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L’Afrique du Sud a raison d’invoquer la convention sur le génocide contre la guerre d’Israël à Gaza (Jacobin)

L’Afrique du Sud a demandé à la Cour internationale de justice de déclarer Israël coupable d’"actes génocidaires" à Gaza. Les architectes de la Convention sur le génocide ont voulu qu’elle soit utilisée pour mettre fin aux massacres de civils avant qu’il ne soit trop tard.

Au début du mois, l’administration Biden s’est jointe aux gouvernements du monde entier pour célébrer le soixante-quinzième anniversaire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948. Au même moment, des représentants du gouvernement américain tentaient de repousser une action en justice les accusant de complicité avec le "génocide en cours" des Palestiniens de la bande de Gaza par Israël. Aujourd’hui, le gouvernement sud-africain a saisi la Cour internationale de justice, invoquant la convention sur le génocide et accusant Israël d’"actes de génocide".

Certains commentateurs ont rejeté avec mépris l’idée que la guerre d’Israël contre Gaza puisse être considérée comme un génocide, la qualifiant d’absurdes. Mais des experts universitaires ont présenté la question sous un jour très différent et ont insisté sur la nécessité d’un débat urgentet moralement sérieux.

L’attitude dédaigneuse à l’égard de l’accusation de génocide trahit deux formes d’ignorance. La première concerne la définition du génocide dans la convention elle-même. Bien que cette définition ait été fortement influencée par les crimes du nazisme, sa compréhension du génocide s’applique également à un ensemble plus large de cas.

La seconde forme d’ignorance concerne la nature délibérément meurtrière de l’attaque israélienne contre la population de Gaza et la rhétorique ouvertement génocidaire utilisée par les représentants du gouvernement pour la justifier.

Définition du génocide

Raphael Lemkin, un survivant de l’Holocauste qui a perdu 49 membres de sa famille dans le génocide nazi, est à l’origine de la Convention sur le génocide. Il a inventé le terme, rédigé la convention et fait campagne pour son adoption.

Cependant, la préoccupation de Lemkin pour la destruction intentionnelle d’un groupe de personnes est antérieure à l’Holocauste. Lorsqu’il était jeune étudiant, il avait étudié le massacre des Arméniens par les Ottomans en 1915 et avait été scandalisé par le fait que l’assassinat d’une personne - le meurtre - était un crime punissable, alors que l’assassinat de dizaines de milliers de personnes par un État restait impuni.

Dès les années 1920, Lemkin formule les concepts et les lois qui seront exposés dans son ouvrage le plus connu, Axis Rule in Occupied Europe (1944). Ses manuscrits non publiés révèlent qu’il considérait le colonialisme comme faisant partie intégrante d’une histoire mondiale du génocide.

Ces manuscrits couvrent un très large éventail de cas où les puissances coloniales européennes ont été responsables de massacres, depuis la conquête espagnole des Amériques au XVIe siècle et le massacre des peuples indigènes en Australie et en Nouvelle-Zélande jusqu’au massacre allemand des Hereros en Namibie quelques décennies plus tôt. Il considère également "la destruction de la nation ukrainienne" comme "l’exemple classique du génocide soviétique" et évoque au passage "l’anéantissement" d’autres groupes ethniques, dont les Tatars de Crimée.

Ainsi, malgré l’expérience personnelle de Lemkin de l’Holocauste et de l’indicible cruauté qu’il a entraînée, ce n’était pas le seul cas de génocide qu’il avait à l’esprit lorsqu’il a formulé la convention sur le génocide. L’élément commun à tous les cas est l’hypothèse d’une supériorité raciale de la part des auteurs et leur déshumanisation des victimes.

Toutefois, les objectifs des auteurs peuvent être différents - de l’accaparement des terres des victimes à l’imposition de leur conception de la "pureté raciale" - et les méthodes varient considérablement. Le texte de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide reflète ce large éventail d’objectifs. Ses trois premiers articles se lisent comme suit :

Article I
Les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit international qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.

Article II
Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
(a) Tuer des membres du groupe ;
(b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ;
(c) Soumettre délibérément le groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
(d) Imposer des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
(e) Transférer de force des enfants du groupe à un autre groupe.

Article III
Sont punissables les actes suivants
(a) le génocide
(b) L’entente en vue de commettre le génocide ;
(c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
(d) La tentative de génocide ;
(e) Complicité dans le génocide.

Il est à noter qu’en vertu de la convention, un génocide peut avoir lieu même si l’intention est de détruire un groupe en partie seulement, et que n’importe lequel des actes décrits à l’article II le définit comme un génocide.

