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Colombie : La paix contre le terrorisme d’état

Joaquin : « Ma vie est une longue fuite, depuis mon village natal. » TZIVAN DERVEAUX

COLOMBIE • Dans le nord-ouest du pays, dans l’Uraba, les paysans de San José de Apartadó ont formé une communauté de paix pour défendre leur neutralité envers toutes les parties au conflit colombien – armée, paramilitaires et guérilla. Un modèle de résistance pacifique face aux menaces et agressions dont ils sont victimes.

Le dialogue amorcé fin 2012 entre le gouvernement colombien et les FARC, aujourd’hui perturbé par le retour politique de l’ancien chef d’Etat Alvaro Uribe – dont la formation est arrivée deuxième dans la course aux législatives du 9 mars – se poursuit tant bien que mal à La Havane. Pendant ce temps, les communautés déclarées « zones neutres et humanitaires » continuent de subir des exactions tant de la part des groupes armés que du gouvernement. Comme c’est le cas pour la communauté de paix de San José de Apartadó (1).

Le chivero, taxi-jeep collectif surchargé, s’enfonce nonchalamment dans l’épaisse forêt de l’Uraba. Cette région du département d’Antioquia, située au nord-ouest de la Colombie, est particulièrement stratégique en raison de sa proximité avec le canal de Panama et son débouché sur la mer des Caraïbes. L’agitation et la chaleur épaisse de la municipalité d’Apartadó laissent place au calme d’une végétation luxuriante.

A l’entrée de San Josecito, principal hameau de la communauté, un panneau illustré d’un cacaotier et d’un bananier annonce la couleur : « Propriété privée, Communauté de paix de San José de Apartadó, zone neutre ». Un second panneau avertit le visiteur : « La communauté refuse de participer à la guerre, interdit le port d’armes et la consommation d’alcool. »

A l’entrée, des enfants jouent en compagnie d’animaux, pendant que leurs parents travaillent dans les champs de cacao, de maïs ou de manioc. C’est le calme apparent qui frappe au premier abord. Sans doute dû à la trêve de fin d’année entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

En mars 1997, la violence subie par la population civile de la région a poussé des familles paysannes déplacées à créer une « communauté de paix » dans la municipalité de San José de Apartadó. Ces paysans, aidés par le diocèse et des organisations civiles telles que la Commission interecclésiale de justice et paix, ont déclaré la localité « zone neutre et humanitaire », refusant toute collaboration avec les acteurs armés. Ainsi qu’avec le gouverneur et futur président de la République, Alvaró Uribe, qui reviendra d’une visite à San José de Apartadó « extrêmement vexé », se souvient le père Javier, aumônier et figure intellectuelle de la communauté. En représailles, l’armée bombarde le village. Commencent alors, en toute impunité, une série d’exactions ciblées des paramilitaires et des forces armées contre la communauté.

L’une des dernières en date est celle commise à l’encontre du jeune Buenaventura Hoyos, enlevé le 31 août 2013 par le groupe paramilitaire Autodefensas gaitanistas de Colombia. Lors d’une marche organisée afin de retrouver le jeune paysan, un camp de paramilitaires abandonné a été découvert à quelques mètres de celui d’une patrouille de l’armée. A ce jour, la communauté n’a toujours aucune nouvelle de Buenaventura Hoyos.

Son territoire continue d’être le champ de bataille des belligérants. Le 5 février dernier, un engin explosif qui aurait été posé par les FARC a éclaté dans la zone urbaine de San José de Apartadó, à proximité d’un poste de police et d’une école. Des soldats de l’armée colombienne auraient alors déclaré à des paysans : « Ce qui s’est passé ici, les habitants de San José le paieront très cher au travers d’actions paramilitaires. Personne ne doit oublier que nous travaillons ensemble. » (1)

Depuis plus de vingt-cinq ans, le père Javier dénonce les crimes commis dans l’Uraba par l’ensemble des groupes armés. Après un exil difficilement supporté, « parce qu’on sent qu’on a perdu sa liberté, qu’on ne sera jamais tranquille », et malgré les avertissements d’un chef d’Etat-major de l’armée colombienne, il poursuit son combat contre une politique qu’il qualifie de « persécution systématique et de terrorisme d’Etat ». Celle-ci se traduit par des arrestations arbitraires et des recrutements forcés. La communauté compte ainsi plus de 250 membres portés disparus ou assassinés depuis 1997.

L’impunité judiciaire l’a poussée à rompre le dialogue avec les institutions publiques. San José de Apartadó refuse entre autres l’indemnisation versée aux familles de victimes car « la communauté ne vend pas ses cadavres ! », s’exclame Jesus Emilio Tuberquia, l’un de ses représentants. Lorsqu’on évoque le courage et la détermination des membres, il assure avec aplomb : « La souffrance que nous subissons depuis toujours s’est transformée en espoir et s’est réalisée dans la communauté. C’est de cette façon que nous, nous construisons la paix ».

