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Colombie : Coup de gueule

Marie-Monique ROBIN

Ce soir je suis en colère, et je l’assume. Comme l’a écrit le philosophe, écrivain, et poète, George Bataille : « Le cœur est humain dans la mesure où il se révolte ».

L’humanité va crever de l’indifférence, des discours mous-du-genou, de l’incapacité des pauvres bipèdes que nous sommes à nous lever pour arrêter la barbarie et défendre la vie. Ce soir je suis en colère car j’ai reçu des nouvelles terribles de Colombie. Et ces nouvelles nous concernent tous !

Je les résume en quelques mots : la Colombie a signé un « accord de libre échange » avec les États Unis qui est récemment entré en vigueur. Cet accord contient une clause qui oblige les paysans à cultiver des « semences certifiées », c’est-à-dire produites par les « sélectionneurs » comme … Monsanto ou Syngenta.

Pour remplir cette « clause », l’Institut agroalimentaire colombien a publié un texte – la résolution 970- qui menace d’amendes et de poursuites judiciaires tout paysan qui continuerait de faire ce qu’il a toujours fait : garder une partie de sa récolte pour ensemencer ses champs.

Depuis le 19 août, des dizaines de milliers de Colombiens – paysans, étudiants, mineurs, chauffeurs routiers, médecins- se sont lancés dans les rues pour dénoncer cette violation d’un droit humain fondamental : celui de se nourrir soi-même.

De violents affrontements ont eu lieu à Bogota, où le président Santos a déclaré le couvre-feu et mobilisé 50 000 membres des forces armées et de la police militaire pour « mater les vandales » et défendre la loi d’airain imposée par Monsanto et consorts.

Je connais bien la Colombie : cet immense pays à l’extraordinaire biodiversité a la capacité de nourrir sa population, s’il laisse ses paysans faire leur travail. Pour cela, il leur faut de la terre, et la majorité d’entre eux en est privée. Si maintenant, on les empêche de sélectionner leurs graines, c’en est fini de l’agriculture vivrière colombienne.

Comme ce fut le cas au Mexique après l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange nord-américain (l’ALENA), le pays sera envahi par les produits agricoles bas de gamme et subventionnés des États Unis, les magasins Walmart et autres chaînes de discount qui pousseront à la rue des millions de petits paysans.

J’invite tous ceux et celles qui me lisent à regarder le reportage “Les déportés du libre échange” que j’ai consacré à l’ALENA, et qui a été diffusé sur ARTE en février 2012 . Je l’ai mis en ligne sur mon site web, et on peut aussi le trouver comme bonus sur le DVD des Moissons du futur : http://www.mariemoniquerobin.com/deportesdulibreechangeextrait.html

Vous trouverez sur ce Blog d’autres billets concernant l’ALENA ainsi que des extraits du chapitre que je lui ai consacré dans mon livre Les moissons du futur. Ce soir, je mets en ligne un autre extrait de ce chapitre (voir ci-dessous).

Par ailleurs, je rappelle que l’Union européenne s’apprête à négocier un accord de libre échange avec les États Unis, dont j’ai aussi commenté les effets dévastateurs qui ne manqueront de s’abattre sur le vieux continent (voir aussi sur ce blog).

C’est pourquoi j’ai accepté de prêter mon image et mon nom à une affiche réalisée par le Collectif des Engraineurs qui s’est associé à la campagne qu’ATTAC et d’autres organisations ont décidé de lancer dès l’automne. Rejoignez-les !

« Les États-Unis pratiquent le dumping »

« L’histoire de l’ALENA prouve que la mondialisation ne pourra pas nourrir le monde, c’est sûr ! » L’homme qui me reçoit, ce 25 octobre 2011, n’est pas un gauchiste altermondialiste que l’on peut suspecter de faire de l’antilibéralisme primaire. Professeur à l’Université Tufts de Boston, où il dirige le Global Development and Environment Institute, Timothy A. Wise est spécialiste du développement et du commerce international et, à ce titre, il est régulièrement consulté par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En 2009, il a corédigé un rapport intitulé Le Futur de la politique commerciale nord-américaine. Les leçons de l’ALENA[i], remis au président Barack Obama – lequel, pendant sa campagne électorale, s’était engagé à réformer le traité. Puis, en 2010, en collaboration avec l’Institut Woodrow Wilson de Washington, il a publié un autre rapport au titre sans ambiguïtés : Le Dumping agricole de l’ALENA. Estimations des coûts des politiques agricoles américaines pour les producteurs mexicains[ii]. Dans ce document, considéré comme une référence, il a « examiné huit denrées agricoles – le maïs, le soja, le blé, le riz, le coton, la viande de bœuf, de porc et de poulet –, toutes largement subventionnées par le gouvernement américain, qui étaient produites en grandes quantités au Mexique avant l’ALENA et dont l’exportation des États-Unis vers le Mexique a considérablement augmenté après le traité. […] Entre 1997 et 2005, les exportations de porc ont augmenté de 707 %, celles de bœuf de 278 %, de poulet de 263 %, de maïs de 413 %, de blé de 599 %, de riz de 524 % ».

