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Si j’étais un intellectuel occidental de gauche...

Si j’étais un intellectuel occidental de gauche, je rebobinerais le fil du temps et m’installerais au beau milieu du moyen-âge. Ma fugue ne gommerait pas le génocide des amérindiens, ni la traite des noirs, ni l’humiliation du colonialisme, ni la bombe d’Hiroshima, ni le cancer sioniste, ni les guerres d’extermination menées en Irak et en Afghanistan... Elle me permettrait cependant d’extirper ce mal qui m’habite et me transperce de part en part : La Modernité.

Si j’étais un intellectuel occidental de gauche. j’abolirais le temps ravageur pour mieux savourer la constance de l’espace. Pour moi, il n y aurait plus ni passé barbare, ni présent sacrifié sur l’autel des félicités futures. Je brulerais les livres de Descartes et de Voltaire et je bâtirais un temple à la mémoire de Rousseau, ce grand visionnaire. Je renierais le mythe du progrès qui m’a piégé comme il a piégé tout autant mes pires ennemis que mes maîtres à penser. Des philosophes de l’envergure de Marx et de Engels n’ont pas pu s’empêcher de succomber aux charmes de ce mythe et à l’idéologie de la mission civilisatrice de l’occident. Lors de la défaite de l’émir Abdelkader en 1847, Engels s’est félicité de la soumission de l’Algérie au « progrès de la civilisation ». Pour lui la conquête de l’Algérie est un heureux évènement puisqu’elle participe de la victoire des nations civilisées sur les peuples arriérés. Dans ses articles sur l’Inde en 1853, Marx, considère le développement des forces productives européennes comme synonyme du progrès, dans la mesure où il nous conduit nécessairement au socialisme. Contrairement aux apologistes du colonialisme, Marx n’occulte nullement les horreurs de la domination occidentale : « la misère infligée par les Anglais en Hindustan est essentiellement différente et d’une espèce infiniment plus intense que tout ce que l’Hindustan a pu souffrir avant ». Loin d’apporter un « progrès » social, la destruction capitaliste du tissu social traditionnel a aggravé les conditions de vie de la population. Cependant, en dernière analyse, malgré les crimes de l’Angleterre, celle-ci a été « un instrument inconscient de l’histoire » en introduisant les forces de production capitalistes en Inde et en provoquant une véritable révolution sociale dans une société asiatique frappée par la stagnation. Marx perçoit clairement la nature contradictoire du progrès capitaliste et n’ignore nullement son côté sinistre, mais il ne croit pas moins que le développement de la bourgeoisie à l’échelle mondiale est, en dernière analyse, historiquement progressiste dans la mesure où il prépare le chemin pour la « grande révolution sociale ». Pour que les indigènes, êtres archaïques situés hors de l’histoire, deviennent sujets de l’histoire, ils doivent intégrer la modernité capitaliste en devenant des prolétaires. Et c’est cette mutation qu’assure la colonisation. Avec l’apparition de grandes usines et de manufactures de coton en Asie, les paysans indigènes vont s’entasser dans les bidonvilles. De là émergeront les prolétaires révolutionnaires aptes à devenir sujets de l’histoire et détruiront le système qui les opprime. Bien que critiquant l’aspect répressif du colonialisme, Marx et Engels n’ont fait que le légitimer historiquement. Seul le schéma historique européen était en mesure de conduire l’humanité à l’ultime libération ( féodalité, bourgeoisie, prolétariat, socialisme). Ce déterminisme exclue toute société ayant une évolution historique différente. La formation de la bourgeoisie devenant ainsi un passage obligé conduisant l’homme à son émancipation. C’est la globalisation du capital qui sonnera le glas de la bourgeoisie. La dictature du prolétariat se présente, un peu à l’image de l’apocalypse anéantissant le mal et ouvrant la voie au règne de la justice sur terre. Bien qu’ayant nuancé sa réflexion à la fin de sa vie, Marx n’en demeure pas moins un philosophe marqué par un euro centrisme épistémologique prononcé. Cette attitude pro-colonialiste entachera le comportement de la gauche et ternira son image auprès des peuples colonisés pendant une grande partie du 20eme siècle. En France, de Victor Hugo à Jules Ferry, Jean Jaurès, Léon Blum et bien d’autres, la colonisation était synonyme des lumières et adjuvant du progrès. C’est grâce à elle que les peuplades indigènes échapperont à la barbarie et à l’ignorance. Contre la politique de la SFIO, le parti communiste français avait été fondé, en 1920, sur des bases révolutionnaires et anticolonialistes, dans le sillage de la révolution d’Octobre. Le jeune parti s’engage fortement dans le combat contre les opérations coloniales françaises, en particulier contre la guerre du Rif, au Maroc, en 1923. Mais au moment de la constitution du Front populaire, on assiste à un changement radical dans la position du parti qui abondonne sa politique anticoloniale. Un mois après la répression sanglante des manifestations nationalistes de Sétif et Guelma de 1945 a lieu le Congrès du PCF. Le représentant du Parti communiste algérien, Caballero, y affirme : « Ceux qui réclament l’indépendance de l’Algérie sont des agents conscients ou inconscients d’un autre impérialisme. Nous ne voulons pas changer un cheval borgne pour un cheval aveugle ». Maurice Thorez affirme alors de son coté que les populations d’Afrique du Nord « savent que leur intérêt est dans l’union avec le peuple de France ». Pendant toute la durée du conflit algérien, le PCF réclame la « paix en Algérie » ou encore le « règlement pacifique de la question algérienne », passant sous silence la revendication primordiale de l’indépendance. Les députés communistes n’hesitent pas à voter en 1956 les pouvoirs spéciaux au gouvernement de Guy Mollet donnant ainsi le feu vert au massacre systématique des arabes algériens.

