Le 22 octobre dernier, le président syrien rendait une visite surprise au front nord-ouest, où la province d’Idleb est occupée par les milices du terrorisme international, dont Erdogan s’est porté garant dans le cadre du processus d’Astana, lancé en janvier 2017 et fondé sur un accord tripartite turco-irano-russe en vue de la cessation des hostilités en Syrie.
Le président a affirmé aux soldats de l’Armée arabe syrienne que le front d’Idleb était aussi prioritaire que le front nord-est [Al-Jazira] envahi par les États-Unis, la France, etc., sous prétexte de soutenir les Kurdes séparatistes aussi bien avant qu’après leur lâchage partiel par l’administration américaine.
Le même jour fut signé l’accord turco-russe entérinant un retrait total des forces kurdes , considérées comme terroristes par Erdogan, jusqu’à 30 Kms de la frontière turque et le long des 440 Kms séparant le fleuve Euphrate de l’Irak, tandis que la Turquie se contenterait de 120 Kms et de 30 Kms de profondeur entre Tal Abyad et Ras al-Aïn, au lieu de sa prétendue « zone de sécurité » de 450 Kms de long.
Un accord russo-turc qui a semé le doute quant à l’allié russe, lequel n’a jamais cessé de défendre la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriales syriennes, et dont la parole est généralement plus crédible que les résolutions des Nations Unies aux yeux des Syriens.
C’est justement la partie traitant de ce sujet que nous avons extrait de l’entretien accordé, le 31 octobre, par le président Bachar al-Assad aux journalistes de deux chaines nationales syriennes : Al-Souriya et Al-Akhbariya. [NdT].
Question : Des questions ont été soulevées dans la rue syrienne au sujet de l’accord russo-turc du 22 octobre, notamment sur le maintien du statu quo dans la région de l’agression turque entre Tal Abyad et Ras al-Aïn sur une profondeur de 32 Kms. Certains ont interprété cet accord comme une légitimation de l’occupation turque, d’autant plus qu’il ne mentionne aucun rôle attribué à la Syrie au sein de cette région. Que répondez-vous à cela ?
Président Al-Assad : Premièrement, les principes russes ont été clairs tout au long de cette guerre et bien avant qu’une base russe ne soit installée en 2015, afin de soutenir l’Armée syrienne en s’appuyant sur le droit international, la souveraineté de la Syrie et son unité territoriale. C’est là un sujet qui n’a varié, ni avant, ni après, ni selon les différentes circonstances.
Or, la politique russe s’appuie à travailler sur la réalité des faits, ce qui a permis de réaliser deux choses : d’abord, le retrait des groupes armés du nord vers le sud en coordination avec l’Armée syrienne et, en retour, la montée de l’Armée syrienne vers le nord dans la région non occupée par le Turc. Ce résultat est en soi positif, bien qu’il n’annule pas l’effet négatif de la présence turque, d’ici à son expulsion définitive d’une manière ou d’une autre.
En effet, l’accord russo-turc est provisoire et d’une durée déterminée. Prenons, pour exemple, les zones de désescalade à l’une quelconque des étapes, quand certains ont cru qu’elles seraient irrévocables et autoriseraient les terroristes à rester indéfiniment dans les régions [dont ils avaient pris le contrôle]. Non, la vérité est que c’était là une occasion de protéger les civils, d’une part ; d’autre part, de trouver des possibilités de dialogue avec les terroristes afin qu’ils sortent de ces zones ultérieurement.
Nous devons donc distinguer entre les objectifs ultimes -ou les stratégies- et les tactiques. Ce premier aspect fait qu’à courte échéance cet accord est bon. Mais permettez que je vous éclaire sur d’autres aspects qui vont dans ce même sens.
Pour commencer, mis à part le fait que l’intrusion turque exprime les ambitions nuisibles de la Turquie, elle traduit aussi la volonté américaine. Le Turc a ses convoitises et la relation russe -établie à partir des principes et des intérêts russes- est une bonne relation car, d’un côté, elle bride ces convoitises ; d’un autre côté, elle coupe la route au jeu américain dans le nord du pays.
Puis, pour plus de clarté, j’aborderai la récente proposition allemande directement soutenue par l’OTAN. L’Allemand -ne s’exprimant qu’au nom de l’Amérique et l’OTAN étant l’Amérique- a parlé de rétablir la sécurité dans cette même région, via une tutelle internationale. En d’autres termes, il s’agit là aussi d’une tentative visant à consacrer la sortie de l’État syrien de la région et la partition.