- Pourquoi dites-vous que les États-Unis pratiquent le dumping ?

– Si l’on prend la définition retenue par l’OMC, selon laquelle le dumping consiste à exporter des produits à un prix inférieur à leur coût de production, il n’y a aucun doute que l’ALENA a encouragé le dumping, m’a fermement répondu Timothy Wise. Par exemple, de 1997 à 2005, les États-Unis ont vendu le maïs à un prix inférieur de 19 % à son coût de production. Par un mécanisme de subventions, très élevées sur la période étudiée (en moyenne 200 dollars par hectare), les États-Unis ont encouragé la surproduction pour pouvoir inonder le Mexique, ce qui a entraîné un effondrement du prix de 66 % sur le marché local. À ces subventions en monnaie sonnante et trébuchante, s’ajoute un autre type de subventions que j’appellerais “indirectes”, qui tient au fait que les grands céréaliers du Midwest ne payent pas pour la pollution, par exemple, des nappes phréatiques qu’ils occasionnent. Le coût de ces externalités négatives n’est pas inclus dans le prix du maïs exporté vers le Mexique. À l’inverse, les petits producteurs mexicains qui pratiquent l’agroécologie et entretiennent la biodiversité du maïs dans leurs champs ne sont pas récompensés pour le service qu’ils rendent à l’humanité, mais aussi, d’ailleurs, aux sélectionneurs qui causent leur mort. Il est évident que les petits paysans mexicains ne pouvaient résister à cette double concurrence déloyale.

– Quel fut le coût de ce dumping pour les paysans mexicains ?

– Avec les chercheurs de l’Institut Woodrow Wilson, nous avons estimé que le manque à gagner des paysans mexicains pour les huit denrées étudiées s’élevait à 12,8 milliards de dollars de 1997 à 2005. Le secteur le plus touché est le maïs, qui enregistre la moitié des pertes, puis celui de l’élevage, qui a perdu 1,6 milliard de dollars. En effet, le dumping a aussi fonctionné pour la viande, car aux États-Unis, le bétail est nourri avec du maïs ou du soja subventionné.

– Pourquoi le gouvernement mexicain ne s’est-il pas élevé contre ces pratiques déloyales ?

– Bonne question !, m’a répondu le chercheur de Boston. En fait, l’ALENA prévoyait pour la “libéralisation” du marché du maïs une période de transition de quatorze ans, qui permettait au Mexique, au moins jusqu’en 2008, de fixer des taxes à l’importation qui auraient pu compenser le dumping de 19 %. Mais le gouvernement mexicain a refusé d’appliquer cette clause et a donc laissé ses petits paysans sans défense…

– Mais pourquoi ?

– Une autre bonne question !, a répliqué Timothy Wise avec un sourire navré. La seule explication, c’est que l’ALENA a été conçu pour bénéficier aux multinationales américaines, comme Cargill ou Monsanto, mais aussi mexicaines, comme Maseca ou AgroInsa. Et ça a marché, puisqu’aujourd’hui le Mexique importe 34 % du maïs qu’il consomme, ce qui crée beaucoup de business… Certes, trois tomates sur quatre consommées aux États-Unis sont désormais produites dans des serres mexicaines ultramodernes, mais en termes d’emploi, ce fut l’hémorragie : en 1994, 8,1 millions de personnes travaillaient au Mexique dans l’agriculture, elles ne sont plus aujourd’hui que 5,8 millions. Et les emplois créés dans le secteur agroexportateur censés avoir compensé en partie les faillites paysannes sont des travaux saisonniers et précaires[1].

– Quel a été l’impact de l’ALENA sur l’immigration illégale au États-Unis ?

– S’agissant d’une immigration illégale, les données sont difficiles à obtenir. Mais on estime en général que le flux de migrants mexicains a été de 500 000 à 600 000 personnes par an jusqu’en 2008, année où il s’est réduit de moitié en raison de la récession.

– Qu’est-il advenu du rapport que vous avez remis au président Obama ?

