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La révolution économique mise en danger par Nabli à la BCT

Enquête à travers l’exemple de la révolution sud-africaine :
Il est de coutume d’entendre les politiciens parler de social, de réduction des inégalités, de lutte contre le chômage, lancés comme des slogans qui sonnent creux pour le citoyen avisé qui interprète ces paroles comme des belles promesses électorales. La question qui brûle les lèvres de tout citoyen à l’écoute de ces promesses est simple mais très juste : comment y parvenir ? Pour comprendre le comment, il faut non pas chercher du côté des idées, ce versant a été maintes fois discuté et une recherche approfondie dans l’histoire permettrait d’en ressortir des idées lumineuses. Le versant le plus important d’un point de vue stratégique est celui du financement et donc du pouvoir de la création monétaire, pouvoir détenu en grande partie dans une institution d’une importance cruciale : la Banque Centrale de Tunisie.

Afin d’éclairer le lecteur sur l’importance de la Banque Centrale, nous allons le transporter dans l’Histoire, et revenir sur un des moments les plus inoubliables, les plus symboliques de la lutte contre l’oppression : la révolution de l’Afrique du Sud sous l’égide de l’ANC et de son leader charismatique Nelson Mandela, et plus précisément sur les négociations qui ont eu lieu pendant la transition, c’est-à -dire la période actuellement traversée par la Tunisie. Nous allons extraire des passages d’un livre indispensable pour comprendre la Crise actuelle : La Stratégie du Choc de Naomi Klein (voir le chapitre X).

Commençons d’abord par mesurer la profondeur tant historique que populaire de la révolution sud-africaine à travers la célèbre Charte de la Liberté :

« Tout débuta en 1955, au moment où le parti dépêcha 50 000 volontaires dans les townships et les campagnes. Ces derniers avaient pour tâche de recueillir auprès des gens les « conditions de la liberté » - vision d’un monde sans apartheid dans lequel tous les Sud-Africains exerceraient des droits égaux. Les revendications étaient notées à la main sur des petits bouts de papier : « Des terres pour ceux qui n’en ont pas », « Un salaire décent et des heures de travail réduites », « L’éducation gratuite et obligatoire pour tous, sans égard à la couleur, à la race ou à la nationalité », « Le droit de s’établir et de se déplacer librement », et ainsi de suite. Les dirigeants du Congrès national africain firent la synthèse des exigences dans un document final, adopté officiellement le 26 juin 1955 à l’occasion du Congrès du Peuple organisé à Kliptown, township servant de « zone tampon » entre les Blancs de Johannesburg et les multitudes de Soweto. Environ 3 000 délégués - des Noirs, des Indiens, des Métis et quelques Blancs - s’installèrent dans un terrain vague pour voter les articles du document. Selon le compte rendu que fait Nelson Mandela du rassemblement, « la Charte fut lue à haute voix, chapitre après chapitre, en anglais, en sesotho et en xhosa. A chaque pause, la foule hurlait son approbation aux cris de Afrika ! et de Mayibuye ! ». L’article premier, d’un air de défi, proclame : « Le peuple gouvernera ! »

Cette révolution était d’une symbolique si forte qu’elle représente le meilleur exemple à mettre en parallèle de celle de la Tunisie, tant celles-ci ont engendré une vague d’espoir. Et pourtant, lors des négociations entre l’ANC et le régime d’apartheid, il y eut un tournant décisif qui fit basculer la révolution de l’espoir vers le désespoir dans une symbolique majestueuse entre l’ombre - les négociations économiques -, et la lumière - les négociations politiques entre Mandela et de Klerk.