Les actes suivants sont tous considérés comme des actes de génocide s’ils sont commis avec une intention génocidaire : raids, arrestations arbitraires et incarcérations ; démolitions de maisons et expulsions causant des dommages corporels et mentaux graves ; privation de nourriture, de combustible, d’abri et de moyens de subsistance dans des ghettos ou des camps ; blessures ou maladies causées tout en privant les victimes de soins médicaux ; stérilisation forcée, viols massifs ou séparation des hommes et des femmes ; et transfert d’enfants du groupe de la victime à celui des auteurs du crime.

La preuve de l’"intention" doit être apportée par les paroles ou les actes des auteurs. Ces derniers peuvent être des parties étatiques ou non étatiques.

Une avancée

La convention a constitué une avancée à bien des égards. Avant son adoption, les seules lois internationales couvrant des crimes similaires étaient inscrites dans le droit international humanitaire, applicable uniquement en temps de guerre, alors que la convention sur le génocide est applicable en temps de paix comme en temps de guerre et appartient à la catégorie du droit pénal international.

Les États ont l’obligation de prévenir le génocide, et non pas seulement de le punir après qu’il s’est produit. Elle fait intervenir deux nouveaux concepts : ce que l’on appelle aujourd’hui la "responsabilité du commandement", c’est-à-dire la culpabilité non seulement des auteurs du crime mais aussi de ceux qui ont autorité sur eux ; et la compétence universelle, c’est-à-dire la possibilité d’appréhender et de juger les auteurs dans n’importe quel pays, et pas seulement dans leur propre pays ou dans le pays dans lequel le crime a été commis. Ces deux concepts sont intégrés dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

La campagne inlassable de Lemkin en faveur de la convention était impopulaire parmi les États les plus puissants. La Grande-Bretagne, la France, la Belgique, le Canada, les États-Unis et l’Union soviétique se sont tous efforcés de saper une loi rigoureuse et applicable contre le génocide, craignant qu’elle ne soit utilisée contre eux. C’est une coalition de petits États, dont beaucoup sont d’anciennes colonies, qui a permis l’adoption de cette loi.

Les délégués du Pakistan et de l’Égypte ont fait remarquer que le carnage qui a accompagné la partition de l’Inde et la Nakba en Palestine constituait un génocide selon le texte dont ils débattaient, tandis que les représentants indiens l’ont soutenu en tant que loi gandhienne. Lemkin a également obtenu le soutien d’auteurs, d’intellectuels publics et de diplomates de renom, ainsi que de mouvements anticolonialistes et de groupes de femmes. Cette tentative des grandes puissances de diluer la convention sur le génocide et d’en limiter l’utilisation s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui.

Déclarations d’intention

Moins d’une semaine après l’attaque du Hamas contre Israël et le début des bombardements israéliens sur Gaza, le 7 octobre 2023, Raz Segal, spécialiste des génocides et de l’Holocauste, a publié un article intitulé "A Textbook Case of Genocide" (Un cas d’école de génocide). Il a souligné que les trois premiers des cinq actes, qui constituent tous un génocide, ont été commis à Gaza.

Segal observe que, contrairement à de nombreux autres cas, les dirigeants israéliens ont parfaitement explicité leur intention de détruire les Palestiniens en tant que tels. Il en veut pour preuve la déclaration du ministre israélien de la défense, Yoav Gallant :

Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agirons en conséquence.

Il existe de nombreux autres exemples de déclarations de ce type faites par des représentants du gouvernement israélien. Au cours de la première semaine de la guerre contre Gaza, le président israélien Isaac Herzog a attribué une culpabilité collective au peuple palestinien pour les actions du Hamas : "C’est toute une nation qui est responsable. Cette rhétorique selon laquelle les civils ne sont pas conscients, ne sont pas impliqués, est fausse".

Galit Distel-Atbaryan, membre de la Knesset appartenant au parti au pouvoir, le Likoud, a exhorté le gouvernement à "effacer Gaza de la surface de la Terre". Elle a ajouté :

Que les monstres de Gaza se précipitent vers la frontière sud et fuient en Égypte, ou qu’ils meurent. Et qu’ils meurent gravement. Gaza devrait être rayée de la carte, et le feu et le soufre devraient s’abattre sur les têtes des nazis de Judée et de Samarie. La colère juive doit secouer la terre dans le monde entier. Nous avons besoin d’une IDF [Armée israélienne - NdT] cruelle et vengeresse. Toute autre solution est immorale.

