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« L’appareil d’état ne peut plus gouverner comme avant »

Entretien avec Jaime Caycedo, secrétaire général du Parti Communiste Colombien

En Avril 2012 le mouvement Marche Patriotique fait irruption sur la scène médiatique et rassemble près de 80.000 personnes venues de tout le pays dans le centre de Bogota. Principalement de base rurale, le mouvement est composé également d’étudiants, syndicalistes et de nombreux secteurs de la gauche colombienne. En septembre 2012 s’ouvre le dialogue de paix entre les FARC et le gouvernement colombien afin de trouver une issue politique au conflit qui dure depuis plus d’un demi-siècle. Nombreux sont ceux qui y voient là une volonté de reproduire ce qu’a été l’expérience de l’Union Patriotique, parti de gauche colombien éradiqué dans les années 80 et 90 qui visait, entre autre, à la réintégration institutionnelle de la guérilla.

* * *

Quelle différence il y a-t-il entre la Marche Patriotique et l’Union Patriotique ?

La Marche Patriotique n’est pas un mouvement politique qui est né avec pour objectif de réintégrer l’insurrection à la vie civile et de trouver une solution à la guerre par la voie de la participation politique. C’est plutôt un mouvement social et politique plus qu’une réplique pacifique du mouvement armé. Elle est avant tout une construction nationale de ce que représente le mouvement social. Celui-ci nait des résistances qui existent dans ces zones ravagées par la violence, par la politique militariste de l’état, par le paramilitarisme mais aussi par ce nouveau phénomène de développement de mines et de projets agricoles menés par des multinationales qui affectent la vie des populations dans ces régions. Expulsion des paysans, déplacement forcé, etc. La Colombie est sans doute le pays où il y a le plus de mouvement de réfugiés internes.

La Marche n’a donc rien à voir avec la guérilla comme le prétendent certains médias ?

Bon, on parle de région dans lesquelles il y a une histoire qui s’étend sur plus d’un siècle de conflit, donc tout est lié. Ce sont des zones où les gens ont une longue tradition de résistance. La Colombie a vécu plusieurs étapes de violence, et ce depuis 1948 avec le "bogotazo" et l’assassinat de Jorge Eliecer Gaitan. Il s’en ai suivit une véritable guerre pour le contrôle des terres. Tout cela s’étend jusqu’aux années où naissent les FARC, l’ELN, etc. qui ne sont rien d’autre qu’un nouveau virage que prennent ces formes de résistance. Maintenant on parle de narco-trafic. Rien à voir ! le narco-trafic est un business capitaliste, il n’est pas promu par des idéaux révolutionnaires. On ne peut pas accuser les groupes insurgés de manipuler ce thème. Ce qui n’efface pas les erreurs comme l’ont été les enlèvements, que nous avons toujours dénoncés. En ce qui concerne la Marche Patriotique, pour la comprendre, il faut regarder les régions où elle est implantée, les régions d’où viennent ces gens qui la composent. On peut alors comprendre ce qui se déroule dans le pays en matière de déprédation. Notamment dans le secteur de l’exploitation minière et des méga-projets dans l’agriculture.

Vous voulez dire que ce sont des zones d’intérêts économiques ?

Le modèle économique néolibérale et les investissements en matière de méga-projets qui touchent à l’eau, au milieu naturel, etc. sont les nouvelles variantes du grand capital qui a besoin du profit le plus rentable à court terme. Dans le cas colombien il a reçu le soutien d’une oligarchie très complaisante qui lui a facilité un cadre institutionnel pour cette exploitation des ressources naturelles. Cela ne vient pas de Santos, mais de plus loin, l’époque de Pastrana et surtout durant le mandat d’Alvaro Uribe. Tous ces projets de multinationales ne disent pas leurs noms, ils existent sous couvert d’entreprises visant à développer économiquement la région avec pour base l’investissement étranger. Il y a un certain culte de l’investissement étranger ici, comme synonyme de progrès.

Des investissements étrangers de type nord-américain, ou bien européens ?

