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En Espagne, la République fait son chemin

Quoi de neuf dans l’Espagne de Juan Carlos, roi par la grâce de Dieu et de Franco, qui intima naguère l’ordre de se taire à Hugo Chavez, président du Venezuela par la volonté populaire maintes fois répétée dans les urnes ?

Ce qui est neuf, c’est que l’anachronique et antidémocratique royauté commence à être contestée.

L’article qui suit est issu d’un collectif qui lance le débat et appelle à l’unité pour un retour à une République laïque et antifasciste.

Le Grand Soir.

Dans les coeurs, dans la rue, dans l’opinion d’un nombre de plus en plus grand de personnes, la République fait son chemin. Ce n’est pas un problème de parti ou de sigles, mais celui d’un espoir qu’il faut entretenir avec les efforts et l’engagement militant d’un nombre de plus en plus grand de citoyens qui disent : Ca Suffit !.

Chaque fois qu’un groupe ou qu’un parti propose un manifeste ou une déclaration d’esprit républicain, des milliers de personnes le signent, mais nous sommes quelques uns à nous demander : Que fait-on de ces soutiens, de toutes ces signatures ? La réponse est claire, rien. La gauche officielle, celle qui a conduit la Transition a peur de la République et du sentiment républicain, et maintenant, que la situation sociale et politique de notre pays se remplit de zones d’ombre, entre autres choses à cause de tant de reculades et de trahisons accumulées pendant toutes ces années, il y a peu de gens qui soient à la hauteur. Ca oui, il existe des initiatives mais il y a toujours une fracture brutale entre ce qui se dit et ce qui se fait, entre les débats au coeur de la base militante et sociale de la gauche et les politiques qui sont pratiquées dans les institutions, les mairies, le Parlement. Le moment est venu de parler clairement. C’est le moment d’agir.

Le gouvernement du PSOE s’avère désormais non seulement incapable mais aussi complètement pris au dépourvu à l’heure de combattre le néo-libéralisme rampant qui imprègne tout et qui détruit les bases de l’état démocratique et social de droit. Ses ministres, ses conseillers, les instances qui décident des projets de lois et les politiques qui se dessinent à l’horizon sont complètement étrangers aux valeurs de la gauche. Les libertés reculent avec des lois d’exception à peine dissimulées, le droit du travail est en cours de démolition, le travail ne garantit plus une vie digne car la précarité fait des ravages, l’éducation, la santé, les droits sociaux les plus élémentaires sont en cours de privatisation. L’offensive contre le public, contre l’idée même de solidarité et de bien commun est constante. Mais ce qui devient terrifiant, c’est le manque de réponse de la gauche organisée. Au niveau de la direction des partis et des syndicats de la gauche majoritaire, il y a un refus délibéré de parler de lutte des classes, de reconnaître les pratiques d’une droite dont le pouvoir et l’influence ne cessent de s’étendre. On recule chaque jour un peu plus, des millions de personnes constatent la faiblesse de l’opposition aux attaques néo-libérales. Qui pourrait citer un journal, une chaîne de télévision, une station de radio d’envergure nationale, ou simplement une causerie radiophonique qui soit de gauche ? Il n’y a presque rien, quelques rares sites sur la toile mais rien qui parvienne jusqu’aux masses. Le problème n’est pas tant que le découragement, la sensation d’impuissance se propagent mais surtout qu’ils sont fabriqués de toutes pièces.

Cette situation n’est pas le fruit du hasard ni de la conjoncture. La Transition s’est fondée sur l’impunité du franquisme et sur la préservation des positions de privilège des oligarchies qui ont prospéré sous la dictature. La guerre froide a favorisé la cooptation de l’opposition du PSOE et d’un PCE miné par le Carrillisme (1), qui a accepté de collaborer complètement avec les franquistes reconvertis, d’oublier la République et même de nier la mémoire du sacrifice de ses militants pendant la dictature, et tout ce qui était susceptible de renforcer la récente restauration monarchique.

