Quand Gramsci analyse l’élection du chérubin du CAC 40

La « révolution passive » En Marche ! 

Merci !

Vous avez sauvé et la République et les valeurs.
Vous avez sauvé et la Démocratie et les apparences.

Chère aimable clientèle, la bourse vous en saura, assurément, gré.

D’accord, on vous a un peu forcé la main, c’était un peu à l’insu de votre plein gré, mais sachez que c’était au nom du bien.

Bien évidemment, de méchantes langues diront que cela ressemble au casse du siècle (avant la casse sociale). N’empêche, ce fut un casse sans effraction, tout en douceur, tout en communication, tout en manipulation du corps électoral.

Ouf ! C’est le soulagement général. Le troupeau a bien réagi, il a même oublié l’origine de ses maux du quotidien.

On ne manquera pas de faire appel à sa sagesse à la prochaine occasion, à la prochaine échéance.

À la vue du loup, comme un seul, ils se sont mis en marche, oubliant que certains furent, sont ou seront précipités dans l’abîme.

Les moutons, avec leur naturel placide, ne se sont pas demandé les raisons de la présence du loup dans les parages. Il est là pour mieux les canaliser (détourner la contestation sociale), pour éviter qu’ils ne sortent du cadre établi.

Le ban, l’arrière-ban, tout le monde a été convoqué. Dommage que cet élan spontané ne vienne pas s’inviter plus souvent : l’Humanité en serait durablement changée !

La mascarade a bien fonctionné, la politique est décrédibilisée, le monde des affaires n’en sera pas gêné aux entournures. Vae victis ! Malheur aux vaincus, ils passeront sous les fourches caudines de la finance.

La République n’est que de contrebande, tellement les conflits d’intérêts la gangrènent.

La Démocratie n’est que de pacotille, tellement les dés sont pipés, les médias dépendants.

Du côté des manipulateurs, le champagne peut couler à flots. Il faut espérer que la théorie du ruissellement fera le reste. Sinon la vague de désillusion sera encore plus forte dans cinq ans.

Le meilleur reste à venir, le « Mozart de la finance » va dès l’été vous « faire des ordonnances, et des sévères ». Il va vous disperser le Code du travail « façon puzzle ». Il ne va pas négocier, mais réformer à marche forcée. En route pour la révolution ! La révolution selon Saint Macron, selon le Macron flingueur.

Au fait, quelle épithète doit être accolée à cette dernière ?

Passive : à l’évidence, vous connaîtrez les bienfaits de la « révolution passive » (concept gramscien). C’est « une révolution sans révolution », c’est une « modernisation conservatrice ». Il y a des changements mais le Peuple est tenu à l’écart, il demeure passif, tandis que les dominants « progressistes » modernisent, tout en veillant scrupuleusement à ce que « les inégalités sociales ne soient nullement remises en cause ».

Notre société célèbre les battants, les gagnants. Elle vient de se « choisir » un « tueur de coûts ».

Le chérubin du CAC 40, avec ses yeux bleus, va rapidement montrer sa vraie nature : cassant et austéritaire. Si vous avez aimé le 49.3, vous dégusterez le 38 et le 47-1 (articles de la Constitution sur les ordonnances). Les futures mesures « macroniennes » passeront peut-être à la postérité comme celles de Dracon ; elles feront peut-être l’objet d’un film : « Code du Travail mort sur ordonnance ». Prochaine étape, dans cinq ans : le grand saut, l’article 16 (les pleins pouvoirs) ?

Que retiendront les générations futures de l’occasion manquée ?
Rien qui ne vaille l’éloge !

Parfois, j’en viens à regretter Néandertal : l’existence d’Homo Sapiens prouve que même la Nature peut commettre des erreurs.

Bien sûr, il suffirait qu’une Absente soit à nouveau considérée pour que demain soit autre.

Elle est plutôt discrète, ne fait pas dans l’esbroufe, ni dans la démesure, ni dans le guignol.

Depuis l’avènement de jeunettes, l’innovation et autre consommation, Elle a été délaissée, malgré son charme intemporel. Les moutons préfèrent les beautés futiles, ils sont clients de beautés artificielles. C’est ainsi. C’est regrettable.

’’Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.’’

(“ La Conscience ”, Victor Hugo)

« Passer de la révolution passive à la révolution active suppose un alignement des planètes assez rare », André Tosel.

Il appartient donc à chacun de favoriser cette conjonction...

PERSONNE

D’Utopia, le 18 floréal an 225

Références sur Antonio Gramsci et ses « Cahiers de prison » :
http://www.monde-diplomatique.fr/2012/07/KEUCHEYAN/47970

COMMENTAIRES  

11/05/2017 09:01 par Alain

"Et pervers pépère éternel fit signe à Moïse pour que ce dernier montât au Sinaï afin de conclure l’alliance avec son peuple élu à la proportionnelle." Godlib

11/05/2017 17:46 par УВБ76

" Le Drapeau Noir flotte sur la Marmite "