Donc, par cet accord, le Russe a bridé le Turc, a coupé la route à l’Américain et a aussi coupé la route à l’appel à l’internationalisation proposé par l’Allemand.
C’est pourquoi nous disons que cet accord est un pas positif qui ne permet pas de tout concrétiser, puisque l’occupation turque n’a pas soudainement pris fin, mais il réduit les dommages et prépare la voie vers la libération de cette région dans un avenir que nous espérons très proche.
Question : Monsieur le Président, puisque vous avez décrit cet accord comme étant temporaire. Vu que la Turquie, telle que nous la connaissons, ne respecte ni accords ni engagements, la question est : que se passera-t-il si elle ne sortait pas des régions passées sous son contrôle lors de sa récente agression ? Vous avez déclaré à maintes reprises que l’État syrien utilisera tous les moyens pour se défendre. En pratique, l’accord russo-turc n’a-t-il pas empêché l’utilisation de ces moyens ?
Président Al-Assad : Prenons un autre exemple, celui d’Idleb dans le cadre du processus d’Astana, lequel stipule que la Turquie doit en sortir, ce qu’elle n’a pas fait, tandis que nous, nous sommes en train de travailler à la libérer. Une libération qui a pris une année de retard, au cours de laquelle toutes les chances ont été données au processus politique, aux dialogues politiques et aux diverses tentatives cherchant à en faire sortir les terroristes. Toutes les possibilités ont été épuisées et, finalement, nous avons entrepris sa libération, évidemment progressive, par une opération militaire.
Il en ira de même pour la région nord du pays une fois que toutes les possibilités politiques auront été épuisées, en tenant compte du fait qu’Erdogan vise depuis le début de la guerre à créer un problème entre le peuple turc et le peuple syrien, afin que le peuple turc devienne notre ennemi. Ce qui se produirait en cas d’affrontement militaire, alors que l’armée turque était avec l’armée syrienne et coopérait jusqu’à l’extrême limite avec nous, jusqu’à ce qu’Erdogan se retourne contre elle.
C’est pourquoi, dans notre travail, il nous faut tenir à ce que la Turquie ne soit pas un État ennemi. Actuellement Erdogan et son groupe sont des ennemis. C’est lui qui mène ces politiques. Mais jusqu’ici, la plupart des forces politiques en Turquie s’opposent à ses politiques. Nous devons faire attention à ne pas transformer la Turquie en ennemie et c’est là le rôle des amis : le rôle russe et le rôle iranien.
Question : Permettez, Monsieur le Président, que je complète l’idée en rappelant les actions entreprises ces derniers temps par les Turcs et par Erdogan en particulier, notamment la turquification, la construction d’universités, l’imposition de certaines langues. Ce sont des procédures de quelqu’un qui ne pense pas sortir. Puisque vous avez dit qu’il sortirait tôt ou tard, qu’en est-il des mesures disponibles ?
Président Al-Assad : Exactement. Si Erdogan avait eu l’intention de sortir d’Idleb, il serait déjà sorti. Naturellement, vous pourriez me dire qu’à Idleb n’y a pas une véritable armée. [Voir en fin d’article la liste des milices de la prétendue opposition syrienne, soumise à Erdogan et qualifiée d’« armée nationale syrienne » ; NdT].
Mais l’arène syrienne est une seule arène et un même théâtre d’opérations, de l’extrême sud à l’extrême nord du pays. Le Turc est l’agent américain pour cette guerre. Partout où nous nous sommes battus, nous combattions l’agent turc. Et s’il ne sort pas par tous les moyens [précités], il n’y aura d’autre choix que celui de la guerre. C’est une évidence. Cependant, je dis qu’à court terme nous devons laisser place au processus politique sous ses diverses formes. Faute de résultats, nous serons face à un ennemi et nous irons à la guerre. Il n’y a pas d’autre choix.
Question : Pourtant, en dépit de ce qui précède, certains ont dit que le retrait américain du nord de la Syrie, suivi du lancement de l’agression turque, puis de l’accord russo-turc entrent dans le cadre d’un accord américano-russo-turc. Qu’en dites-vous ?