Selon le dernier rapport du Haut Commissariat aux réfugiés, la Colombie est le pays où l’on dénombre le plus grand nombre de déplacés internes, soit près de 5 millions de personnes. Joaquin, un vieux paysan, en fait partie. Le regard vif, il raconte sa vie de déplacé qui a débuté en 1948, en même temps que la guerre civile dite de « La Violencia ». Cette période noire de l’histoire colombienne, qui constitue le terreau de l’actuel conflit, a vu l’apparition des premières milices d’autodéfense paysannes contre les groupes armés conservateurs. « Ma vie est une longue fuite, depuis mon village natal. Et toujours à l’ombre de la mort. Mais elle a abouti en 1997, dans la communauté de paix » confie-t-il. Son visage s’assombrit et son regard se perd au loin lorsqu’il évoque ses deux fils enlevés cette même année par les paramilitaires. « Mais ici nous sommes en paix. En tout cas tant que les paracos (paramilitaires) nous laissent en paix ! », lâche t-il simplement. Puis il s’excuse de devoir s’en aller, une partie de dominos l’attend.

C’est bien la recherche de la paix qui est au centre de l’organisation sociale et économique de la communauté. Une véritable stratégie a été mise en place, basée sur la solidarité de ses membres et sur l’autosuffisance alimentaire et énergétique. Un jour par semaine, tous les habitants participent aux travaux communautaires, lesquels ont permis l’installation de panneaux solaires et le maintien d’une agriculture vivrière. Et environ une fois par mois, tous les habitants de plus de 14 ans se réunissent en assemblée pour décider des orientations communautaires.

C’est encore dans ce but qu’a été créé, avec d’autres communautés de déplacés du pays, l’Université paysanne. Elle permet d’échanger des connaissances en matière d’agriculture, d’éducation et de médecines naturelles. La communauté a également entrepris une collaboration avec des ingénieurs agronomes, afin de diversifier ses cultures et ses sources de revenus. C’est en ce sens qu’elle vend du cacao biologique à des entreprises engagées, telles que l’entreprise de cosmétiques anglaise Lush.

Grâce au soutien d’organisations civiles, telle que l’association genevoise Lectures Partagées (2), elle développe son infrastructure éducative, en construisant des bibliothèques. « Ce qui a permis aux principaux hameaux d’avoir accès à des livres et à des ordinateurs », assure Ramon Muñoz Castro, fondateur de l’association, rencontré sur place. « De nombreux défis restent cependant à relever, c’est la raison pour laquelle nous avons lancé une campagne afin de financer l’achat d’un terrain abritant des sources, ainsi qu’une faune et flore très riche », ajoute t-il.

Le territoire de la communauté est en effet très fertile et le climat tropical est approprié à la culture de la banane, du cacao et de la palme africaine, utilisée notamment dans la production d’agrocarburants. Ces ressources naturelles attirent l’attention des industries agroalimentaire et énergétique, mais également celle de compagnies d’exploitation minière, comme l’entreprise suisse Glencore Xstrata. Le sous-sol de la région représente en effet l’une des plus grandes réserves potentielles de charbon du pays. Déjà exposées aux fumigations pratiquées dans le cadre du programme de lutte antidrogue du gouvernement, les cultures de subsistance ne survivraient pas à la réalisation de tels projets « qui entraîneraient un désastre écologique et social », prévient M. Muñoz.

Derrière ces nouvelles menaces plane toujours l’ombre du paramilitarisme, qui sert aujourd’hui les multinationales comme Chiquita ou Nestlé, avec le consentement du gouvernement. C’est la raison pour laquelle la communauté de San José de Apartadó semble ne rien attendre des négociations de paix à la Havane. Comme le rappelle Jesus Emilio, en évoquant les récentes élections législatives colombiennes : « Tous ces gens ne pensent qu’à conserver leurs confortables fauteuils. Mais nous, on continue notre engagement pour la vie ».

TZIVAN DERVEAUX

»» http://www.lecourrier.ch/node/119710

1. a. b. Cf. Amnesty international, « Colombia : Armed conflict threatens peace community », 10 février 2014, www.amnesty.org/

2. L’association favorise l’accès des communautés rurales, essentiellement en Amérique latine, à la lecture et à l’information : www.lecturespartagees.org/ Pour soutenir la campagne « Tagua, tierra y agua ! » en faveur de la communauté de paix de San José de Apartadó : www.tagua-campaign.org


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