Ecocide

Pendant que la gent journaleuse s’absorbe à commenter jusqu’à plus soif les pitreries pitoyables du sinistre Dieudonné ou les frasques amoureuses du Prince un drame grandiose se noue dans le dos des spectateurs captivés par le babillage minable de la clique des amuseurs. Partout, dans une inquiétante indifférence, le patrimoine naturel commun de l’Humanité se meurt.

L’agonie a débuté depuis longtemps déjà. Et depuis longtemps « également l’on moque tous ceux qui s’en alarment dans leur aride désert. L’on a appelé à la rescousse, outre les journalistes les moins regardants, des cohortes d’experts autorisés à dire à quel point les multiples alarmes sont autant de peurs irrationnelles. Allons, le péril n’est pas si grand, l’Homme est plus puissant et inventif que la nature qui le nourrit. Il peut donc continuer de l’exploiter, de la défigurer en maints endroits, de la vendre au plus offrant, de lui substituer par morceau des ersatz de nature artificialisées en laboratoire. Le féroce appétit du capitalisme, lui-même moribond, n’a plus de limites. Des seuils d’irréversibilité sont d’ores et déjà franchis en ce qui concerne la capacité des écosystèmes à supporter ce qui leur est infligé. Et la folie destructrice des hommes ne s’arrête pas là : ils détruisent sournoisement les dispositions juridiques qui embarrasse la volonté de profit ; ils ont même commencé de brûler les preuves de l’écocide en marche.

Les abeilles peuvent encore témoigner… Une toute récente étude s’alarme de la comparaison des capacités de pollinisations des abeilles domestiques (Apis mellifera) et des surfaces agricoles européennes (1).Près de 13,4 millions de colonies d’abeilles manqueraient pour assurer une pollinisation optimale des cultures des 41 pays observés. Entre 2005 et 2010 , les besoins en pollinisation ont augmenté cinq fois plus rapidement que le nombre de colonies d’abeilles. Cet écart considérable serait en large partie dû à la forte progression des surfaces de cultures oléagineuses, comme le colza et le tournesol, liée à la politique européenne de développement des agro-carburants. Les pays où le déficit est le plus grand sont la Moldavie, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et l’Italie. Les scientifiques mettent en exergue le fait que désormais l’agriculture européenne est de plus en plus tributaire d’autres types de pollinisateurs tels les abeilles sauvages, les bourdons, les syrphes… Ils soulignent qu’aucune réelle politique, aussi bien agricole qu’environnementale, n’est mis en œuvre pour assurer la protection de ces pollinisateurs dits sauvages. Le Professeur Simon Potts, qui a mené l’étude, a déclaré : « Nous allons vers une catastrophe. »

Les choses ne vont pas s’arranger. Le 14 juin 2013, la Commission européenne a reçu mandat de l’ensemble des États membres afin de négocier avec les États-Unis le Le Grand Marché Transatlantique (GMT). Cet accord aura pour but d’instaurer un vaste marché de libre-échange, allant au-delà des accords de l’OMC. Ce projet, négocié en toute absence de transparence, vise le démantèlement des droits de douane restants, entre autres dans le secteur agricole, et plus grave encore, la suppression des "barrières non tarifaires". Ceci ne pourrait qu’amplifier la concurrence débridée et empêcherait la relocalisation des activités économiques. Il conduirait à un nivellement par le bas des règles sociales, économiques, sanitaires, culturelles et environnementales, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, par l’extension territoriale du droit américain si peu protecteur. Un exemple ? Au début de cette année, la Cour suprême des États-Unis a de nouveau donné raison à Monsanto en refusant de se saisir de la plainte d’un groupement d’agriculteurs bio. La haute Cour, qui s’était déjà rangée du côté de Monsanto en mai 2013, a rejeté, sans commentaire, la requête de dizaines de fermiers pratiquant la culture bio et conventionnelle ainsi que des producteurs de semences organiques, qui réclamaient que le groupe américain s’engage à ne pas poursuivre les propriétaires des cultures de soja, coton, maïs, qui auraient été contaminées par ses semences transgéniques acheminés par les vents ou les pluies. Comment la biodiversité pourrait-elle survivre à un tel obscurantisme ?