12/05/2017 00:17 par chb

Peut-être le recul, et leur expérience des affaires politiques et du monde, obligent-ils nos responsables à adopter pour le long terme une approche malthusienne. Celle-ci, réservant la misère ou la mort à l’essentiel de l’humanité, est finalement compatible avec la tendance actuelle à réserver le confort moderne et la richesse restante à l’infime minorité qui oriente les choix de la haute finance, de l’UE, de l’OTAN.
« Après moi le déluge », aurait dit l’un de nos rois Louis. Pollution, surexploitation des ressources, réchauffement et surpopulation nous approcheraient-ils de cette issue, fatale à tous sauf à une minuscule élite ?
Un E. Macron, qui promet de raboter les droits des salariés et des gens, leurs salaires et leurs retraites, les services publics etc. serait alors raisonnable : "Devenez milliardaires, les jeunes", sinon il faut comprendre que vous crèverez sur cette planète déjà usée et trop petite pour les milliards d’humains en surnombre.
Se couper des couches populeuses serait juste un aspect de l’instinct de survie, une tentative de sauvegarde de "notre mode de vie" - le mot "notre" (utilisé dans cette expression par GW Bush) s’appliquant là de manière très réduite à la seule classe dirigeante. Déclinée en religion, cette conception de l’avenir mène aussi à anticiper la bataille d’Harmaguédon, avec massacres et destructions enragées. L’ultralibéralisme du nouveau président ne serait qu’un moindre mal, dans ce tableau...

15/05/2017 15:57 par Autrement

Merci pour la "révolution passive" et la référence à l’article de Keucheyan du Monde diplo ! J’ai lu aussi une longue interview du regretté André Tosel, philosophe à la riche pensée marxiste, décédé récemment, et dont j’avais suivi le séminaire du temps où il enseignait dans notre fac (notamment l’année où il avait abordé les écrits d’Hannah Arendt). On peut lire le texte, qui date du 30 mai 2016 : " De Spinoza à Gramsci" [ICI->http://revueperiode.net/de-spinoza-a-gramsci-entretien-avec-andre-tosel/ . Un beau livre du même est son étude intitulée "Spinoza ou le Crépuscule de la servitude".
La lecture de l’interview est ardue, Tosel revient longuement sur sa formation personnelle et son parcours philosophique et militant, ses rencontres, ses découvertes, y compris son passage chez Althusser ; il faut pour le suivre connaître un peu la "langue du pays" (quant à moi, je n’aurais eu aucune excuse de ne pas faire l’effort, vu mon hérédité chargée, mes parents ayant été tous les deux profs de philo en terminale, l’un bon kantien, l’autre plutôt sartrienne et merleau-pontyste...). Mais on peut parcourir ce vaste panorama en y repérant beaucoup de données concrètes et actuelles.
L’intérêt de Gramsci, outre son expérience de militant communiste dans l’Italie des années 20, est que tout en évoluant à l’intérieur de la pensée marxiste, il en explore toutes les potentialités à la lumière de sa propre histoire et de l’histoire contemporaine, tant pour la théorie que pour la pratique. Loin de la routine qui prétend appliquer mécaniquement sur le réel des schémas préfabriqués, il ouvre des pistes nouvelles de pensée et d’action, qui permettent de mieux évaluer les possibilités révolutionnaires actuelles, dans le cadre du capitalisme financiarisé et mondialisé et des institutions de l’ordo-libéralisme. De nouvelles formules pour la lutte, plus nécessaire que jamais, sont à l’ordre du jour.
Évoquant la diversité des recherches de Gramsci, André Tosel rappelle ainsi les sujets abordés dans les Cahiers de prison, qu’il caractérise comme un

effort sans précédent dans l’histoire du marxisme depuis Marx. Il s’agit à la fois d’un élargissement et d’un approfondissement (bien sûr inégal) historique et géographique, temporel et spatial, théorique et linguistique, philosophique et esthétique. Entrent en scène les intellectuels et la société civile, les types d’Etat, les partis, les formes de révolution, l’histoire de Révolution française, le Risorgimento, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Orient, les Etats-Unis et le fordisme, les fascismes et les césarismes, les conseils ouvriers et le marché déterminé, la Renaissance et la Réforme, la NEP, Machiavel et Guichardin, l’idéalisme allemand, Hegel, Sorel, Croce, Gentile, Einaudi, les théoriciens des élites, le pragmatisme, les appareil d’hégémonie (école, église, journalisme, jésuites, Rotary et maçonnerie), la formation de la volonté collective, des conformismes, la question de l’individualité historique et la psychanalyse, la question de la langue et des dialectes, la grammaire, la littérature, le futurisme et Pirandello, le folklore, les contenus du sens commun et ses expressions inférieures (lorianisme, brescianisme), la philosophie en ses modalités diverses, la critique de la sociologie matérialiste-historique de Boukharine, la réélaboration de la dialectique. Ce n’est pas là un inventaire à la Prévert, c’est le simple énoncé en désordre des thèmes gramsciens dont aujourd’hui l’irremplaçable Dizionario gramsciano (Roma, 2009) de Guido Liguori et Pasquale Voza permet de mesurer l’ampleur avec ses six cents entrées et ses neufs cent pages.

Pour conclure, un grand merci fraternel à "Personne", pour avoir rappelé l’importance de la philosophie (marxiste) pour comprendre le monde contemporain et s’orienter dans l’action.

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