22 

La main sur le coeur

Hier après-midi, après sa victoire, le judoka Teddy Riner a reçu sa médaille d’or. Juste après, comme de coutume, a été jouée la "Marseillaise", en hommage au pays du vainqueur. Ce que j’ai noté (et que nul journaliste, me semble-t-il, n’a relevé) c’est que, durant l’exécution de l’hymne, Teddy Riner a posé sa main droite sur son coeur.

Or, cette attitude, à ma connaissance, n’est pas prescrite par le protocole français. La seule attitude requise est la station debout, les bras le long du corps [pour les civils]. La position bras replié, main sur le coeur, est celle des citoyens américains lors des exécutions de l’hymne national des Etats-Unis. [Les étrangers assistant à l’exécution de cet hymne ne sont tenus que de se lever].

Quels commentaires en tirer ?

- Le premier est que l’être humain est fort embarrassé de ses membres supérieurs lorsqu’on lui demande de se tenir debout et immobile. On le voit, par exemple, lors de la prise de photos où, plutôt que de laisser pendre ses bras le long du corps, on tient ses mains derrière le dos, ou on croise les bras, ou on s’appuie sur une chaise, un mur, ou une autre personne photographiée, en le - ou la- tenant par les épaules, par la taille, par le cou. On conçoit que nos jambes se contentent de nous tenir à la verticale (c’est d’ailleurs leur première utilité) mais on
est frustré à l’idée de ne pas offrir une fonction active à nos bras...

- Le deuxième est que, par tradition (peut-être même par millénaire), les attitudes exprimant l’hommage, la dévotion, l’attachement, l’adhésion, engagent souvent tout le corps, et notamment les bras, l’exemple le plus connu étant les applaudissements. Mais les victoires - sportives, politiques - sont scandées, accompagnées par un soulèvement des bras. Les manifestations politiques se traduisent par des bras levés ou des poings tendus. Les prières voient les mains se joindre, ou porter à la poitrine ou à la tête, etc.

Il est donc tout à fait normal que, psychologiquement, Teddy Riner ait voulu accompagner, marquer, souligner son émotion et l’hommage à son pays. Comme il ne s’imaginait guère joindre les mains dans un geste d’oraison, ou porter la main à la tempe (geste réservé aux militaires), il ne lui restait plus qu’à imiter ce qu’il a dû souvent voir faire à ses homologues américains vainqueurs d’une épreuve : porter la main à la poitrine. Mais n’a-t-il puisé son comportement que dans le seul domaine sportif ?

Le salut civil américain n’est-il pas largement popularisé par les feuilletons, les films d’outre-Atlantique, où à la fin d’une épopée qui voit le "Bien" (= les Etats-Unis), triompher du "Mal" (Peaux-Rouges, extraterrestres, zombies, nazis, communistes, agents du KGB, terroristes, islamistes...), les héros, invariablement, saluent la bannière étoilée la main sur le coeur ? Mais ce salut n’est-il pas aussi celui de toutes les actualités télévisées où le président des Etats-Unis
(plus présent sur les petits écrans que le président du Kazakhstan ou que celui de la Pologne, sans parler de la Lituanie) renouvelle son attitude lors de l’exécution des hymnes nationaux ?

Cette imitation d’un modèle étatsunien est donc, pour une part non négligeable, une conséquence d’une imprégnation médiatique. [Que l’on voit par ailleurs dans un autre domaine, nombre de juges ayant dû faire remarquer qu’en s’adressant à un magistrat français (du siège), on ne devait pas dire "Votre Honneur" mais "Monsieur" - ou "Madame" le - ou la - "Président(e)".] Cette attitude n’est qu’une des modalités de la prégnance d’un modèle dominant, dont les manifestations les plus courantes relèvent du domaine linguistique, comme en témoignent les nombreux anglicismes que les professionnels de la langue signalent par dizaines...

Philippe Arnaud

COMMENTAIRES  

05/08/2012 13:51 par Anonyme

La position bras replié, main sur le coeur, est celle des citoyens américains...

A rapprocher peut-être du commentaire télévisé à chaud et dithyrambique de la victoire de la nageuse de 15 ans et trois mois, à laquelle rien du bonheur du monde n’échappe, puisque :

« qui plus est, Américaine ! ».

05/08/2012 14:46 par calame julia

En effet, on peut se poser la question ?
Môssieu Philippe ARNAUD, c’est pas gentil de chercher la petite bête
là où, peut-être, ne se niche qu’un gros défault !
Quand je me fais arrêter par la gendarmerie parce qu’à vélo, je porte
un cache nez-bouche et positionné mi-front qu’ils ont le culot de
me dire que je n’ai pas la couleur du flagrant délit...j’ai une soudaine
allergie pour l’égalite lui préférant le "deux poids-deux mesures".

