L’Humanité le 2 Novembre 2010. Tribunes
La vérité sur la mort de ce jeune avocat pacifiste, sauvagement torturé et assassiné par les paras de Massu en mars 1957, n’a jamais été reconnue par les autorités françaises. Ali Boumendjel. Une histoire française, une histoire algérienne, de Malika Rahal Édition les Belles Lettres. 2010. 27 euros.
Le livre de l’historienne Malika Rahal a ceci de particulier : la guerre d’Algérie reste encore largement méconnue tant en France qu’en Algérie. L’affaire Ali Boumendjel en est une, en ce sens qu’elle a été révélatrice des méthodes utilisées par l’armée française durant la guerre d’Algérie : tortures de masse et assassinats extrajudiciaires. Le livre retrace l’itinéraire personnel et militant d’Ali Boumendjel, jeune avocat, membre d’un collectif de défense des militants du FLN et militant du Mouvement mondial de la paix, conjuguant « sans complexe, la culture française avec un nationalisme algérien, républicain et démocratique ».
Le livre nous plonge dans l’Algérie de 1956-1957 quand, pour combattre le FLN, le gouvernement français confie les pouvoirs de police à la dixième division de parachutistes commandée par le général Massu. Arrêté le 9 février 1957 sur son lieu de travail à Alger par les paras de Massu, il est d’abord sauvagement torturé avant d’être assassiné quarante-cinq jours plus tard, le 25 mars, sur ordre du commandant Aussaresses (qui a reconnu son assassinat dans ses mémoires en 2001) : Ali Boumendjel a été basculé du sixième étage d’un immeuble abritant un centre de torture, situé à El Biar sur les hauteurs d’Alger, là où justement ont été détenus et torturés le journaliste Henri Alleg et le mathématicien Maurice Audin, lui-même porté disparu depuis lors.
La mort du jeune avocat est maquillée en suicide. Dans la presse de l’époque, il est présenté comme un responsable de la région sud d’Alger du FLN et commanditaire de plusieurs actes terroristes. En fait, en signant des aveux extorqués sous la torture, Ali Boumendjel a permis de sauver plusieurs militants et responsables du FLN. Certains, à l’instar de l’avocat Me Amar Bentoumi (qui fut garde des Sceaux dans le premier gouvernement de la République algérienne), admettent qu’ils lui doivent la vie.
L’affaire Ali Boumendjel n’a été connue en France que grâce au geste spectaculaire de l’ancien ministre de l’Éducation nationale du général de Gaulle et résistant, René Capitant, alors professeur de droit à la faculté de Paris. Non convaincu du « suicide » de son ancien étudiant, il décide de « suspendre ses cours » en guise de protestation et au nom de « l’honneur de la France », et envoie une copie de la lettre adressée à ses supérieurs à plusieurs journaux.
L’affaire Ali Boumendjel, que d’aucuns ont comparé au résistant Pierre Brossolette, mort sous la torture des nazis, sort de l’anonymat et se transforme en procès contre la torture. « Les valeurs de Capitant lui ont été transmises : il n’est plus un terroriste, il n’a pu faire qu’une résistance propre, dit Jean Daniel », cité par Malika Rahal.
Compléments du GS :
« Ali Boumendjel (1919-1957) : Une affaire française, une histoire algérienne ».
– Editions les Belles Lettres,octobre 2010, 295 pages.
Malika Rahal est lecteure à la School of Politics and International Relations de l’université de Nottigham et chercheuse à l’institut d’histoire du temps présent (CNRS). Spécialiste de l’histoire de la colonisation française, elle travaille également sur les relations entre politique et violence en Algérie contemporaine.