Le premier ministre du Likoud, Benjamin Netanyahou, a invoqué un célèbre passage des Écritures : "Vous devez vous souvenir de ce qu’Amalek vous a fait, dit notre Sainte Bible. Et nous nous en souvenons". Le passage en question contient l’injonction suivante :

Allez attaquer les Amalécites et détruisez tout ce qui leur appartient. Ne les épargnez pas, tuez les hommes et les femmes, les enfants et les nourrissons, le bétail et les moutons, les chameaux et les ânes.

Ezra Yachin, un vétéran de la guerre de 1948 qui a participé au célèbre massacre de Deir Yassin, a été enrôlé pour délivrer le message suivant aux soldats israéliens :

Soyez triomphants, achevez-les et ne laissez personne derrière vous. Effacez leur mémoire. Effacez-les, ainsi que leurs familles, leurs mères et leurs enfants. Ces animaux ne peuvent plus vivre.

Le général de division Giora Eiland, ancien chef du Conseil national de sécurité israélien, a présenté la propagation des maladies à Gaza comme une arme de guerre dans un article paru dans le journal Yedioth Ahronoth :

La communauté internationale nous met en garde contre une grave catastrophe humanitaire et de graves épidémies. Nous ne devons pas hésiter à le faire. Après tout, de graves épidémies dans le sud de Gaza rapprocheront la victoire.

M. Eiland a ensuite rejeté l’idée d’épargner les civils palestiniens : « Qui sont les "pauvres" femmes de Gaza ? Ce sont toutes des mères, des sœurs ou des épouses d’assassins du Hamas ». Le ministre des finances Bezalel Smotrich, partenaire de Netanyahou au sein de la coalition, a partagé l’article de M. Eiland sur son compte Twitter/X et a déclaré qu’il était "d’accord avec chaque mot".

Des fictions commodes

Ces déclarations, associées au meurtre en masse de Palestiniens, dont près de la moitié sont des enfants, révèlent que les objectifs supposés d’éradication du Hamas et de sauvetage des otages sont des fictions commodes destinées à tromper les Israéliens crédules et la communauté internationale.

L’anéantissement du Hamas n’a pratiquement pas progressé, comme le montre le nombre croissant de soldats israéliens tués ; ce sont les civils palestiniens qui sont anéantis. M. Eiland, qui s’est félicité de la perspective de "graves épidémies" à Gaza, a déclaré au New York Times qu’il n’y avait aucune perspective de victoire israélienne sur le Hamas sur le champ de bataille après près de trois mois de guerre : "Je ne vois aucun signe d’effondrement des capacités militaires du Hamas ni de sa force politique pour continuer à diriger Gaza."

Le fait qu’un seul otage ait été sauvé par une action militaire alors qu’au moins trois ont été tués par les forces israéliennes, ainsi que les plans visant à utiliser l’eau de mer pour inonder les tunnels où les otages sont détenus, démontrent la volonté du gouvernement de Netanyahu de tuer les otages en même temps que les Palestiniens et de rendre la bande de Gaza inhabitable.

Les témoignages de William Schabas, expert en droit international, et des historiens John Cox, Victoria Sanford et Barry Trachtenberg dans les affaires de complicité de génocide contre Joe Biden, Anthony Blinken et Lloyd Austin résument des preuves qui pourraient tout aussi bien être utilisées pour poursuivre les dirigeants politiques et militaires israéliens pour génocide devant la Cour pénale internationale.

Les représentants du gouvernement israélien font publiquement pression pour l’expulsion massive des Palestiniens de Gaza sous couvert de "migration volontaire" - comme s’il pouvait être question d’un choix "volontaire" de partir face à la perspective de la famine, de la maladie et d’un bombardement incessant.

Les exemples historiques d’autres génocides montrent que les déplacements forcés ont régulièrement dégénéré en massacres et génocides systématiques. Travailler véritablement à la prévention et à la répression des génocides implique de combattre toutes les définitions racistes de l’identité et de veiller à ce que les auteurs soient poursuivis et contraints de verser des réparations aux survivants.

Rohini Hensman

Rohini Hensman est une écrivaine, une chercheuse indépendante et une activiste qui travaille sur les droits des travailleurs, le féminisme, les droits des minorités et la mondialisation. Son dernier ouvrage s’intitule Indefensible : Democracy, Counterrevolution, and the Rhetoric of Anti-Imperialism (Haymarket, 2018).

Traduction par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles

EN COMPLEMENT

Requête de l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice contre Israël pour génocide (VF - traduction auto)

Requête de l’Afrique du Sud auprès de la Cour internationale de justice contre Israël pour génocide (VO anglais)

»» https://jacobin.com/2023/12/biden-administration-israel-gaza-war-ethni...
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