grève sauvage » des contrôleurs aériens, comme le titrent les journaux, le vendredi 3 décembre, le pays a vu l’ensemble de son espace aérien totalement fermé. Rapidement plusieurs compagnies aériennes, comme Iberia ou Ryanair, ont décidé de supprimer l’ensemble de ses vols jusqu’à dimanche dans la matinée.

Soumis depuis plusieurs mois à un conflit contre le gouvernement "socialiste" de Zapatero face à une progressive privatisation de leur métier, les contrôleurs aériens ont déposé massivement des "arrêts maladie" en ce début de weekend de grands départs. Vers 17h l’aéroport de Madrid-Barajas est affecté par le mouvement de protestation, puis est suivi par ceux des Canaries et des Baléares. En réponse, le régime se surpasse et fait appel à l’armée. Le samedi 4 décembre, à partir de 13h, l’état d’urgence est établi sur l’ensemble du pays.

Les contrôleurs aériens passent désormais du statut de « civil » à celui de « militaire », ils sont "mobilisés" . Situation qui n’est pas sans rappeler les mesures prises à l’encontre des grévistes des raffineries lors du conflit social sur les retraites en France, en octobre. Tout comme dans l’Hexagone, c’est l’ensemble de l’armada médiatique qui s’est mise en marche en Espagne afin de discréditer le mouvement de protestation des contrôleurs aériens. Le vendredi 3 décembre, le quotidien El Pais annonce en Une : « La Défense assume le contrôle du trafique aérien en Espagne pour freiner le chaos » (1). Même qualificatif pour l’ABC pour qui « les contrôleurs aériens sèment le chaos » (2).

Il ne s’agit pas d’une "grève" , mais, selon El Pais, d’un « abandon massif et abusif de la part des contrôleurs aériens de leur poste de travail » (3). L’immobilisation de près de 600.000 passagers dans l’ensemble du pays, l’annulation de la quasi-totalité des vols va fournir au pouvoir l’occasion d’exploiter la nouvelle stratégie sémantique pour dénoncer cette grève qui consiste à présenter ses acteurs comme des « preneurs d’otages ». Stratégie qui nous est maintenant devenu si familière en France, presque redondante. Relayé par l’ABC, le ministre de la relance, José Blanco déclare : « Nous n’allons pas permettre ce chantage qui utilise comme otages les citoyens » (4). Le quotidien El Mundo retranscrit, le samedi 4 décembre, les propos de Rafael Simancas, également membre du PSOE (parti socialiste), pour qui « l’Exécutif à dit ça suffit aux privilèges intolérables, ça suffit aux chantages permanents avec les citoyens pour otages, et ça suffit à cette attitude criminelle de ceux qui mettent en échec tout un pays et son économie pour les forcer à avaler leur revendications inapplicables » (5). Oui, car pour ceux pour qui l’auraient oublié, tous les grévistes sont désormais des « privilégiés » aux yeux du pouvoir. Toujours selon R.Simancas, nouveau sans-culotte, les contrôleurs aériens voudraient continuer à bénéficier de salaires pouvant atteindre jusqu’à 1 millions d’euros par an pour moins de 10 heures de travail hebdomadaire et partir à la retraite à 52 ans ! (6). « Mais qui contrôle le trafique aérien en Espagne, Cristiano Ronaldo ou quoi ? » ironisait le présentateur comique Andreu Buenafuente sur son programme télévisuelle (7) face aux déclarations répétées sur le salaire des contrôleurs aériens.

Sur son site internet, la chaîne de radio Cadena Ser, a relevé les témoignages laissés sur la toile de divers employés des tours de contrôle. Parmi eux, Cristina Anton, reviens sur la grève et, surtout, sur ses conditions de travail : « On m’a obligé à travailler 200 heures par mois, durant des tours du matin, après-midi et nuit. Et pour l’abruti qui prétend que je travaille 40 heures par semaine comme tout le monde, ça, ça fait 160 » (8) ; quant à son salaire elle affirme ne même pas gagner la moitié de 200.000 euros par an. Dès lors le salaire du contrôleur est devenu un enjeu d’information, chacun y allant de sa propre musique, comme si la légitimité d’une grève reposait sur celui-ci. Selon le site d’information du journal La Vanguardia, le salaire moyen rôderait autour de 334 000 euros par an (9), mais sur le site Finanzzas.com, la retranscription d’une enquête sur l’un des aéroport relève que le salaire moyen oscille entre 135 000 et 240 000 euros par an (10). Tous citent qu’il s’agit là du salaire fixe auquel s’ajoute un important nombre de primes délivrées sur divers critères, notamment d’heures supplémentaires. Quel que soit le salaire d’un employé du contrôle aérien la tactique gouvernementale reste la même : la division des travailleurs.