Président Al-Assad : Un tel discours est destiné à prétendre que le Russe était d’accord ou qu’il avait fermé les yeux sur l’intrusion turque. Non, ce n’est pas la vérité. Plus d’un an auparavant, il s’était inquiété du sérieux de cette proposition [turque]. Nous savions tous qu’elle était sérieuse, mais qu’elle était bridée par les ordres ou la volonté des Américains. Peut-être que certains reprochent à la Russie des prises de position ayant mené à ce résultat, comme c’est le cas aux Nations Unies. Cependant, comme je viens de le dire, le Russe travaille sur des faits et, par conséquent, tente de créer toutes les conditions politiques nécessaires à l’ouverture d’une voie de sortie [du Turc] de la Syrie, de limiter les dommages causés par la Turquie ou de limiter ses ambitions, encore plus dommageables, par l’occupation de davantage de territoires.
La Russie ne fait certainement pas partie d’un tel accord [américano-turco-russe]. Les accords russes ont toujours été annoncés publiquement, le texte détaillé de l’accord russo-turc a immédiatement été annoncé dans les médias, ainsi que notre accord conclu avec les Kurdes avec la médiation et le soutien de la Russie.
Question : En revanche, les réunions entre Américains et Turcs ne sont pas annoncées. Vous avez souvent dit que la zone tampon était le premier objectif d’Erdogan depuis le premier jour de la guerre sur la Syrie. Le président Obama avait refusé la création d’une telle zone. Aujourd’hui, nous voyons des actions probablement contraires. Est-ce à dire qu’Obama est meilleur que Trump ?
Président Al-Assad : Nous ne devons parier sur aucun président américain. Qu’Erdogan déclare « Nous avons décidé d’entrer [en Syrie] et nous avons prévenu les Américains » ; autrement dit, essaye de se faire passer pour une superpuissance ou pour le maître de sa décision, n’est qu’un jeu entre lui et les Américains.
Or, au tout début, les Américains et l’Occident n’ont autorisé personne à s’ingérer, car ils pensaient que les manifestations se développeraient et règleraient l’affaire. Ce ne fut pas le cas. L’affaire ne s’est pas réglée comme ils le souhaitaient. Ils sont passés aux armes. L’affaire n’a pas été réglée pour autant. Ils se sont alors tournés vers les groupes terroristes extrémistes dont la folle doctrine devait réussir à la régler militairement. Mais ils n’ont pas réussi. À l’été 2014, ce fut le rôle de Daech de disperser les efforts de l’Armée arabe syrienne ; ce qu’il a réussi. C’est à ce stade que la Russie est intervenue. Tous les paris sur le terrain militaire ayant alors échoué, l’intrusion turque est devenue nécessaire pour renverser la table. Tel est le rôle de la Turquie.
Quant à l’une de vos questions concernant Trump, ma réponse pourrait vous surprendre. Je vous dirai qu’il est le meilleur président américain. Pourquoi ? Non pas parce que sa politique est bonne, mais parce qu’il est le plus transparent. Tous les présidents américains commettent toutes sortes de péchés capitaux politiques et de crimes, prennent des prix Nobel, se présentent en tant que défenseurs des droits de l’homme, des valeurs américaines nobles et uniques et des valeurs occidentales en général, mais ils ne correspondent qu’à un groupe de criminels représentant et exprimant les intérêts des lobbies américains que sont les grandes sociétés de l’armement, du pétrole, etc. Trump parle en toute transparence et dit : « Nous voulons le pétrole ». Telle est la réalité de la politique américaine, au moins depuis la Deuxième Guerre Mondiale. « Nous voulons nous débarrasser d’un tel ». « Nous voulons rendre un service contre telle somme d’argent ». Oui, telle est la réalité de la politique américaine. Que pouvons-nous espérer de mieux qu’un ennemi transparent ?
Question : Le commandant des milices FDS, Mazloum Abdi, a déclaré par voie de presse qu’avant le retrait [américain] Trump leur avait promis de contacter les Russes afin de trouver une solution à la question kurde, par le biais d’un accord entre les Russes et l’État syrien donnant aux Kurdes une chance de se défendre. Cet accord a-t-il réellement été conclu Monsieur le Président ? Et quel est le sort des régions non frontalières de la Jazira syrienne [nord-est de la Syrie], lesquelles étaient sous le contrôle des milices armées desdites FDS ? Ont-elles été effectivement remises à l’État syrien ? Si oui, de quelle façon ? Militaire uniquement ? Ou bien militaire avec le retour des institutions étatiques syriennes ?
