L’oubli des chants d’oiseau et le transfert social : l’importance d’écouter les chants des oiseaux

L’oubli des chants d’oiseau et le transfert social : l’importance d’écouter les chants des oiseaux

D’après l’équipe de recherche universitaire de Manchester Metropolitan University les oiseaux d’une espèce, le méliphage régent, sont tellement menacés qu’ils ont perdu leurs chants. En effet les oiseaux de la génération antérieure qui devaient transmettre ce mode de communication et d’expression de vie ont été exterminés. Il n’en reste que 300 dans le monde ! les chercheurs indiquent que le régent doit apprendre son chant d’un mâle plus âgé lorsqu’ils sont jeunes. Ils font le constat scientifique que ces oiseaux chantent des chants étranges et plus précisément qu’Ils apprennent les chants d’autres espèces. L’expression des autres espèces est donc apprise tant est vraie la formule de Marx exprimée dans le Capital : l’être vivant ne vient pas au monde avec des concepts abstraits concernant le miroir ou l’identification mais il cherche de façon vitale un semblable. Marx parle des êtres humains dans cette note de bas de page du Capital, Livre I, page 60, mais cela s’étend en ce qui concerne la recherche de semblables aux êtres vivants tels que les oiseaux. C’est une leçon de vie ou au niveau éducatif une leçon de choses. Les oiseaux nous apprennent la poésie de la vie humaine aussi. 

Ce que révèle cet oubli d’un chant par une espèce d’oiseau doit nous alerter sur le tragique humain que mettait en lumière Pier Paolo Pasolini en février 1975 lorsqu’il écrivait son article sur la disparition des lucioles. Cet article est paru dans le Corriere della Sera en février 1975 puis sera repris dans les “ Ecrits corsaires ” publiés après l’assassinat de Pasolini le 2 novembre de la même année

Pasolini note dans cet article qu’un nouveau fascisme est né il y a une dizaine d’années auparavant, un fascisme radicalement, totalement et imprévisiblement nouveau et que ce nouveau fascisme est dans son apparition contemporain de la disparition des lucioles.

Il y voit un changement crucial de valeurs qui concerne d’abord le parti fasciste : « Après la disparition des lucioles, les valeurs nationalistes et donc falsificatrices du vieux monde agricole et paléocapitaliste, tout d’un coup ne valent plus pour rien. Et elles ne servent plus à rien, puisqu’elles sont devenues fausses. » (..) « Se substituent à elles des valeurs d’un nouveau type de civilisation, totalement "autre" au regard de la civilisation paysanne et paléoindustrielle ».

Pasolini indique alors quelque chose de très important pour notre actualité occidentale. Il voit en effet un processus d’unification "réelle", le premier processus d’unification dans l’histoire de l’Italie, indique-t-il, Surtout il précise : « Le trauma italien du contact entre l’archaïcité plurielle et le nivellement industriel ne connait peut-être qu’un seul précédent : l’Allemagne pré-Hitler. Là aussi les valeurs des nombreuses cultures singulières ont été détruites par la violente homogénéisation voulue par l’industrialisation : avec la formation de ces masses énormes qui ne sont plus anciennes (paysannerie, artisanat) mais qui ne sont pas encore modernes (bourgeoisie), masses qui ont formé le corps sauvage, aberrant, imprévisible des troupes nazi. »

Je m’arrêterai là pour faire un premier commentaire. Pasolini met en avant le concept de la valeur, du déplacement de valeurs, de passages de valeurs tels que nous l’utilisons à l’APPS (1) avec notre concept de "transfert de valeurs" que nous avons trouvé chez Marx (Capital Livre I) et utilisé pour la compréhension logique de ce qui se passe dans la vie humaine.

Ce qui est contemporain et porteur de gain de savoir pour aujourd’hui est le rôle de la violence dans l’histoire, et plus précisément la violence qui est liée à la destruction des valeurs qui fonctionnaient auparavant, et s’impose comme violence de l’homogénéisation voulue par l’industrialisation, un véritable meurtre social collectif.