– Rien, m’a répondu Timothy Wise avec une moue embarrassée. Il y a trop d’argent en jeu… Obama est même le président qui a mené la politique la plus dure contre les sans-papiers mexicains, doublement pénalisés par l’ALENA alors qu’ils participent largement à l’économie des États-Unis[2]. »

Marie-Monique ROBIN

[1] De 1994 à 2003, 500 000 emplois ont été créés dans l’industrie, les services ou le secteur agroexportateur.

[2] Les États-Unis comptaient en 2011 quelque 11 millions d’immigrés sans-papiers, dont 6 millions de Mexicains.

[i] Kevin Gallagher, Enrique Dussel Peters et Timothy A. Wise (dir.), The Future of North American Trade Policy. Lessons from NAFTA, Pardee Center Task Force Report, Boston University Frederick S. Pardee Center for the Study of the Longer-Range Future, novembre 2009.

[ii] Timothy A. Wise, Agricultural Dumping under NAFTA. Estimating the Costs of U.S. Agricultural Policies to Mexican Producers, Mexican Rural Development Research Report n° 7, Woodrow Wilson International Center for Scholars, Washington, 2010.

 http://www.arte.tv/sites/fr/robin/2013/08/31/coup-de-gueule/

COMMENTAIRES  

13/09/2013 10:26 par BQ

Un grand bravo à LGS pour informer sur la Colombie comme cela !

Pays (on ne le dira jamais assez), laboratoire du capitalisme sanglant (ici dans sa nouvelle forme de pillage : le Traité de Libre-Echange), où la France n’est pas la dernière en tant que premier employeur étranger avec plus de 100 multinationales françaises présentes sur le sol colombien. Relations historiques avec une des plus vieilles chambres de commerce à Bogota. Pourtant, le rapport de ce pays en terme info en France/importance doit être un des plus bas du monde et pour cause, comment avoir une centaine de multinationales sur le territoire français et ne pas contribuer un peu (beaucoup ? énormément ?) au conflit social et armé ? Documenter ces liens entre impacts du TLC et Union Européenne c’est comprendre que chaque vote en faveur se chiffre en morts, terres volées, déplacés et familles envoyées à la misère. Derrière chaque mégaprojet d’entreprise (énergétique, minier ou semencier), c’est combien pour les paramilitaires ?
Mais à côté de cela, combien d’histoires de luttes, de résistances, de paix écrites chaque jour refusant le (non) sens de cette histoire écrite par quelques plumes malades, la condamnation à la misère à perpétuité, comme le démontre notamment cette Grève nationale agraire.

En Colombie s’exprime une des formes les plus violentes existantes du système économique dominant. L’étudier c’est comprendre la finalité de la logique économique insoutenable. Malgré la Terreur, voilà peut-être un des aspects qui maintient l’espoir intact : sa pédagogie pour la prise de conscience d’indécis...

Bravo à Marie-Monique Robin pour cette prise de position et pour ces luttes si nécessaires !

13/09/2013 14:16 par Lionel

Nous sommes légions à nous révolter, à prendre conscience des conséquences sur le long terme.
Les lanceurs d’alertes sont d’une grande efficacité, leurs avertissements sont précis, concernent des sujets divers comme les techno-sciences, l’alimentation comme base de survie et d’indépendance et ses conséquences sur la santé, donc sur l’économie.
Nous sommes aussi nombreux à dire que ça ne peut plus durer...
Nos partis politiques nous ont trahis ou déçus et nous vivons dans une société dont la seule représentativité légale ne nous représente pas.
Cependant que les choses s’installent de façon durable et parfois irréversibles ( la chute de la biodiversité ne pourra pas s’inverser en labo ).
Alors oui, bien sur... nos faiblesses et le dégoût qu’elles nous inspirent, notre lâcheté et notre déni permanent de toutes les réalités au nom de la défense d’une idéologie ou de ce que l’on croit être légitimement sa propre sécurité.
Mais alors ???
En dehors de ces gens courageux qui n’hésitent pas à mettre leur équilibre social en jeu, parfois leur carrière de chercheur, ne reste-t-il que les solutions de tous ceux, d’horizons très différents, qui optent pour la création à petite échelle de mini expériences de vies ( à la campagne, mais également dans les villes ! ) porteuses de germes d’espoirs, mais radicalement en rupture avec le Système-type, basées sur la création de liens sociaux non monétarisables, non plus basées sur l’individualisme moderniste bien que rappelant les révoltes des années 60, mais sur la volonté de penser et contribuer à créer une société authentiquement différente.
Sinon, quoi ?
Comment éviter ce que nous rendons inévitable ? Comment nous organiser et apprendre à nous faire entendre ?
J’allais dire "avant qu’il soit trop tard" mais il est chaque jour un peu plus trop tard, ce qui ne veut pas dire que l’on ne peut ou l’on ne doit rien faire.
" Nos enfants nous haïront " - que je n’ai pas lu - me semblait un bon titre d’introduction !

