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Des gagnants, des girouettes et une unité syndicale de façade

Sarkozy vient de promulguer sa contre-réforme des retraites qui va permettre à ses amis des grands groupes financiers d’acquérir une part croissante du « marché » des retraites, au prix d’une aggravation du chômage des jeunes et des seniors.

Certains estiment que Sarkozy a peut-être remporté une victoire à la Pyrrhus

Après cette bataille sociale, on peut effectivement espérer qu’en 2011 puis en 2012 les salariés ne se tromperont pas de bulletin de vote et seront moins nombreux à s’abstenir. Mais rien n’est acquis. Sarkozy-Medef-UMP disposent en effet de moyens financiers quasi sans limites et ont toujours été plus habiles que leurs adversaires. Après la bataille victorieuse de 2006 contre le CPE, on a vu le résultat à la présidentielle un an après.

Les ¾ des Français se sont opposés à cette réforme des retraites, mais les 5 principales confédérations n’ont pas été capables de s’entendre sur des modes d’action appropriés, de nature à empêcher cette régression sociale. Des dizaines de milliers de militants éprouvent un sentiment d’échec et de gâchis. Certes la bataille de l’opinion a été gagnée. Le problème c’est que depuis 2002 les organisations syndicales gagnent toutes les batailles de l’opinion, mais n’ont réussi à empêcher aucune régression sociale, hormis le CPE. C’est comme si à chaque grand match depuis 8 ans, l’OL et l’OM avaient systématiquement gagné la bataille du beau jeu, mais perdu tous leurs matchs sauf un. Que penseraient les supporters des dirigeants et entraîneurs de leur club ?

Tous ceux qui ont pris une part active dans cette bataille sociale ont le droit, et même le devoir, de visionner la « vidéo » pour essayer de comprendre quand et pourquoi le match a été perdu. Afin d’en tirer les enseignements pour les batailles sociales à venir. Ci-après quelques constats sur les faits, les gestes et les paroles des principaux acteurs.

L’unité syndicale

Beaucoup ont découvert fin octobre/début novembre qu’il s’agissait d’une unité syndicale de façade. Avec un petit avantage : le gouvernement n’a pas pu dire que les syndicats étaient divisés. Mais Sarkozy et ses conseillers le savaient depuis longtemps. Il leur a suffit d’attendre que cette unité syndicale de façade conduise le mouvement vers l’épuisement, par la dilapidation des énergies militantes dans 8 grandes journées de manifestations.

A quoi sert une intersyndicale incapable de définir 2 ou 3 objectifs clairs et mobilisateurs ? A quoi sert une intersyndicale dont les leaders n’osent pas aller soutenir les grévistes sur le terrain, ni organiser la solidarité financière ? A quoi sert une intersyndicale qui se refuse à nommer les secteurs économiques où la grève peut s’avérer efficace et ceux où une grève prolongée devient très vite impopulaire (collectes des ordures, transports de proximité …) ?

La CFDT

En 2008, François Chérèque au nom de la CFDT était opposé au passage de 40 à 41 annuités, au motif qu’une telle augmentation était aberrante dans une situation de chômage massif. Dix-huit mois plus tard, avec 1 100 000 chômeurs supplémentaires, la direction de la CFDT ouvre la porte à une augmentation des 41 annuités. En faisant adopter, lors de son congrès de juin 2010, le paragraphe alambiqué suivant : « L’augmentation de la durée de cotisation n’est acceptable pour la CFDT qu’à la condition d’un partage des gains d’espérance de vie et d’une possibilité de choix renforcée. Les gains d’espérance de vie doivent faire l’objet d’un partage équilibré entre durée de cotisation supplémentaire ouvrant droit à une retraite à taux plein et temps de retraite complémentaire. »

En mars 2008, la direction de la CFDT détaillait ses objectifs en matière de retraite. Dans le dossier presse daté du 25 mars 2008, on peut lire au chapitre « Généraliser l’épargne retraite collective et solidaire » : « … Aller au-delà d’une stabilisation du taux de remplacement à son niveau actuel semble difficile … Il faut donc acter que la répartition n’est capable d’assurer qu’un certain niveau de remplacement… L’épargne retraite devient inévitablement un complément indispensable au régime par répartition pour assurer un taux de remplacement correct comme l’ont fait, avant nous, la plupart des autres pays européens. » (1)

Les dirigeants de la CFDT, qu’il faut distinguer de la grande majorité des militants CFDT, sont donc ouverts à l’augmentation du nombre d’annuités et revendiquent la généralisation de compléments de retraites par capitalisation. Voilà des faits précis, pour ceux qui douteraient encore que l’unité syndicale de l’automne 2010 reposait sur des sables mouvants.