Le Canada, qui préfère se voiler la face, pourrait devenir un exemple. Divers chercheurs disent y avoir assisté ces derniers mois à la perte d’un patrimoine scientifique inestimable. Décidé à démanteler, pour des raisons budgétaires, plusieurs bibliothèques scientifiques, le gouvernement canadien est accusé d’avoir dispersé ou mis au pilon des documents rares, certains irremplaçables pour la recherche en sciences de l’environnement. On assiste également à des fermetures de laboratoires, à des suppressions de programmes scientifiques touchant le climat, la sécurité sanitaire, la qualité de l’eau, la surveillance du secteur pétrolier, etc. Pêches et océans Canada, l’agence fédérale chargée des affaires maritimes, a décidée en avril dernier la fermeture de sept de ses onze bibliothèques scientifiques. L’argument budgétaire ne parvient pas à convaincre la communauté scientifique. Le biologiste Daniel Pauly, professeur à l’université de Colombie Britannique, qui est aussi une autorité mondiale en gestion des ressources marines, ne décolère pas : « Stephen Harper a fondé toute sa politique économique sur les sables bitumineux de l’Alberta, dont l’exploitation est désastreuse pour l’environnement : le gouvernement n’a d’autre choix que mentir pour cacher ce désastre. Par exemple, pour éviter que des découvertes gênantes ne soient faites sur l’exploitation des hydrocarbures, on ferme les laboratoires d’éco-toxicologie. Cela fonctionne désormais comme cela au Canada et c’est extrêmement grave. Nous dérivons vers une pétro-dictature (2). » Comme nous aimerions le détromper à l’heure où les pétroliers convoitent le sous-sol européen !

Yann Fiévet

En complément : http://www.les-indignes-revue.fr/

(1) Publiée par le journal d’information scientifique en ligne « PLOS ONE » le 8 janvier 2014.

(2) Le Monde du 8 janvier 2014.

COMMENTAIRES  

29/01/2014 02:26 par Lionel

Les dommages irréversibles infligés à la biodiversité de même que l’épuisement des ressources naturelles sont effectivement à mettre au compte de l’économie capitaliste.
Mais allons plus loin et admettons que ces destructions sont simplement inhérentes à tout système productiviste quelles qu’en soient les justifications.
Dire que les pays pauvres ont droit à leur part de gâteau est à la fois justice et négligent si l’on n’ajoute pas que pour cela il est nécessaire et incontournable que les pays riches acceptent de mieux consommer ( moins en termes énergétiques serait déjà un immense pas en avant ! ).
Certains seuils d’irréversibilité ont été franchis mais ce que nous voyons n’est sans doute que la partie émergée, nous connaissons encore assez mal les sols dont la biodiversité est la plus élevée et la plupart d’entre eux dans les pays agricoles sont désormais stériles...
Je crois qu’il faut à tout prix changer nos modes de penser la chose et admettre que sans décroissance contrôlée et démocratique ( pas une décroissance d’extrême-droite -si, si, ça existe- ) nous ne verrons pas de sortie.

29/01/2014 05:43 par calame julia

Nous venons de déposer un rapport constatant la dégradation des zones humides, toutes en danger,
en France et dans le monde.
Nous ne savons toujours pas si, en général, nos contemporains comprennent bien le sens
des mots : écosystème et biodiversité.
D’accord avec le Pr Simon Potts.

29/01/2014 14:23 par Emilio

Exact Calame Julia , et le terme ecocide ne sera pas plus compris . Parce que nos civilisations sont coupees de leurs racines , de la Madre Tierra. Et aucun pouvoir n y echappe. C est trop simpliste d accuser le capitalisme , chacun a sa part de responsabilite et de culpabilite. C est d ailleurs tres en vogue de se rejeter la faute sur les uns les autres et de pointer les masses qui ne decident pas. Du coup , les coupables decideurs designent les coupables consommateurs en les faisant payer. Un panier de crabes quand tout va mal .

Mandrin me demandait sur un autre fil , et les ogm en Amerique latine ?

Ben oui , si c etait la faute au capitalisme, on pourrait esperer un autre monde socialiste et eco en avant. Ce n est pas aussi simple. On ne peut meme pas parler de systemes productivistes industriels puisque l agro ecologie est bien plus productive que l agriculture chimique de synthese qui n est pas durable. De nombreux exemples , chez nous en Colombie comme partout , prouvent que cette agriculture qui place le milieu ambiant en premier plan peut aussi devenir industrielle.

GM crops began to be planted in 1996, and currently cover 125 million hectares worldwide. The leaders are the United States, Argentina, Brazil, Canada and China.

