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Sarkozy et les fantômes de mai 68

Rédaction : un texte - qui date de Juin 2007 - pour commémorer un si joli mois de Mai.

Bernard Kouchner : Toubib médiatique de "l’intervention humanitaire"

Dans le dernier grand discours de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy lança une étrange attaque contre Mai 1968. "Mai 68 nous avait imposé le relativisme intellectuel et moral," déclara-t-il. Les héritiers de Mai 1968 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il n’y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal, le vrai et le faux, le beau et le laid. "L’héritage de mai 1968 a introduit le cynisme dans la société et dans la politique."

Sarkozy a même tenu l’héritage de Mai 68 responsable de l’affaiblissement de la morale du capitalisme, du "culte de l’argent roi, du profit à court terme, de la spéculation", des "dérives du capitalisme financier" … et finalement du "capitalisme sans scrupule des parachutes en or, des retraites chapeaux, des patrons voyous".

Cela signifie-t-il que le nouveau président se prépare à ramener la France à sa bonne vieille morale d’avant Mai 68 ? Certainement pas. Nicolas Sarkozy, qui en mai 68 était un adolescent apolitique accro à la télé dans un milieu bourgeois épouvanté par le désordre dans la rue, est lui-même un héritier exemplaire de ce Mai 68 ambigu qu’il fustigea dans sa diatribe électorale.

Mai 1968 fut une explosion sociale qui finit par entraîner la France dans sa version à elle de la phase contemporaine du développement de l’Occident. Quelles qu’aient été les intentions ou les illusions des acteurs de ces événements, l’aspect le plus extraordinaire de Mai 68 fut l’impact à travers les média. L’enseignement le plus fertile fut la découverte du pouvoir extraordinaire des images médiatiques. Personne n’a plus profité de cette leçon que Nicolas Sarkozy.

Parmi toutes les contradictions qui traversaient le soulèvement du Mai 68 français, la plus fondamentale fut celle qui opposa le Parti Communiste discipliné aux étudiants radicaux. La découverte par les étudiants de leur capacité à faire trembler les structures mêmes de l’état créa l’illusion largement répandue d’une révolution imminente. Alors que sept millions de travailleurs faisaient grève, le Parti Communiste usa de son influence pour orienter la grève vers un compromis avec le gouvernement paniqué de De Gaulle. Que leur révolution ait été ou non une illusion, la génération de Mai 68 accusa le Parti Communiste de l’avoir trahie en échange de simples augmentations de salaires et quelques avantages sociaux. Ainsi l’anticommunisme constitue une partie significative de l’héritage idéologique de la génération de Mai 68.

Une tendance ouvriériste des soixante-huitards tenta de porter la révolution dans les usines. Une autre tendance se tourna vers les média, avec plus de succès. Le centre de gravité de la "révolution" se déplaça de la classe ouvrière et de la libération du tiers-monde vers des combats plus personnels qui concernaient les classes moyennes et une "nouvelle gauche" centrée sur la libération sexuelle, l’affirmation identitaire, l’écologie et les droits de l’homme.

La nouvelle Droite s’empare de l’ancienne Nouvelle Gauche

Au cours des premiers jours de son mandat présidentiel, Nicolas Sarkozy a démontré que les valeurs de la nouvelle gauche étaient parfaitement compatibles avec la Droite moderne. Sarkozy s’est saisi de ces "valeurs" et les a confisquées.

La parité hommes/femmes. Sarkozy a composé un gouvernement où siègent huit hommes et sept femmes. Des femmes occupent deux postes importants du domaine de la sécurité, ceux de la Justice et de l’Intérieur. En Occident, la droite et la gauche s’accordent sur l’égalité des femmes.

