Le néolibéralisme est le fascisme réel. Il représente aujourd’hui le principal danger qui menace notre République, c’est-à-dire l’extrémisme le plus subtil et le plus incompris, donc le plus mésestimé dans sa capacité destructive. Ce nouveau fascisme se manifeste à travers une offensive généralisée contre les intérêts de la France et de nombreux autres pays, notamment européens. Il ne s’agit pas d’un vaste complot, mais d’un mode autoritaire de gouvernance qui se globalise dangereusement depuis la « Révolution Reagan » des années 80 et la dérégulation financière correspondante. Ainsi, l’influence et la richesse de ce que l’ancien diplomate et universitaire Peter Dale Scott a appelé le « supramonde » se sont démesurément amplifiées. (1)
Cette offensive néolibérale – multiforme et incessante – sert avant tout les intérêts de la politique étrangère des États-Unis et de leurs multinationales. Mais elle est également profitable à une nouvelle aristocratie apatride (2) : une hyperclasse informelle qui « n’a pas de visage », (3) qui dirige les Marchés et qui domine les cercles médiatiques, économiques et politiques français. (4) Cette hyperclasse ne constitue pas une structure hiérarchisée agissant de manière coordonnée, mais une classe sociale hautement privilégiée qui utilise son influence excessive pour s’enrichir au détriment de l’économie réelle. Manifestement, la plupart des Français de cette hyperclasse sont animés par un état d’esprit pathologiquement cupide (5) et déloyal envers notre pays. (6) En effet, à l’image de nos principaux dirigeants politiques, leurs allégeances profondes sont essentiellement atlantistes, (7) sionistes (8) et hydrocarbomonarchistes. (9) Au regard de la désindustrialisation accélérée de la France, (10) du consensus politique derrière la privatisation de son économie (11) et de l’exode fiscal d’un nombre croissant d’entreprises du CAC 40, (12) cette mentalité est commune à la plupart de nos élites qui – comme l’a dénoncé la députée de l’Aisne et ancienne directrice de l’ENA Marie-Françoise Bechtel –, partagent une « détestation (...) envers la nation [française] ». (13)
Imposé par des élites hostiles à leur patrie, le néolibéralisme prend la forme concrète d’une véritable guerre économique, financière, idéologique, psychologique et sécuritaire – une attaque si déstabilisante que dorénavant, la menace de troubles sociaux à caractère insurrectionnel n’est pas exclue par l’État français. (14) Appuyée par les grandes écoles et les médias de masse, cette offensive néolibérale est à la fois brutale et invisible, car elle est soutenue quotidiennement par le conformisme de la presse écrite et audiovisuelle. (15) C’est pourquoi elle est difficilement perceptible, en tant que menace réelle et immédiate, par la majorité de nos concitoyens. (16) Hélas, elle amoindrit lentement – mais efficacement – les structures de l’État providence héritées du Conseil National de la Résistance (CNR). (17) Non conventionnelle et intensive, cette guerre asymétrique a comme finalité d’enrichir les riches et d’appauvrir les pauvres au mépris de la souveraineté étatique, pérennisant ainsi une nouvelle guerre des classes menée verticalement – du fort au faible – à l’échelle globale. Les travaux de Thomas Piketty, qui deviennent un paradigme majeur en matière d’analyse économique, tendent à le démontrer de façon indiscutable. (18) Cette guerre des classes d’un nouveau genre – encouragée par la globalisation financière et la révolution informatique dans les échanges boursiers –, a d’ailleurs été admise par l’un de ses principaux belligérants, le multimilliardaire états-unien Warren Buffet. (19) Bien que cet « aveu » soit ironique, il illustre néanmoins une réalité concrète.
Plus tragiquement, le néolibéralisme prédateur engendre des guerres durablement brutales et destructrices, qui favorisent avant tout des intérêts privés (et pas seulement énergétiques). (20) Ces interventions militaires sont justifiées par un usage abusif et trompeur des notions humanistes que sont les droits universels ou la démocratie, comme en Irak ou en Libye. Depuis le 11-Septembre, elles sont également légitimées par la guerre globale « contre » le terrorisme, comme en Afghanistan ou à Gaza. En réalité, les forces néolibérales s’appuient fréquemment sur des jihadistes (Bosnie (21), Kosovo (22), Libye (23), Syrie (24)...) ou sur des extrémistes de l’ultradroite (Amérique latine (25), Ukraine (26)...) pour « normaliser » des nations récalcitrantes, tout en invoquant les vertus de la démocratie à la moindre occasion médiatique.