13/09/2013 21:12 par triaire

Que peut-on faire pour aider ces gens ? Les multinationales sont les cancers de cette planète et nous allons connaitre le même sort que les sud-américains et ce seront encore une fois des élus dits " de gauche " qui nous mèneront à l’abbatoir .

13/09/2013 23:24 par Jean-Francois

La nouvelle ère de l’esclavage. L’être humain esclave des corporations.

14/09/2013 08:38 par JP

Que peut-on faire ?.... telle est la question.... résister, chercher la vérité, se battre ! Certains en Colombie ont commencé il y a bien longtemps comme en témoignent ces images (attention âmes sensibles s’abstenir) :

http://www.youtube.com/watch?v=WuMBB2hPlhQ

14/09/2013 11:44 par Eric

bonjour

la solution réside dans le changement de politique en Colombie. Si par ex une Piedad Cordoba était élue, nul doute que ces accords seraient rompus, que la Colombie rejoindrait l’Alba.....
J’attends les prochaines élections en espérant que le pays bascule dans l’axe progressiste, "l’axe du mal" pour la France et les Usa

Eric Colonna

14/09/2013 13:16 par JP

On pourrait en effet souhaiter que quelqu’un comme Piedad Cordoba accède à la présidence afin de voir s’opérer des changements politiques en Colombie, mais par contre j’ai du mal à imaginer que cela puisse se faire sans une riposte de "l’axe du Bien".

14/09/2013 13:29 par Dominique

Si la solution en Colombie passe par un changement de politique en Colombie, comme les multinationales sont avant tout issues des pays riches, une partie importante de la solution passe par un changement de politique chez nous.

Pour cela, il faut d’une part que les citoyens arrêtent de voter pour des hypocrites qui leur promettent la lune et qui gouvernement après gouvernement appliquent encore et toujours la même politique contraire aux intérêts de leurs électeurs. Il faut aussi que les citoyens s’organisent pour développer une politique qui viennent de la base et qui soit capable de relayer les revendications jusqu’au plus haut niveau de l’état.

Pour cela, il faut que les mentalités changent. La manif contre la guerre en Irak fut la plus grande manif de l’histoire, mais ce fut un échec cinglant. Les politiques de tous les partis furent affolés quand ils réalisèrent l’ampleur qu’allait avoir cette manif, mais ils furent vite soulagés quand ils virent que tout ces gens, de même que la plupart des organisateurs, étaient venus pour la plupart juste faire acte de présence par un bel après-midi ensoleillé, et qu’ils s’étaient dépêchés de rentrer chez eux pour aller regarder le journal du soir et retrouver leur routine quotidienne.

Ce n’est pas comme cela que nous changeront le monde. Changer le monde implique de rester après la fin du cortège et les discours pour préparer la suite.

14/09/2013 14:23 par JP

@ Dominique : Merci pour ces explications claires et cohérentes mais je ne vois pas bien comment "préparer la suite"... Je ne crois guère plus aux élections mais je pense cependant qu’il y a des alliances au niveau international qui devraient s’opérer afin de "contrer" ces gouvernements en place.

14/09/2013 15:40 par Dominique

Réaliser des alliances internationales pour contrer le capitalisme et de façon plus générale toutes les formes d’exploitation est une nécessité, mais le problème avec la plupart des organisations de gauche occidentales est qu’elles sont réformistes. Or on voit bien avec les socialistes, on en a eu maintenant plusieurs générations, ce que le réformisme donne : la même politique encore et toujours, souvent même encore pire car quand ils sont au pouvoir, il n’y a plus aucune opposition parlementaire à cette politique de dictature économique.

Un très bon slogan de ces dernières années est "Penser globalement, agir localement." L’action est toujours locale. Nous n’avons que deux bras, deux jambes et une tête, et ne pouvons être qu’à un endroit à la fois. Même si je peux avoir l’illusion que ce commentaire pourra être lu des quatre coins de la planète, il ne sera lu que par les lecteurs du Grand Soir. De même, je peux avoir une influence sur la politique de ma commune assez facilement, il suffit pour cela de parler aux voisins et de s’organiser sur des thématiques pratiques communes. Au niveau du canton ou de département, cela nécessite déjà des alliances, etc.