Président Al-Assad : Que ce contact ait eu lieu ou pas, tout ce que l’Américain dit n’est pas crédible. Et qu’il l’ait dit à un ami ou à un ennemi ne change rien au fait qu’il ne nous faut pas compter avec. Alors, ne perdons pas notre temps sur ce point. Le seul accord russe avec les Kurdes correspond au rôle russe -dont nous avons déjà parlé- dans l’accord entre l’Armée arabe syrienne et les Kurdes -ou plutôt les groupes kurdes qui se désignent eux-mêmes par le sigle FDS, pour ne pas stigmatiser les Kurdes- en vue de l’entrée de notre Armée [dans les territoires qu’ils contrôlaient]. Bien entendu, l’Armée syrienne ne peut pas entrer dans un but uniquement militaire et sécuritaire. Son entrée signifie l’entrée de l’État syrien et donc l’entrée de tous les services qu’il doit assurer.
Cet accord a donc eu lieu. Nous sommes entrés dans la plupart des régions mais pas complètement. Il reste encore des obstacles face auxquels nous intervenons directement, car nous avons avec ces groupes des relations très anciennes datant de bien avant l’intrusion de la Turquie. Certains nous répondent positivement, d’autres pas. Mais l’entrée de l’Armée arabe syrienne sera indubitablement étendue [à toutes ces régions], parallèlement au retour des institutions étatiques ; autrement dit : parallèlement au retour de l’autorité de l’État.
Je répète que ce retour se fait progressivement, le règlement de certaines réalités sur le terrain nécessitant du temps. L’absence de l’État a créé de nouvelles réalités au niveau de la population et nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les groupes armés nous remettent leurs armes spontanément. Nous l’exigeons, mais notre politique doit rester progressive, rationnelle et réaliste ; son but ultime étant le rétablissement du contrôle total de l’État.
Question : Après tout ce qui s’est passé ; après leurs attaques contre l’État syrien, ses citoyens et son Armée ; après le rôle nuisible qu’ils ont joué tout au long de ces années de guerre ; après leur inféodation évidente à l’Américain ; après tout cela Monsieur le Président, nous Syriens, pouvons-nous revivre ensemble avec les Kurdes ?
Président Al-Assad : Soyons précis. Ce sujet est constamment soulevé publiquement et parfois en séances privées. Je sais que vous posez ces questions abstraction faite de vos convictions personnelles. Mais, ce qui s’est passé au cours de cette guerre est une déformation des concepts. Par conséquent, dire que telle frange de la population est qualitativement positive ou négative est subjectif, irrationnel et même antipatriote.
Certes, des Kurdes ont fait office d’agents et de pions inféodés à l’Américain, mais des cas similaires existent parmi les Arabes, aussi bien dans la région d’Al-Jazira [nord-est de la Syrie] que dans d’autres régions. La faute du groupe de kurdes en question est qu’ils se sont fait passer pour des représentants non seulement des Kurdes, mais aussi des Arabes et de toutes les diverses franges de la Jazira. Et, l’Américain est venu les soutenir via des armes et de l’argent, évidemment pris chez certains États arabes du Golfe, afin de consacrer leur autorité sur toutes les autres franges.
Dès lors, nous nous sommes mis à croire que tous ceux qui se retrouvaient là dedans étaient des Kurdes. Non. Désormais, nous devons en parler en tant que « partis » auxquels nous avons à faire. Quant aux Kurdes, la plupart d’entre eux ont toujours eu de bonnes relations avec l’État syrien. Ils sont toujours restés en contact avec nous, proposant des idées véritablement patriotes, réagissant positivement à l’entrée de nos troupes dans certaines régions avec autant de bonheur et de joie que les autres franges de la population. Par conséquent, leur évaluation [telle que posée par la question] est inexacte. Sinon, cela signifie que la Syrie ne sera plus jamais stable.
Question : Mais alors, Monsieur le Président, quel est le problème avec les Kurdes, même avant la guerre ? Où réside le problème ?
Président Al-Assad : Ces groupes existent depuis des décennies bien que nous les ayons soutenus en risquant d’en payer le prix par un affrontement militaire avec la Turquie, en 1998. À l’époque, nous les soutenions en partant de leurs droits culturels. De quoi nous accusent-ils ? Ils accusent l’État syrien et parfois le Parti Baas de chauvinisme, alors que lors du recensement de 1962 ce parti n’était même pas au pouvoir. Et maintenant, ils nous accusent nous-mêmes de priver cette frange de citoyens de ses droits culturels.
