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Afghanistan - Une guerre pour rien !

Une guerre pour rien ! L'expression est terrible, monstrueuse si on y réfléchit un instant. Et pourtant, après la débâcle occidentale en Afghanistan, ce sont les mots qui sont revenus le plus souvent, dans les médias occidentaux et dans la bouche des dirigeants occidentaux eux-mêmes.

20 ans donc de guerre "pour rien". Des torrents de sang, de larmes, de souffrances, de destruction "pour rien". Des centaines de milliers de morts et de blessés afghans "pour rien". Et aussi des dizaines de milliers de morts et de blessés étasuniens, anglais, français, allemands, danois, norvégiens etc.. bref de tout l’occident représenté dans ce carnage, "pour rien".

Avec une franchise désarmante, le président Joe Biden explique que l’Afghanistan est "le cimetière des empires", qu’il fallait arrêter la guerre après la mort de Ben Laden, mais il ne dit pas pourquoi elle a continué vingt ans. Il explique cependant, discours nouveau, que la continuation de la guerre aurait fait encore plus de victimes, encore pour rien. Il dit que ces guerres ce sont des soldats américains morts, mais aussi blessés, d’anciens combattants qui sont handicapés à vie physiquement et moralement, qui se droguent qui se suicident. Il rappelle la mort de son fils après son retour d’Irak. Il dit qu’il ne faut plus de guerres de ce genre où on veut imposer un tout autre système à un peuple. Le prix Nobel de la paix pour Jo Biden ! On se demande si on a bien entendu. Des paroles inédites chez un président des EU.

Un désastre aussi moral

Seul, en Occident, le président Macron, dans la pure tradition des croisés, parle de "guerre juste". Il a même l’idée de prolonger la présence française à l’aéroport de Kaboul. Rodomontades . Les soldats français quitteront l’aéroport avant même la date butoir du 31 août. Quelques jours après, le président Macron récidivera et demandera une "zone protégée" à Kaboul. Le porte-parole des Talibans lui répondra sobrement : "L’Afghanistan est un pays indépendant. Que diriez-vous si nous vous demandions une zone protégée à Paris ?".

Les dirigeants occidentaux ont donc entrainé leurs peuples dans une guerre "pour rien" pendant vingt ans. Des hommes et des femmes de chacun de ces pays sont donc morts "pour rien" et on le dit sans état d’âme ! A-t-on conscience de l’énormité de la chose, du cynisme de ce constat. Et ensuite ? On tourne tout simplement la page pour d’autres guerres ?

Une "guerre pour rien" , pas de sanctions, pas de jugements, pas de Tribunal pénal international, pour ceux qui ont déclenché cette guerre et d’autres du même genre. Même pas des excuses au monde, à l’ONU, enfin n’importe quoi, bref au moins quelque chose de moral. Le désastre occidental est aussi moral.

Mais ce qui est peut-être le plus monstrueux dans cette expression d’une "guerre pour rien", c’est l’état d’esprit qu’elle révèle. D’évidence, par définition, elle ignore les Afghans . Elle ne les prend pas en compte. Leurs morts, leurs souffrances, on n’en parle pas, pas une seconde, sous aucun plateau de TV mainstream. Et pour cause, car de ceux-là, on ne peut dire qu’ils sont morts "pour rien". Quel que soit l’habit idéologique par lequel a pu s’exprimer et se conforter leur patriotisme, Il reste le fait qu’ils sont morts pour libérer leur pays de l’occupation étrangère.

On a alors la liste de toutes ces guerres "pour rien", les anciennes comme les récentes : Vietnam, Algérie, Afrique du Sud, Irak, Libye, Liban, Palestine, etc. Une liste jamais close.

Pire que tout cela

Pire que tout cela, le projet a été, dès le départ de transformer la guerre en Afghanistan en guerre civile. Deux mille milliards de dollars ont été dépensés par les seuls EU pour cela, pour créer une armée afghane proétasunienne. Ironie du sort, cet armement a été récupéré sans coup férir par les Talibans qui deviennent du même coup une armée dotée des armements les plus modernes.

