Le terrorisme : forme désespérée de la critique ?

Luca V.B.

Il y a maintenant plusieurs décennies – et plus spécifiquement à partir des années 1970, pour être précis – que nous assistons à la réinvention constante de la critique et de l’indignation contre la logique socioéconomique dominante. Que cela soit sous l’angle de la justice sociale, de la crise écologique, de la vacuité spirituelle, de la manipulation marchande, etc., la critique a tout essayé sans jamais réellement percer le modèle qu’elle critique. À l’inverse, ce que nous constatons c’est que sous toutes ses formes : du livre à l’article en passant par la conférence au documentaire vidéo, la critique a toujours été instrumentalisée pour devenir, elle-même, un bien de consommation parmi d’autres. À côté de cela, nous ne pouvons pas négliger la critique sous forme d’action ; je pense ici aux manifestations, aux grèves, et aux nombreux mouvements qui sont nés, pour ceux que j’ai à l’esprit, après la crise de 2008. Or, il est important de dire qu’actuellement, nous sommes encore en plein là-dedans ; la crise qui nous touche n’est assurément pas qu’économique ou politique. D’ailleurs, en amont de cette critique et de ces actions, il y a des existences réelles. Il y a la critique de ceux qui ne trouvent pas les mots pour exprimer leur souffrance et qui, par ce manque de moyens, deviennent des spectateurs malheureux d’une réalité qu’ils pensent fatale. Puis, nous ne pouvons pas l’ignorer, il y a le suicide, cette forme de critique qui devient corps avec l’esprit (lorsque ce n’est pas le contraire). Le suicide est alors, souvent, la réponse à un monde dont le sens n’a pas été perçu. Car, c’est évident, pour survivre dans ce monde, il faut avoir un esprit combatif, mais surtout il faut pouvoir s’inventer individuellement un sens à ce combat. Or, il semble que certaines personnes ne comprennent pas le sens de celui-ci ni ne comprennent le sens de cette fatigue que le producteur s’impose à lui-même pour devenir ensuite un bon consommateur.

Toute la question est de savoir si l’on peut véritablement, sans trop se marginaliser, ne pas accepter ce combat. L’autre question qu’on pourrait se poser est celle de la cible ou de la responsabilité ? En effet, contre qui ou contre quoi pouvons-nous nous révolter, nous indigner ? Il y a tellement de raison. Puis, on peut être indigné un jour, deux jours, un mois, deux ans, et après ?... On reste seul, car personne n’a envie de s’infliger longtemps la conscience critique alors que le contexte dans lequel on se trouve tente par tous les moyens d’exciter nos désirs pour qu’on les réalise et pour qu’on rentre volontairement dans la danse des consommateurs.

Cela dit, si l’on veut traiter du terrorisme contemporain, il faut envisager les limites du désir à la consommation. On peut certes se satisfaire de l’objet et de l’apparence, mais pour certains la question du sens et de l’être est trop forte. Ils voient alors dans la critique, une forme désespérée pour exprimer de manière radicale leur cri au monde. C’est ainsi que la folie, l’exclusion, la violence – qui se trouve, je le souligne, en puissance dans nos sociétés - les conduits à construire des actes qui donneront, croient-ils, un sens à leur critique. Dès lors, on peut dire que le suicide et le terrorisme sont très proches ; ils sont des épiphénomènes qui cachent un problème plus grand que l’on ne veut pas voir, car – dans le cas global qui nous concerne – il rapporte du capital au système dont nous sommes entièrement dépendants. Surtout, le terroriste est un peu comme un bouc émissaire ; pendant qu’on le fixe, on ne s’interroge pas soi-même. Il devient alors un divertissement, au sens d’un détournement ou d’une diversion. Il peut également être perçu comme une sorte de projection. On se rassure alors que nous sommes les « gentils », alors qu’ils sont les « méchants ». Ainsi, la seule définition correcte que l’on peut donner au mot ’terrorisme’ c’est le suicide que l’on montre pour dissimuler le meurtre. Pourtant, il faut le redire, ce type de suicide ne doit pas être compris comme un acte isolé, car le terrorisme est un état total inhérent au relativisme et au cynisme de la société de consommation.

Pour conclure, je dirais que combattre le « terrorisme » ce n’est pas combatte contre une cible extérieure, mais bien plutôt se mettre à l’écoute de la critique et percevoir la violence qu’on subit et qu’on fait subir, par notre résiliation ou notre égocentrisme, à ceux qui osent encore croire en d’autres valeurs.

Luca V. B.

Doctorant en philosophie politique et sciences sociales

COMMENTAIRES  

01/04/2015 22:13 par Dwaabala

... le terroriste est un peu comme un bouc émissaire...
... combattre le « terrorisme »... [c’est] se mettre à l’écoute de la critique...

Stupéfiant ! On sent bien que l’auteur veut dire quelque chose, mais à « l’écoute de la critique » on peut aussi opposer la critique de l’écoute.

01/04/2015 22:33 par Dwaabala

... parce que « l’écoute de la critique » demande que l’on se sente très peu concerné et en particulier que l’on ne figure pas au nombre des victimes...

02/04/2015 15:29 par Paul-Victor de Merode

« Dès lors, on peut dire que le suicide et le terrorisme sont très proches »

seulement dans la mesure où ils expriment une réponse diamétralement opposée à une même cause : la frustration.