Être réformiste est le principal reproche que je fait à une organisation comme Attac. Sa taxe Tobin est bien jolie, mais même un économiste comme Alphonse Allais, lequel était tout sauf un gauchiste, faisait des propositions bien plus radicales.

Il suffit aussi d’aller dans un forum social. En Amérique latine, on peut y voir avant tout des associations qui ont une forte assise populaire. En Europe, mis à part quelques stands d’associations qui luttent en collaboration avec l’Amérique latine, la majorité des stands et des animations sont soit des réformistes comme Attac, soit des intégristes de salon qui prêchent la révolution pour la révolution et qui n’ont aucune assise populaire.

Même un mouvement comme celui des indignés n’a pas réussi à éviter ces deux tendances (réformisme et intégrisme) et n’a pas réussi à élargir le débat à de plus larges couches de la population. Il faut voir aussi le fatalisme de bien des gens qui pensent que de toute façon, ils font ce qu’ils veulent, ainsi que l’attitude des médias qui vont toujours mettre en avant soit les réformistes et donner ainsi raison aux fatalistes, soit les intégristes pour faire peur à ceux qui ne sont ni intégristes ni réformistes.

C’est comme la grève. Pendant qu’un ouvrier fait grève, il ne travaille pas et ne nourrit donc pas sa famille. Ce qui serait plus intelligent qu’une grève serait d’occuper les usines tout en continuant la production. Le problème ici est que dans une économie mondialisée, il faut qu’un tel mouvement soit mondial.

Pour revenir aux forums sociaux, je pense que c’est une très bonne opportunité pour développer un mouvement social important, mais qu’il ne faut pas le laisser aux mains des associations politiques qui ont prouvé leur incapacité à changer quoi que ce soit depuis des décennies. On en revient au local, tant que les citoyens ne prendront pas leurs responsabilités et ne s’organiseront pas eux-mêmes pour changer les choses dans leur proximité, tout en ayant une réflexion sur la globalité des problèmes du monde, y compris le problème écologique, il n’y a aucun espoir de pouvoir provoquer le moindre changement au niveau global.

14/09/2013 17:34 par Dominique

Encore une chose. Chaque situation a ses caractéristiques qui font que certaines choses sont possibles et pas d’autres. Je trouve l’histoire de Fidel Castro exemplaire à cet égard, car il a su mieux que quiconque analyser les contradictions de son époque pour en tirer parti.

Ainsi, si Raul a toujours été marxiste, Fidel est martiste. Ces deux pensées ont de nombreux points communs, mais le martisme est profondément nationaliste, car il considère que l’Amérique latine ne peut se délivrer du colonialisme et de l’impérialisme qu’avec les luttes d’indépendance nationales. Fidel a réalisé que si les communistes partageaient nombre de ses vues, ils ne pourraient jamais développer un mouvement capable de devenir majoritaire. C’est pourquoi il fit de la politique dans un parti nationaliste bourgeois avant la révolution. Ce fut aussi sans doute ce qui fit que dans un premier temps, les USA ne se méfièrent pas beaucoup de lui, et étaient même près à le reconnaître comme un successeur de Batista. Mais Castro se montra intransigeant sur la voie qu’il entendait faire suivre à la révolution et les USA commencèrent à mettre des bâtons dans les roues.

Chez nous, c’est à la fois plus compliqué et plus simple. Plus compliqué parce qu’aucun parti ne laissera un Fidel Castro émerger dans ses rangs. Comme disait Tapi dans un débat avec la Ségolène qui avait faillit s’étrangler en l’entendant, les politiques sont comme les nobles, non seulement ils sortent tous de la même école mais en plus ils se marient entre eux. En Suisse on a pas l’ENA, mais pour monter dans la hiérarchie d’un parti, il faut que tu épouses sa doctrine à 120%. En plus, ce sont presque tous des universitaires, et il est difficile de faire plus élitiste qu’eux.

Plus simple parce qu’ainsi la seule alternative qui nous reste est de nous auto-organiser. Marx ne dit d’ailleurs pas autre chose, même si ses raisons sont autres. Après, il faut voir pourquoi, c’est -à-dire fixer des buts. Ces buts doivent être le plus large possible, afin de pouvoir rassembler les gens, tout an laissant la place aux revendications individuelles. Quand j’entends certains marxistes dirent encore et toujours des trucs comme "on est pas là pour ça (soutenir tes revendications), mais pour renverser le capitalisme", je ne suis pas d’accord. D’abord parce que le but ne doit pas être de détruire mais de construire, construire le post-capitalisme. Et cela, nous ne pourrons le faire que tous ensemble. Autrement, il nous sera imposé d’en haut et cela ne changera rien d’important.