05/08/2012 18:01 par babelouest

La propaganda des images est très efficace, que ce soit en interne ou à l’international. Se sentit fière "d’être américaine" à ce point (en plus d’utiliser une expression inadéquate, s’agissant d’une étatsunienne) est une insulte à tous les morts par faits d’armes du monde. Reproduire des gestes si mis en avant par les médias qu’ils en deviennent prégnants et adéquats pour tous révèle une porosité culturelle généralisée dramatique. Quant aux armes, leurs provenances étant le fait de quelques fabricants mondiaux, leur violence est celle des pays qui permettent, voire encouragent, cette industrie.

Le langage, c’est la culture. Quand la plus basique de toutes aura "normalisé" les autres à son aune, y compris dans le langage des gestes, Homo Sapiens aura vécu. L’uniformité est la fin de l’histoire. Donc la fin de l’humanité.

05/08/2012 20:28 par Alain

Qui sait s’il n’a pas un survet de marque, dont il veut cacher le logo placé sur la poitrine ?...Ou peut-être, suite aux efforts inouïs qu’il a consenti, une tendinite à l’épaule l’oblige-t-elle à garder le bras plié ?
Finalement, je crois que la bonne explication est bien plus simple. En regardant bien, on remarque que sa veste de survet baille largement, ce qui signale à l’évidence une fermeture éclair défaillante. Teddy Riner est bien obligé de retenir les pans de sa veste pour n’avoir pas l’air ridicule sur la photo.

05/08/2012 22:24 par patrice sanchez

Monsieur Arnaud, je vous conseillerais d’ aller plutôt faire un article couvrant les JO handisport, vous trouveriez certainement des athlétes n’ayant pas l’usage de leurs membres supérieurs ou à tout le moins un hémiplégique ne pouvant se servir de son bras droit et qui se masserait le poumon droit de sa main gauche à défaut du coeur durant la marseillaise, ce qui éviterait ce texte vraiment inepte ...

05/08/2012 22:34 par Lyendith

C’est bien ce qui est le plus amusant/effrayant dans l’américanisation : on copie les États-Unis et le langage (physique ou verbal) des anglo-saxons en général, sans même le réaliser… pardon, sans même s’en rendre compte. M’enfin bon, une main sur le coeur, ça reste inoffensif. D’ailleurs, est-on sûr que ça ne se fait pas dans d’autres pays un peu connus ?

06/08/2012 01:31 par Dwaabala

05/08/2012 à 22:24, par patrice sanchez

Monsieur Arnaud [...]ce qui éviterait ce texte vraiment inepte ...

Il faut se sentir fortement concerné pour apprécier ainsi ce texte.

06/08/2012 03:07 par emcee

Les sportifs français noirs ou basanés n’ont vraiment pas de chance : si on ne les accuse pas de faire exprès de ne pas chanter la Marseillaise, on leur reproche d’en faire trop dans le patriotisme.

J’aurais bien dit "ils ne peuvent pas gagner", mais d’une certaine manière, certains le font.

Il me semble qu’il y a des choses bien plus graves à reprocher aux USaméricains, ou aux athlètes. Mais c’est pareil pour tout : on a les indignations qu’on peut, nous, depuis notre petit lopin de terre.

Mais nous l’avons échappé belle : cette main aurait, aussi, pu se refermer et s’élever au-dessus d’un bras tendu vers le ciel.

J’imagine le bruit dans Landernau.

06/08/2012 03:32 par emcee

Ah, et puis, j’ai oublié :

Porter la main à la poitrine existe aussi en France : par exemple, les Marocains (ou d’origine - je ne sais pas pour les autres Maghrébins, possible que oui) se saluent traditionnellement en se tapotant la poitrine au niveau du coeur.

Les Méditerranéens, par exemple, qui sont, en général, beaucoup plus démonstratifs que d’autres ethnies hexagonales, peuvent très bien exprimer leur gratitude (qu’elle soit sincère ou ironique) en posant la main comme le fait cet athlète.

Personne ne leur dirait qu’ils ont attrapé cette manie à force de regarder les feuilletons US.

06/08/2012 07:51 par Dwaabala

A tous ceux qui prône l’abandon des attitudes protocolaires nationales je me joins pour souhaiter au bout du compte l’abandon pur et simple de tout protocole : plus de cérémonie d’ouverture, plus d’hymnes nationaux, plus de médailles et, à terme plus de JO.

06/08/2012 10:58 par Clyde Barrow

Il se trouve que je regarde les JO à la télé et j’ai remarqué que tous les médaillés français ou presque mettaient la main sur le coeur pendant la Marseillaise, à la manière américaine en effet.

Je suppose donc que quelqu’un leur a donné instruction de le faire. Qui je ne sais pas, mais c’est bizarre que tous le fassent, ce n’est donc pas spontané.

Il est donc malvenu de ne le reprocher qu’au seul Teddy Riner et de lui prêter des intentions douteuses.

