La chronique de Recherches internationales

L’extrême droite, une nébuleuse multiforme qui s’enracine

photo : Pedro Moura Pinheiro

A l’échelle du monde, l’extrême droite prend ses marques et s’enracine au travers d’une nébuleuse multiforme. Ses singularités diffèrent d’un continent à l’autre et reflètent l’histoire et la spécificité des sociétés. Quel que soit son visage, l’extrême droite, presque toujours xénophobe, se nourrit des peurs, des frustrations et des précarités générées et alimentées par la crise. Elle progresse sur des sociétés fragilisées dont les repères et les valeurs sont heurtés. Les gros bataillons ne viennent plus en Europe des groupuscules violents ou paramilitaires et souvent nostalgiques du nazisme qui, tolérés ou non, perdurent encore de façon marginale et folklorique dans la vie politique. Certes, des filiations idéologiques avec cette famille politique peuvent être objectivées pour quelques dirigeants, mais pour l’essentiel le discours, les formes d’action, les milieux influencés se sont tellement modifiés qu’ils inclinent plutôt à penser en termes de ruptures que de continuités.

Le monde arabo-musulman, du Sénégal au Pakistan, soit largement plus d’un milliard d’hommes, a vu se développer en une trentaine d’années des formes d’intégrisme religieux qui s’apparentent à un fascisme vert prenant partout violemment pour cible les forces progressistes et démocratiques et ayant le projet d’imposer la prééminence de principes théocratiques sur l’espace social et politique. En Afrique noire, les sectes évangélistes prospèrent et véhiculent des valeurs rétrogradent, tandis qu’en Amérique latine elles ont toujours été associées aux formes extrêmes des dictatures militaires.

Partout, ces mouvements, surfant sur l’air du temps, ont su tout à la fois faire coaguler des aspirations diverses, utiliser les techniques les plus modernes de la communication de masse et se retrouver à l’aise dans une mondialisation qu’ils leur arrivent parfois de pourfendre. Selon les pays et les situations, les thèmes seront simplifiés et caricaturés par des leaders qui ne s’embarrasseront pas de complexité et chercheront avant tout à déstabiliser le système politique en présentant ses élites comme incompétentes, corrompues, complices de forces obscures menaçant l’intérêt national et insensibles aux besoins du peuple. Les boucs émissaires seront vite trouvés. Ici l’immigré, là le profiteur de l’État-providence ou le fonctionnaire, sauf s’il est policier, douanier ou soldat, car l’ordre musclé n’est jamais rejeté. Ou encore, la région pauvre et paresseuse parasitant la région riche et besogneuse sera montrée du doigt et invitée à se séparer. L’anti-fiscalisme et le rejet de l’état-providence seront mis en avant, notamment dans un continent comme l’Europe où l’état a toujours été affirmé et tenu pour responsable des solidarités nécessaires. Ailleurs, la présence d’une forte immigration habilement associée à une montée de l’insécurité, vraie ou fantasmée, sera un effet d’aubaine. On assiste même aujourd’hui à des tentatives de réhabilitation de la colonisation en exaltant ses soi-disant bienfaits, suggérant par là qu’il ne s’agissait que de civiliser des «  barbares » qui devraient nous en être reconnaissants. Des sentiments identitaires caractériseront souvent cette mouvance. Flattés à l’échelon national, ils nourriront une forme nationaliste d’opposition à l’Europe et à la mondialisation ainsi qu’à l’idéologie qui l’accompagne, le mondialisme. Mais déclinés sur un mode régionaliste voire séparatiste, ils remettront en cause le modèle national en se jouant de l’Europe flattant les régions.

A l’évidence, ce fonds de commerce prospère. Mais centré sur des identités et des particularismes, il peine à se constituer en internationale effective à l’échelle du monde et arrive difficilement à tisser des réseaux de relations efficaces au-delà de l’horizon continental, comme c’est le cas au Parlement européen. On imagine en effet mal des intégrismes religieux se mettre à coopérer, même s’ils s’alimentent l’un l’autre.

