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France-Russie : le débat impossible

Si les échanges se poursuivent entre Français et Russes dans un cadre interétatique ou dans celui d’échanges professionnels, culturels, amicaux… il n’est plus guère possible en revanche de débattre de la relation France-Russie entre Français.

Dès que la problématique est abordée, l’anathème se substitue aux arguments. Prorusses, agents d’influence du Kremlin, ne sont que quelques-uns des plus doux qualificatifs fréquemment attribués à tous ceux qui, en France, osent ne pas hurler avec les loups contre les Russes. En filigrane, c’est une véritable accusation de forfaiture qui s’exprime contre ceux qui refusent de critiquer la Russie. Et cette dénonciation —en catimini mais sans cesse réitérée- de trahison envers la patrie, se double d’un procès en incompétence pour ceux qui soulignent la maîtrise stratégique des autorités russes sur le théâtre syrien ou sur celui de l’Ukraine.

Evidemment tout cela n’est pas très agréable pour ceux qui sont victimes de cette mise au pilori. Mais tout ce qui est exagéré est insignifiant, soulignait Talleyrand. L’hystérie des zélotes atlantistes n’aura qu’un temps. Celui nécessaire pour qu’ils puissent rétropédaler en sauvant la face et leurs prébendes lorsque la France se verra contrainte par les circonstances de cesser ses attaques contre la Russie. Par ailleurs ces insultes, cette indignation perpétuelle de ceux qui, néoconservateurs patentés, estiment incarner le camp du bien contre les ignares et les réactionnaires du camp du mal, ne sont que le reflet de la plupart des débats qui animent aujourd’hui l’opinion publique française, lesquels tournent hélas quasi-systématiquement au pugilat.

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« Peut-on encore débattre en France ? », titre cette semaine à la Une l’hebdomadaire Marianne, un des très rares organes de presse, aux côtés de Valeurs Actuelles, qui ose faire entendre un son de cloche différent quand toute la presse française « stigmatise » la Russie. Malheureusement poser la question c’est déjà y répondre. Du moins dans l’espace public. Dans ce cadre tout n’est plus que postures et communication, affirmation de sa bonne conscience et dénigrement de celui qui ose développer une pensée hétérodoxe.

« Oui, on est bien-pensants », titrait récemment la Libération, spécialiste des mises à l’index et des dénonciations calomnieuses vis-à-vis de ceux, dont l’auteur de ces lignes, qui, prônant un rapprochement avec la Russie, sont présentés comme achetés par Moscou. Passons sur le fait que les subsides qui font vivre « Libé » sont, eux, connus de tous : huit millions d’euros de la part des autorités françaises en 2014 et beaucoup plus de la part d’Altice, le groupe international de Patrick Drahi développant ses activités entre Israël et les douillets paradis fiscaux luxembourgeois et néerlandais, ce qui en dit long sur l’attachement aux principes et à l’indépendance éditoriale du journal. Relevons plutôt ce titre, cette « bien-pensance » assumée.

Certes cela n’a rien de surprenant. Libération n’est plus un brûlot contestataire depuis longtemps.
Mais s’il se présente toujours comme un rempart contre tout « ordre moral », le sien, libéral-libertaire, est érigé en dogme inattaquable. Comme le résume Jean-François Kahn, « la gauche soixante-huitarde a bradé ses aspirations sociales et s’est ralliée à la doxa néo-libérale. L’antifascisme et la croisade exaltée contre un bloc réactionnaire fantasmé est le seul moyen pour eux de se convaincre qu’ils sont toujours à gauche. » La proximité avec les Russes et la Russie valant aux yeux de cette petite bourgeoisie bien-pensante certificat d’appartenance à cette France « rance » qui les obsède, la condamnation est bien entendue automatique. Toute instruction préalable au procès est inutile : « Aujourd’hui, c’est le principe même du débat qui est interdit. Nous assistons au retour d’une rhétorique stalinienne », poursuit Jean-François Kahn.

