Les retraités, modèles d’une nouvelle production de valeur économique

Les retraités le disent : « je n’ai jamais autant travaillé », « je n’ai jamais été aussi heureux de travailler ». Cela veut-il dire qu’ils sont utiles, ou qu’ils sont productifs ? Leurs pensions sont elles un salaire exprimant leur contribution à la production de valeur économique, ou un revenu différé de leur participation passée à cette production ?

Qu’est ce que travailler ? Est ce avoir un emploi sur un marché du travail et produire de la valeur pour un actionnaire dans une entreprise dont on n’est pas propriétaire, ou est ce, comme ces retraités heureux au travail, avoir un salaire à vie et travailler dans des collectifs (une association, une mairie) où l’on décide et dont on ne tire aucun revenu ? L’enjeu du conflit sur la retraite, c’est le devenir du travail : exploité par des propriétaires lucratifs, ou émancipé du marché du travail par le salaire à vie, et des actionnaires par la copropriété d’usage de l’entreprise ? Contre les réformateurs, la démonstration faite à grande échelle par les retraités que nous travaillons mieux sans actionnaire et sans employeur, en étant dotés d’un salaire à vie et de la copropriété d’usage des outils de travail, doit être dite, confirmée et généralisée.

Premièrement, il faut dire que les retraités travaillent.

Trop souvent, nous disons que les retraités sont utiles mais ne travaillent pas, c’est à-dire ne produisent pas de valeur économique. Nous disons que les pensions sont de la solidarité intergénérationnelle, un thème qui a été mis sur la table par Rocard dans son calamiteux Livre blanc de 1991. « Les retraités ont cotisé pour les inactifs quand ils produisaient, ils ont le droit de retrouver dans leur pension, grâce aux cotisations actuelles des actifs, l’équivalent de leurs cotisations d’hier, maintenant qu’ils ne produisent plus » : c’est le fonds de commerce réformateur, qui conduit à faire dépendre les pensions de la durée et du montant des cotisations.

Or cette propagande lit à l’envers ce qu’ont impulsé Croizat et les militants de la CGT : la pension n’est pas la contrepartie des cotisations passées, c’est la continuation à vie du meilleur salaire (75% du brut, soit 100% du net) obtenue à un âge légal le plus bas possible : 55 ans et 50 ans pour les travaux pénibles. Autrement dit : à 55 ans (mais demain à 50 ans, puis à 45 ans…), nous devons être payés à vie, débarrassés de l’obligation de quémander un emploi à un actionnaire. Alors seulement nous pouvons travailler efficacement, produire de la valeur économique sans être empêchés par des managers qui nous contraignent à un mauvais boulot, sans être mis au chômage par des actionnaires qui veulent 15 à 40% de taux de retour.

Deuxièmement, il faut confirmer le salaire à vie des retraités.

D’abord la pension doit être un vrai salaire : chacun doit avoir 100% de son meilleur salaire net (porté au Smic s’il est inférieur) quelle que soit sa durée dans l’emploi. Les pensions ne sont pas la contrepartie du travail passé des retraités, mais la contrepartie de leur travail actuel : donc les annuités et les points doivent disparaître du calcul, ainsi que toute condition de durée de carrière.

Ensuite le salaire à vie doit être garanti le plus tôt possible : le retour à la revendication traditionnelle de 55 ans est un minimum.

Enfin le travail des retraités doit être soutenu : contre la propagande qui raconte qu’on ne produit plus en retraite (et donc qu’il faut prolonger l’emploi avec l’espérance de vie), les retraités doivent obtenir les moyens de travailler, de fonder des entreprises dont ils sont les copropriétaires d’usage (où ils décident de tout sans en tirer de revenu : ils n’en ont pas besoin puisqu’ils sont payés à vie), d’inventer. Non pas en plus de leur pension, comme le veulent les réformateurs avec le pernicieux droit au cumul, mais en tant que pensionnés, montrant ainsi que le salaire à vie est une matrice légitime du travail.

Troisièmement, il faut généraliser la production faite par les titulaires d’un salaire à vie, copropriétaires d’usage de leur entreprise

Les retraités ne sont pas les seuls à travailler avec un salaire à vie : il y a aussi les fonctionnaires, qui sont payés pour leur grade et non pas pour leur emploi. Leur grade est attaché à leur personne, et c’est donc leur personne, et non pas leur poste, qui est payée. Il faut passer à l’offensive en généralisant cette situation à toute la production. Il s’agit d’enrichir la majorité politique d’un droit nouveau : la qualification universelle. A 18 ans, chacun doit être doté :

• du premier niveau de qualification et du salaire à vie qui va avec (par ex. 1500 euros net) et d’un droit à carrière salariale, sanctionnée par des épreuves de qualification, dans une échelle par ex. de 1 à 4 (soit pas de salaires supérieurs à 6000 euros par mois) ;

• de la copropriété d’usage de son outil de travail : c’est à-dire du droit de décider de l’investissement, de la hiérarchie, de ce qui est produit, sans tirer de la copropriété aucun revenu. Généraliser la propriété d’usage suppose la suppression de toute propriété lucrative, avec expropriation de ses actuels titulaires ;

• de la délibération dans les caisses de salaire et les caisses d’investissement qui, sur le modèle si réussi de la sécurité sociale, collecteront les cotisations des entreprises et mutualiseront ainsi la valeur ajoutée tout en créant la monnaie, pour une politique économique maîtrisée par les citoyens.