Supposons que ces accusations soient fondées. Est-ce possible que je sois à la fois une personne ouverte et fermée [à la diversité] ? Est-ce possible que l’État soit à la fois tolérant et ouvert, intolérant et fermé [à la diversité] ? C’est impossible. Prenons l’exemple de la dernière frange de citoyens ayant intégré le tissu social syrien : celle des Arméniens.
Les Arméniens ont toujours été des patriotes par excellence, cette guerre ayant indiscutablement confirmé ce fait. Il n’empêche qu’ils ont leurs propres églises, leurs propres associations et, sujet plus délicat, leurs propres écoles. Mais lorsque vous êtes invités à assister à n’importe laquelle de leurs célébrations, à l’occasion d’un mariage ou d’autres occasions -j’ai des amis arméniens et j’assistais à leurs fêtes en d’autres temps- vous les entendrez chanter des chansons de leur patrimoine, suivies par des chansons patriotes de dimension politique. Y a-t-il une liberté supérieure ? Et ce, en sachant que cette frange de la diaspora arménienne mondiale est celle qui s’est le moins dissoute dans la société environnante. Elle s’est intégrée mais elle ne s’est pas diluée et a conservé toutes ses caractéristiques.
Pourquoi serions-nous ouverts ici et fermés ailleurs ? Parce qu’existent des propositions séparatistes et que nous voyons circuler des cartes faisant la promotion d’un Kurdistan syrien comme partie d’un grand Kurdistan. Nous avons le droit de défendre l’intégrité de notre territoire et de nous méfier des projets séparatistes, mais nous n’avons aucun problème avec la diversité syrienne. Au contraire, nous considérons que cette diversité est belle et riche. Une richesse qui signifie « force ».
Cependant la diversité est une chose et la partition, le séparatisme et le dépeçage du pays en sont une autre absolument contraire. Tel est le problème.
[...]
Question : Le président Donald Trump a déclaré son intention de maintenir un certain nombre de ses soldats en Syrie, de déployer certaines unités aux frontières jordanienne et israélienne, tandis que d’autres unités protègeraient les champs pétrolifères. Qu’en pensez-vous et comment réagira l’État syrien face à cette présence illégale ?
Président Al-Assad : Abstraction faite de ces déclarations, l’Américain est un occupant. Il est présent au nord, au sud, à l’est et à l’ouest et le résultat est le même. Encore une fois, nous ne tenons pas compte de ses déclarations mais de la réalité. Comment réagir à cette réalité ? En fonction des priorités militaires, comme je l’ai déjà dit, c’est-à dire que nous avons certaines régions à libérer avant d’en arriver aux régions que l’Américain n’a pas quittées. Je n’userai pas de rodomontades en vous disant que nous enverrons notre Armée combattre l’Amérique. Nous parlons d’une grande puissance, en avons-nous les moyens ? Je pense que le sujet est clair pour nous les Syriens.
Irons-nous vers la résistance ? Dans ce cas, le sort de l’Américain sera comparable à ce qui s’est passé en Irak. Mais, le terme « résistance » nécessite une disposition populaire contraire à la collaboration [avec l’ennemi]. Dès lors, le rôle naturel de l’État est de créer toutes les conditions susceptibles de soutenir toute forme de résistance nationale contre l’occupant, laquelle n’a rien à voir avec la mentalité coloniale américaine ou la mentalité commerciale qui vient coloniser une région pour l’argent, le pétrole, etc.
Il est illogique de passer en revue tous les facteurs d’influence et d’oublier que le principal facteur qui a amené l’Américain, le non-Américain et le Turc dans cette région est le Syrien collaborateur et traître. Traiter tous les autres facteurs revient à traiter les symptômes alors qu’il faut traiter les causes. Nous devons traiter avec ce Syrien là et tenter de restaurer la notion de patrie au sein de la société, de telle sorte que la traîtrise ne soit pas juste un point de vue, au même titre qu’une différence d’opinion politique. Lorsque nous réaliserons cela, je vous assure que l’Américain sortira parce qu’il n’aura plus le loisir de rester et qu’il n’en aura pas la force, bien qu’il soit une grande puissance. C’est ce que nous avons constaté au Liban, à un moment donné, ainsi qu’en Irak à un stade ultérieur. Je crois que c’est la bonne solution.
[...]