Ensuite parce que pour qu’un mouvement politique puisse se prétendre universel ou rassembleur, il ne doit pas niveler les revendications des citoyens mais au contraire leur permettre de s’exprimer. Ce qui nous amène aux moyens de la lutte. Là encore, le focus doit être mis sur le coté pratique. Discuter de théorie est bien, mais il y aura toujours des points de divergence sur lesquels nous n’arriverons jamais à mettre tout le monde d’accord. Par contre, il est possible, à partir des revendications des uns et des autres, d’en faire une synthèse et de définir des objectifs concrets et communs à la majorité des gens. À partir de là, les discussions quittent le plan de la théorie pour s’engager sur le plan de la pratique. Il y aura des gens plus expérimentés que d’autres, qui diront ont peut faire ça , on peut le faire comme ça, et une idée en amenant une autre, une dynamique d’action se crée.

Une chose importante est la pub. Le collage d’affiche reste un des meilleurs moyens car les affiches touchent les gens dans leur proximité. Des fois c’est amusant. Il m’est arrivé de voir à Genève des affiches que j’avais collées de nuit en plein hiver par un froid de canard 10 ans avant. Le problème était que l’eau gelait dans les seaux. Mais en mettant presque autant de colle que d’eau, ça donnait une pâte qui ne gelait plus. Le résultat est qu’ils n’ont jamais réussis à décoller ces affiches. Un autre excellent moyen est les tout ménage à distribuer dans les boites aux lettres. Cela touche aussi les gens dans leur proximité, le problème est la logistique, cela prend du temps à distribuer et nécessite donc plus de monde que pour coller des affiches.

Après il y a les stands dans la rue, dans les marchés ou dans les fêtes. Cela est bien car cela permet de rencontrer directement les gens et de discuter avec eux. et ainsi de dépasser le cadre restreint imposé par une affiche ou une petite feuille de papier. Je suis d’ailleurs souvent étonné de voir des jeunes qui restent derrière leurs stands et attendent que les gens s’arrêtent pour engager la discussion. Ils sont pas tous comme ça et même des vieux sont comme ça. C’est juste pour dire qu’il est bien de prévoir une petite animation autour d’un stand. En général, plus il y a de monde, plus les gens viennent. C’est comme quand tu fais la manche, le plus dur est d’arrêter les premières personnes, Une fois que tu as pigé le truc, que tu fais ton show avec conviction, que tu donnes aux gens, que tu dégages, même si c’est pas la meilleure musique du monde, ils vont s’arrêter et tu peux devenir comme Manu Chao si tu le souhaites.

Pour ça, il faut croire en ce que tu fais et le faire avec conviction. En politique, c’est la même chose. J’ai habité 10 ans dans un squat et ce squat a tenu en tout presque le double. Pourquoi ? Parce qu’on y croyait et qu’on s’est donné les moyens, en collant des affiches et en tenant une permanence dans une église pour expliquer notre démarche, ce qui a permit de faire que de l’inauguration du squat a été la plus grosse manif à Genève cette année là. En plus, on s’entendait relativement bien avec les différentes associations de quartier, en tout cas au début, et différentes organisations de gauche. L’Usine, le grand lieu de la culture alternative à Genève, date aussi de cette époque (les années 80) et elelle existe toujours.

Nous sommes maintenant 30 ans plus tard, et il faudrait recréer de telles dynamiques, tout en élargissant le débat à des revendications plus globales. Un squat permet dans le meilleur des cas à quelques dizaines de personnes de se loger. Mais ce n’est pas cela qui va influencer sur la politique impérialiste des grandes puissances ni sur le fascisme politico-économique globalisé. Par contre, la multiplication d’actions locales peuvent créer une dynamique favorable à de grands changements.

Il est aussi possible de les avoir à l’usure. Ils nous avaient coupé l’eau. Tous les soirs, après le travail, on a creusé. Le vendredi soir, les flics ne sont pas venus nous arrêter et reboucher, si bien qu’on a pu rebrancher l’eau. Avec quand même une grosse fuite, si bien que l’eau ne montait que jusqu’au troisième et que la rue était transformée en piscine et le trottoir en plage avec même un palmier gonflable en plastic.

Le lendemain matin, il y avait au moins une centaine de personnes dans la rue, entre les sympathisants, les flics, les ouvriers des services industriels, et même quelque élus locaux qui étaient venus taper l’incrust pour se faire de la pub. Ils nous avaient rebranchés dans les règles de l’art.