Un autre point souligné par Pasolini est qu’il y a une transition entre ces deux modes de fonctionnement de valeurs. Ce qui nous interroge et nous enseigne sur la barbarie nazie et sa violence destructrice rompant avec toute éthique, est la mise en avant du caractère flou des états de l’ancien et du nouveau pour faire fonctionner les valeurs sociales. Il s’agit d’un caractère flou qui touche des masses énormes d’humains. Ces masses énormes qui ne sont plus anciennes (paysannerie, artisanat) mais qui ne sont pas encore modernes (bourgeoisie). Ce caractère flou et mouvant des valeurs qui sont mises à l’épreuve dans leurs fonctions sociales est crucial. Cela enseigne sur les transitions de valeurs dans le processus historique mondial. Cela permet notamment de saisir les processus dialectiques historiques notamment les transitions violentes dans les états régis selon le mode de production capitaliste. Des poussées contraires sont en effet à l’œuvre dans le transfert social. Le flou concret de la transition provoque une ambigüité qui signifie en latin “ pousser d’un côté, pousser de l’autre côté ”. Cette analyse des poussées contraires de valeurs permet de saisir les violences et turbulences actuelles, mondiales mais diverses dans leurs formes selon l’état où elles se déroulent. L’un des points nouveaux de notre réflexion concerne les transitions brutales dans les valeurs humaines qui sont produites par le capitalisme et qui ont facilité le nazisme. Cela aide également a contrario dans la compréhension logique des transitions des États qui cherchent à s’en émanciper. Nous y reviendrons de façon détaillée dans un prochain article.

Les oiseaux nous apprennent la poésie de la vie humaine aussi. Il y aurait un risque à oublier le chant de la poésie révolutionnaire. De ce point de vue “ Canto general ” de Pablo Neruda est un immense transfert de valeurs émancipatrices. Il est nécessaire de maintenir vivant ce transfert de valeurs au risque d’être comme les méliphage régent de perdre notre chant de l’émancipation humaine. 

(1) APPS Association loi 1901 ; Analyse Pratique Psycho-Sociale

 https://www.analyse-pratique-psycho-sociale.com

COMMENTAIRES  

19/05/2025 21:24 par Erno Renoncourt

Un article inspirant, qui prouve encore, s’il fallait de nouvelles preuves, combien ce site, par la diversité des thématiques qu’il met en valeur, contribue à forger une certaine conscience propice à une vraie résistance contre l’invariance de la géostratégie de la déshumanisation. La métaphore des oiseaux qui oublient le chant de leurs espèces, par déficit d’apprentissage intergénérationnel, n’est-elle pas comparable à l’indigence des collectifs qui, déracinés de leur contexte, ne peuvent plus penser les solutions à leurs problèmes qu’en empruntant des solutions connues d’avance dans la boite à outils des valeurs universelles occidentales ?

L’auteur a raison d’insister sur le fait que personne ne vient au monde avec des concepts abstraits ; pas plus que cela n’a de sens de vouloir trouver des solutions universelles à ses problèmes contextuels.. C’est, en effet, l’enracinement dans son environnement et l’apprentissage contextuel, par la confrontation avec les incertitudes de son milieu, qui forgent l’intelligence collective. En ce sens, vivre dans l’oubli de son identité, dans le déracinement de son contexte, dans l’évidement de ses valeurs culturelles, dans la résiliation de ses responsabilités envers son territoire et son collectif est une auto-déshumanisation. Et c’est, ce que de manière atypique, nous appelons l’indigence, parce qu’elle s’institue comme une disposition en rupture avec l’apprenance.

Il y a toujours des liens entre des thématiques qui posent les problèmes avec authenticité, indépendamment de la forme et des arguments.

Merci.

(Commentaires désactivés)