Rappelons enfin la proposition de François Chérèque, en direct au JT de 20 heures, d’ouvrir rapidement une négociation sur l’emploi des jeunes et des seniors, comme porte de sortie du conflit. Le Canard Enchaîné du 27 octobre résumait ainsi cet épisode burlesque : « A trois jours de la prochaine démonstration de force syndicale, Laurence Parisot et François Chérèque ont livré un spectacle digne des vestiaires de catch, lorsque, avant de s’empoigner sur le ring, les lutteurs s’arrangent sur l’issue du match ».

L’économiste Jacques Sapir écrivait le 2 novembre dans « Retraites : Sarko n’a pas gagné, Aubry non plus » : « En dépit des discours des dirigeants syndicaux, il était évident qu’il y avait différentes stratégies à l’oeuvre dans le mouvement. De ce point de vue, la CFDT apparaît bien comme le « maillon faible » du front syndical, comme cela fut constaté depuis 1995. »

La CGT

Grande efficacité de la CGT pour mobiliser 20 fois plus de manifestants que n’importe quel autre syndicat. Grandes qualités de Bernard Thibault pour expliquer clairement les enjeux dans les grands médias. Mais la CGT ne représente plus une force suffisante dans aucune grande entreprise du secteur privé ( automobile, métallurgie, construction électrique, électronique, télécoms …), à quelques exceptions près telles que les raffineries et les ports. Cet état de fait constitue un handicap majeur lors de grands conflits sociaux.

Dans un entretien à L’Humanité publié le 6 novembre, Bernard Thibault annonçait : « La CGT continuera à se mobiliser contre la réforme des retraites, y compris si l’unité syndicale se fissure ». Mais il reste quand même des choses peu compréhensibles.

La recherche de l’unité syndicale était certes nécessaire. Mais les dirigeants de la CGT savaient que l’unité syndicale à tout prix conduisait à un grand flou sur les objectifs : retrait/pas retrait, quels points non négociables, quels points négociables … Ils savaient que les grandes journées nationales de mobilisation à une semaine d’intervalle avaient très peu de chances de faire reculer le gouvernement. Enfin, pourquoi n’avoir pas lancé début octobre un appel à la solidarité financière avec les salariés en grève reconductible ?

Des journaux bien informés ont rapporté des propos de MM. Soubie et Fillon selon lesquels « la situation est sous contrôle, car les directions des principaux syndicats sont responsables ». Le résultat final de ces 6 mois d’intense mobilisation tendrait à confirmer que la situation était effectivement sous contrôle !

FO, Solidaires et FSU

L’issue de la bataille confirme leur analyse depuis le début du conflit, à savoir que la multiplication de grandes journées nationales de mobilisation ne suffirait pas à empêcher le vote de la loi. Jean-Claude Mailly (FO) dénonce "un certain gâchis dans la conduite du mouvement". Beaucoup de militants partagent ce constat, à commencer parmi les salariés qui étaient partis en grève reconductible.

