Dans la nuit du 9 au 10 janvier était diffusé sur France 24 un débat concernant la Révolution cubaine .Trois personnes étaient invitées. Sur ces trois personnes, deux étaient farouchement anticommunistes et "anticastristes" - que l’on me pardonne l’expression. Le premier était, si je ne me trompe pas, Alain Ammar, auteur de l’ouvrage Le jour ou castro a pris le pouvoir. Le second était président de l’association anticommuniste, qui porte mal son nom, "Cuba Libre". Un troisième homme, journaliste, avait un point de vue relativement objectif sur Cuba. Il répondait, il me semble, au nom de Fernandez.
On se doutera qu’il fut difficile pour ce M. Fernandez de répondre à toutes les inepties débitées par ses contradicteurs lors d’un débat très court (Bourdieu, comme tu avais raison !). J’en citerai quelques unes, qui m’ont particulièrement marqué, et qui proviennent toutes de M. Ammar.
La première est que M. Fernandez a eu le malheur de parler de "blocus" économique imposé à Cuba. M. Ammar répondit qu’il ne s’agissait pas d’un blocus - mot "castriste" selon lui - mais d’un embargo. Son compagnon s’empressa de l’appuyer.
Quelques notions de vocabulaire : Selon la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie : "Blocus économique, ensemble de mesures visant à interdire toutes les relations commerciales entre un pays et le reste du monde. Le blocus économique est un moyen de pression ou de rétorsion à l’égard d’un État dont on juge qu’il a enfreint les conventions internationales."
Nous sommes bien dans le cas d’un ensemble de mesures visant à interdire TOUTE relation commerciale entre Cuba et le reste du monde, et l’Union Européenne était d’ailleurs complice jusqu’à il y a peu. Si le blocus n’est pas total, c’est à dire s’il n’est pas une réussite parfaite, devient-il pour autant un "embargo" ?
Le Trésor de la langue française informatisé va plus loin. Il donne deux exemples : "Blocus de Berlin ; blocus de Cuba".
Concernant le terme embargo, la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie écrit :"Par ext. Mesure tendant à empêcher provisoirement l’exportation ou la libre circulation d’une marchandise déterminée. " Or, il s’agit bien d’empêcher TOUTE marchandise cubaine d’être échangée aux Etats-Unis, et pas de faire l’embargo de certains produits. La quatrième édition apporte une définition plus ancienne, qui montre que le terme embargo est bien différent du blocus et s’applique plus difficilement ici : "Défense faite aux vaisseaux marchands de sortir des ports, afin d’en faire usage pour le service de l’État".
Bref, la distinction de M. Ammar, en plus d’être fausse, n’avait qu’un objectif : minimiser l’impact du blocus économique imposé à Cuba. Oui, la France commerce avec Cuba, mais l’Empire n’est pas tout puissant. On aurait donc aimé que M. Ammar n’interrompe pas son interlocuteur qui disposait de peu de temps pour exposer ses arguments.
Seconde idée : "Cuba n’est pas communiste, d’ailleurs Fidel Castro n’a jamais dit qu’elle l’était. Elle est castriste. "C’est à peu près en ces termes que M. Ammar s’exprima. Effectivement Cuba n’est pas "communiste", elle est "socialiste". C’est à dire qu’elle travaille par le processus révolutionnaire à établir une société communiste. Fidel Castro l’a toujours affirmé, et lui, en tout cas, s’est toujours dit communiste, et même marxiste-léniniste. Il s’agissait une fois de plus d’une méthode de propagandiste et de manipulateur pour faire passer Cuba pour une bonne vieille tyrannie. Je dis, moi, que le système n’est pas communiste, mais que Cuba l’est bien. C’est à dire que le processus révolutionnaire est communiste.
Dernière idée : La révolution a renversé la dictature qui existait à Cuba, rappelle M. Fernandez. "Mais à quel prix ! Mais à quel prix !"., l’interrompt M. Ammar. Voilà un discours très objectif. Quel prix accordez-vous à la liberté ? Chacun y répondra soi-même. Mais quiconque connaît un peu l’Histoire de Cuba sait que la Révolution a été peu sanglante, et les combats très peu meurtiers. En tout cas, moi qui suis français, je remercie tous ceux qui ont "payé le prix" pour la liberté dont je dispose, des révolutionnaires de 1789 aux résistants de la Seconde guerre mondiale. Si M. Ammar préfère vivre sous une dictature, ou attendre le déluge, c’est son affaire. Je pense surtout qu’il légitime l’ordre établi.
Il ne s’agit que de trois idées, mais lorsqu’elles sont avancées lors d’un débat très court, coupent la parole au contradicteur et que celui-là n’a pas le temps de répondre, elles prennent un poids disproportionné.
Valmor (étudiant en science politique à l’Université Saint Joseph de Beyrouth).