L’intelligentsia occidentale qu’elle soit de droite ou de gauche n’est pas en mesure de se départir d’un mythe tenace fondateur de la modernité, un monstre bicéphale associant euro centrisme et progrès. Avec les indépendances et sous l’effet produit par la lutte héroïque des peuples algérien et vietnamien, l’altérité perd magiquement sa barbarie et se meut en humanité idéale. Voilà que le Tiers-Monde sort du néant des anciennes colonies pour se voir investi des vertus les plus mirifiques. La gauche se construit ainsi un espace virtuel tout à fait coupé des réalités sociales et culturelles de ces pays et sur lequel elle va projeter ses fantasmes révolutionnaires. Le Tiers-Monde va en quelque sorte tenir lieu et place d’une classe ouvrière qui tarde à faire sa révolution. La jeunesse étudiante et même lycéenne du Tiers-Monde enfourche généreusement ce beau rêve sans se rendre compte qu’elle était complètement coupée de son univers socio-culturel.

La classe moyenne et les paysans n’ont jamais saisi ces concepts étranges venus d’ailleur. En fait le Tiers-monde n’a jamais constitué pour l’intellectuel occidental une réalité palpable mais tout simplement une catégorie idéelle. Tout comme le barbare inventé de toute pièce pour essuyer le mépris et l’exploitation, l’homme du Tiers-Monde a servi de réceptacle à une pensée qui même si elle est généreuse elle n’en demeure pas moins une pure projection d’un débat qui n’émane ni de son histoire ni de sa culture. L’altérité, en fin de compte, a toujours été instrumentalisée, l’un la chosifie presque, l’autre l’idéalise mais aucun ne lui confère le statut de sujet . Une gauche qui se veut constructive est celle là même qui s’insurge contre la modernité. Il s’agit de reconstruire la pensée occidentale à partir du moment où elle a été biaisée par le mythe du progrès et toutes ces philosophies de l’histoire qui l’ont fondée. Le vrai débat, préalable au clivage libéralisme/socialisme est celui d’eurocentrisme/diversalité. Cinq siècles de préjugés nourris d’ethnocentrisme et d’eurocentrisme épistémologique doivent être déblayés.

Une lueur timide mais prometteuse pointe au ciel de l’ Amérique du Sud que ce soit sur le plan conceptuel ou sur le plan de la pratique sociale et politique. Malgré les sarcasmes de ses détracteurs, la gauche sud-américaine propose un socialisme de l’invention et non un socialisme de la compromission comme cela se passe en Europe. Pour un penseur comme Quijano, l’indépendance ne suffit pas si elle conserve les hiérarchies de pouvoir et de savoir. La décolonisation de l’esprit reste à faire... elle seule permettra d’échapper à l’emprise néo-coloniale.

En Bolivie la nouvelle constitution inaugure un modèle d’état plurinational et laisse tomber un Etat monoculturel dans lequel les classes sociales s’étaient constituées sur la base de la couleur de peau et des noms de famille. Les indigènes voient pour la première fois leurs langues reconnues. Leur justice communautaire a désormais le même statut que la justice ordinaire, à l’occidentale. Grâce à l’aide pédagogique de Cuba, l’analphabétisme a été complètement éradiqué au Venezuela et en Bolivie. Plus d’un million de sud-américains pauvres ont retrouvés la vues grâce aux médecins cubains et aux cliniques venezuelliennes... D’un autre coté, avec à la création d’organisations régionales comme l’ALBA et La Banque du Sud, un nombre de plus en plus important de pays du sous-continent tentent de développer un système d’échange et d’investissements équitables leur permettant d’échapper à l’emprise d’institutions financières comme la FMI et la Banque Mondiale.

La réussite de ce modèle d’intégration régionale semble inquiéter de plus en plus... On est alors en droit de se demander à qui profite le crime... celui de renverser le président du Honduras, membre de l’ALBA, par les moyens les plus archaïques : un coup d’état !!! Aurait-on donc épuisé toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ?...

Fethi GHARBI

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