La stratégie de l’ombre fut la suivante :

« Dans le cadre de ces négociations, le gouvernement de F. W. de Klerk adopta une stratégie en deux volets. S’inspirant du consensus de Washington, selon lequel il n’existe qu’une seule façon de diriger une économie, il qualifia les principaux secteurs décisionnels relatifs à l’économie - par exemple la politique commerciale et la banque centrale - de « techniques » ou d’« administratifs ». Il eut ensuite recours à un large éventail de nouveaux outils stratégiques - accords commerciaux internationaux, innovations dans le domaine du droit constitutionnel et programmes d’ajustement structurel - pour céder le contrôle de ces centres de pouvoir à des experts, économistes et fonctionnaires prétendument impartiaux du FMI, de la Banque mondiale, de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et du Parti national - bref, n’importe qui sauf les combattants pour la liberté de l’ANC. On assista donc à la balkanisation non pas du territoire géographique (que de Klerk avait tenté d’imposer), mais bien de l’économie. »

Cette stratégie n’est pas sans rappeler les appels incessants de mise en place d’un gouvernement de technocrates, incluant le maintien de celui considéré comme le plus intègre : l’américano-tunisien Mustapha Kamel Nabli, gendre de Kamel Eltaief, et surtout qui a été chef économiste et directeur chargé de la région MENA (Moyen Orient Afrique du Nord) de 1999 à début Janvier 2011 à la Banque Mondiale, parachuté Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie seulement trois jours après le départ de Ben Ali. « Tout sauf des personnes élues » pourrions-nous dire analogiquement.

Notons au passage que la Banque Mondiale est l’un des plus gros créanciers de la Tunisie et se targue même de compter parmi ses missions de gérer la dette publique du pays (voir l’encadré 7 du DSP), ce qui est un comble pour un créancier ! Vu le nombre d’années passées à un poste stratégique au sein de la Banque Mondiale, il est tentant de faire le parallèle avec le coup d’État de Goldman Sachs en Europe actuellement.

Pour mesurer l’importance des négociations, surtout celles qui se font dans l’ombre, entrons donc dans le vif du sujet et apprécions avec quelle vicissitude des mailles placées stratégiquement peuvent tuer une révolution dans l’œuf :

« Padayachee entra dans la lutte pour la libération durant les années 1970 en tant que conseiller du mouvement syndical sud-africain. « A cette époque-là , nous avions tous la Charte de Liberté collée derrière notre porte », explique-t-il.

Je lui demandai alors à quel moment il avait compris que les promesses économiques qu’elle renfermait ne seraient jamais réalisées. Il me répondit qu’il a commencé à s’en douter à la fin de 1993 lorsque lui-même et l’un de ses collègues de l’équipe Make Democracy Work avaient reçu un coup de fil de la part des négociateurs, qui en étaient au dernier stade de leurs tractations avec le Parti national.
On avait besoin d’un document de travail sur les avantages et les inconvénients qu’il y avait à faire de la banque centrale d’Afrique du Sud une entité autonome, tout à fait indépendante du gouvernement élu - et on le voulait pour le lendemain matin. « Nous avons vraiment été pris par surprise », déclara Padayachee, à présent quinquagénaire.

Il avait fait des études supérieures à l’université Johns Hopkins de Baltimore. Même parmi les économistes néolibéraux des États-Unis, l’idée d’une banque centrale indépendante était considérée comme marginale, le dada d’une poignée d’idéologues de l’école de Chicago persuadés que les banques nationales devaient être gouvernées comme des républiques indépendantes à l’intérieur des États, loin de l’ingérence des législateurs élus.

Pour Padayachee et ses collègues, convaincus que la politique monétaire devait au contraire être mise au service des « grands objectifs de croissance, de création d’emplois et de redistribution » du nouveau gouvernement, la position de l’ANC ne faisait aucun doute : « Pas de banque centrale indépendante en Afrique du Sud. »
Padayachee et l’un de ses collègues passèrent la nuit à rédiger un document dans lequel ils fournissaient à l’équipe de négociation des arguments à opposer à la proposition surprise du Parti national.
Si la banque centrale (appelée Reserve Bank en Afrique du Sud) était détachée du reste du gouvernement, l’ANC ne serait peut-être pas en mesure de respecter les promesses de la Charte de la Liberté. Et si la banque centrale ne relevait pas du gouvernement de l’ANC, à qui, au juste, rendrait-elle des comptes ? Au FMI ? A la bourse de Johannesburg ?