On a dit que la Transition a été marquée par des sacrifices et par de petites victoires comme la Loi d’Amnistie, mais aujourd’hui tout le monde peut constater la véritable nature de tout cela. Un juge qui pour des raisons diverses a osé ouvrir une enquête sur les crimes du franquisme et appeler les criminels par leur nom est à son tour l’objet d’un procès et menacé sérieusement d’être condamné et suspendu. (2). Il est accusé par des organisations fascistes qui s’appuient sur le fait qu’il n’a pas respecté la Loi d’Amnistie.

Nous nous demandons si ceux qui défendent le juge pour ses soit- disant réussites par le passé et qui réduisent ainsi tout à une question personnelle le font vraiment en toute ingénuité. N’est-il pas évident pour tous qu’en accusant le juge, on met sur la sellette tous ceux qui réclament vérité, réparation et justice. Et qu’il faut exiger que cette Loi d’Amnistie soit annulée ? Des voix n’ont pas manqué de s’élever à l’époque pour dénoncer de telles reculades mais il n’en a été tenu aucun compte. Le moment n’est-il pas venu de reconnaître ces erreurs et d’y remédier ?

Le résultat d’une telle transition a été une démocratie fragile, avec un chef d’état imposé, une droite néo-franquiste avilie par l’impunité, qui est passée du fascisme au néolibéralisme, avec des politiques sociales précaires et un secteur public en recul, avec des partis et des syndicats de gauche vides de contenus, dépouillés de leurs idéologies, incapables de faire face à la nouvelle situation. Bien-être insuffisant, caricature de démocratie, mémoire anéantie, impunité, telles sont les conséquences d’une débâcle -la Transition- que nous devons dépasser.

Il ne s’agit pas cependant de nous accabler mutuellement de reproches au sein de la gauche. Ce n’est pas cela. Il s’agit de reconnaître les erreurs de la Transition, d’en tirer des leçons, et surtout de ne pas les répéter. Si on a rejeté la République à cette époque, qu’on fasse en sorte maintenant de ne pas utiliser son nom en vain. Nous ne le laisserons pas faire. Il y a des raisons pour l’espoir, celui de millions de personnes qui rejettent cette situation, qui souhaitent voir les pensions assurées par l’état, l’éducation et la santé à l’abri des privatisations, les libertés garanties, la dignité du travail retrouvée, la limitation de l’influence des églises et des sectes.

L’espoir que ceux qui ont tout donné dans la lutte pour les libertés, pendant le guerre et la résistance à la dictature soient honorés publiquement, que notre indépendance et notre souveraineté nationales soient garanties, la liberté et la solidarité défendues publiquement. Ces aspirations ne connaissent pas de limites. Nous qui luttons aujourd’hui pour la République nous savons que la base sociale de ces revendications, ce sont les millions de citoyens et de citoyennes qui ont donné leur vote à des forces comme le PSOE, la Gauche Unie et une bonne partie de la gauche nationaliste comme on dit, en plus de tous ceux qui s’abstiennent de voter pour la gauche, écoeurés par son manque de choix clairs et courageux. Tel est notre défi : coordonner politiquement et socialement toute cette masse d’électeurs. D’ailleurs, les cadres sociaux, politiques et syndicaux qui sont impatients que cette coordination prenne corps se comptent par milliers. Alors, qui nous en empêche ?

Nous qui appartenons à des associations, partis ou syndicats, sommes dans l’obligation d’être à la hauteur de ce défi. Toutes les luttes sociales, sectorielles qui luttent pour défendre le secteur public, la laïcité, les libertés, les droits sociaux, le travail, une fois combinées entre elles, portent dans leur sein un projet commun qui s’appelle République. La République est une nécessité, il est vital de dépasser les débâcles et les reculades qui nous ont conduits à une telle prostration. Nous devons lutter pour une République républicaine, démocratique et populaire, garantissant les libertés, les droits sociaux et politiques fondamentaux. En plein XXI° siècle, avec une crise systémique globale et un capitalisme dévastateur sauvagement déchaîné, il est nécessaire de garder quelques principes clairs. Républicanisme et libéralisme ne sont pas synonymes, le libéralisme s’avère être l’ennemi impitoyable des droits de l’Homme dans leur intégralité et il est disposé à sacrifier la démocratie et les libertés.

