Leroy Merlin et Castorama, appartenant à des groupes multinationaux, usent de la flexibilité du temps de travail comme d’une arme pour gagner des parts de marché.
« On doit être tous ouverts ou tous fermés, mais la loi doit être la même pour tous. » A sa manière, le PDG de Bricorama, Jean-Claude Bourrelier, qui avait réclamé devant la justice la fermeture le dimanche de ses concurrents Leroy Merlin et Castorama, après avoir lui-même été condamné à fermer ses magasins l’an dernier, a vendu la mèche. Derrière l’offensive patronale contre l’interdiction du travail dominical se cache une féroce bataille commerciale, les salariés étant, dans l’affaire, ravalés au rang de chair à canon, et la défense de l’emploi, un pur prétexte. Le commerce de bricolage est un marché particulièrement dynamique.
Chiffre d’affaires multiplié par 2
Selon une récente étude de l’Insee, son chiffre d’affaires a été presque multiplié par deux entre 1996 et 2006. Il atteignait 17 milliards d’euros en 2006, et l’an dernier, il avait grimpé à 24 milliards. Second constat : un secteur économique de plus en plus concentré, où les petites quincailleries indépendantes perdent sans cesse du terrain au profit de grandes surfaces. Toujours en 2006, les trois plus grandes sociétés (Leroy Merlin, Castorama et Brico Dépôt) réalisaient à elles seules 43 % du chiffre d’affaires du secteur. Les deux premières, qui défient aujourd’hui la justice, appartiennent à des groupes d’envergure multinationale.
Leroy Merlin fait ainsi partie d’Adeo, société détenue à 85 % par la famille Mulliez (qui contrôle notamment Auchan), présente dans une dizaine de pays. Adeo affiche un chiffre d’affaires de 14,9 milliards d’euros, qui le classe au troisième rang mondial derrière les américains Lowe’s et Home Depot. Avec 121 magasins, Leroy Merlin a réalisé en France un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros l’an dernier, en augmentation de 4 %. Son rival Castorama est la propriété du groupe britannique Kingfischer, un mastodonte pesant 10,57 milliards de livres de chiffre d’affaires, qui contrôle également en France l’enseigne Brico Dépôt. Kingfischer est le quatrième opérateur mondial.
Les salaires dans le viseur
En voie de concentration sans cesse accentuée (en dix ans, les grandes surfaces ont gagné 15 points de parts de marché), le secteur se heurte cependant aux limites du marché, particulièrement en cette période de crise. Et ouvrir le dimanche « ne stimule pas la croissance, car les budgets des Français ne sont pas extensibles », rappelle-t-on au Credoc. C’est dans ce contexte qu’intervient la compétition entre les groupes. « Il faut des perdants pour qu’il y ait croissance du chiffre d’affaires chez d’autres », soulignait il y a quelques mois, dans nos colonnes, Claude Jacquin, expert du cabinet Apex. Les enseignes usent de deux armes, expliquait-il : l’extension du réseau et des ouvertures de plus en plus amples d’une part, une pression grandissante sur les fournisseurs, de l’autre. Cependant, accroître les amplitudes horaires entraîne des charges supplémentaires. « Alors, poursuit l’expert, pour s’offrir de telles amplitudes horaires, la première mesure porte généralement sur le coût salarial et le temps de travail ultraflexible. Et c’est ainsi que la recherche obstinée d’un petit supplément d’activité arraché à la concurrence conduit à un système socialement low cost ».
Yves Housson