De toute évidence, le Parti national cherchait un moyen détourné de s’accrocher au pouvoir malgré sa défaite aux urnes - stratégie à laquelle il fallait résister à tout prix. « Le Parti national engrangeait le plus de concessions possibles, dit Padayachee.
Ça, au moins, c’était clair. » Padayachee faxa le document le lendemain matin et attendit des nouvelles pendant des semaines. « Puis, un jour, nous nous sommes informés de la situation. Nous avons lâché ce morceau-là, nous a-t-on répondu. »

Non seulement la banque centrale constituerait-elle une entité autonome au sein de l’État, son indépendance étant enchâssée dans la nouvelle Constitution, mais en plus, elle serait dirigée par l’homme qui la pilotait sous l’apartheid, Chris Stals. Et l’ANC n’avait pas renoncé qu’à la banque centrale : aux termes d’une autre concession majeure, Derek Keyes, ministre des Finances blanc sous l’apartheid, demeurerait en fonction - de la même façon que les ministres des Finances et les directeurs des banques centrales sous la dictature argentine avaient réussi à se maintenir en poste une fois la démocratie rétablie.

Le New York Times fit l’éloge de Keyes, présenté comme « l’apôtre en chef d’un gouvernement frugal et sympathique à l’entreprise privée ».
« Jusque-là , dit Padayachee, nous étions optimistes. Nous menions une lutte révolutionnaire, bon sang ! Il allait forcément en sortir quelque chose de bon. » En apprenant que la banque centrale et le Trésor demeureraient aux mains de leurs anciens titulaires sous l’apartheid, il comprit que « le projet de transformation de l’économie allait tomber à l’eau ».

Je lui demandai s’il croyait que les négociateurs avaient conscience de ce qu’ils avaient perdu. Après un moment d’hésitation, il répondit : « Franchement, non. » C’était le jeu de la négociation. « Dans un tel contexte, il faut céder des choses, et c’est ça que nous avons cédé. C’était du donnant-donnant. »
Du point de vue de Padayachee, il n’y eut donc pas de trahison majeure de la part des dirigeants de l’ANC. Seulement, l’adversaire leur dama le pion à propos d’une série d’enjeux qui, à l’époque, semblaient accessoires. Il se révéla en fin de compte que la libération de l’Afrique du Sud en dépendait.

Les négociations conclues, l’ANC se trouva donc empêtré dans un filet d’un nouveau genre, fait de règles et de règlements obscurs, tous conçus pour confiner et restreindre le pouvoir des élus.
Lorsque le filet se referma sur le pays, seules quelques personnes remarquèrent sa présence. Puis, une fois installé au pouvoir, le nouveau gouvernement essaya de manœuvrer librement et de faire bénéficier ses électeurs des effets tangibles de la libération qu’ils escomptaient et en faveur desquels ils s’étaient prononcés.
Mais alors les mailles du filet se resserrèrent et l’administration constata que ses pouvoirs étaient étroitement circonscrits. Patrick Bond, conseiller économique au bureau de Mandela pendant les premières années au pouvoir de l’ANC, se souvient de la blague que l’on se répétait en interne : « Nous avons l’État. Où est le pouvoir ? »
Lorsqu’il tenta de donner corps aux promesses de la Charte de la Liberté, le nouveau gouvernement se rendit compte que le pouvoir était bel et bien ailleurs.[…] En somme, l’Afrique du Sud était à la fois libre et captive. Les lettres d’acronymes sibyllins étaient autant de fils qui liaient les mains du nouveau gouvernement.
Rassool Snyman, militant antiapartheid de longue date, me décrivit le piège en ces termes : « Ils ne nous ont jamais libérés. La chaîne que nous avions au cou, ils l’ont mise à nos chevilles. » Selon Yasmin Sooka, éminente militante pour les droits de l’homme, la transition, « c’étaient les entreprises qui disaient : Nous allons tout garder et vous [l’ANC] n’aurez le pouvoir que pour la forme. ; […] Vous pouvez avoir le pouvoir politique, donner l’apparence de gouverner, mais c’est ailleurs que s’exerce la véritable gouvernance ».
Dynamique d’infantilisation fréquemment imposée aux pays dits en transition - on donne au nouveau gouvernement les clés de la maison, mais pas la combinaison du coffre-fort. »