En vérité, lorsque le président Joe Biden affirme avoir voulu qu’il n’y ait plus de victimes, ce n’est qu’à moitié vrai. Jusqu’à la dernière minute les États Unis et l’Occident ont cherché à entretenir une guerre entre Afghans. Là se situe un épisode tragicomique et qui pourrait expliquer la débâcle, le départ en désordre de l’armée des EU et des supplétifs occidentaux. Jusqu’à la veille de l’entrée des Talibans à Kaboul, le chef du gouvernement officiel, le président Ashraf Ghani, disait qu’il maitrisait la situation. A la télévision, sa tranquillité et son assurance étaient stupéfiantes. Le soir même, il allait à l’aéroport et quittait Kaboul. D’où la surprise puis la débandade des Étasuniens et des occidentaux. C’est un épisode que l’Histoire peut être clarifiera. Ashraf Ghani l’a-t-il fait délibérément. A-t-il voulu éviter un bain de sang. Si c’est le cas, on peut dire de cet homme, et peut être aussi des généraux afghans qui l’ont imité, des hommes qui ont pourtant collaboré avec une armée d’occupation étrangère, qu’ils ont commis là un acte patriotique. Ce qui prouve qu’on peut toujours servir la patrie. Les Etasuniens et leur alliés ont donc été pris de court. Ils espéraient donc préserver le sang américain et européen dans des torrents de sang afghan. Aux dernières nouvelles, toute l’armée gouvernementale afghane a été intégrée dans l’armée Taliban.

La mission civilisatrice de l’Occident

Les occidentaux tentent de "vendre" tout cela à leur opinion par une construction compliquée où ils expliquent que leurs efforts pour exporter la démocratie et les valeurs occidentales se heurtent hélas à des régimes corrompus. En dehors du vieil argument colonial de la mission civilisatrice de l’Occident qui ne mérite même plus d’être débattu, cette référence récurrente à la corruption des dirigeants des pays non occidentaux sous tutelle est surprenante par son absence totale de cohérence. Comment attendre le contraire ? Quel patriote afghan, quel homme honnête donc, accepterait de collaborer avec des armées étrangères qui font la guerre dans son pays. Il ne reste donc plus que les autres et ceci explique cela.

Il y a aussi l’argument du terrorisme qui est martelé à l’opinion. Après le désastre militaire, la campagne s’oriente désormais vers " l’aggravation de la menace terroriste" du fait de la victoire des Talibans. 20 ans de guerre n’auront pas suffi à montrer que l’Afghanistan menait une guerre nationale, comme pour les précédentes contre le Royaume Uni puis l’URSS. Ben Laden et Al Qaida ont été les raisons avancées au départ. Y avait-il un seul Afghan dans les avions qui ont attaqué les tours le 11 septembre ? Finalement Ben Laden sera tué au Pakistan. On découvrira, si c’est lui, un vieillard malade, isolé et inoffensif qu’on s’empressera d’enterrer... dans la mer. Les Etasuniens ont-ils pour autant quitté l’Afghanistan ? Puis ce fut l’Irak. Y avait-il , là aussi, un seul irakien dans les avions du 11 septembre ? Peu importe, ce fut alors le mensonge des armes de destruction massive. Le résultat , 500 000 morts irakiens, qu’on ne cite évidemment jamais, et un pays détruit. Le mensonge est même reconnu, mais sans plus. On passe ensuite à autre chose. Qui jugera les bourreaux puisqu’ils sont en même temps les juges ? Tout le Machrek entrainé dans les horreurs de guerres civiles sans fin. Puis la Libye. Et maintenant le Maghreb ?

L’Occident fonctionne comme une machine à produire du terrorisme. Y avait-il Daech en Irak avant la guerre menée par les EU ? Durant tous ces jours-ci, sur les plateaux de télévision français, je n’ai vu qu’une personne, une seule, rappeler ces évidences. Il s’agit du philosophe Michel Onfray. Le 3 septembre, il est sur la chaine d’information LCI. À une question sur l’échec de l’Occident en Afghanistan à "diffuser la démocratie et ses valeurs", il fait remarquer que vouloir imposer à un peuple une culture, et des valeurs par les armes s’appelle tout simplement le colonialisme. Il fait remarquer qu’il n’y avait pas d’Afghans dans les avions du 11 septembre mais des Saoudiens sans que l’Arabie saoudite soit inquiétée, pour bien montrer que tout cela n’est que prétextes.