Le PS

Début octobre, un article du NO titrait « Martine Aubry, à la godille - un coup à gauche, un coup à droite ». Et rappelait ses propos du 17 janvier sur RTL : « on doit aller, on va aller très certainement vers 61 ou 62 ans ». Au début de l’automne, nouvelle embardée de la première secrétaire du PS qui déclare sur France 2 : « Nous acceptons parfaitement l’augmentation de la durée de cotisation ». Rappelons que Martine Aubry ne fait pas partie de l’aile droite du PS (Manuel Valls, Gérard Collomb, DSK …). Pour comprendre l’aberration de l’augmentation de la durée de cotisation , lire « Il faut répéter encore et partout que la retraite à 60 ans n’a jamais existé »

La direction du PS a appelé ses militants à participer à toutes les manifestations, mais des déclarations aussi incohérentes n’en sont pas moins lourdement contre-productives dans la bataille de l’opinion. La direction du PS propose des remèdes pour agir sur les symptômes d’une maladie dont elle s’est toujours refusée à nommer les causes profondes. Refus d’expliquer aux citoyens comment les grands groupes financiers et leurs fidèles relais dans les partis de droite organisent le chômage de masse, l’endettement de l’Etat, ainsi que le bradage aux intérêts privés, de l’école, de la santé et des retraites. Refus d’admettre et d’expliquer que le principal remède au chômage de masse est une répartition plus équitable du temps de travail, puisque le retour d’un taux de croissance de nature à faire baisser significativement le chômage est une illusion depuis 20 ans déjà . Et que cela a peu de chances de changer dans les décennies à venir. Avec un adversaire principal aussi inconséquent, la droite garde toutes ses chances pour 2012 et les Français n’en ont pas fini avec les régressions sociales.

Les vrais gagnants

D’une part les grévistes des raffineries, ceux qui ont bloqués les ports (Marseille, Le Havre, Dunkerque …) et tous les salariés qui ont eu le courage de partir en grève reconductible pour défendre l’intérêt général et celui de leurs enfants et petits-enfants. Nous leur devons une grande reconnaissance. C’est pourquoi la solidarité financière devrait être poursuivie jusqu’à ce que soient compensées au minimum 80% de leurs pertes de salaire.

D’autre part, tous ceux qui par leurs initiatives militantes (réunions publiques, tractages, sites, blogs, actions de blocage …) ont contribué à faire comprendre aux Français les enjeux de cette bataille sociale.

Sur la grève par procuration

Quand 70% des Français approuvent les grèves, cela signifie que la « grève par procuration » n’est pas une idée à disqualifier d’un revers de main. Le problème majeur est que les secteurs en capacité de démarrer des grèves efficaces « au nom de tous et de l’intérêt général » sont souvent ceux qui sont le moins percutés immédiatement par la contre-réforme, aujourd’hui celle des retraites. Ce qui au passage permet de comprendre pourquoi les gouvernements ont intérêt à maintenir, tout en les réduisant régulièrement, quelques avantages sociaux significatifs aux salariés de certains secteurs stratégiques (SNCF, RATP, routiers, ports, raffineries, aiguilleurs du ciel ..).

Sur le rôle des médias

La plupart des grands médias ont répété, en boucle ou mezzo-voce, la ritournelle UMP-Medef selon laquelle il n’y aurait pas d’autre solution que de travailler plus longtemps. Alors même que 70% des Français pensaient le contraire. Un slogan brandi dans la manifestation lyonnaise résumait cela parfaitement : « MEDIAS partout, INFO nulle part ! ». Beaucoup d’articles pertinents ont montré de quel côté se sont positionnés les grands médias écrits et audio-visuels. Coluche, il y a longtemps déjà , avait trouvé une formule assez juste : « Les journalistes ne croient pas les mensonges des hommes politiques, mais ils les répètent, c’est pire ! ».

Comment être mieux préparés et plus efficaces dans les batailles sociales à venir ?

Vaste question à laquelle chacun pourra apporter des éléments de réponse. Il faudrait que ce débat ait lieu dans chacune des organisations syndicales et politiques, puisqu’on a pu constater leurs limites en matière de cohérence et d’efficacité. Pour notre part, nous considérons qu’il est sain et utile que des initiatives citoyennes locales, unitaires, transversales, déjà existantes ou à créer, viennent ajouter leurs capacités d’analyse, de souplesse et d’imagination aux forces des organisations syndicales et politiques traditionnelles.

André Martin
http://www.retraites-enjeux-debats.org/

(1) Ce dossier de presse CFDT est consultable à l’adresse http://www.cfdt.fr/content/medias/media11113_2008_03_25_dossier_presse_retraites.pdf

URL de cet article 12005
   
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