Principalement nord-américains mais aussi européens. Parfois même avec la protection d’ONG européennes comme la GTZ allemande, et d’autres agences de coopération. Ils se présentent comme des projets de type humanitaire quand en réalité ce qui les intéresse ce sont les méga-projets de culture de palme africaine par exemple, dans le Magdalena Medio. On sait aussi que certaines multinationales ont financé le paramilitarisme dans ces zones du pays. Ce que je veux dire principalement c’est que le modèle économique de cette phase d’investissement étranger s’est plaqué au modèle contre-insurrectionnel et de contrôle territorial.

Comment le parti communiste analyse le dialogue entre la guérilla et l’état ?

C’est très important. Cela signifie que l’appareil d’état se rend compte qu’il ne peux plus continuer comme avant. Négocier avec les terroristes était quelque chose d’impensable auparavant, et maintenant il négocie avec les terroristes à la Havane ! Avec le soutien de la communauté internationale, y compris des Etats Unis. Comme le disait Lénine les classes dominantes ne peuvent plus dominer comme avant. Pour elles il s’agit de changer les choses pour que rien ne change.

Quelles possibilités il y a-t-il de parvenir à la paix ?

Ce qu’on peut dire c’est qu’il y a une volonté coïncidente. Il y a des intérêts qui se rejoignent. Le problème est que le gouvernement dit "on ne peut pas toucher au modèle économique !" , oui mais si le modèle économique est lié à la guerre, à la violence, aux viols des droits de l’Homme,.. nécessairement il faudra le modifier. Les multinationales ne peuvent pas continuer à financer les paramilitaires ! Des paramilitaires impliqués dans le trafic de drogue qui est supposé être combattu mais qui en fait est toléré. Jusqu’où la bourgeoisie va faire des concessions ? On ne le sait pas, cela va beaucoup dépendre de la conscience populaire et de la mobilisation sociale qui va soutenir ce processus.

Le Parti communiste a été expulsé du Polo Démocratique. Cela à cause de son implication dans la Marche Patriotique ?

Le "Polo" a refusé une politique d’unité. Nous, nous ne nous sentons pas expulsé, c’est le "Polo" qui s’est retiré d’une politique unitaire réelle. Il a entrepris son chemin, mais ce n’est pas le représentant de l’unité de la gauche, ni son porte-parole. Pourquoi a-t-il pris cette position vis à vis de la paix ? Nous ne le savons pas. Mais cela découle de la décision d’un groupe, d’un secteur, qui en a payé le prix au niveau interne car le "Polo" s’en est retrouvé réduit.

Donc dans l’optique des prochaines élections (2014), quel futur attend le Parti Communiste ?

Nous travaillons à un regroupement unitaire des forces de gauche qui sont dans le "Polo" , mais aussi dans la Marche Patriotique naturellement. Nous voulons créer le noyau d’un front élargi qui doit avoir une traduction électorale, mais pas seulement ! Pour une raison précise : le système électorale colombien est structurellement corrompu par l’influence des narco-paramilitaires. Une grande partie de la classe politique colombienne, au niveau régional, est alliée aux appareils paramilitaires qui contrôlent le système électoral. Par exemple le Conseil national électoral, qui supervise et résout des controverses et qui est soi-disant l’autorité électorale. Ce Conseil n’a aucun représentant des partis d’opposition ! Il n’est composé que de membres de la droite ou de partis qui défendent le système.

Notre espoir est que le dialogue avec l’insurrection avance, et ça dans l’intérêt de tous les secteurs. Que l’on parviennent à approfondir la démocratie et que l’on puisse militer sans la crainte que l’ont nous assassine. Nous travaillons beaucoup à ce regroupement de la gauche, à l’alliance de ces mouvement sociaux, pour forger un instrument politique qui serait un parti de la Paix. Une paix qui implique une série de changements économiques et sociaux. C’est un peu le projet porté par l’Union Patriotique, un parti pour la paix. Nous voulons que toutes ces masses, qui ne s’intéressent pas à la politique, s’impliquent ! C’est une construction d’alternative qui n’est pas simple.

entretien réalisé le 25 janvier 2013 à Bogota

Loïc Ramirez

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