Plus important encore, le néolibéralisme se fonde sur la conviction que les crises, les guerres et les désastres sont le moyen le plus efficace pour imposer aux peuples des mesures économiques qui seraient inacceptables en temps normal – comme l’a démontré l’économiste Naomi Klein. (27) Essentiellement, le néolibéralisme engendre une ploutocratisation du monde, puisqu’il contraint le pouvoir politique à privatiser les gains et à nationaliser les pertes – bien que ses apologistes défendent la notion cosmogonique d’une « Main invisible » qui régulerait les Marchés. En réalité, le néolibéralisme ne relève pas du libéralisme économique, mais d’un socialisme des nantis. En effet, une surabondance de trillions – attribués autoritairement aux contribuables lambda – a été transférée au secteur bancaire global par les gouvernants néolibéraux durant la crise des subprimes, dans le but d’éviter l’effondrement d’un système financier intrinsèquement criminogène (comme l’a expliqué le commissaire Jean-François Gayraud dans son dernier ouvrage). (28). Il en résulte une crise mondiale de l’endettement, qui légitime une nouvelle migration massive de fonds publics vers le secteur privé à travers ce qui est communément appelé l’« austérité ». (29) La guerre « contre » le terrorisme a également engendré un transfert colossal de ressourcespubliques vers des entreprises privées, le coût de ces interventions armées meurtrières – mais stratégiquement désastreuses – ayant contribué à la déstabilisation économique et financière globale. (30) Le néolibéralisme se nourrit donc de ces catastrophes humaines, et le caractère crisique du Système-monde globalisé promet d’heureux lendemains à l’hyperclasse tirant profit de ces désastres...
La stratégie de la tension médiatique et la guerre néolibérale
Le néolibéralisme est donc le fascisme réel. Celui qui est désigné comme tel par les médias français est instrumentalisé par l’hyperclasse à des fins de neutralisation démocratique. En effet, la médiatisation massive du Front National engendre un basculement du débat public vers les thèmes autoritaristes de la droite extrême. En retour, ce phénomène permet à l’hyperclasse d’imposer via des ministres de l’Intérieur fantoches (31) des politiques sécuritaires consolidant l’ordre établi au nom de la lutte contre l’insécurité, l’immigration, le terrorisme, la haine raciale (etc.). (32) Si le fascisme désigné avait été réellement dangereux pour le système néolibéral, le FN aurait été nettement moins médiatisé. Au contraire, ce parti – qui avait été propulsé sur le devant de la scène politique grâce à François Mitterrand dans les années 80 (33) –, bénéficie d’un accès de plus en plus privilégié aux médias. (34) Il en résulte une telle dégradation du débat public que le citoyen est sensibilisé de force à une vision décliniste de son avenir. Par conséquent, il a peur au lieu de tenter de comprendre qui est son ennemi réel, et ainsi de le combattre. Peur de l’autre, peur du lendemain, peur de l’étranger, peur du chômage, peur de l’appauvrissement, peur de la Crise... « Paradoxalement », l’hyperclasse qui domine les Marchés n’a jamais été aussi fortunée dans l’Histoire du monde. (35) Ainsi, autant dire que le fascisme néolibéral est efficace, subtil et abondamment financé, en plus d’être massivement médiatisé et stratégiquement enseigné (HEC, IEP, ENA, etc.). Il en est donc incroyablement dangereux et, à défaut d’être perçu comme un ennemi concret, il a été imposé « par voie parlementaire » à la tête de l’Union européenne – malgré les refus référendaires des peuples français, irlandais et néerlandais.