Cuba est un exemple pour l agriculture urbaine agro ecologique. Aidee depuis la periode speciale de famine par des scientifiques internationaux qui travaillent dans cette voie eco-libre. Mais Cuba et ses dirigeants ont aussi impose sans debats le mais ogm . Pas pire qu ailleurs , non , ce sont des labos cubains qui controlent le processus et pas des multinationales. C est déjà ça, mais un pari lourd de consequences negatives.

Idem , pour l Argentine qui veut augmenter les surfaces cultivees ogm en gagnant toujours plus sur les forets. Et les agriculteurs ogm argentins qui constatent la baisse de leurs rendements et l utilisation exponentielle de produits chimiques de synthese , personne ne les entend . Oui, des catastrophes qui vont s amplifiees

Idem , pour la Bolivie qui encense la Madre Tierra en discours et va developper un programme nucleaire d origine argentine et qui est aussi bresilienne. Consequences negatives a prevoir , comme partout.

Idem l Equateur eco socialiste dans les textes , qui la main sur le coeur et larmes aux yeux ,decident sans consultation populaire ,d exploiter ..meme un peu- (rassurer sur les genocides, c est toujours avant ) la foret amazonienne

Ce sont la realite et les drames qui ouvrent les yeux. Et pour l AL en revolution, ce sont les multitudes de mouvements populaires eco socialistes de la rue et plus de palais qui ont ce role d aiguillon et qui devraient logiquement etre le pouvoir .. de socialiste a libertaire , Maduro en est conscient et appui ce processus .

Une revolution ne tombe pas du ciel ni de palais , elle se vit et il faut se battre pour cette vie, pour la protegee. L action ce sont des choix personnels et collectifs. Oui y a des choix a faire , simples, de nouvelles habitudes a prendre et des recherches a toujours approfondir Les consciences s eveillent cependant mais pas assez vite et trop peu pour eviter les catastrophes , c est evident.

A titre perso , je suis vegetarian vasectomise , presque vegan , pas une decroissance mais une croissance et raisonnee. Recyclage le plus complet possible . Au niveau collectif , limiter les dechets par moins d emballage etc.. agriculture urbaine a developper. Compostage rationnel et technifie des matieres organiques reutilisees comme engrais et produits phyto sanitaires. Par l exemple , de ma finca et de nouvelles methodes de compostages rapides . C est aussi mon domaine d agronome et je suis tres ecoute en Colombie.

La revolution se fait avec ses pieds. C est d abord changer des structures , le cooperatif contre les latifundios . Et enseigner les methodes agro ecologiques . c est ce qui se fait chez nous et deja et a grande echelle. Des universites qui enseignent a des milliers d etudiants (30 000) les modes cooperatifs , d autres qui enseignent l agro ecologie. Notre gouvernement provincial est vert , de dirigeants de droite (avec un soutien de gauche de base, chercher l erreur) mais ouvert et valable aussi pour les programmes nationaux qui vont dans ce sens d ecovie. La base verte social est jeune et populaire et pousse la societe dans ce sens. Les gouvernants ne sont pas hostiles, tant que le systeme ecocide n est pas remis en cause a grande echelle, valable pour certains rouges aussi , mention d honneur a Petro maire de Bogota qui prend ses decisions avec le peuple et les mouvements populaires tres verts et conscientises politiquement et tres actifs

Nous sommes tous conscients qu il est deja trop tard et le virage n est pas pris assez vite . Mais il faut se battre malgre tout parce que c est un devoir de lutter pour la vie. Les solutions pour l agriculture sont d abord de permettre un systeme ou le paysan a le droit de decider et d etre proteger des predateurs, les reserves paysannes pour la Colombie. C est un choix politique qui s impose par des rapports de force. Les choix collectifs et personnels doivent etre simultanes. Precher par l exemple .. du petit , soi, au plus artisanal de petits groupes ,et du general.

L agriculture de synthese , les ogms lies , ce sont des fantasmes qui ne dureront pas , puisque appauvrir finit par tuer. Question de temps, nous avions raison mais nous sommes morts avant avec les autres qui avaient torts . Pour l instant , s adapter a ce qui est déjà irreversible et qui ne fait que s amplifier. Mais se battre, toujours , est revolutionnaire et notre idée de revolution c est la vie . Le socialisme latino est en construction , et plus ouvert sur le peuple , c est déjà beaucoup , mais garder les yeux ouverts et les ouvrir sur ceux qui les ferment est un combat permanent. LA LUCHA SIGUE ... LA LUTTE CONTINUE

29/01/2014 20:42 par mandrin

merci a Emilio pour ses explications sur l’état de l’agriculture latine avec une info de taille, le développement et l’étude des ogm par des labo Cubain que j’ignorais.