L’écologie. Les questions d’environnement ont passé d’un ministère alibi, au maigre budget, au nouveau Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, sous la direction de l’ancien premier ministre Alain Juppé. Ceci risque de porter le coup de grâce au parti des Verts, déjà en crise après ses résultats médiocres à l’élection présidentielle. La reconnaissance générale du phénomène de réchauffement climatique et de ses dangers, loin d’avoir renforcé les Verts, leur a tiré le tapis sous les pieds, du moins pour le moment. Le nouveau gouvernement va adopter des mesures fiscales en faveur de l’environnement dans l’espoir de relancer l’économie, par contraste avec les projets restrictifs prônés par les Verts, souvent rébarbatifs car perçus comme impliquant une réduction de la consommation et de la croissance, et donc une baisse du niveau de vie.

L’égalité ethnique et raciale. Sarkozy a nommé Rachida Dati, 41 ans, fille d’immigrés maghrébins, comme ministre de la justice. Ce choix s’accorde avec sa volonté d’introduire une politique de "discrimination positive" en faveur des minorités ethniques, sur le modèle nord-américain de "l’action affirmative" . Le père marocain de Mme Dati travaillait en usine et sa mère est algérienne. Cette dame photogénique est chargée de mettre en oeuvre le programme de Sarkozy pour durcir la répression de la criminalité, surtout parmi les jeunes dans les banlieues dont elle est originaire.

Droits de l’Homme. Cette dernière est de loin la plus dangereusement ambiguë des "valeurs" récupérées par Sarkozy à la nouvelle gauche. En choisissant Bernard Kouchner comme Ministre des Affaires Etrangères, Sarkozy a abandonné le "réalisme" pour le remplacer par "l’intervention humanitaire" comme socle de la politique étrangère de la France.

La bonne nouvelle est que le monde a tellement changé que même la droite se réclame de telles causes progressistes.

La mauvaise nouvelle est que les valeurs universellement acceptées, de par leur nature même, peuvent être employées dans toutes sortes de buts, et même comme prétextes pour opprimer ou faire la guerre.

Kouchner : de la médecine aux medias

Présenter la nomination de Kouchner comme une généreuse "ouverture à gauche" constitue la farce la plus amère que Sarkozy ait jouée au Parti Socialiste. Si le Parti Socialiste Français se retrouve dans l’embarras, il ne peut que s’en prendre à lui-même. A cause de la popularité médiatique de Kouchner, les Socialistes l’ont laissé utiliser le parti pour sa promotion personnelle, même si son "socialisme" à lui a consisté à leur conseiller de laisser tomber complètement le socialisme. Une fois élu au Parlement Européen sur une liste Socialiste, il s’en alla rejoindre un autre groupe parlementaire, les Radicaux de Gauche. Kouchner n’est pas "passé à droite" : il y est déjà depuis trente ans mais le Parti Socialiste était trop opportuniste pour y prêter attention. Mai 68 fut probablement la dernière fois où Kouchner était réellement de gauche, mais depuis il a toujours vécu sur cette réputation en tant que membre à part entière de l’élite médiatique connue sous le nom de "gauche caviar".

En Mai 68, Kouchner se jeta dans la mêlée politique en tant que dirigeant de grève à la faculté de médecine de l’Université de Paris. Son opposition au système fut de courte durée. Quatre mois plus tard, il rejoignit une équipe médicale organisée par le gouvernement français pour apporter une aide humanitaire à l’éphémère république sécessionniste du Biafra. La mission médicale était le côté humanitaire d’une opération clandestine de la France qui apportait en même temps une aide militaire aux rebelles du Biafra. Ces derniers réclamaient l’indépendance de cette région du sud-est du Nigeria qui se trouve être aussi la région des vastes réserves de pétrole du pays.

En mai 1967, suite à une escalade du conflit entre des officiers de l’armée Nigérienne appartenant au groupe ethnique chrétien Igbo (ou Ibo) et les Hausas musulmans, les dirigeants Igbo proclamèrent l’indépendance de la République du Biafra. Une guerre civile sanglante s’ensuivit. Le Biafra reçut l’aide et le soutien militaire clandestin de la France, de l’Afrique du Sud, du Portugal et d’Israel. L’armée nigérienne, armée par la Grande Bretagne et l’Union Soviétique, réussit à imposer un blocus économique et à affamer le Biafra jusqu’à sa soumission. Au mois de janvier 1970, la résistance Igbo s’effondra et la région riche en pétrole fût réintégrée au Nigeria.

