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Léviathan : "du grand cinéma" ou du cinéma de propagande ?

Il y a deux façons de parler du film d’Andréï Zviaguintsev : à partir du contexte ou à partir du film lui-même. Commençons par le contexte cinématographique et politique. Nous recevons un film russe par an, bon an mal an (en 2012, c’était Elena, du même Zviaguintsev), et il en va de même pour les films chinois. Sachant que la culture est intégrée aux activités de propagande et que nous sommes en pleine guerre médiatique contre la Russie (mais aussi, de façon moins virulente, contre la Chine), on ne peut pas croire que les films diffusés en France soient pris au hasard. Black coal, le dernier film chinois, qui présente un tableau effrayant d’une Chine sombre, violente et corrompue, met bien en évidence les critères de choix, qu’on retrouve dans Léviathan.

Dans les années 70-80, un cinéaste polonais avait forcément du génie du moment qu’il luttait contre le régime soviétique : qui pense encore aujourd’hui à Wajda ? Il a joué son rôle, en temps utile, puis la baudruche s’est dégonflée, au même rythme que, dans le domaine politique, le moustachu Lech Walesa (3 ou 4 % des suffrages lors de sa dernière candidature). Les cinéastes iraniens anti-iraniens ont d’abord connu la même vogue pour ensuite, semble-t-il, se déprécier à leur tour (difficile de sauver le soldat Kiarostami après le navet Copie conforme).

Les motivations politiques sont évidentes dans les critiques sur Léviathan : "portrait féroce d’une Russie corrompue", tranche Télérama, repris sur les affiches du film qui s’étalent dans le RER ; le son de cloche est partout le même : on attend du film un certain effet politique. Le but est de noircir l’image de la Russie de Poutine, et les spectateurs sont fermement conduits vers cette interprétation avant même leur entrée en salle (on se croirait revenus aux temps de Tintin chez les Soviets).

Mais, simultanément, on nous tient, un ton plus bas, un autre discours : si on va au-delà des gros titres, on peut lire que Zviaguintsev n’a pas eu l’intention de stigmatiser le pouvoir russe actuel, mais le pouvoir en soi (comme Hobbes dans son traité du Léviathan). Certains articles nous apprennent même que l’histoire (une famille arbitrairement expropriée par un maire) est tirée d’un fait vrai qui a eu lieu dans le ... Colorado (le générique du film, lui, reprend seulement l’annonce d’une histoire vraie, sans précision de temps ni de lieu). Mais ces mêmes articles concluent imperturbablement à la corruption d’une Russie malade. J’insiste sur ce tour de passe passe logique :

1) L’histoire du film est vraie, elle s’est passée dans le Colorado (Sud-Ouest des Etats-Unis).

2) Zviaguintsev choisit de la transposer en Russie (normal : elle pourrait se passer n’importe où).

3) donc la Russie est pourrie jusqu’à la moelle !

Cette duplicité, entre local et universel, se retrouve dans les paroles, et, sans doute, dans l’attitude de Zviaguintsev à l’égard des autorités russes (sinon, pourquoi l’Etat aurait-il fourni 35 % du budget du film ? pourquoi aurait-il été nommé président du Festival de cinéma de Sotchi cet été ? Ou alors, il faut admettre que la vie culturelle est beaucoup plus ouverte en Russie qu’en France : quand, ici, a-t-on vu un opposant au régime nommé président d’un grand événement culturel ?). Commentant une interview du réalisateur, The Guardian observe que toutes ses paroles sont soigneusement pesées, mais son attitude critique envers la Russie de Poutine est évidente, et confirmée par le film lui-même.