Ce passage est d’une telle cruauté pour un peuple qui s’est battu, qui a donné son sang pour la Liberté, qu’il est nécessaire de faire savoir aux tunisien(ne)s ce qu’il se trame dans l’ombre et insidieusement pendant qu’ils fêtent la révolution.
Car la révolution tunisienne est belle et bien en danger, et nous reviendrons assez amplement sur le bilan sud-africain pour mettre en garde le peuple tunisien sur les mailles du filet qui, doucement, se resserrent petit à petit sur lui. Nous avons déjà souligné le potentiel conflit d’intérêt entre Nabli à la Banque Centrale et son ancien employeur la Banque Mondiale.
Néanmoins, celui-ci reste dans la potentialité tant que Nabli n’a pas avancé ses pions. Ce qui a été fait à la suite du Forum Emploi et Développement Régional organisé par l’UTICA le 12 Septembre 2011, et auquel Nabli a participé en tant que modérateur, le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie s’est permis (peut-être par relâchement dû à son aura médiatique) de lâcher l’arme de destruction massive qui achèverait la révolution lors d’une interview donnée au site WebManagerCenter.

Au milieu des missiles typiques de la Banque Mondiale telle que l’idée de « bonne gouvernance » (sujet sur lequel nous reviendrons plus tard car il vaut son pesant d’or) - idée tant défendue par Nabli au sein de la Banque Mondiale -, sans sommation, il dégaine :
« Quant à la stabilité financière, elle ne peut être garantie que par l’indépendance de la Banque Centrale. »

Le mot est dit dans la bouche de l’actuel Gouverneur de l’institution la plus stratégique de la Tunisie, et il ne sera plus dit depuis. C’est ici qu’entrent en résonance les expériences sud-africaine et tunisienne, révolutions d’autant symboliques sur le continent africain que leur destinée semblent suivre un chemin similaire : celui d’un coup d’Etat économique légitimé démocratiquement qui plus est.

Pour tenter de comprendre comment une révolution aussi profonde - aussi poussée tant dans ses revendications que dans la forme dans lesquelles elles ont émergé - a pu aboutir à enchaînement sous une autre forme, il faut revenir sur la période temporelle qui a vu se jouer cette partie d’échec mais cette fois-ci du point de vue des militants :

« Pourquoi les militants de base n’avaient-ils pas forcé l’ANC à tenir les promesses formulées dans la Charte de la Liberté ? Pourquoi ne s’étaient-ils pas révoltés contre pareils concessions ?
J’ai posé la question à William Gumede, militant de l’ANC de la troisième génération qui, en tant que leader étudiant pendant le transition, passa ces années tumultueuses dans la rue.
« Tout le monde suivait les négociations politiques, dit-il au souvenir des sommets Mandela-de Klerk. S’il y avait eu des problèmes de ce côté, d’énormes manifestations auraient éclaté. Mais lorsque les négociateurs de la table économique présentaient leurs rapports, personne ne les écoutait.
C’était, croyait-on, technique. » Mbeki [Président de l’Afrique du Sud entre 1999 et 2008 et en charge des négociations économiques] encourageait cette perception des choses en affirmant que les pourparlers étaient « administratifs », sans intérêt pour le commun des mortels (un peu comme les Chiliens avec leur démocratie « technicisée »).
Par conséquent, me confia Gumede, exaspéré : « Nous avons raté le coche ! Nous sommes passés à côté des véritables enjeux. ».