L’idéologie de l’extrême droite est finalement assez simple : il faut préserver. Qu’il s’agisse de la race, de la nation ou de la civilisation face au «  barbare » qui est aux portes ou déjà à demeure ; ou bien des valeurs ancestrales menacées - travail, famille, religion -, de l’ordre établi bousculé par toute évolution de société. Il faut défendre tout cela parce qu’on s’est persuadé que c’était ce qu’il y avait de meilleur, donc de supérieur aux autres. Il faudra même lutter contre la science si elle en vient à contredire nos convictions profondes, notamment religieuses. Au coeur de cette idéologie se niche la haine de l’autre et la conviction que l’homme est un loup pour l’homme. Le recours à l’affrontement, à la tension, voire à la guerre, ou la construction de dangers, de menaces ou d’ennemis, seront systématiquement recherchés pour entretenir une cohésion sociale ou communautaire contre «  les autres ». On comprend combien ces «  idées », ces phobies ou ces croyances rentrent en totale opposition avec toute avancée progressiste porteuse de valeurs de solidarité et de progrès. Le choc ne peut être que frontal et sans concessions.

Les stratégies seront diverses. Pour certains une posture d’alliance avec la droite conservatrice sera privilégiée et permettra une participation au pouvoir (Autriche, Italie, Pays-Bas, Portugal). Pour d’autres, faute d’avoir réussi à se rendre fréquentable, la perspective tracée sera celle de la déstabilisation du système politique perçu comme obstacle à toute avancée vers le pouvoir. Mais, dans tous les cas de figure, posture d’affrontement ou participation, l’effet sera le même, celui d’une droitisation de la société et du recul des valeurs progressistes. Montée des égoïsmes, repli individuel, abandon des acquis sociaux, recul des solidarités, refus des différences, recherche de boucs émissaires, traduiront le déplacement du curseur idéologique.

C’est dans la violence que la mondialisation a imposée aux peuples et aux états que réside probablement la cause principale de ce bouleversement du paysage politique. Ses effets délétères ont ravagé les souverainetés nationales garantes des protections que l’état devait à ses populations, et de la préservation des identités de chaque pays. Le spectacle de gouvernements successifs incapables d’agir efficacement sur des problèmes considérés comme essentiels et se retranchant derrière la contrainte externe pour se disculper de leur inaction ou de leur incapacité à obtenir des résultats, a créé le terreau sur lequel a germé ces postures xénophobes et identitaires. La précarité et le chômage se sont développés sur une grande échelle touchant d’abord les plus démunis et les plus exposés et affolant des classes moyennes craignant d’être happées dans le désastre. Ces dernières catégories constituent le socle le plus fidèle de cette droite extrême car elles reprochent à ceux d’en haut de donner à ceux d’en bas avec leur argent, au risque de les déstabiliser. C’est pourquoi toute solidarité et assistance sont bannies de leur horizon mental.

Bien qu’embarrassant à la fois la droite traditionnelle et la gauche, cette montée identitaire et xénophobe lance un défi particulier à cette dernière qui n’a pas su offrir une alternative crédible à ces bataillons ouvriers et populaires qui l’ont abandonnée. L’absence de vraies réponses de la part de la gauche, au programme peu audible car insuffisamment différencié de celui de la droite et suggérant un consensus mou sur la mondialisation, la construction européenne, le social, la réponse à la crise, ont favorisé l’illusion d’un système pipé dont il fallait sortir par l’extrême droite. Celle-ci a su accueillir ces ruisseaux de mécontents et transformer leur démarche protestataire en vote de conviction et d’adhésion par définition moins versatile. Regagner ces voix, voire arrêter l’hémorragie, ne sera donc pas tâche facile. Redonner sens au clivage gauche/droite, ne pas confondre social avec sociétal, être clair sur les couches dont on défend les intérêts et intransigeants sur toute dérive xénophobe deviendront très vite des postures incontournables pour les forces politiques se réclamant de la transformation sociale.