La propagande concerne aussi ceux qui ont collaboré avec les armées occidentales. Il faut les sauver, clame-t-on, des "terribles talibans". On retrouve, par ce biais, le thème de l’humanitaire, arme préférée de la panoplie médiatique mainstream, que ce soit pour "les bombardement humanitaires", censés être applaudis par les populations qui les "reçoivent sur leur tête", ou le sauvetage des populations en otage. C’est toujours la même histoire : harkis d’Algérie, boat-people du Vietnam etc. Question : comment appelle-t-on dans tout pays quelqu’un qui collabore avec des armées étrangères ? L’occupation est doublement criminelle, directement par les massacres, et indirectement par les trahisons qu’elle suscite et encourage, et qui vont laisser des traces profondes.

Les migrants

Les pays européens, si sourcilleux d’habitude sur la question de l’émigration, ouvrent soudain les bras aux migrants afghans. La foule de ceux-là suppliante, grouillante et désordonnée à l’aéroport sert à masquer la débâcle et tenter de la transformer en exploit humanitaire. Dans les avions cargos, les gens entassés par milliers, hommes, femmes, enfants, rappellent les migrants européens des siècles précédents, entassés dans les cales des bateaux vers l’Amérique. On parle du "plus grand pont aérien de l’histoire". Les images sont dramatisées à outrance. On laisse accroire que l’Europe et les États Unis vont accueillir généreusement une masse énorme d’hommes et de femmes réfugiés afghans. Mais on omet de dire, par exemple, qu’il y a bien plus de migrants afghans dans les pays voisins, Pakistan, Iran, Turquie etc.. et ce, depuis longtemps et pour des raisons essentiellement économiques. Il est d’ailleurs évident pour tous, que parmi cette foule de l’aéroport, il y a vraisemblablement de tout, certes les collaborateurs des puissances étrangères qui ceux-là fuient mais aussi ceux qui veulent profiter de l’occasion. L’occasion est si belle, et ce n’est pas demain que les causes des migrations économiques vont disparaitre, en Afghanistan comme ailleurs. Mais la dramatisation, la campagne menée a un but évident, celui de dédouaner à posteriori la guerre occidentale en Afghanistan, et son échec, par le spectacle de ces populations qui "fuient la dictature Taliban".

La fin de la guerre en Afghanistan aura probablement des conséquences géopolitiques majeures. Elle a cette particularité qu’elle apparait comme une défaite militaire et morale de l’Occident tout entier coalisé contre un seul peuple. Du côté Afghan, c’est une guerre de libération nationale et d’indépendance, quoi qu’on fasse en Occident pour l’enfermer dans une signification étroitement religieuse.

20 ans après

La fin de la guerre en Afghanistan coïncide avec le 20eme anniversaire des attentats du 11 septembre 2001. Qui aurait pensé alors que ces attentats horribles allaient être instrumentalisés par les États Unis et leurs alliés pour déclencher des guerres interminables, pour déstabiliser des États, des nations, des régions toutes entières, pour encore plus de souffrances, de sang et de larmes à une échelle infiniment plus grande, au nom de la lutte contre le terrorisme. Les paroles du Président Joe Biden, que nous avons citées au début de ce texte, peuvent-elles inaugurer une nouvelle approche de ces "guerres pour rien" ? On ne pouvait mieux parler, tel qu’il l’a fait, de leurs conséquences destructrices sur l’homme et de leur inutilité tragique. Moment d’humanisme ou orientation durable ? L’avenir le dira. Étrangement pourtant, ces paroles ne semblent pas avoir soulevé beaucoup d’écho en Occident où elles ont même été passées sous silence. Mais à contrario, des voix se sont vite élevées pour dire que l’Occident ne devait pas renoncer " à ses valeurs" du fait de la défaite en Afghanistan, mais qu’il fallait désormais simplement "changer de tactique". La principale leçon à tirer de l’Afghanistan, disent-ils est ...qu’il ne faut plus intervenir militairement directement au sol, mais appuyer les luttes pour "les droits de l’homme" et que la période sera désormais à la défense des minorités sociales ou nationales. En France, les adeptes du "droit d’ingérence humanitaire" comme Bernard Henry Lévy, commencent déjà à évoquer la Kabylie ? Quelle prétention et quelle arrogance ! Mais, attention, la Kabylie n’est pas une minorité nationale, c’est le cœur battant de l’Algérie. La France coloniale est bien placée pour le savoir depuis un certain premier novembre 1954, et bien avant, depuis Mokrani, Lalla Fatma N’Sumer, Cheikh El Haddad, et d’autres héros de la patrie.

Quand donc l’Occident laissera-t-il les peuples en paix ?

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