Nous devons dépasser les erreurs du passé. Il est fondamental de répandre l’idée que les oligarchies qui se repaissent de la crise n’ont aucun scrupule à prolétariser notre classe moyenne déjà affaiblie et à réduire à la pauvreté une bonne partie de la population tout en la marginalisant socialement et politiquement. La crise écologique et environnementale commence à devenir évidente et elle va empêcher une reprise basée sur la croissance ; la solution prévue est l’aggravation de l’exclusion sociale massive et la préservation des privilèges des nantis. Face à ce programme digne d’un nouveau darwinisme social, la gauche officielle n’a pas de réponses, ces gens sont le produit des équilibres de la guerre froide et maintenant que la nouvelle droite a opéré des coupes dans leur contrat, ils feignent de ne s’en être pas aperçus. Les vieux appareils des partis et des syndicats qui ne sauront pas rester à leur place devront désormais être rayés de la carte politique. C’est là une question de survie, d’autodéfense de la part des travailleurs et des classes populaires.

Il est impensable que les députés et les conseillers municipaux de la gauche ne prennent pas la tête des luttes sociales et ne les propagent pas dans les institutions. Ceux qui ont soutenu Esperanza Aguirre à Caja Madrid (3), ont soutenu les lois coupe-feux de la mémoire républicaine, privatisations et corruption sont de mise dans leurs municipalités ou bien ils les couvrent, de même que ceux qui tenteraient de freiner la reconstruction d’une gauche d’esprit républicain doivent savoir qu’ils ne représentent plus rien et qu’ils vont être balayés par les faits.

Le mur de silence et d’oubli construit par la Transition n’a pas annulé nos espérances, car il les a accumulées et la pression est si forte que le mur est en train d’exploser. On assiste à la convergence politique de tous ceux qui militent pour la République, la mémoire, la laïcité, la défense de la santé et de l’éducation publique, le monde du travail, la solidarité internationale, l’antifascisme. Une convergence basée sur la conviction intime que ces luttes sont communes et qu’elles portent le nom de République.

Nous, républicains, nous devons être prêts à faire un pas en avant en direction du front. Le front de l’oligarchie qui dicte la destruction de la démocratie, des libertés et des droits. Face à l’impuissance suicidaire de la gauche officielle, nous devons opposer un front populaire. Il est urgent, vital et indispensable de construire ce front. Lors des prochaines élections, il faudra présenter des candidatures républicaines avec un programme clair et audacieux. Nous vous appelons tous et toutes. Cercles culturels, associations, partis, citoyens et citoyennes, il n’est pas question de rassembler des sigles mais des volontés. Contactons-nous, organisons-nous, établissons des liens d’unité fondés sur la confiance de ceux qui ont lutté ensemble, se connaissent et se respectent. Face aux menaces qui se dressent en face de nous, nous devons faire preuve de largeur de vues et savoir rechercher ce qui nous unit.

La République ne viendra pas toute seule, il faut aller la chercher, ce travail n’incombe pas à quelque rares élus mais c’est une construction collective, où la cohérence, l’intégrité et le courage sont nécessaires, où la CLARTÉ est le fondement de l’UNITÉ, et la DÉTERMINATION, la condition fondamentale.

VIVE LA RÉPUBLIQUE !

http://ciudadanosporlarepublica.info/comunicados/propios/1058-14-de-abril-de-2010-ies-hora-de-actuar-la-republica-se-abre-paso.html

Traduction espagnol-français : Simone BOSVEUIL-PERTOSA

(1) NDT Du nom de Santiago Carrillo, Secrétaire Général du Parti Communiste Espagnol de 1960 à 1982. A joué un rôle important après la mort de Franco en 1975 dans le processus de la Transition

(2) NDT Le vendredi 14 mai 2010, le juge B.Garzón a été suspendu de son poste à l’Audiencia Nacional, par un vote à l’unanimité du CGPJ, équivalent en Espagne du Conseil National de la Magistrature.

(3) NDT Présidente de la Communauté de Madrid et membre du PP (Parti Populaire). Un incident « diplomatique » en janvier 2010 met en évidence une lutte d’influence sans merci au sein du PP à propos de la gestion de Caja Madrid ( Caisse d’Epargne).

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