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Cuba, matière à réflexion (inSurGente)

tableau : Los peces, Rocà­o Garcà­a, Cuba

A partir d’une Histoire parfaitement semblable, à base de colonialisme et de sous-développement, le socialisme a fait infiniment plus pour Cuba que le capitalisme pour Haïti ou le Congo.

Nous vivons un temps propice à la réflexion économique. Après quelques décennies de prédominance néolibérale sous le patronage de l’Ecole de Chicago, l’économie mondiale affronte une crise aux conséquence imprévisibles, certes, mais de toutes façons d’une gravité extrême. La moindre des choses que nous sommes en droit de demander à l’esprit scientifique c’est de changer de modèle, d’inverser les évidences, en somme de réagir face à cette banqueroute intellectuelle qui a empêché et le diagnostic et l’anticipation de cette catastrophe annoncée. Mais est-ce cela qui est fait ?

Nous avons connu diverses versions plus ou moins destructrices du capitalisme, tout comme du socialisme. Mais par rapport à la logique interne qui différencie les deux systèmes, quelque chose, aujourd’hui, devrait nous intéresser vivement. Le socialisme peut cesser de croître et le capitalisme, non. Le socialisme peut ralentir sa marche, le capitalisme, non.

Pensons à l’exemple de Cuba. Lorsque l’URSS s’est effondrée, Cuba perdit soudain 85% de son commerce extérieur. Son Produit Intérieur Brut chuta de 33%, pas moins, en chiffres absolus. On peut se faire une idée de la catastrophe que cela constitue en pensant qu’en Europe, on tremble littéralement à la seule idée d’une perte de 1% de ce fameux PIB. Et s’ajouta à cela un durcissement du blocus étatsunien. Pourtant les Cubains ne sont pas morts de faim, ils ne se sont pas retrouvés nu-pieds, sans écoles, sans sécurité sociale, sans dignité. Les gens ont vécu des jours terribles, mais ce ne fut pas pour eux une fin du monde comme cela aurait été vécu dans les pays capitalistes avec ces mêmes indicateurs.

Au milieu de la secousse actuelle, alors que le capitalisme détruit des corps en Afrique et des postes de travail en Espagne, alors qu’il dévaste sans retour les conditions d’habitabilité du lieu de vie de l’Humanité, alors que, pour parvenir à ce résultat, le capitalisme se doit de recourir, en même temps, au lubrifiant des maffias et au stimulant des intégrismes religieux, de procéder à la restriction des droits des travailleurs, de porter atteinte aux libertés,… c’est alors, en ce moment, que tous les regards, en effet, sont tournés vers Cuba… pour condamner ce pays, pour le fustiger. Mais pourquoi donc ? Mais que se passe-t-il à Cuba ? Où bat-on le record quotidien d’assassinats ? Au Mexique. Le record de syndicalistes et de journalistes assassinés ? En Colombie. Celui des pogromes racistes contre les immigrants ? En Italie. Celui des cas d’homophobie ? En Pologne. Le record des violences xénophobes institutionnalisées et les lois raciales ? En Israël. Où le fanatisme religieux et le machisme criminel battent-ils des records ? En Arabie Saoudite. Dans quel pays battent des records le contrôle des communications, la suspension de l’Habeas Corpus, la torture, les séquestrations illégales, les assassinats de civils ? Aux Etats-Unis. Les mauvais traitements aux prisonniers, les poursuites judiciaires contre des journalistes et des intellectuels, le nombre de journaux interdits, la corruption galopante, l’enfermement des immigrants dans des centres de rétention ? En Espagne.

Bien ; acceptons l’idée que dans ce tableau digne de l’Enfer de Dante, Cuba soit un moindre mal. Le fait que depuis l’Europe et depuis l’Espagne on porte une aussi grande attention - négative - au pays qui de tous les pays du monde est celui où se posent le moins de problèmes - comme vient de le faire le député espagnol Luis Yáñez (Público, 9-1-10) - démontre, de toute évidence, en tout cas, que ce ne sont pas les défauts de Cuba qui sont stigmatisés, mais le fait que Cuba s’oppose à cette logique dantesque du capitalisme et à ses effets ; c’est-à -dire, précisément, ce que elle a de bon.