Pour l’ABC il s’agit carrément d’un « bras de fer que ce collectif (les contrôleurs aériens) a voulu maintenir contre tous les Espagnols » ! (11) Très proche des gens, semble-t-il, le journal s’inquiète d’un mouvement qui, selon lui, « laisse des cicatrices, de la douleur et de l’indignation à plus de 600.000 voyageurs » (12). Mais ce dernier n’est pas le seul quotidien qui se découvre une inquiétude pour le quotidien des travailleurs, El Pais, devenu tribune du peuple et des opprimés, publie un article dont le titre résume bien la condamnation : « Etat d’alerte, les victimes du chaos, Denise Guerra, professeure mexicaine en stage, "J’ai perdu mon emploi à cause de ne pas pouvoir voyager"  » (13). Le contenu, une description du parcours de la femme et sa famille lors des troubles provoqués par la grève, ne manque pas d’ironie : « Cette famille méxicaine compare ces vacances (en Espagne) avec celles passées en Chine il y a deux ans. Ils affirment que, malgré le fait de ne pas parler la langue, il a été plus facile de se faire comprendre à Pékin qu’à l’aéroport de Barajas » (14). Pour notre "journaliste" du quotidien, pas de doute, depuis cette grève «  l’image de l’Espagne s’est sérieusement détériorée » (15). Allons bon ! Qu’il se rassure, Christine Lagarde s’était déjà elle-même inquiétée de l’image de la France à l’étranger durant les grèves de l’automne 2010 (16). A ce rythme là , la honte retombera sur les derniers à descendre dans la rue.

Aveuglés par la colère immédiate de se retrouver bloqué suite à la grève, combien d’Espagnols saisissent-ils l’horizon qui se dessine pour l’ensemble des travailleurs de la péninsule ? La militarisation de l’espace aérien et la "mobilisation" des contrôleurs est avant tout une atteinte complète au droit de grève, le premier d’une telle ampleur depuis la mort du dictateur Francisco Franco en 1975. En deux jours, le trafique aérien reprend son cours normal grâce aux menaces de peines de prison et au zèle de certains Guardia Civil soucieux d’accompagner les grévistes jusqu’à leurs postes, revolver en main (17).

Bien décidé à mettre au pas les grévistes et en faire un exemple, le gouvernement Zapatero, de la bouche du ministre José Blanco, affirme : « Maintenant il est temps de rendre justice, le comportement hautement irresponsable des contrôleurs ne peut rester impuni » (18). A cette soif de "justice" s’ajoute la rancune d’une poignée d’hystériques irrités à l’idée qu’on ait pu oser ainsi défier l’ensemble du pouvoir politique et économique, inquiets que de pareils exemples, déjà trop présents sur l’ensemble de l’Europe, ne répandent idées et désirs dans les têtes des autres travailleurs. Le quotidien El Pais s’assure de passer le message par le biais d’un certain José Manuel Gonzalez-Posada, médecin, qui déclare : « J’espère qu’aucun des contrôleurs aériens ou un membre de leur famille n’ira dans un hôpital et qu’on lui dise qu’on ne peut s’occuper de lui (...) A cause de la crise on nous a baissé le salaire et d’autres acquis, mais jamais, jamais, je n’ai pensé à abandonner mes obligations envers les patients » (19). En clair, jamais, mais alors jamais, JAMAIS faire grève, même (ou surtout) s’il s’agit de défendre ses conditions de travail.

Soucieux de répandre ses connaissances historiques, le quotidien ABC n’a pas hésité à rappeler, dès le deuxième jour du conflit, que face à une grève similaire en 1981, le président Ronald Reagan s’était illustré en jetant à la rue près de 12.000 contrôleurs aériens. Information annoncé sous le titre de « Reagan n’a pas eu la main tremblante face à la grève des contrôleurs » (20). A noter l’omission du « lui, au moins » amplement sous-entendu.

Ainsi la liberté de jouir du service rendu du côté du consommateur serait plus importante que la liberté de se défendre du côté du producteur. Comme si l’ensemble des gens étaient déconnectés les uns des autres, il faudrait donc que ceux qui luttent ne "dérangent" pas les autres, qu’ils n’entravent pas le bon déroulement du quotidien. Qu’ils fassent grève, d’accord, mais qu’ils travaillent.

En ce qui concerne l’Espagne, l’état a franchi un cap irréversible. L’intervention de l’armée pour briser la grève est désormais inscrite dans la mémoire collective, comme une entrée forcée dans les moeurs, elle est dès lors "désacralisée" . Si l’opposition de (l’autre) gauche laisse cette action sans réponses, l’oligarchie aura gagné une importante bataille. Elle pourra maintenant faire appel aux bottes noires pour n’importe quel mouvement d’arrêt de travail sous prétexte de "libérer" les usagers d’une quelconque "prise d’otage" . Le défunt petit Caudillo peut dormir tranquille, la tête posé sur les charniers de républicains. Il ne pouvait pas rêvé de meilleure "démocratie" que celle-ci.

Loïc Ramirez

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