Mais question pour quel destination...? concurrencer l’ogm prédator mosanto ou bien une réponse futur au prétexte guerrier yankee accusateur des (régimes) latino affameur de son propre peuple, bref quoi d’autre...dommage que ceci engendre cela, vu la dangerosité des ogm.

30/01/2014 00:48 par Emilio

Une des sources est la : ( desole, mes sources pour tout ce qui concerne l Amerique Latine , sont quasiment toutes en anglais ou en espagnol )

http://www.organicconsumers.org/articles/article_17523.cfm

“genetically modified maize produced by Cuba’s genetic and biotechnology engineering centre, CIGB”

Et encore la , avec un argument du pourquoi les ogm et qui repond a ton interrogation

http://www.foodcomm.org.uk/articles/cubas_food_production_revolution/

“I asked a young Cuban academic if he was concerned about the biodiversity implications of planting GM crops. He told me : “No. The main problem with GM crops in other parts of the world is their development and ownership by multi-national companies. In Cuba that won’t be a problem.”

Mon argument est que l usage des ogm implique une dose massive et toujours plus massive de pesticides herbicides de synthese. Si je vais a Cuba , je ferai un dossier avant, pour prouver ce que j avance. De toutes façons , ils s en rendront compte rapidement , helas.

30/01/2014 13:02 par Lionel

@Emilio, les cubains n’ont nullement besoin qu’on leur démontre la toxicité des pesticides, ils ont d’énormes compétences en agronomie tropicale, en agroécologie et en permaculture, ils sont une plate-forme de formations pour adultes de tous pays et de recherches pour étudiants !
Si l’info n’est pas un hoax je reviens à ma proposition de dire que le productivisme de toute provenance est à l’origine de ces dérives, je suppose que la culture d’OGM permettrait à Cuba d’exporter son maïs et de faire entrer des devises afin d’élargir ses champs d’importations de produits manufacturés.
Le productivisme pousse à tous les excès, dans les pays riches où les riches sont tous gravement psychopathes et les pays pauvres qui ne voient pas la sortie.
La décroissance n’est pas ce que tu sembles en dire, il ne s’agit pas de recul ou de perte mais de gestion rationnelle de nos productions et de notre exploitation des ressources naturelles pour une authentique durabilité ( je précise : afin que nos enfants aient eux aussi le droit de vivre décemment ! ).
Elle permet de penser un avenir qui ne soit plus basé sur l’Homo Œconomicus mythique mais sur d’authentiques notions de bien-être, pas sur de l’avoir...
À propos des cubains, nous avons ici l’occasion de rencontrer des agronomes cubains qui viennent pour étudier les dévastations d’utilisations massives de toxiques comme la Chlordécone, les réparations envisageables des terres par la phytoremédiation, donner des conseils aux paysans pour s’orienter vers l’agroécologie, en partie grâce au CIRAD.
Se lancer dans des techniques agroécologiques pour un pauvre est trouver des solutions pour sortir de la pauvreté tandis que proposer à un agriculteur prospère de pratiquer le non-labour ( par exemple ) est une garantie de se mettre en galère pendant les trois à cinq prochaines années, juste histoire de donner le temps à la terre de revivre un peu, en plus que de renoncer à sa raison de vivre idéologique ( ce satané Mythe du Progrès qui fait tant de ravages ).
Je suis paysan en milieu tropical et je constate chaque jour la nocivité de la course au productivisme qui ne peut se passer des intrants nécessaires et accentue la catastrophe, alors pourquoi dire "La décroissance, non..." sans offrir d’autres pistes qui n’auraient pas été explorées ?...

01/02/2014 18:03 par Feufollet

Les infos du GS défilent et disparaissent de la bande défilante
A mesure que d’autres infos affluent
C’est comme ça ce journal en ligne
Si tu suis pas, c’est déjà trop tard très vite
Yann Fievet, ta synthèse est claire comme de l’eau propre
Avec un certain retard je voulais juste te dire
Que ton texte, je suis content que tu l’ai écrit
Puisse -t -il produire écho par monts et par vaux
C’est tout ce que je nous souhaite

(Commentaires désactivés)