23 septembre 201 - Depuis Jérusalem - Il y a des gens qui ne perdent ni leurs convictions ni leur lucidité même quand la société dans laquelle ils vivent, et la planète elle-même, vont à l’encontre des valeurs qu’ils défendent ou bien qu’elles font la sourde oreille à la voix de l’histoire. Meïr Margalit en fait partie. A sa manière joviale et engagée, Margalit est un survivant politique actif dans un contexte où l’option qu’il défend, la gauche, a peu de perspectives. Appartenant à la municipalité de Jérusalem, secrétaire générale du Mouvement Israélien contre la Démolition des Maisons (palestiniennes), l’ICAHD, Margalit est dans un pays armé un pacifiste dont le calme et la détermination forcent des barrières infranchissables.
Il est né en Argentine mais vit en Israël depuis 1972. A 18 ans, il a intégré la section d’infanterie de l’armée israélienne et a été blessé un an plus tard lors de la guerre de Yom Kippour. Depuis lors, il a abandonné les armes pour une collaboration étroite avec les Palestiniens, afin de rendre possible la cohabitation pacifique, d’en finir avec la colonisation et d’encourager un contexte de compréhension entre les deux parties. On lui doit la création de l’organisation Peace Now (En France : La Paix Maintenant . Historien et politicien, Margalit a une vue large de la société israélienne et une lucidité forgée dans l’action au présent.
D’origine Argentine, Margalit livre ici son analyse sur l’Israël d’aujourd’hui, il parle de la manière dont le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, a mis Israël grandement dans l’ embarras avec sa demande de la reconnaissance de l’Etat Palestinien devant l’ONU, il analyse les contradictions dans lesquelles est immergée la société israélienne, dans un état plus que minoritaire de la gauche dans son pays.
Il n’en reste pas beaucoup, il faut les chercher avec obstination, mais ils sont là , présents, solidaires, fidèles à eux-mêmes, dignes, actifs, militants, guidés par l’humanisme dont est nourrie leur tradition politique, et engagés dans l’action : ce sont les hommes et les femmes qui, dans un moment où la gauche israélienne connaît des remous électoraux, ont gagné un mandat dans les urnes.
- Comment analysez-vous la demande de reconnaissance de l’Etat Palestinien formulée à L’ONU ? S’agit-il d’une erreur stratégique, d’un geste désespéré, ou d’un simple geste, purement symbolique, qui ne changera rien ?
- Non, non, ce n’est pas du tout un échec d’Abbas. Bien avant que la demande de Mahmoud Abbas ne parvienne à l’ONU les Palestiniens avaient déjà gagné. Et ils ont gagné parce que, pour la première fois depuis bien longtemps, ce sont eux qui ont donné le cap géopolitique de ce qui est à faire dans la région. C’est aussi la première fois qu’ils ont réussi à mettre Israël dans l’embarras. Il y a longtemps qu’Israël n’a pas connu pareille situation. Les Palestiniens ont acculé Israël, ils l’ont obligé à expliquer au monde pourquoi ils refusaient de reconnaître un pays. Les Palestiniens ont mis Israël dans une situation grotesque. Je crois que, dans cette perspective, les Palestiniens ont gagné. Israël s’use peu à peu. Malgré le veto américain à la reconnaissance de l’Etat Palestinien, quand il y a plus de 130 pays qui votent en faveur de la Palestine, cela équivaut à un message très clair envoyé à Israël. Ce message dit au pays : « Messieurs, si vous suivez cette voie, vous cesserez de faire partie de la grande famille des pays civilisés ». Il s’agit donc d’un grand succès des Palestiniens. Il faut viser ce qui paraît impossible pour atteindre quelque chose de possible. Ce qui paraît impossible aujourd’hui sera possible tôt ou tard. Mahmoud Abbas a eu beaucoup de courage. Dire non aux Américains comme l’a fait Abbas est un acte de salubrité mentale. Je ne connais pas beaucoup de leaders dans le monde qui soient capables dire aux Etats-Unis : « Désolé, ami, mais je ne suis pas d’accord avec ce que vous faites ». Je suis convaincue d’une chose : si Israël poursuit dans cette voie, il va s’effondrer. Je ne sais pas si ce sera dans 20 ou 30 ans, mais cette voie nous mène vers l’abîme. Si quelqu’un ne nous arrête pas, et je dis quelqu’un parce que nous autres ne sommes ni motivés ni stimulés, nous finirons en nous détruisant dans un précipice.
- Celui qui semble avoir commis une faute stratégique, c’est le premier ministre Benyamin Netanyahu. Au lieu d’accepter la possibilité d’un Etat Palestinien et d’accompagner la décision en imposant des conditions basiques pour Israël, le ministre s’est enfermé dans la menace et l’aveuglement.
- Par bêtise Netanyahu est tombé dans le piège. Mais c’est une bêtise qui est propre à tous les nationalistes. Quand à un moment on laisse le nationalisme vous envahir on a perdu un peu de bon sens. Netanyahu et le gouvernement israélien l’ont perdu. Sous l’influence de groupes d’extrême droite Netanyahu a fait une erreur de calcul : au lieu de faire un calcul pour le pays il a fait un calcul électoral.