Puisque le néolibéralisme se légitime à travers l’arme de médiatisation massive, cette guerre est psychologique avant même d’être économique. Elle fait rage dans nos esprits car les médias nous imposent une stratégie de la tension permanente, qui délégitime le pouvoir politique et détruit les notions protectrices et structurantes de souveraineté et de patriotisme en les assimilant abusivement à l’« extrême droite » et au « nationalisme ». Parallèlement, la souveraineté – essentiellement économique, commerciale et industrielle –, est proscrite par les traités européens. (36) Pourtant, nos « partenaires » à Washington et à Wall Street – capitales mondiales du néolibéralisme – n’ont aucun scrupule à contourner les règles internationales lorsque leurs intérêts le justifient. (37) Ainsi, dans cette guerre globale pourtant dénoncée par François Mitterrand peu avant sa mort, (38) le gouvernement français semble totalement acquis au néolibéralisme et à l’atlantisme correspondant. Par conséquent, – bien qu’elle ait ensuite évoqué des « conséquences négatives » dans les négociations du TAFTA –, notre direction politique s’est d’abord murée dans un silence assourdissant après que le Wall Street Journal ait révélé l’intention de Washington de condamner la BNP Paribas à une amende record de 10 milliards de dollars. (39) Comme l’a rappelé le journal Le Monde,
« [e]n droit international, les pays ne sont en général pas autorisés à exercer des compétences extraterritoriales comme les États-Unis le font en sanctionnant les banques étrangères. Mais un principe juridique supplante tous les autres : celui de la protection de la souveraineté étatique. Un principe résumé avec emphase par le [ministre de la Justice] des États-Unis, Eric Holder (...) : “Aucun individu, aucune entité qui fait du mal à notre économie n’est au-dessus de la loi” ». (40)
« One Nation Under God » : cette « souveraineté étatique » est en réalité de droit divin, d’où l’exceptionnalisme états-unien qui justifie cet hégémonisme global – y compris s’il implique les ingérences économiques permanentes et massives de Washington (alors que les États-Unis sont renommés pour leur attachement au libéralisme de marché...). Ainsi, le constat est cruel, mais il est sans appel : le néolibéralisme exige que la souveraineté soit légalement proscrite aux vassaux étrangers, notamment européens ; mais l’extraterritorialité du « droit naturel » du Souverain est imposée illégalement à travers de discrètes ententes technocratiques, voire des menaces publiques (41) ou officieuses. (42) Au sein de l’Union européenne, ce nouvel ordre extra-juridique se met en place subrepticement, sans que les peuples concernés ne soient consultés – comme l’a expliqué le sociologue Jean-Claude Paye. (43)
Dans ce contexte, comment nos responsables politiques peuvent-ils ignorer cette guerre néolibérale menée contre la France et l’Europe, en particulier à l’aune de l’affaire Snowden et de la volonté de Washington d’« enculer l’UE » à travers la crise ukrainienne ? (44) Pourtant, malgré cette hostilité manifeste de nos « alliés », le cadre institutionnel de l’Union européenne reste majoritairement atlantiste, donc acquis au néolibéralisme et à son bras armé qu’est l’OTAN. La guerre est silencieuse et feutrée depuis le bâtiment Berlaymont, sachant que la plupart des hauts responsables y siégeant font preuve d’une loyauté absolue envers les États-Unis et leurs intérêts (accords SWIFT, TAFTA, etc.). (45) Cette guerre n’en est pas moins intensive, brutale et démocracide – ce que perçoivent majoritairement les électeurs français, sans parfois même en avoir conscience.
L’abstention majoritaire : la délégitimation populaire du néolibéralisme
Ainsi, lors du dernier scrutin européen, cette stratégie de la tension médiatique eu comme effet le plus visible de placer le Front National en tête de ces élections – une dégradation encore plus profonde du débat public étant donc inévitable. En effet, depuis le 21-Avril, les dirigeants des deux principales formations politiques droitisent sans complexe leur discours et leur action sur les questions sécuritaires – conformément aux programmes électoraux du FN. En revanche, lorsqu’il est question d’économie, ils disqualifient toute idée de « souveraineté » ou de « patriotisme » en les assimilant au « populisme » ou au « nationalisme » – malgré les efforts récents du young leader Arnaud Montebourg pour se réapproprier ces concepts, mais sans qu’il ne puisse appliquer les politiques de nationalisation correspondantes (puisqu’elles seraient contraires aux règles imposées par la Commission européenne). (46) Ainsi, dans les médias français, la victoire électorale du FN engendre un déferlement de mises en garde moralisatrices envers les abstentionnistes, alors que la France est profondément déstabilisée par une offensive néolibérale imposée depuis Washington, Wall Street et Bruxelles.
Dans ce contexte difficile, l’abstention d’une majorité d’électeurs français insensibles au piège frontiste est l’événement le plus déterminant de ces élections européennes – près de 56 % des inscrits ne s’étant pas déplacés dans l’isoloir. De manière informelle, ils constituent donc le plus grand parti de France, auquel j’ai récemment adhéré pour une raison simple : participer à la délégitimation d’un système oligarchique républicide et fondamentalement hostile à l’idéal démocratique moderne (donc à l’héritage des résistants du CNR évoqué précédemment). Le vote blanc n’étant pas comptabilisé à l’issue des scrutins français, j’estime ne pas avoir eu d’autre choix pour démontrer mon profond mécontentement.