Pour consulter l’original : http://www.reseau-salariat.info/d6a9997d6ee5288692bd6f2071e6313e

COMMENTAIRES  

07/08/2013 23:30 par BOB

voici une série d’articles sur la retraite : les enjeux, la propagande, celle du privé, celle du public, etc...

http://2ccr.unblog.fr/category/retraites/

08/08/2013 04:52 par babelouest

Ajoutons que l’actionnaire, lui, par définition, ne travaille pas, donc n’a pas le droit à une rémunération. C’est un inutile, voire un nuisible qui n’apporte aucune valeur. Ce n’est même pas lui qui fournit outils et locaux. L’argent qu’il a investi là, il peut le retirer à tout moment pour le mettre ailleurs. Cet argent peut même ne pas exister encore, il peut être parfaitement fictif.

Le terme "travail" me gêne, surtout pour un retraité : certes il accomplit des tâches, mais il n’y est pas contraint. Les tâches du foyer sont plus contraignantes, car elles sont nécessaires pour simplement rester en vie. Le travail est une sorte d’esclavage. Le travailleur donne réellement à l’employeur sa force, et une grande partie de sa vie. Même les efforts du travailleur en quête d’un autre esclavagiste doivent être rémunérés (sans période de "fin de droits"), tant ce sont souvent des périodes encore plus difficiles que quand il "travaille", et il a besoin de garder sa dignité.

Bien entendu, le plus simple serait de tout simplement se passer de l’argent, le simple fait d’exister et de partager les tâches nécessaires donnant naturellement le droit à un logement construit par d’autres ou les mêmes, avec des matériaux extraits par d’autres ou les mêmes, etc... et le droit à une nourriture élaborée par d’autres ou les mêmes (et pas venant de l’autre bout de monde), à une éducation proposée par d’autres, à une santé assurée par d’autres pas forcément avec des matériels hyper-sophistiqués dans des structures inhumaines. Voilà le principe. La "rentabilité" ? Elle n’entre pas en ligne de compte.

08/08/2013 10:36 par MarcusH

Se passer de l’argent n’est pas le plus simple, mais le plus simpliste. Être en mesure de quantifier les échanges, d’allouer les richesses produites, d’apprécier, non la rentabilité, mais l’intérêt que représente un investissement pour l’ensemble de la collectivité, etc., reste nécessaire.
"L’argent" ou plutôt un étalon de valeur qui n’a, en aucune façon, besoin d’avoir une contrepartie physique (les égyptiens avaient déjà mis en place en leur temps un signe tout à fait immatériel pour organiser les échanges) est un outil formidable si on le met au service des sociétés. Il devient aliénant parce que certains en ont pris le contrôle, ce qui ne veut pas dire que l’argent est le problème en tant que tel. C’est son fonctionnement actuel qui est pervers. Le problème de fond, il ne tient pas à l’argent mais à l’innocence du plus grand nombre et à son incapacité à appréhender le savoir utile dont les prédateurs se sont arrogés le monopole de la détention.

09/08/2013 00:32 par Dwaabala

Du point de vue du capitaliste (capitaliste idéal : celui dont la seule raison d’être est de faire de la plus-value par l’exploitation de la force de travail), ce que devient l’homme quand il ne peut plus se présenter en tant que travailleur ne l’intéresse pas. Pas plus que ce qu’il est quand il est encore trop jeune. Pas plus non plus que ce qu’il devient s’il ne trouve pas d’emploi ou s’il tombe malade.
Du point de vue de l’homme ( homme non moins idéal lui aussi : avec tous les besoins que la norme sociale du moment estime devoir être satisfaits), qui se présente comme travailleur, qui a d’abord été trop jeune pour le faire, ou qui devient trop vieux pour que sa force de travail puisse fonctionner, il s’agit de pouvoir vivre d’un bout à l’autre une vie que le travail ne doit pas écourter ; et cela même si par moment le travail lui est refusé (pas d’embauche) ou devient impossible : maladie, maternité, etc.
Ces points de vue sont inconciliables en théorie.
Ces affaires entre les protagonistes se sont réglées par le biais de la lutte des classes, secondée par le bon sens de possédants éclairés ou de leurs représentants et soucieux pour leur avenir de disposer d’une population en bonne santé et efficace. Rarement par la philanthropie.
Toujours réglées dans le conflit sous-jacent, jamais définitivement réglées, en deux siècles de luttes et de compromis entre classes.
Je voulais rappeler ici ce qui me semble être le socle concret de la question.

(Commentaires désactivés)