Les économistes Jacques Bidet et Gérard Dumézil rappellent que ce qui a sauvé le capitalisme au cours des premières décennies du siècle dernier ce fut l’organisation, c’est-à -dire cette même planification que les libéraux assimilent, avec horreur, au socialisme. Les gouvernements et les institutions planifièrent alors d’arrache pied - comme elles continuent de le faire actuellement - même s’il est vrai qu’ils le firent pour conserver et accroître leurs profits et non pour conserver la vie et augmenter le bien-être général de l’Humanité. Mais la planification est désormais, comme le souhaitait Marx, un fait. Il suffit seulement de la changer de signe. Au cours de ces 60 dernières années, la minorité organisée qui a géré le capitalisme mondial s’est appuyée comme jamais auparavant sur toute une série d’institutions internationales (FMI, Banque Mondiale, OMC, G-8, G-20, etc.) qui ont conçu et appliqué, librement, bousculant tous les obstacles, des politiques de libéralisation et de privatisation de l’économie mondiale. Le résultat crève les yeux.

Et si nous appliquions une planification à l’envers ? Et si nous accordions un peu d’attention positive à Cuba ? C’est une méthode que nous n’avons pas encore testée, mais ce que l’actualité nous fait pressentir est plutôt encourageant : à partir d’une Histoire parfaitement semblable, à base de colonialisme et de sous-développement, le socialisme a fait infiniment plus pour Cuba que le capitalisme pour Haïti ou le Congo. Qu’arriverait-il si l’ONU décidait de faire appliquer sa Charte des DDHH et des Droits Sociaux ? Si la FAO était dirigée par un socialiste cubain ? Si le modèle pour les échanges commerciaux c’était l’ALBA et non l’OMC ? Si la Banque du Sud était aussi puissante que le FMI ? Si toutes les institutions internationales imposaient aux capitalistes récalcitrants des programmes d’ajustement structurel orientés vers une augmentation des dépenses publiques, la nationalisation des ressources naturelles, la protection des droits sociaux et des salariés ? Si 6 Banques Centrales d’Etats puissants intervenaient massivement pour garantir les avantages du socialisme menacé par une tornade cataclysmique ?

Nous pouvons parier que la minorité organisée qui gère le capitalisme jamais ne tolèrera pareille chose, mais nous ne pouvons pas affirmer que ça ne marcherait pas. Selon une récente enquête de GlobeSpan, la majorité des citoyens qui connaissent les maux du capitalisme (environ 74%) sont prêts à opter pour un autre système.

Dans son article, le député Yáñez déclarait aimer Cuba, et c’est pourquoi il souhaitait pour elle un avenir meilleur : son intégration au sein du capitalisme, cela précisément au moment où ce dernier vient de démontrer son échec et, simultanément, son incompatibilité avec le bien-être humain, avec la démocratie, avec la dignité matérielle et le Droit. Nous, ce n’est pas Cuba que nous aimons : nous respectons ses hommes et ses femmes à cause de ce qu’ils ont construit et qu’il continuent de construire. Peut-être Yañez est-il plus rassuré lorsqu’il pense à la Colombie ou à l’Arabie Saoudite ; nous, nous sommes rassurés lorsque nous pensons à Cuba, cette île où même les limites, les problèmes et les erreurs de la Révolution marquent inexorablement et cela depuis 51 ans, la possibilité historique d’un dépassement du capitalisme et d’une alternative à la barbarie.

Santiago Alba Rico
Carlos Fernández Liria
Belén Gopegui
Pascual Serrano

inSurGente
http://www.insurgente.org/modules.php?name=News&file=article&sid=19171

Traduction par M. Colinas

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