Question : Après avoir abordé les diverses interprétations consécutives à votre récente visite surprise à Idleb, j’aimerais vous interroger sur un autre aspect de la situation dans cette province. Une situation que Geir Pederson [Envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie] a abordé dans un entretien en la décrivant de « complexe ».De son point de vue, il faut éviter une opération militaire à grande échelle car elle ne contribuera pas à résoudre le problème, mais aura de graves conséquences humanitaires. Qu’en dites-vous ? Et pensez-vous que le processus de libération pourrait effectivement être retardé ?
Président Al-Assad : Si Pederson possède les outils et la capacité de résoudre le problème sans opération militaire à grande échelle, c’est une bonne chose. Pourquoi n’avance t-il pas la solution s’il en a une vision claire ? Nous n’avons pas d’objection. Le problème est finalement très simple : il peut se rendre en Turquie et la convaincre de convaincre à son tour les terroristes d’opérer la séparation entre les civils et les milices armées, les premiers seraient amenés dans une région et les seconds dans une autre. Ce qui rendrait l’opération encore plus facile, c’est s’il pouvait distinguer celui qui est armé de celui qui ne l’est pas. Mais, la vérité est que le processus de lutte contre le terrorisme ne se fait pas en théorisant, en dissertant ou en sermonnant.
Quant au retard du processus de libération, si nous avions attendu les résolutions de l’ONU -en fait, quand nous parlons de résolutions de l’ONU, nous parlons de décisions des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de ceux qui les suivent- nous n’aurions libéré aucune région de la Syrie depuis le début de la guerre. Ces pressions n’ont pas d’effet sur nous, bien qu’il arrive parfois que nous prenions en compte telle ou telle situation politique comme je l’ai déjà dit, pour ne pas leur fournir de prétextes. Mais lorsque toutes les possibilités sont épuisées, l’action militaire devient nécessaire afin de sauver les civils.
Je ne peux pas sauver les civils en les laissant à la merci du milicien armé. La logique occidentale qui appelle à l’arrêt de l’opération militaire pour protéger les civils est une logique inversée, sciemment et hypocritement bien entendu, vu qu’elle prétend que laisser le civil sous l’autorité du terroriste le protège. Ce sont les militaires qui protègent les civils et lorsque vous laissez le civil sous l’autorité du terroriste, vous lui rendez service et vous participez à l’assassinat du civil.
Question : Monsieur le président, vous n’attendez pas une résolution de l’ONU. Mais attendez-vous une décision de la Russie ? Les Russes peuvent-ils retarder l’opération [de libération] ? Il y a déjà eu des arrêts d’opérations militaires annoncées vers Idleb. À chaque fois, certains ont parlé de pressions russes pour cause d’arrangements personnels avec les Turcs. Quelle est la vérité d’un tel discours ?
Président Al-Assad : Le mot « pression » n’est pas précis. Nous menons, avec les Russes et les Iraniens, une même bataille militaire et une même bataille politique. Nous ne cessons de nous concerter pour saisir le moment opportun en fonction des circonstances. À plusieurs reprises, nous avons convenu ensemble d’une date d’opération qu’il nous a fallu reporter, à cause d’éléments nouveaux militaires ou politiques.
Nous, nous voyons ce qui est lié au niveau local, l’Iran voit ce qui est lié au niveau régional, et la Russie voit ce qui est lié au niveau international. D’où la complémentarité. D’où le dialogue.
[...].
Mais, il n’y a pas que le rythme rapide d’évènements nouveaux qui nécessite le report des opérations. Il y a aussi la nécessité de sortir les civils [des champs d’opération] et de leur ouvrir la voie vers les régions que nous contrôlons ; ce qui contribue à sauver des vies. Une autre de nos priorités est de préserver la vie de nos soldats, ce que nous avons réussi dans certains cas grâce à une solution politique.
Les données pouvant influencer une décision, ou la reporter à plus tard, sont nombreuses. Ce n’est ni le lieu, ni le moment de les passer en revue. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un problème de « pressions ». Le Russe tient autant que nous à lutter contre le terrorisme ; sinon, pourquoi enverrait-il son aviation militaire ? Et le timing est donc le résultat de nos concertations.
Dr Bachar al-Assad
Président de la République arabe syrienne
31/10/2019
Al-Sourya et Al-Ikhbarya, TVs
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : Vidéo sous titrée en anglais
Entretien avec le président Bachar al-Assad :
https://www.youtube.com/watch?time_continue=376&v=4QRd3TNNbLA