C’est histoire peut sembler ridicule dans le contexte actuel. C’est une goutte dans l’océan, mais l’océan n’est jamais qu’une multitude de gouttes d’eau. Et je suis sur que chacun dans sa proximité peut trouver des actions à faire, comme peindre un passage piéton en face d’une école, ou mettre des petits flyers sur les produits palestiniens vendus dans les grandes surfaces.

14/09/2013 19:20 par Anonyme

Peut-être en tout cas faut-il faire connaître le nom de Piedad Codoba, car il est ignoré de la plupart des lecteurs anglophones et francophones.

Cependant, Piedad Cordoba s’opposera à Santos lors des prochaines présidentielles. Elle a été destituée de son poste de sénatrice à cause de la farce des ordinateurs de Raul Reyes (torturé et assassiné en Equateur, ainsi que sa compagne, par Uribe).

Piedad Cordoba ne fait pas partie des "tous pourris", comme veut nous le faire croire la droite qu’une abstention arrangerait bien aux prochaines élections en France car le Front National ou l’UMP passeraient facilement... compte tenu des déçus par un présidence qu’ils ont crue "socialiste".

Piedad Cordoba a été largement attaquée par les paramilitaires mais pas achetée, semble-t-il. Elle a facilité les négociations aussi bien d’Uribe que de Santos avec les FARC et la libérations de ceux qu’ils retenaient prisonniers dans la forêt. Y compris les "volontaires" franco-colombiens, dont les FARC ne voulaient pas et, moins absurdement, y compris les militaires.

14/09/2013 21:12 par JP

Encore merci Dominique pour ces explications limpides et inspirantes. C’est très enrichissant pour les autres de faire partager son expérience personnelle.
Mais j’ai parfois l’impression qu’il est plus facile d’entrer en contact avec quelqu’un qui se trouverait à l’autre bout de la planète qu’avec mes propres voisins ou compatriotes qui sont eux-mêmes englués dans leur quotidien. Disons que je n’ai pas encore trouvé ma voie en ce qui me concerne.
"Chaque situation a ses caractéristiques qui font que certaines choses sont possibles et pas d’autres."... Il y a heureusement beaucoup de choses possibles et donc d’espoir de construire un monde un peu meilleur :)

14/09/2013 22:09 par Lionel

JP ! Ne pas oublier aussi que les lecteurs réguliers et occasionnels de sites et de blogs sont très nombreux et qu’il y en a peu qui ont le temps ou l’envie d’écrire un com !
Mais ils sont bien là et sans doute aussi une large fraction préférerait une discussion tangible, réelle, avec des personnes palpables dont on perçoit aussi le langage non-verbal si précieux pour sentir à qui l’on parle...
L’information est vitale, mais rien ne se fera par internet qui ne soit réformiste, les mouvements qui ont émergé un peu partout depuis les Anonymous jusqu’aux soirées FB ont fait long feu !
Oui, à la fois il est plus facile de parler avec des gens qui nous correspondent ici mais le plus utile au final c’est encore de parler justement avec des gens qui ne partagent pas nos idées, c’est là que l’on s’affûte et que l’on marque des points, autrement c’est juste rassurant de ne pas se savoir aussi seul !

15/09/2013 04:04 par Dominique

@JP
C’est sur que dés fois c’est plus facile de parler avec quelqu’un a l’autre bout de la planète car il peut y avoir une fascination réciproque. C’est typiquement le cas quand je suis à Cuba. Ceci dit, il est important de faire des actions dans sa proximité, et de faire des actions auxquelles ont croit, car cela permet d’être enthousiastes et ainsi c’est plus facile d’entrer en contact avec les autres.

Ce qui rejoint ce que dit Lionel. C’est en faisant les choses que l’on devient bon. La seule différence entre quelqu’un de douer et quelqu’un de pas doué c’est que le pas doué devra plus travailler pour arriver au même résultat. Mais un doué qui ne fiche rien n’arrivera à rien, il aura juste gaspiller son don.

15/09/2013 10:04 par JP

Alors il n’y a plus qu’à... trouver un mouvement suffisamment rassembleur et accueillant pour tenter quelque chose. J’ai déjà toqué à la porte des We Are Change qui m’ont aimablement proposé de distribuer des tracts avec eux... ça ne m’a pas tout à fait convaincu mais je ne désespère pas.
Tout ne se fera pas par internet mais beaucoup de choses comme l’information et les images peuvent à mon avis influencer l’opinion publique et peut-être susciter des réactions. C’est déjà important d’y être, même sous un pseudo, sur un blog ou sur un forum.