« car le terrorisme est un état total inhérent au relativisme et au cynisme de la société de consommation. »

Il faudrait d’abord définir le terrorisme…., quoi, qui, où, quand, comment, pourquoi ?
Si l’on pouvait le définir comme le recours à la violence physique, commise par un individu, ou groupe d’individus, contre un autre individu ou des individus, discriminés, ou non, afin de revendiquer, réclamer ou imposer quelque chose (idéologie, territoire, etc.), nous serions forcés d’admettre que certains États le pratique, et à grande échelle…

Il est une forme radicale d’expression, l’expression d’une frustration, il se manifeste là où les dialogues ont été interrompus, où bien là où ils n’ont jamais existé. C’est peut-être à nous de tisser ou de rétablir ces liens.

La complexité du monde n’autorise pas sa lecture simplifiée au travers de la dichotomie puérile états-unienne, avec les gentils d’un côté et les méchants de l’autre (Si Jean Moulin fut un héros pour les Français, il n’était qu’un sale terroriste pour les Allemands…).

Le terrorisme, il faudrait sans doute l’ évoquer au pluriel, remet en cause beaucoup de choses, notamment lorsqu’il entrave l’impérialisme US et, de manière plus globale, l’hégémonie occidentale sur le reste du monde ; il l’oblige à rendre des comptes, à se justifier. Il dérange encore lorsqu’il questionne la légitimité des dirigeants ou des régimes en place.

Terrorisme de groupuscules, terrorisme des États, c’est la barbarie qui réponds à la sauvagerie.

02/04/2015 15:51 par Dwaabala

@ Paul-Victor de Merode

ll faudrait d’abord définir le terrorisme…., quoi, qui, où, quand, comment, pourquoi ?

Exactement. Se souvenir du terrorisme du colonel Fabien abattant un officier allemand, par exemple, et autres actions terroristes des résistants contre l’occupant.
Autre forme de terrorisme : l’exécution d’otages par ce dernier.

21/04/2015 21:24 par Luca (auteur de l'article)

Le terrorisme : forme désespérée de la critique
01/04/2015 à 22:33 par Dwaabala
... parce que « l’écoute de la critique » demande que l’on se sente très peu concerné et en particulier que l’on ne figure pas au nombre des victimes...

Mais justement, demander que la critique soit finalement entendue pour ce qu’elle dit et ce qu’elle dénonce, c’est être très concerné par les victimes. A l’inverse, ne rien dire et laisser parler les médias à notre place, c’est se moquer des victimes ! Car ce qui est dit dans l’article, c’est tout sauf une banalisation ou un relativisme par rapport aux victimes. Combattre le terrorisme, c’est faire en sorte qu’il ne se reproduise pas. Pour cela, il faut commencer à se requestionner soi-même, c’est-à-dire requestionner le système qui nous fait vivre et que nous soutenons par nos impôts et notre travail. Derrière la violence des uns, il y a la violence des autres. Cesser la violence, c’est prendre le temps du recul sur l’histoire, notre histoire. C’est vrai : Qui est à l’origine des guerres, si ce n’est pas les Occidentaux ? Qui est à l’origine de l’oppression si ce n’est pas les Occidentaux ? Qui est à l’origine des pires massacres de l’histoire si ce n’est pas les Occidentaux ? Et, finalement, qui sont les Occidentaux ? Mais c’est moi, mais c’est nous !

Faut-il alors se culpabiliser ? Peut-être, mais que pouvons-nous faire, nous simples citoyens ? En effet, chacun est bien obligé de gagner sa vie, de vivre avec ce système bon gré mal gré... Si on a une famille, l’impératif se fait encore plus sentir. Fatalement, il semble qu’on ne peut que laisser nos gouvernements s’occuper des affaires publiques et extérieures pendant que nous sommes bien installés devant nos écrans. Ce n’est pas de la morale, c’est une question : comment faire autrement ? Là est l’ultime question... Comment faire autrement ? Il faut peut-être commencer par des excuses, puis espérer que les autres - ceux que l’on méprise et que l’on exploite - nous laisseront faire "marcher arrière" sans nous faire subir ce qu’ils ont subi... Sommes-nous vraiment les victimes ? Oui, mais eux aussi.

Je termine ce commentaire par une vidéo et un lien qui n’ont, peut-être, rien à voir mais quand même :

https://www.youtube.com/watch?v=f_UmP1YzXBM
http://consciences-citoyennes.wikidot.com/

Merci en tout cas pour la réflexion... Je ne dis peut-être pas juste, mais il faut réfléchir, il faut surtout amener le débat dans l’espace public.

21/04/2015 21:47 par Luca (auteur de l'article)

02/04/2015 à 15:29 par Paul-Victor de Merode
...Il faudrait d’abord définir le terrorisme…., quoi, qui, où, quand, comment, pourquoi ?...

Effectivement, d’un point de vue logique, c’est juste. Il faudrait pouvoir définir le terrorisme. Mais la question que je pose est la suivante : définir le terrorisme n’est-ce pas un acte terroriste en soi, d’une certaine manière ? Bien sûr, j’exagère un peu en disant cela, mais en dernière analyse, on peut véritablement se poser la question. Qui peut dire qui est terroriste et qui ne l’est pas ?

De plus, désolé, mais il me semble que l’article "définit", d’une certaine manière, le terrorisme. En effet, j’écris :

...Ainsi, la seule définition correcte que l’on peut donner au mot ’terrorisme’ c’est le suicide que l’on montre pour dissimuler le meurtre...

Dès lors la question qui reste est celle de savoir si un acte terroriste contre l’agresseur est un acte terroriste ou pas ?
Si on prend la définition que j’en donne : oui. Oui, c’est un acte terroriste. Finalement, qui sont les méchants, qui sont les gentils ? Y a-t-il une violence plus légitime qu’une autre ? Personnellement, je ne crois pas.

En tout cas, merci pour la réflexion. Je ne sais pas si je suis juste ou pas, mais on essaie d’avancer... et j’espère, entre nous, que c’est cela le progrès.

(Commentaires désactivés)