Gumede, devenu l’un des journalistes d’enquête les plus respectés d’Afrique du Sud, dit qu’il a fini par comprendre que c’étaient ces discussions « techniques » qui avaient décidé du sort de son pays - même si, à l’époque, ils étaient peu nombreux à s’en rendre compte. [..]
« Je me concentrais sur la politique - l’action collective, les virées à Bisho [siège d’une confrontation décisive entre la police et les manifestants].
Je criais : « Qu’on nous débarrasse de ces types ! » se souvient Gumede. Mais je me trompais de combat - la vraie bataille était livrée sur le front économique. Je m’en veux d’avoir été naïf à ce point. Je croyais avoir assez de maturité politique pour comprendre. Comment ai-je pu ne pas me rendre de ce qu’il se passait ? ».
Hormis une poignée d’économistes, personne n’avait envie de parler de l’indépendance de la banque centrale, sujet soporifique par excellence, même quand tout va bien par ailleurs.
Selon Gumede, la plupart des gens se disaient que l’ANC, une fois bien en selle, n’aurait qu’à revenir sur les compromis faits à la table de négociation. « Nous allions former le gouvernement, dit-il. Nous verrions cela ultérieurement. »

Ce que ne comprenaient pas les militants, c’est que les pourparlers en cours avaient pour effet d’altérer la nature même de la démocratie et que, une fois les mailles du filet refermées sur leur pays, il n’y aurait pas d’ « ultérieurement ». »

Ainsi, toute la stratégie réside dans la manipulation de l’ombre et de la lumière.
Lumière a été faite, en Tunisie, sur la laïcité qui, par ironie du sort, jette le voile et laisse dans l’ombre la question de la banque centrale dont nous venons de montrer à quel point elle est nodale voire vitale. Ironie mise à part, tout l’art de tuer la révolution réside dans la capacité à dissimuler les vrais enjeux au vu et au su de tous et en toute transparence. « Le bon stratège manipule l’ennemi tout en cachant ses propres intentions », disait Sun Tzu.
Nous entrons ici dans le domaine de la perception manipulée où le vrai et le faux s’entremêlent et se confondent, et où l’idéologie se fait passer pour neutre.
Ainsi, les idéologies masquées ont travaillé dans l’ombre en Afrique du Sud : « Vishnu Padayachee a résumé pour moi le message que les dirigeants de l’ANC reçoivent depuis le début par « des gouvernements occidentaux, du FMI et de la Banque Mondiale. Ils disent : « Le monde a changé. Les idées de gauche n’ont plus de sens. Il n’y a plus qu’une seule façon de faire les choses. »
Comme l’écrit Gumede :
« L’ANC n’était absolument pas préparé à un tel assaut. Les principaux décideurs économiques étaient périodiquement envoyés vers les sièges sociaux d’organisations internationales comme la Banque Mondiale et le FMI. En 1992 et1993, quelques membres du personnel de l’ANC, dont certains n’avaient aucune connaissance en économie, suivirent des programmes de formation abrégés dans des écoles d’administrations étrangères, des banques d’investissement, des groupes de réflexion sur la politique économique et à la Banque Mondiale, « où ils ont eu droit à un régime riche en idées néolibérales ».
C’était étourdissant. Jamais encore un gouvernement en devenir n’avait été ainsi courtisé par la communauté internationale. »

Ainsi, il est clair et évident que certaines questions, ainsi que leurs réponses, sont idéologiques mais n’apparaissent pas telles quelles aux yeux du peuple.

Le seul moyen de neutraliser une idéologie pour la rendre « technique » est de la rapprocher le plus possible d’une science (d’où la recrudescence du chiffrage et de tout ce qui tourne autour des statistiques), et les artisans de cet enfumage sont les technocrates formatés dans des centres d’endoctrinement divers et variés (voir la formation du FMI, très orientée, ou encore la rébellion des élèves de Harvard) et qui ont donc pour objectif de techniciser leur idéologie afin de la rendre la plus neutre possible en guise de camouflage.