15/09/2013 14:40 par Eric

Bonjour
@Dominique
Si la solution en Colombie passe par un changement de politique en Colombie, comme les multinationales sont avant tout issues des pays riches, une partie importante de la solution passe par un changement de politique chez nous.
non je ne crois pas et les exemples sud-américains sont là pour nous le démontrer. L’Iran aussi dans une autre mesure. Il faut éviter de tout ramener à notre système. Les changements en Colombie se feront avec la solidarité des états sud-américains. Chavez a créé des leviers pour consolider l’indépendance du continent vis à vis des puissances impérialistes. Les multinationales si elle voulaient continuer à travailler, ont du se conformer aux lois des états souverains. Chavez avait fait interdire les Ogm’s. Mosanto n’a qu’à aller se rhabiller.
Si tous ces états devaient attendre après l’Europe, ben ce n’est pas gagné. Le système est verrouillé ic. Il n’y a pas d’élan et pire c’est même l’extrême droite qui a le vent en poupe.
Sur Piedad Cordoba, elle était aux côtés de Chavez pour les négociations des otages. L’histoire de sa destitution démontre à quel point elle gène le pouvoir. Je ne connais pas son degré de popularité mais ce que je sais est qu’avec une personne de cette trempe à la présidence, la Colombie changerait de cap
Bon dimanche
Eric Colonna

15/09/2013 18:48 par Dominique

@ Eric

Je suis bien d’accord que si Piedad Cordoba accède à la présidence, la Colombie prendra un autre cap. Il y a aussi sûrement plein d’autres personnes de sa trempe dans ce pays. Le problème est qu’avec des si on met Paris en bouteille, et que pour le moment, elle n’est pas à la présidence. Qu’elle y accède est on pourra en reparler avec plaisir. C’est aussi ce que je lui souhaite à elle et à la Colombie.

16/09/2013 14:55 par BQ

Piedad Cordoba est dans l’attente d’une décision de la Cour Constitutionnelle sur la légalité de la décision de justice du Procureur l’empêchant de se présenter à une charge élective. Par conséquent, à l’heure actuelle, elle ne peut être candidate présidentielle. La gauche colombienne est très diverse et ne se réduit pas à Piedad (candidate probable de Marcha Patriotica), il y a également le Polo Democratico Alternativo ou POLO (à travers la candidature de Clara Lopez, recevant quelque 20% d’opinions favorables dans les dernières enquêtes) qui avait fait parler de lui l’an dernier avec l’exclusion arbitraire du Parti Communiste Colombien (PCC) laissant planer une dérive social-démocrate du Polo réorganisé autour de Clara Lopez, le MOIR du sénateur Robledo (ex-maoïste). Le POLO, grand projet de gauche unifiée, a laissé la place aux purges internes (expulsion du PCC, de Gustavo Petro l’actuel maire de Bogota) après des affaires de corruption de l’ancien maire Samuel Moreno, mais reste, malgré cette attitude pirañista (de piranas), un acteur de poids qui a énormément déçu mais avec lequel il faudra compter pour une union de gauche possible ( si tant est qu’ils ne vont pas voir du côté des Santistas et des Verts de droite).

Pais Comun (parti de gauche organisé autour de personnalités du mouvement social indigène et d’anciens du Polo), Progresistas, parti formé autour de Gustavo Petro après son départ du Polo (très lapidaire envers la guérilla des FARC), le PCC, l’Union Patriotique qui a retrouvé sa personnalité juridique après son extermination et et bien d’autres sont aussi de la partie, dans une fragmentation quasi sans précédent. Beaucoup d’égos, d’idéologies sectaires, de division dans les méthodes, de quasi-absence de candidature d’"en bas", de gauche, sans sectarisme et avec les mains propres, le fait également que les deux guérillas (ELN et FARC) ne sont pas d’accord historiquement sur les méthodes, sur les désirs d’unité, sur la façon d’aborder la participation populaire, aboutissent à ce panorama décevant de la gauche face aux élections en Colombie.

Le contexte est pourtant favorable avec de multiples candidatures de droite soit autour de Santos, soit autour d’Uribe mais également des troisièmes voies (tout autant impasses néolibérales), un processus de paix négociée politiquement sans cesse réclamée et portée par la gauche, des conditions exécrables d’existence pour la grande majorité, des mouvements sociaux très forts (Congrès des Peuples etc)...Est-ce que la gauche colombienne surmontera ces égos de personnalité pour être à la hauteur du moment, ensemble ? A suivre donc...

17/09/2013 18:03 par Anonyme

Emilio ?
Emilio... ?
Êêêê-miiiiii-liôôô !
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