Comment un article de presse ne répondant à aucun critère déontologique a pu faire de Oualalou, en quelques jours, le premier sujet de conversation de tous les Marocains, des officiels jusqu’aux plus anonymes.
Le 9 avril, l’hebdomadaire Akhbar Al-Ousbouaâ a publié, dans ses pages intérieures, un article non signé sur "l’homosexualité et la classe politique au Maroc". Le texte, ignominieux et déontologiquement inacceptable, n’est pourtant pas le premier du genre. Ceux qui suivent régulièrement la feuille d’Anas Tadili savent que celle-ci avait déjà publié, quelques semaines auparavant, une information similaire. L’allusion au ministre des Finances était à peine plus voilée et le contenu de l’information se perdait dans les généralités moralisatrices. Le 9 avril, l’hebdomadaire revient à la charge pour aller, cette fois-ci, beaucoup plus loin dans le glauque : l’allusion à Oualalou est claire et le contenu gravement offensant.
Dans les 24 heures qui ont suivi, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Le tirage de l’édition s’est rapidement épuisé et le téléphone arabe a fonctionné à une vitesse vertigineuse. Tout l’axe Casablanca-Rabat, et bientôt tout le Maroc, ne parlent que de "ça". Oualalou et sa petite famille sont partagés entre la colère et le deuil. La première réaction vient du bureau de l’USFP, le parti du ministre des Finances. Réunis en urgence, les ittihadis saisissent le Premier ministre Driss Jettou dans les coulisses et lui font part de la gravité de la situation. Ils exigent réparation dans l’immédiat et vont, d’après une source du parti, "jusqu’à menacer de se retirer en bloc du gouvernement Jettou (ndlr : huit ministres USFP y siègent), si celui-ci ne fait rien pour mettre fin à la perfidie". Une démarche individuelle est entreprise par Oualalou en direction de Jettou, lequel convoque son ministre de la Justice Mohamed Bouzoubaâ, ittihadi lui aussi, et le charge de réfléchir à la question.
La cellule de crise mise en place étudie l’affaire et rend rapidement sa copie. La première décision prise est d’arrêter Anas Tadili et sa publication, dans le but de stopper l’hémorragie tout en enquêtant sur les dessous de l’affaire. Reste à déterminer le motif de l’arrestation. C’est là que les conseillers juridiques de la Primature entrent dans la danse : Oualalou est visé par l’article, sans que son nom ne soit cité. Conclusion : ce n’est pas à lui de porter plainte.
En fouinant dans le casier judiciaire (bien rempli) de Tadili, ancien fonctionnaire de l’administration pénitentiaire reconverti en journaliste de caniveau, l’équipe du ministre de la Justice trouve la parade. Le directeur de la publication fait l’objet d’une poursuite pénale, depuis 1994, pour indélicatesse vis-à -vis des services de l’Office des changes. Une affaire pour laquelle il a été condamné à verser une amende de 3 millions de dirhams. C’était en 2001 et la sentence n’a jamais été exécutée ! En plus, l’administration des douanes le poursuit depuis pour l’obliger à payer, sous peine d’écoper d’une peine de prison. Et le tribunal examinera de nouveau cette affaire le 22 avril.
Le 15 avril, la police débarque, de nuit, chez Tadili dont l’hebdomadaire a été saisi quelques jours auparavant. Il commence, lors des interrogatoires, par rejeter la responsabilité de l’article incriminé sur son correspondant régional du Nord. Lequel est arrêté le lendemain à Tétouan, avant d’être relâché. Le même jour, on décide à Rabat de faire avancer d’une semaine la date du procès opposant Tadili à l’administration des douanes ! En quelques heures à peine, Tadili est condamné à 10 mois de prison ferme pour le non-paiement des 3 millions de dirhams. Tout s’est passé très vite et l’accusé a plongé, depuis, dans les bras de Zaki, la prison de Salé. Le 19 avril, Jettou ordonne enfin, en sa qualité de Premier ministre, l’ouverture d ?une enquête sur Tadili.
Entre-temps, l’affaire a pris sur le terrain des dimensions franchement hallucinantes. Bien que le numéro en question ait été rapidement saisi, l’article a été photocopié en plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Des badauds l’ont proposé, parfois gratuitement, dans les cafés, les écoles, les usines, et jusqu’au réseau Internet. Du jamais vu. Et ce n’est sans doute pas fini puisque l’enquête sur Tadili et sur l’incroyable réseau de diffusion qui s’est mis en place ne fait que commencer.