Michel Rogalski
économiste, CNRS. Directeur de la revue Recherches internationales

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

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COMMENTAIRES  

10/04/2012 18:19 par babelouest

C’est bien pourquoi l’élan que porte Jean-Luc Mélenchon en France est regardé avec une curiosité admirative depuis les autres pays, non au niveau des gouvernements bien sûr, mais à celui d’intellectuels qui ont analysé les dangers manifeste de cette mondialisation financière effrénée. C’est la bonne direction, c’est enfin une alternative avec ce que cela comporte de rupture avec un système courant à la perte de tous. Et cette alternative se déroulerait dans un État de droit, selon des procédures non contestables internationalement : c’est dire la force que cela sous-entend. Face à des États qui, actuellement, n’hésitent aucunement à recourir à des procédés illégaux selon leurs propres règles, et illégitimes, cela pourrait constituer un modèle transposable plus facilement dans les pays limitrophes que les expériences d’Amérique du Sud, au contexte fort différent.

Il reste à craindre que, effrayés par ces perspectives, des politiciens nationaux ou étrangers ne recourent à la force pour étouffer dans l’oeuf cet espoir. On se souvient du 11 septembre : oui, en 1973. La CIA a porté au pouvoir un tyran sanguinaire, qui a tenu longtemps. C’est pourquoi la vigilance citoyenne doit s’accentuer encore, pour éviter cela.

11/04/2012 08:46 par BOB

Les différentes ramifications de cette nebuleuse occupent une place non négligeable sur le net et leurs fidèles reçoivent un véritable lavage de cerveau par une propagande bien ciblée et un nombre impressionnant de vidéos, où ces personnages se mettent en scène face à des adversaires de deuxième zone, ou bien exposent des théories dans de longs monologues semblables aux régimes qu’ils idéalisent : le culte de la personnalité c’est leur truc, et à ce titre ils ont besoin d’adorateurs ! Leur discours bien rodé est devenu une arme de destruction massive de toute discussion rationnelle, en entretenant un confusionnisme politique......

http://2ccr.unblog.fr/2012/04/11/le-complot-des-conspirationnistes/

18/08/2012 20:31 par yann

La véritable extrême droite, ce sont les mouvements et courants qui sont liés à une forme de xénophobie néocolonialiste. Il n’y a de fascisme que dans les pays dominateurs, impérialistes et dotés de classes moyennes menacées de déclassement. Il est clair aujourd’hui que l’avant-garde de l’extrême droite se trouve entre ses deux piliers : les USA sous influence néoconservatrice et/ou néoévangéliste et Israël où presque tous les partis se sont rendus à l’idéologie racialiste des sionistes révisionnistes. Entre les deux, il y a l’Europe occidentale qui hésite entre une politique internationale et méditerranéenne ouverte, et le ghetto atlantiste barricadé. Et ce sont ces derniers qui, lançant de sempiternelles campagnes contre les "classes dangereuses" d’aujourd’hui, les "banlieues", agitent l’islamophobie comme hier on agitait l’antisémitisme. Et qui mènent des chasses aux sorcières contre lesdits "populistes" (c’est à dire les défenseurs des peuples). Alors on peut être d’extrême droite aujourd’hui au FN certes, mais tout autant au PS (Valls et sans doute Fabius) ou à l’UMP (Guéant, Horetfeux, Lellouche, Raoult). Nous sommes passés à l’extrême gauche de l’extrême droite qui s’étend jusque vers le PS, voire parfois plus loin (Guérin). C’est en finale l’attitude face à l’impérialisme qui définit la vraie barrière entre extrême droite et démocrates, c’est à dire promoteur du pouvoir du peuple, et des peuples.

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