Irresponsabilité civique ? Laissez-faire « coupable » en faveur du Front National ? Bien au contraire ! Lors des dernières élections, le FN a réalisé un score majoritaire avant tout car les médias de masse ont continuellement promu ce parti en lui accordant une diffusion injustifiée et déstabilisante. Essentiellement, la diabolisation massive du FN par des cercles politico-médiatiques à la crédibilité déclinante a engendré sa victimisation électoralement profitable. Anticipé par les instituts de sondages, ce phénomène était prévisible au vu de la guerre néolibérale ici décrite, qui affaiblit notre pays et détruit notre tissu socioéconomique. Néanmoins, si l’on tient compte de l’abstention massive, ce succès électoral du FN représente avant tout une victoire symbolique, qui n’est pas représentative de l’opinion majoritaire des Français. Ainsi, elle ne doit pas masquer l’essentiel : en France, près de 56 % des citoyens ont choisi de boycotter les élections européennes plutôt que de cautionner par leur vote un système oligotechnocratique qu’ils considèrent comme illégitime.
Parallèlement, une succession ininterrompue de scandales a discrédité durablement le pouvoir politique français. L’impuissance communicationnelle de François Hollande au lendemain des élections européennes, ainsi que la déchéance fulgurante de Jean-François Copé et de son « organisation », en sont des illustrations évidentes et cruelles. Affaiblie et aveuglée par ses tropismes néolibéraux et atlantistes, la « classe politique » française en est donc réduite à dilapider les ressources et le patrimoine de son peuple au profit des Marchés, de leurs structures clés (OMC, NYSE Euronext, MES, CIRDI, BCE, etc.) et des pays œuvrant le plus agressivement pour imposer le néolibéralisme à travers le monde. Je fais ici référence aux États-Unis, à Israël, ainsi qu’aux hydrocarbomonarchies du golfe Persique. En France, ces forces profondes sont dangereusement et anormalement influentes. Or, peu d’observateurs semblent remarquer qu’elles sont massivement défendues par un système médiatique pourtant plus que jamais actif dans la déstabilisation du pouvoir politique français. (47) En effet, toute critique des États-Unis dans les médias engendre des accusations quasi-systématiques (mais faiblement argumentées) d’« antiaméricanisme primaire ». (48) La moindre critique d’Israël, d’ailleurs avant même que quiconque n’ose s’aventurer sur ce terrain périlleux, est neutralisée par l’accusation révoltante d’« antisémitisme ». (49) Enfin, la critique des hydrocarbomonarchies du Golfe est tolérée, dans un contexte de diabolisation permanente de ce que la plupart des médias décrivent caricaturalement comme étant l’Islam – un processus auquel contribue activement le FN depuis des décennies. Néanmoins, ces critiques semblent plutôt rares et bien souvent indulgentes, au vu du caractère dictatorial de ces régimes et de la dangerosité de leurs politiques de soutien des réseaux jihadistes à l’étranger – dont la secte Boko Haram (50) ou la nébuleuse al-Qaïda. (51)
Ainsi, bien qu’étant profondément hostile envers les obsessions xénophobes – et parfois ouvertement racistes (52) – du Front National, ma définition du fascisme diffère de celle que l’ensemble des médias français nous désigne. En effet, ce parti est devenu « malgré lui » l’un des principaux instruments d’une neutralisation oligarchique de la démocratie, qui permet de renforcer le caractère sécuritaire et policier de l’État, tout en marginalisant les notions de « souveraineté » et de « patriotisme ». Il en résulte l’omnipuissance d’un néolibéralisme pourtant majoritairement refusé par les peuples européens. En effet, au moment où j’écris ces lignes, le « social-démocrate » luxembourgeois Jean-Claude Juncker – qui a dirigé pendant 18 ans le paradis fiscal où siègent Clearstream et Euroclear – est le candidat favori à la présidence de la Commission européenne. L’Europe néolibérale ayant été rejetée par voie référendaire, il serait temps que nos responsables politiques prennent conscience que ce déni permanent de démocratie ne peut avoir d’issue heureuse, stable et prospère.
Néanmoins, il semble que le peuple français – à travers une abstention massive plus qu’un recours au vote « protestataire » –, s’est positionné à l’avant-garde de cette nécessaire remise en cause des fondements néolibéraux, déloyaux et atlantistes de l’Union européenne. En ayant boycotté aussi largement ce scrutin européen, les électeurs français ont une nouvelle fois contribué à délégitimer un système néolibéral plus antidémocratique que jamais. D’une certaine manière, sachant que le vote blanc n’est pas comptabilisé, j’ai la conviction d’avoir participé par mon abstention à une forme de révolte pacifiste contre le nouveau fascisme – c’est-à-dire l’imposition autoritaire d’un fondamentalisme néolibéral contraire aux intérêts et à la volonté du peuple européen.
Ainsi, malgré un contexte délétère, nous avons des raisons de nous réjouir, car les citoyens français ont – massivement et majoritairement – choisi de refuser à travers leur abstention la légitimation électorale du fascisme réel. « Le changement, c’est maintenant » !
Maxime C.