Cela ne serait pas bien grave si ces Vychinski de salon ne relevaient que de la sphère médiatique. Ce qui l’est bien davantage c’est que l’intolérance règne aussi dans les milieux où se mène la réflexion autour des politiques étrangère et de défense de la France.
Au triangle des bien-pensants Saint-Germain des Prés-Montparnasse-Luxembourg, s’adjoint un triangle boulevard Saint-Germain-Esplanade des Invalides-Ecole Militaire dans lequel le débat n’est guère plus envisageable. Russophobie primaire pour les uns, simple « antisoviétisme tardif » pour les autres, Custine et la guerre froide règnent encore dans bien des esprits pour lesquels « les Russes, c’est l’ennemi. » A tel point que certains chercheurs, parmi les meilleurs connaisseurs de la Russie, sont mis à l’écart par leurs confrères, redoutant de collaborer avec ceux qui ne suivent pas la ligne officielle : intransigeance vis-à-vis de Moscou, dénonciation de la diplomatie russe. Cette lâcheté, car c’est bien de cela qu’il s’agit lorsqu’on refuse de coopérer avec un hétérodoxe de peur de lui être assimilé, donne naissance à une autocensure d’autant plus grave qu’elle réduit un peu plus le débat et s’ajoute à la censure active orchestrée par certains membres influents des milieux diplomatique et militaire envers tout ce qui n’est pas anti-russe.
Or cette influence doit, elle aussi, être questionnée en retour. Qui sert-elle ? Les intérêts de la France ?

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Il est permis d’en douter tant l’intérêt national, assimilé à une notion souverainiste, donc suspecte, est depuis longtemps remisé aux oubliettes au profit des concepts de droits de l’homme, de droit d’ingérence, mis en avant par les équipes « en quête de sens » chargées de rédiger, ou de relayer, les « éléments de langage » qui nous tiennent lieu de diplomatie. Par ailleurs ces équipes, officielles et officieuses, si soucieuses de dénoncer les prorusses qui, cinquième colonne stipendiée, polluent le débat français, ne semblent guère soucieuses de balayer devant leurs portes lorsqu’il s’agit d’évoquer les influences étrangères susceptibles d’orienter leur action. Yale, Brookings Institution, université John Hopkins, Collège de l’OTAN, King’s College de Londres, université de Montréal…ces têtes bien faites ont toutes en commun d’être passé par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, Etats, comme chacun sait, traditionnellement russophiles… Mais bien entendu pas un instant leur long séjour anglo-saxon n’a influé sur leur vision des intérêts que la France doit servir.

La dénonciation systématique de tous ceux qui ne « bouffent pas du russe » soir et matin est l’apanage dans ce pays de journalistes, chercheurs ou fonctionnaires qui, loin de refléter la majorité de l’opinion publique française, défendent des intérêts qui, s’ils sont les leurs, ne sont pas nécessairement ceux de la France. Dans ce cadre tout débat est impossible et le restera tant qu’un minimum de sens de l’Etat, de souci de l’indépendance nationale et d’honnêteté intellectuelle ne sera pas restauré. Certains remaniements ministériels sont évoqués d’ici la fin 2015. Souhaitons qu’ils soient l’occasion de mettre en place des hommes qui possèdent ces valeurs et les imposent à leurs subordonnés.

Philippe Migault (1)

In Sputnik, Point de vue. 21 octobre 2015.
(Les illustrations sont du GS).

(1) Diplômé de l’Ecole Supérieure de commerce de Paris, titulaire de deux DEA en histoire militaire (EPHE) et sciences politiques (Paris I), Philippe Migault est directeur de recherche à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques), grand reporter au Figaro, spécialiste des questions de défense du journal de 1999 à 2006.

»» http://fr.sputniknews.com/points_de_vue/20151021/1018982353/france-rus...
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