RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
Pétrole, immenses réserves d’eau, milliards de fonds souverains. Le butin sous les bombes

Libye, le grand partage (il manifesto)

« L’Italie évalue de façon positive les opérations aériennes lancées aujourd’hui par les Etats-Unis sur certains objectifs de Daesh à Syrte. Elles adviennent à la demande du Gouvernement d’Unité Nationale, en soutien des forces fidèles au Gouvernement, dans l’objectif commun de contribuer à rétablir la paix et la sécurité en Libye » : tel est le communiqué diffusé par la Farnesina (ministère des Affaires Etrangères italien) le 1° août.

Ceux qui pensent à « la paix et la sécurité en Libye » à Washington, Paris, Londres et Rome sont les mêmes, qui, après avoir déstabilisé et mis en pièces par la guerre l’Etat libyen, vont recueillir les débris avec la « mission d’assistance internationale à la Libye ».

Leur idée transparaît à travers des voix autorisées. Paolo Scaroni [1], qui à la tête de l’ENI a manoeuvré en Libye entre factions et mercenaires et se trouve aujourd’hui à la vice-présidence de la Banque Rotschild, a déclaré au Corriere della Sera qu’« il faut en finir avec la fiction de la Libye », « pays inventé » par le colonialisme italien. Il faut « favoriser la naissance d’un gouvernement en Tripolitaine, qui fasse appel à des forces étrangères qui l’aident à rester debout », en poussant la Cyrénaïque et le Fezzan à créer leurs propres gouvernements régionaux, éventuellement avec l’objectif de se fédérer à long terme. En attendant, « chacun gèrerait ses sources énergétiques », présentes en Tripolitaine et Cyrénaïque.

C’est la vieille politique du colonialisme du 19ème siècle, remise à jour en fonction néo-coloniale par la stratégie USA/Otan, qui a démoli d’entiers Etats nationaux (Yougoslavie, Libye) et fractionné (ou tenté de fractionner) d’autres Etats (Irak, Syrie), pour contrôler leurs territoires et leurs ressources.

La Libye possède presque 40% du pétrole africain, précieux pour sa haute qualité et son faible coût d’extraction, et de grosses réserves de gaz naturel, dont l’exploitation peut rapporter aujourd’hui aux multinationales étasuniennes et européennes des profits bien plus élevés que ceux qu’elles obtenaient auparavant de l’Etat libyen. De plus, en éliminant l’Etat national et en traitant séparément avec des groupes au pouvoir en Tripolitaine et Cyrénaïque, elles peuvent obtenir la privatisation des réserves énergétiques publiques et donc leur contrôle direct.

En plus de l’or noir, les multinationales étasuniennes et européennes veulent s’emparer de l’or blanc : l’immense réserve d’eau fossile de la nappe phréatique nubienne, qui s’étend sous la Libye, l’Egypte, le Soudan et le Tchad. Les possibilités qu’offre celle-ci avaient été démontrées par l’Etat libyen, en construisant des aqueducs qui transportaient de l’eau potable et pour l’irrigation, millions de mètres cubes par jour extraits de 1300 puits dans le désert, sur 1600 Km jusqu’aux villes côtières, rendant fertiles des terres désertiques.

Aux raids aériens étasuniens d’aujourd’hui en Libye participent simultanément des chasseurs-bombardiers qui décollent de porte-avions en Méditerranée et probablement de bases en Jordanie, et des drones Predator armés de missiles Hellfire qui décollent de Sigonella (base étasunienne en Sicile, NdT). Interprétant le rôle de l’Etat souverain, le gouvernement Renzi « autorise au cas par cas » le départ de drones armés étasuniens de Sigonella, tandis que le ministre des affaires étrangères Gentiloni précise que « l’utilisation des bases ne requiert pas une communication spécifique au parlement », assurant que ceci « n’est pas un prélude à une intervention militaire » en Libye.

Alors qu’en réalité l’intervention a déjà commencé : des forces spéciales étasuniennes, britanniques et françaises -comme le confirment le Telegraph et Le Monde- opèrent depuis longtemps en secret en Libye pour soutenir « le gouvernement d’unité nationale du Premier ministre Sarraj ».

En débarquant tôt ou tard officiellement en Libye sous prétexte de la libérer de la présence de l’Isis (Daesh), les USA et les plus grandes puissances européennes peuvent aussi ré-ouvrir leurs bases militaires, fermées par Kadhafi en 1970, dans une position géostratégique importante à l’intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient.

Enfin, avec la « mission d’assistance à la Libye », les USA et les plus grandes puissances européennes se partagent le butin de la plus grande rapine du siècle : 150 milliards de dollars des fonds souverains libyens confisqués en 2011, qui pourraient quadrupler si l’export énergétique libyen revenait aux niveaux précédents.

Une partie des fonds souverains, à l’époque de Kadhafi, fut investie pour créer une monnaie et des organismes financiers autonomes pour l’Union Africaine. Etats-Unis et France -comme le prouvent les emails d’Hillary Clinton- décidèrent de bloquer « le plan de Kadhafi de créer une monnaie africaine », alternative au dollar et au franc CFA. Ce fut Hillary Clinton -documente le New York Times- qui convainquit Obama de passer à l’action. « Le Président signa un document secret, qui autorisait une opération couverte en Libye et la fourniture d’armes aux rebelles », y compris à des groupes jusque récemment classifiés comme terroristes, alors que le Département d’Etat dirigé par Clinton les reconnaissait comme « gouvernement légitime de la Libye ». En même temps l’Otan sous commandement étasunien effectuait l’attaque aéronavale avec des dizaines de milliers de bombes et missiles, démantelant l’Etat libyen, attaqué simultanément de l’intérieur avec des forces spéciales y compris du Qatar (grand ami de l’Italie) (et de la France, NdT).

Le désastre social qui s’en est suivi, en faisant plus de victimes que la guerre elle-même, surtout chez les migrants, a ouvert la porte à la reconquête et au partage de la Libye.

Manlio Dinucci

Editorial de mercredi 4 août 2016 de il manifesto

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

Cet article reprend aussi deux rubriques L’art de la guerre publiées en mars et avril 2016. Le titre (et sous-titre) est celui de l’auteur. (NdT)

»» http://ilmanifesto.info/la-grande-spartizione-del-dopo-gheddafi

[1Paolo Scaroni est un des plus grands aficionados italiens du Groupe Bilderberg. Artisan au cours de ses deux mandats à la tête de l’ENI de sa privatisation (partielle pour le moment), il est en 2011 au troisième rang des managers de sociétés italiennes cotées en bourse avec un salaire annuel de 6,4 millions d’euros. Voir Le Groupe Bilderberg, de Domenico Moro, Editions Delga, 2014, p. 180, 201, 203 et 205. NdT.


URL de cet article 30727
  

Même Thème
Libye, OTAN et médiamensonges
Michel COLLON
Les « armes de destruction massive », ça n’a pas suffi ? Le martyre de l’Irak, frappé d’abord par les médiamensonges et ensuite par les bombes, on n’en a pas tiré les leçons ? Non, on n’en a pas tiré les leçons. On sait que les Etats-Unis ont menti sur le Vietnam, l’Irak, la Yougoslavie, l’Afghanistan et Gaza, mais on croit que cette fois-ci, sur la Libye, ils disent la vérité. Etrange. La majorité de nos concitoyens croient encore ce que l’Otan a raconté sur la Libye. Y compris les Arabes car cette fois, (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

L’abstrait n’a pas d’image, c’est son défaut ontologique. Seul le réel est filmable. Pas la réalité.

Ignacio Ramonet

Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.