Afin de bien se rendre compte de l’application de cette stratégie en Tunisie, nous choisissons deux passages éclairant à ce sujet. Le premier est celui de Jalloul Ayed, Ministre des Finances durant la transition et technocrate de surcroit.
Alors qu’il était interrogé sur le contenu de son Plan de Développement dit Plan Jasmin, il insiste :
« nous avons fait en sorte de produire un plan sans fondement ni coloration idéologique. N’importe quel futur gouvernement aura, de ce fait, un plan qu’il pourra reprendre ou amender plus ou moins », ce qui entre clairement dans l’art de dissimuler, camoufler son idéologie afin de la faire passer pour neutre. Le deuxième est celui de l’inévitable M.K. Nabli qui, lors d’un énième entretien de blanchiment communicationnel, répond à la question suivante :
« Les programmes économiques et sociaux des différents partis se ressemblent dans leur majorité et épousent les schémas préparés par le gouvernement ? » par « Ce n’est pas sorcier, explique M. Nabli. Nous partons tous des mêmes diagnostics et aboutissons, à quelques nuances près, aux mêmes solutions. Mais, chacun, selon sa démarche. Il y a cependant beaucoup de convergence. »

Voilà comment aujourd’hui des technocrates arrivent à duper les tunisien(ne)s en faisant passer leur idéologie pour neutre et en l’unifiant pour cacher les multiplicités de points de vue.
Nombreux sont les tunisien(ne)s qui ne s’en rendent tellement pas compte qu’ils réclament haut et fort, et de leur plein gré, croyant accomplir là une quête révolutionnaire, un gouvernement de technocrates !
Là est toute la situation tragique dans laquelle se trouve la Tunisie. L’ombre règnera t-elle sur la lumière ? Est-il possible encore de déjouer cette stratégie ?

Pour refermer la page de l’Histoire sud-africaine, il est indispensable de montrer quel est le vrai visage actuel de l’Afrique du Sud, bien qu’on tente de nous la montrer sous ses meilleurs auspices : « Plus de dix ans après que l’Afrique du Sud eut décidé d’opter pour le tchatchérisme comme moyen d’assurer la justice par voie de percolation, les résultats de l’expérience sont proprement scandaleux.

Voyons quelques chiffres :

  • Depuis 1994, année de l’arrivée au pouvoir de l’ANC, le nombre de personnes qui vivent avec moins d’un dollar par jour a doublé, passant de deux millions à quatre millions en 2006.
  • Entre 1991 et 2002, le taux de chômage des Noirs sud-africains a plus que doublé passant de 23 à 48%.
  • Seulement 5000 des 35 millions de Noirs que compte l’Afrique du Sud gagnent plus de 60 000 $ par année. Le nombre de Blancs qui se trouvent dans cette fourchette est vingt fois plus élevé, et nombreux sont ceux qui gagnent bien davantage.
  • Le gouvernement de l’ANC a construit 1,8 millions de logements ; pendant ce temps, deux millions de personnes ont été jetées à la rue.
  • Près d’un million de personnes ont été expulsées d’exploitations agricoles au cours de la première décennie de la démocratie.
  • Conséquence de ces évictions : le nombre de personnes qui vivent dans des cabanes de fortune a augmenté de 50%. En 2006, plus d’un Sud-Africain sur quatre vivait dans des cabanes situées dans des bidonvilles officieux, souvent sans eau courante et sans électricité. »

Voilà le bilan désastreux issu d’une transition volée, manipulée, et détournée de son sens premier. La Tunisie souhaite t-elle suivre cette voie ? C’est au peuple de choisir, mais nous avons fait en sorte que ce soit en connaissance de cause.

Pour conclure sur une note d’espoir, nous nous réjouissons de retranscrire intégralement en annexe un cri du cœur des fonctionnaires de la Banque Centrale de Tunisie qui alertent avec ferveur, sincérité et courage leurs compatriotes tunisiens du danger qui les guette.

En espérant vous avoir éclairé sur certains points « soporifiques », terme qui prend toute sa valeur tant le but est d’endormir le peuple sur ces sujets, nous vous souhaitons force et courage dans cette longue bataille qu’est celle de la Liberté.

Terminons par un extrait d’un poème de Victor Hugo, Fonction du poète, extrait du recueil Les Rayons et les Ombres :

Peuples ! écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres.
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.

C’est lui qui, malgré les épines,
L’envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines.
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine
A pour feuillage l’avenir.

Il rayonne ! il jette sa flamme
Sur l’éternelle vérité !
II la fait resplendir pour l’âme
D’une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
A tous d’en haut il la dévoile ;
Car la poésie est l’étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !

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