- La société Israélienne semble avoir une double manière de voir qui, pour curieuse qu’elle puisse paraître, révèle un changement : d’un côté elle a peur qu’Israël ne perde initiative et légitimité, et de l’autre elle observe ce qui arrive avec une position moins intransigeante qu’avant.
- Il est certain qu’il y a des changements substantiels dans la société Israélienne. Le plus fondamental est qu’aujourd’hui, dans le discours national, on dit des choses qu’on n’aurait pu dire il y a 10 ans. Par exemple, il y a 10 ans, l’attitude d’Israël consistait à dire : les territoires ne sont pas à rendre. Maintenant cela a changé et la question s’est transformée pour devenir une interrogation : quel pourcentage de territoires faut-il rendre ? Cette interrogation est très importante et si nous la considérons sur le long terme nous voyons immédiatement qu’il s’est produit un changement substantiel. Si auparavant, les gens refusaient d’envisager la possibilité de rendre les territoires, aujourd’hui ils comprennent qu’il faut rendre ces territoires et la discussion porte sur le fait de savoir dans quelle proportion.
Ici, cependant, il se passe des choses contradictoires. D’un côté, la société israélienne est disposée à envisager d’en finir avec l’occupation. Les gens n’en peuvent plus de l’occupation. D’un autre côté, et c’est là le paradoxe, ils continuent à voter pour les partis de droite, alors que l’extrême droite est chaque fois plus forte et chaque fois plus fondamentaliste.
Il me faut reconnaître qu’ici, en Israël, les processus ne sont pas blancs ou noirs, qu’il y a des situations paradoxales, contradictoires. Nous sommes donc devant des processus qui vont dans des directions différentes. Considérez une chose : jamais auparavant la gauche israélienne n’avait été aussi mal en point au parlement et, cependant, on observe que le discours émis par le pays accepte ou répète ce que la gauche y a dit depuis de nombreuses années. Et que dit la gauche israélienne ? elle dit qu’il faut en finir avec l’occupation. Aujourd’hui, la plupart des gens, y compris le premier ministre Benyamin Netanyahu, dit que l’occupation finira à un moment ou à un autre. Nous nous trouvons donc devant un autre paradoxe : la gauche n’a jamais été plus mal, et elle ne s’est jamais mieux portée non plus.
- Est-ce que par hasard le surgissement de ce front interne qui est né avec les jeunes israéliens, les « indignés », peut changer le poids dans la balance ou bien est-ce que cela a été seulement un phénomène passager ?
- Je pense que cela sera absolument insignifiant, pas important, et ne changera en rien le panorama politique, puisque les élections sont dans deux ans et que la mémoire de l’israélien moyen est trop courte. Ils ont été trop pacifiques pour que le gouvernement les prenne au sérieux. lci, il n’y a pas eu de blocages par des militants et pas de pneu brûlé durant deux mois. Devant des manifestations de cette nature il a été très facile au gouvernement de les manipuler et d’attendre que ça passe. Il y eu aussitôt quelques arrangements cosmétiques mais, en règle générale, je ne vois pas que les « Indignés » aient marqué de leur empreinte la société israélienne.
- Comment peut-on aujourd’hui expliquer l’abîme dans lequel est tombé la gauche israélienne ? Elle a pratiquement disparu en tant qu’acteur politique, elle manque de crédibilité et de capacité à mobiliser, c’est une voix absente du jeu politique national. Elle a disparu en tant que discours, poids politique, message, et manière de voir.
- S’il est question du parti travailliste, c’est certain. Le parti travailliste a fait plus que changer, il a dégénéré. Aujourd’hui nous savons que le parti travailliste n’a jamais été de gauche, qu’ils se sont servi de mots d’ordre de gauche mais ont mené dans la pratique une politique capitaliste et nationaliste . On ne peut pas être socialiste et en même temps aussi sioniste que ne l’est le parti travailliste.
Qu’est-ce qui reste donc de la gauche ici ? En dernière instance il reste nous, le Meretz. Mon petit parti a aujourd’hui 3 membres dans un Parlement qui en compte 120. Nous sommes sur le point de disparaître parce que nous sommes restés fidèles à nos idées. C’était beaucoup plus facile de prendre un chemin plus à droite et nationaliste et, de cette manière, de gagner quelques voix de plus. Nous avons été conséquents et en payons le prix.
A partir de l’année 2000 ce pays s’est droitisé. Il est plus à droite, plus fondamentaliste, plus religieux. Tout à coup, la présence d’un personnage aussi sombre que le Ministre des Affaires Etrangères, Lieberman, me fait dire que nous sommes devenus un pays fasciste. C’est la meilleure preuve qu’Israël s’est fortement dégradé. Pourquoi ? Certains diront que c’est une réaction logique aux attentats palestiniens des années 2000, d’autres diront que cela a à voir avec les complexes issus de l’époque de l’holocauste, d’autres diront qu’il subsiste des problèmes qui sont à la racine même du mouvement sioniste. Arrivera ce qui arrivera, il est clair que la gauche israélienne est en crise.
Eduardo Febbro
Source : http://www.pagina12.com.ar/diario/elmundo/4-177373-2011-09-23.html