Kouchner passa rapidement de la médecine à la propagande. De retour à Paris en 1969, il coopéra avec les services secrets français pour fonder un Comité contre le "génocide au Biafra". Les civils du Biafra ont certainement souffert d’une famine terrible, mais l’emploi du terme de "génocide" sert un objectif politique en présentant un conflit territorial comme une agression unilatérale destinée à exterminer une population.

L’utilisation des missions humanitaires pour provoquer une sympathie internationale en faveur d’une des parties en conflit marqua une rupture avec la tradition de la Croix Rouge Internationale qui consiste à maintenir une neutralité stricte dans les conflits afin de pouvoir intervenir dans les zones de combat. Au mois de décembre 1971, treize médecins qui avaient travaillé au Biafra quittèrent la Croix Rouge pour fonder Médecins Sans Frontières (MSF). Kouchner fût celui des cofondateurs qui, à partir de là , se dédia le plus assidûment au travail de publicité.

A l’origine, devant l’impact des comparaisons faites avec le génocide nazi de la Deuxième Guerre Mondiale, cette nouvelle approche fut bien accueillie et perçue comme plus morale que l’ancienne méthode discrète appliquée par la Croix Rouge. Le problème est que tout cela repose sur deux présomptions douteuses. La première est la présomption que dans chaque conflit il y a des "bons" qui sont les victimes et des "méchants" qui veulent les exterminer. La deuxième est qu’une intervention de l’Occident, agitée par les média, peut résoudre ces problèmes par la force. Petit à petit, l’école de pensée "réaliste" qui émettait des réserves sur ces présomptions fut discréditée et qualifiée d’immorale.

La tragédie du Biafra fixa les règles du scénario. Une ou plusieurs puissances occidentales soutiennent une sécession minoritaire. Le régime en place réprime brutalement les rebelles, d’autant plus qu’il soupçonne les occidentaux de vouloir exploiter la situation pour contrôler un territoire ou s’emparer des ressources. Les ONG sonnent l’alarme et les photographes envoient aux médias occidentaux des images insoutenables sur les souffrances humaines. Les humanitaires occidentaux qualifient la tragédie de "génocide" et appellent à une intervention militaire. Que l’intervention ait lieu ou non, les populations concernées continuent d’être les victimes de haines réciproques qui ne sont qu’exacerbées par la dramatisation médiatique.

Tout au long des années 70, une décennie pendant laquelle toute une série de groupuscules d’extrême gauche s’épuisèrent, préparant le terrain à une offensive anticommuniste globale menée par les "nouveaux philosophes", Kouchner découvrait l’utilité politique du journalisme de catastrophe. Le sommet fut atteint en 1979 lorsqu’il se joignit aux nouveaux philosophes dans un geste humanitaire ostentatoire appelé "un bateau pour le Vietnam". En attirant l’attention des média sur les "boat people" vietnamiens qui fuyaient la misère économique d’un pays ravagé par une guerre, les humanitaires français ne firent pas grand chose pour soulager la souffrance des Vietnamiens. Mais ils avaient trouvé un moyen acceptable pour dénoncer ce qu’ils appelaient "le goulag vietnamien", écartant ainsi toute sympathie pour le mouvement de libération du Vietnam qui avait gagné l’admiration du monde entier par sa résistance à la guerre menée par les Etats-Unis. En ignorant le facteur des difficultés économiques provoquées par des années de bombardements US, cette action fut une étape importante dans la redéfinition de la "gauche", uniquement préoccupée et activement engagée dans la défense des "droits de l’homme", en dehors de tout contexte. Ce n’est pas vraiment un hasard si tout cela a coïncidé avec la campagne des "droits de l’homme" menée par le Président Carter et Zbigniew Brzezinski et destinée à rasseoir l’autorité morale des Etats-Unis après le désastre du Vietnam.