06/08/2012 11:26 par Alain

Il me semblerait plus intéressant de lire quelque chose sur la distance, apparente, entre les vainqueurs et les vaincus. Dans la plupart des courses - c’est plus évident que pour d’autres disciplines - les derniers finissent dans un état d’épuisement et à une allure qui n’ont rien à voir avec l’état et la performance des vainqueurs. Ceci fut particulièrement marquant dans les séries du 1500, que j’ai regardées.
Pourtant France-Télévisions, par la voix de ces commentateurs et consultants, ne voit rien et ne relève rien.

06/08/2012 12:01 par Bernard Gensane

Il y a quelques années, un imitateur (Dahan, je crois) a téléphoné à Zidane en prenant la voix de Chirac et lui a suggéré de mettre la main sur le coeur pendant la Marseillaise. "Comme cela, je sais que vous penserez à moi" avait dit "Chirac". Du coup, les 11 joueurs adoptèrent la même posture.

06/08/2012 12:20 par gérard

je sais bien que c’est la période des vacances, qu’il y a du relâchement cérébral, mais de là à se dépenser en neurones sur un tel sujet...est-ce bien raisonnable ?
Se seraient-ils mis la mains au c.l, comme disait Zazie,....,qu’au moins il y aurait eu enfin un intérêt dans cette sinistre foire au fric et aux nationalisme !
Mais là ...franchement !

06/08/2012 13:03 par pilhaouer

Ce que j’aurais envie de commenter, ce n’est pas tellement la main sur le coeur qui ne me choque pas particulièrement mais bien plutôt les démonstrations de joie des sportifs victorieux au mépris total de leurs adversaires malheureux.
Jusque vers les années 60’, un judoka n’aurait pas pu se laisser aller ainsi car il aurait été tout simplement sanctionné. En ce temps-là on saluait son adversaire et on le remerciait et pourtant on ne s’épargnait pas.

L’esprit de ce sport a changé comme pour tous les autres et c’est évidemment conforme à l’idéologie dominante : être le premier, dominer !

Et sûr que, comme l’écrit Emcee plus haut un poing levé, c’est autre chose !
A propos, la farce des JO coûte plus de 11 milliards de livres, dit-on (prévisions 3M)
Vu l’état de Royaume, ça devrait étonner .
Il y a eu des JO à Athènes aussi, je crois .

Panem (non !) Circenses (bien sûr !)

06/08/2012 14:12 par Clyde Barrow

@ Alain
Aux JO il y a les champions qui font les minima pour se qualifier, et puis il y a les autres, ceux qui ne font pas les minimas, mais qui ont le droit d’être là parce que ce sont les JO. Chaque pays peut inscrire un concurrent par épreuve, même s’il ne fait pas les minimas pour se qualifier.

Cela explique les différences de niveaux que vous avez justement constaté lors des séries du 1500, mais que vous constaterez aussi dans d’autres épreuves, du moins dans les séries qualificatives.

06/08/2012 16:25 par mandrin

Il y a aussi les champions olympiques du cynisme pourris jusqu’à la trogne comme Fabius ou l’autre, un proche de Sarko sait plus son nom..."toujours dans les valises de sarko" , en embuscade pour la photo avec le médaillé d’or, pour faire remarquer qu’ heureusement ils étaient là , sans quoi rien n’aurais été possible

06/08/2012 21:22 par patrice sanchez

@ Dwaabala,
il n(y a pas de concernés, ni de conscoincés, les américains n’ont pas le monopole de la main sur le coeur, à ne pas confondre avec le doigt sur la gachette !

06/08/2012 21:33 par Dwaabala

06/08/2012 à 16:25, par mandrin
Il y a aussi les champions olympiques du cynisme...

Oui, du cynisme sur piste, de la course poursuite et de « l’américaine » qui, curieusement, ne se pratique plus aujourd’hui sur les vélodromes : le dernier de chaque tour est éliminé. Une idée à creuser pour les scrutins futurs.

A propos d’américanisation je pense à feu M. Jackson qui, lui, ne se mettait pas précisément la main sur le coeur...

07/08/2012 08:35 par D3gl1ng0

Et encore, on a de la chance :
Originellement, le salut au drapeau US se faisait le bras tendu !

10/08/2012 11:03 par Pascal beaugeard

Il n’y a pas que les athlètes, français ou étasuniens, qui est la main sur le coeur. Je me souviens avoir lu que nous, les contribuables, avons fini de payer les JO d’hiver d’Alberville (organisé en 1992) l’année dernière. Vive le sport !

12/11/2017 22:22 par LHostis Emmanuel

Je suis entièrement d’accord sur ce fait la position en France est debout, droit ; les mains le long du corps
Pas la main sur le cœur, ça me fait hurler à chaque fois.
Je pense que cette "habitude" utopique est dû aux séries américaine,
Cordialement

(Commentaires désactivés)