Le film justifie-t-il donc l’appréciation : "du grand cinéma" ? On entend par là un cinéma d’auteur, qui exprime une vision personnelle au moyen d’une forme aussi soigneusement travaillée (voire plus) que le fond. Dans Léviathan, des figures de style, il y en a, et même, dit The Guardian, d’un "symbolisme massif". Le titre est doublement symbolique : à la référence à Hobbes, s’ajoute la référence à la Bible avec l’histoire de Jonas et la baleine ; eh ! bien, à la fin du film, les deux symboles sont là, soigneusement empilés : l’image d’un squelette de baleine échouée sur la plage est aussitôt suivie de l’image des mâchoires d’un bulldozer détruisant la maison de Kolia : Zviaguintsev balance ses symboles à la truelle.

Mais, derrière ces maniérismes de style, il y a un sujet social (expropriation d’un modeste mécanicien par un maire tout-puissant) : cependant, quand on a vu Elena, un Affreux, sales et méchants russe au premier degré, on peut douter de la veine sociale de Zviaguintsev. De fait, il est impossible de croire au statut d’ouvriers du couple Kolia et Lilia : ce sont des bourgeois intellos, qu’on ne voit jamais travailler. Une image montre Kolia devant un coffre de voiture ouvert, sans qu’il se livre à aucun travail identifiable ; quant à Lilia, elle joue les belles boudeuses, entre Antonioni et Bergman, et prend la pose pour nous laisser admirer la coupe de ses poils pubiens. Et quand le travail apparaît, c’est de façon fantasmatique : le minibus qui transporte, dans une aube blafarde, les ouvrières prostrées de l’usine de poissons semble plutôt les conduire au goulag qu’au travail ! Seule concession à la "culture ouvrière" : une séance pesante de comique scatologique.

L’incapacité de Zviaguintsev à rester dans un registre social l’amène à laisser tomber, pendant une grande partie du film, le fil de l’expropriation, pour s’occuper des drames d’un ménage à trois, et l’enjeu devient : Lilia partira-t-elle avec Dimitri ? restera-t-elle avec Kolia ?

De façon évidente, ce ne sont pas les problèmes de logement qui passionnent l’auteur. Son objectif constant est de stigmatiser toutes les institutions de la Russie : la police de la route, aussi alcoolisée que les automobilistes, les juges aux ordres, le maire qui modifie le POS selon ses convenances, pour réaliser un projet immobilier public / privé avec pots de vin substantiels à la clé... (là, on a une impression de déjà vu, et pas précisément en Russie !). Enfin, le maire siège, dans son bureau, sous une photo de Poutine que la caméra cadre longuement.

Mais il y a une institution contre laquelle Zviaguintsev se déchaîne (comme les medias français), c’est l’Eglise orthodoxe ; et à tous les niveaux, les popes pauvres comme les popes riches : on voit un pope de base essayer de consoler Kolia après la perte de sa femme en lui racontant l’histoire de Job de façon grotesque : "Job aussi se posait des questions sur le sens de sa vie, à tel point qu’il en a eu des escarres" ! Quant au dignitaire orthodoxe, il prononce un long sermon sur la nécessité de renouer avec les sources spirituelles, dévotement écouté par le maire et le promoteur immobilier.

Le message est clair : toutes les magouilles et violences du film s’accomplissent au nom de Poutine et sont couvertes par le manteau de la religion orthodoxe.

Mais trop c’est trop : le héros est accablé de trop de malheurs, et son personnage est trop rudimentairement construit : on saute d’une séquence à l’autre sans autre liant que les bouteilles de vodka omniprésentes, et quoi qu’il arrive à Kolia, il réagit toujours de la même façon : il perd son procès ? il vide une bouteille. Sa femme le trompe ? il vide une bouteille. Il perd sa femme ? il vide une bouteille : cela devient un gag. Et Zviaguintsev réussit la performance de faire de son rondouillard maire ripou le personnage le plus sympathique du film !

"Du grand cinéma", vraiment ? Zviaguintsev est un malin, il joue sur deux tableaux à la fois : je suis oiseau, voyez comme mon film est universel ; je suis souris, voyez comme je dénigre la Russie et Poutine. Mais le film ne tient la route ni comme film social, ni comme film symbolique et métaphysique : le Léviathan accouche d’une sardine.

Rosa LLORENS

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