Entre temps, l’exploitation par Kouchner de son rôle de cofondateur de Médecins Sans Frontières et du filon humanitaire au service de sa propagande provoqua une importante scission au sein de l’organisation. Kouchner quitta MSF pour créer une organisation rivale, Médecins du Monde, qui poursuivit la ligne de Kouchner en prônant "l’intervention humanitaire", y compris les interventions militaires.

En janvier et février 1993, Médecins du Monde dépensa quelques deux millions de dollars dans une campagne publicitaire, dont 300.000 affiches et des spots télévisés avec Jane Birkin et Michel Piccoli, avec l’objectif d’assimiler le président serbe Slobodan Milosevic à Hitler et les camps de prisonniers tenus par les Serbes en Bosnie aux camps d’extermination nazis.

Cette campagne de publicité était truffée de mensonges. Mais à l’évidence, sur l’échelle de valeurs Kouchnerienne, le zèle moralisateur prime sur la vérité. C’est le dirigeant des musulmans bosniaques, Alija Izetbegovic, qui eut en premier l’idée d’assimiler les camps de prisonniers serbes en Bosnie à des camps d’extermination nazis. En 2003, Kouchner rendit visite à Izetbegovic sur son lit de mort. L’échange suivant eut lieu, (racontée par Kouchner dans son livre "Les Guerriers de la Paix", Paris, Grasset, 2004, pages 373-374), en présence de Richard Holbrooke :

Kouchner : "Vous souvenez-vous de la visite du président Mitterrand ? Au cours de l’entretien vous avez évoqué l’existence en Bosnie de "camps d’extermination’. Vous l’avez répété devant les journalistes. Cela a provoqué un émoi considérable à travers le monde. François Mitterrand m’a envoyé à Omarska et nous avons ouvert d’autres prisons. C’étaient d’horribles lieux, mais on n’y exterminait pas systématiquement. Le saviez-vous ?"

Izetbegovic : "Oui. Je pensais que mes révélations pourraient précipiter les bombardements. J’ai vu la réaction des Français et des autres... je m’étais trompé. Oui, j’ai essayé, mais l’affirmation était fausse. Il n’y avait pas de camps d’extermination, quelle que fût l’horreur des lieux."

Kouchner conclut : "La conversation était magnifique, cet homme au bord de la mort ne nous cachait rien de son rôle historique. Richard et moi lui avons exprimé notre immense admiration... ."

Aux yeux de Kouchner, le fait qu’un "rôle historique" soit basé sur un mensonge ne provoque qu’admiration. Les guerres de désintégration de la Yougoslavie furent l’occasion idéale pour mettre en pratique ce qui était désormais devenu sa marque de fabrique, sa doctrine "d’intervention humanitaire". Cela coïncidait à merveille avec la nécessité qu’avaient les Etats-Unis de fournir à l’OTAN une nouvelle doctrine post-guerre froide afin que l’alliance militaire puisse survivre et s’étendre. La doctrine entra en pleine application au mois de mars 1999, lorsque l’OTAN déclencha une campagne de bombardements sur la Yougoslavie qui dura deux mois et demi. En guise de récompense, Kouchner fut nommé haut commissaire des Nations Unies en charge de l’administration civile du Kosovo occupé (United Nations Mission in Kosovo,UNMIK ; en français MINUK). Dictateur virtuel du Kosovo entre le 2 juillet 1999 et janvier 2001, Kouchner démontra la nature de son "humanitarisme" : un favoritisme outrancier en faveur des "victimes" désignées par l’OTAN, c’est à dire la majorité albanaise, accompagné d’efforts sporadiques pour user de son charme et se concilier les représentants des Serbes assiégés. Le résultat fut désastreux. Au lieu de promouvoir la réconciliation et l’entente mutuelle, il laissa la province glisser encore plus sous le contrôle de groupes armés et de gangsters qui, depuis, terrorisent les non-albanais en toute impunité.

Kouchner est un humanitaire sélectif. Les victimes qui provoquent son indignation sont toujours, comme par hasard, celles qui sont les préférées des intérêts impérialistes français ou étasuniens : les Biafrais, les Vietnamiens non-communistes, les Albanais du Kosovo. Il ne s’est jamais agité sur le sort des Nicaraguayens victimes dans les années 80 des assassinats et des actes de sabotage de la Contra - appuyée par les Etats-Unis, ni sur les Serbes et les Roms au Kosovo après sa prise de fonctions, encore moins sur les Palestiniens victimes du nettoyage ethnique pratiqué par Israel.

Les victimes du régime militaire brutal de la Birmanie ne l’inspirent pas non plus, du moins pas en 2003 lorsqu’il reçut 25.000 euros de Total pour rédiger un rapport sur les activités de cette société dans le pays. Le rapport de 19 pages, rédigé après une courte visite guidée des installations de Total, prenait la défense de Total dans l’affaire de construction d’un gazoduc en Birmanie. Total y était accusée de profiter de l’utilisation par le gouvernement militaire d’une main-d’oeuvre d’esclaves. Il se peut que Total était aussi innocente que Kouchner l’a affirmé, mais ce qui est certain, c’est que Total n’a pas choisi Kouchner pour ses qualités d’enquêteur, mais pour sa réputation "d’humanitaire".

Il n’est donc pas surprenant qu’après sa nomination au poste de ministre des affaires étrangères, Médecins Sans Frontières a publiquement demandé à Kouchner de cesser d’utiliser le nom de l’organisation pour asseoir sa réputation d’humanitaire. En réalité, cela fait déjà longtemps que Kouchner n’est qu’un publicitaire pour des interventions sélectives.

Un axe du bien franco-américain ?

L’idée de voir ce poseur superficiel occuper le poste de Ministre des Affaires Etrangères de la France est à la fois effrayante et comique. Il est difficile de décider s’il faut en rire ou en pleurer.

Si vous avez besoin de justifier une intervention militaire, Kouchner est votre homme. S’il avait été à la tête du Quai d’Orsay au mois de mars 2003, sa contribution au débâcle irakien aurait été de conseiller à Bush de laisser tomber ce truc sur les "armes de destruction massive" et de mener plutôt une guerre au nom des "droits de l’homme", afin de se "débarrasser du dictateur, Saddam Hussein". C’est du moins ce qu’il n’a cessé de répéter depuis cette l’époque. Kouchner trouve qu’il est dommage que G.W. Bush ait utilisé un mauvais prétexte pour détruire l’Irak. Il a même accusé la France d’avoir "forcé" les Etats-Unis à précipiter leur invasion, en brandissant la menace d’un veto au Conseil de Sécurité de l’ONU. Il ne lui viendrait pas à l’esprit que la bande de Cheney-Wolfowitz pouvait juger qu’il était plus efficace de faire peur aux Américains plutôt que de leur demander de faire la guerre par altruisme. De toute façon, l’Irak est en ruines, ce qui n’a pas l’air de troubler le plus célèbre humanitaire professionnel de France.

Rien n’indique jusqu’à présent que Sarkozy ait l’intention d’entraîner la France dans une guerre. Alors à quoi peut bien servir Kouchner ? A l’évidence, son passé à la tête de la mission des Nations Unies au Kosovo confirme qu’il est plus doué pour l’autopromotion que pour l’administration. C’est aussi le principal trait de son nouveau patron, qui n’est pas de ceux à se laisser voler la vedette. A part aider le parti de Sarkozy à remporter une large victoire aux prochaines élections législatives, l’utilité de Kouchner ne paraît pas claire, ni sa durée à ce poste.

Il a commencé dans son style habituel, avec des déclarations à l’emporte pièce destinées aux média. Selon Kouchner, la création d’un tribunal spécial international pour juger les assassins (non identifiés) de l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri, "démontre la volonté de la communauté internationale de renforcer la stabilité au Liban,". En réalité, la politisation internationale de l’affaire déstabilisera encore plus le pays.

Kouchner a poursuivi en affirmant que la création du tribunal spécial obéissait "à la volonté du peuple Libanais, de tous bords et de toutes croyances". Ceci est, encore une fois, tout simplement faux. La moitié des Libanais, ou même plus, craignent qu’un tribunal international initié par les puissances occidentales ne devienne un instrument d’accusation contre la Syrie, le prétexte d’une guerre et de l’incrimination du Hezbollah, constamment décrit comme "l’allié de la Syrie". Un tel tribunal ne prendra certainement pas en compte l’opinion très répandue selon laquelle Israël, ou les ennemis de droite de Hariri, ou les deux, sont bien plus impliqués dans la récente vague de d’attentats que la Syrie, qui est la principale perdante dans l’affaire Hariri.

Ensuite, Kouchner a abordé la question du Darfour en proposant que les forces armées françaises basées au Tchad créent un "corridor humanitaire" pour protéger les victimes du conflit au Soudan voisin. Les mêmes organisations qui ont fourni initialement les fondements moraux pour la doctrine interventionniste de Kouchner ont immédiatement réagi en déclarant que sa proposition est inappropriée.

Denis Lemasson de Médecins sans Frontières, qui a actuellement 2000 travailleurs au Darfour, a qualifié les propositions de Kouchner de "dangereuses" à cause de la confusion qui régnerait entre les opérations humanitaires et militaires. Toute intervention militaire obligerait la plupart des ONG à évacuer, ce qui empirerait la situation, souligna-t-il.

Toutes les ONG françaises, MSF, Action Contre la Faim, Solidarités et même Médecins du Monde, s’accordent pour dire que la seule manière de mettre un terme à la guerre civile entre l’armée soudanaise et les milices Janajaweed et différents groupes rebelles serait d’arriver à un accord politique, et non pas une intervention militaire. Pierre Micheletti, président de Médecins du Monde, a souligné que les populations sont éparpillées "comme des tâches de léopard", sur une superficie large comme la France et dans des enclaves contrôlées par un camp ou un autre, sans ligne de front.

Lemasson remarque que les expériences passées "d’ingérence humanitaire" confirment leurs craintes. Le "militarisme humanitaire" des Etats-Unis en Somalie en 1992, les "zones de sécurité" en Bosnie, ont crée des illusions qui aboutirent à des catastrophes. Et, ajoute Alain Boinet, dirigeant de Solidarités, l’échec en Irak montre que la paix ne peut pas être imposée.

Ainsi, Kouchner est arrivé trop tard. Trop tard pour se joindre à Bush pour une virée dans l’enfer Irakien. Il est déjà totalement discrédité aux yeux de tous ceux qui savent ce que signifie réellement une "intervention humanitaire", et qui reviennent à la vieille position de neutralité adoptée par la Croix Rouge afin de pouvoir accéder aux victimes. Il garde une côte de popularité auprès du grand public uniquement parce que son image médiatique soigneusement cultivée n’a pas été publiquement confrontée à la réalité.

Kouchner pourrait être une figure comique, mais sa comédie recèle deux tragédies. L’une est celle de l’espoir d’un véritable changement qui surgit en Mai 68. Un espoir foulé aux pieds, quarante ans plus tard, par une alliance entre un Sarkozy - qui le rejette - et un Kouchner - qui en est la parodie. L’autre est la tragédie de la politique internationale de la France, de ce qu’elle aurait pu et dû être. Nous en avons eu un bref aperçu lors du discours mémorable prononcé par Dominique de Villepin, le 14 février 2003, devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ce jour-là , contrairement aux us et coutumes des lieux, l’assemblée explosa dans un tonnerre d’applaudissements. Pendant un instant, il apparaissait que la France pouvait être la voix de la raison, du réalisme, de la paix et d’un monde meilleur.

Le monde avait, et a encore, désespérément besoin d’une telle France. Mais à la place, nous n’avons qu’un caniche de plus.

Diana Johnstone est l’auteur de La Croisade des fous, Le temps des cerises, Paris.

version originale (juin 2007) :
http://www.counterpunch.org/johnstone06042007.html

Traduction par Cuba Solidarity Project

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