Si les « élites globalisées », dominantes, occidentales et leurs médias, privés et publics, ont été le fer de lance idéologique de l’agression militaire impérialo-sioniste contre la Libye, celles, dominées, de la périphérie, ou du Sud Global, pour emprunter une notion vague en vogue, n’ont pas chômé.
Dans le cas de l’Algérie, au-delà de la mobilisation dans le cadre des « Printemps arabes » néo-colonisés, de ladite société civile, - une prénotion fourre-tout conçue comme un instrument de déstabilisation des souverainetés nationales – plusieurs journaux privés, nés au début des années 90, grâce à l’aide publique, se sont mobilisés pour défendre et encourager cette agression. Parallèlement, ils se donnèrent le mot pour condamner la position invariable de leur pays sur le principe de ’non-ingérence’, qui interdit, au nom du droit international, – dont on sait qu’il obéit à une « logique coloniale » – à tout État de s’immiscer, sous quelles formes que ce soit, dans les affaires internes d’un autre État.
Leurs écrits publics exprimaient une position politique, c’est donc à ce titre que nous en faisons la critique. Notons que ces journaux, par maints aspects, ont fonctionné comme des partis politiques, et certains de leurs journalistes comme des militants organiques.
Pour en revenir à cette mobilisation générale favorable à l’agression armée de la Lybie, la photo qui illustre le remarquable article de Djamel Labidi, "L’arbitraire", représentant Mouammar Kadhafi baignant dans son sang, avait fait la UNE des médias occidentaux qui avaient glorifié l’invasion de la Libye et l’exécution sommaire de Kadhafi.
La mise en scène abjecte de cette mise à mort par des mercenaires – parmi lesquels des membres d’Al-Qaïda – à la solde de l’Occident impérialiste civilisé, – ce qui se passe à Gaza confirme sa nature civilisée – et ordonnée par lui, avait un but : faire taire et faire peur aux adversaires du « droit d’ingérence », un bien joli euphémisme pour éviter de dire l’anéantissement des souverainetés nationales, la dévastation de nations et de leur population par des armées surpuissantes et surarmées.
La photo en question, prise par un photographe de l’AFP, témoigne, néanmoins, de la barbarie impérialo-sioniste et de ses supplétifs salafistes, entre autres.
Le journal algérien El Watan (1), alors aligné sur l’agenda otanien, suite à sa conversion idéologique, l’avait faite sienne en la publiant à la UNE, pleine page, dans son édition du vendredi 21 octobre 2011, avec la légende suivante, en pied de page : « Libye libre », bordée par une publicité pour la marque Renault. Il n’y a pas de petits profits.
Ainsi donc pour ce quotidien, cette exécution sommaire, reproduite dans toute son infâme cruauté, symbolisait la liberté, alors qu’elle était avilie, souillée.
En pages intérieures, un article titré La Libye libérée de son tyran, illustré, morbide jubilation, par une autre photo de la dépouille de Kadhafi, reprenait la même terminologie otanienne que la presse française de Libération au Figaro, en passant par Paris-Match : « Mort d’un tyran » ; « La fin d’un tyran « ; « Les dernières heures d’un tyran », etc.
Ouvrons une courte parenthèse pour rappeler que ce « tyran » avait été reçu solennellement par toute l’Europe réunie à Lisbonne, (2) lors du deuxième sommet Europe-Afrique, en décembre 2007, et quelques jours plus tard en grande pompe par la France de l’ère sarkozienne.
Mais, ces postures duplices faisaient et font probablement partie de la félonie et de la taqya, cette pratique salafiste – Trump en est l’actuel parangon – que les puissances impérialistes pratiquent aussi bien, sinon mieux que ces obscurantistes, alliés fondamentaux, par ailleurs, dans la déstabilisation des pays qui refusent d’abdiquer, tant bien que mal, leur souveraineté nationale.
À cette franche adhésion d’El Watan aux orientations de l’OTAN et de la France de Sarkozy sur la Libye, – mais également sur la Syrie avec Sarkozy et son continuateur Hollande – s’ajoute celle d’autres journaux algériens qui avaient ouvertement souhaité la disparition de Kadhafi, puis accueilli positivement son exécution extrajudiciaire. Nombreux furent également les éditorialistes, et autres chroniqueurs, à se réjouir de l’ agression otanienne, à vociférer outrages et injures contre l’Algérie pour son refus de toute ingérence étrangère en Libye, et partout ailleurs.
Les quelques extraits d’articles, de chroniques et d’éditos qui suivent sont éloquents en ce qu’ils expriment le positionnement politique, à ce moment de l’histoire, de ces élites acquises à la globalisation néolibérale.
Assez étonnamment pour ce titre, en mars 2011, un chroniqueur du journal Le Soir d’Algérie, vitupère l’Algérie parce que, sur les 21 pays qui composent la Ligue Arabe, elle a voté, comme la Syrie, contre la mise en place d’une zone d’intervention aérienne lors d’une réunion organisée à la hâte sur la Libye. Qualifiant le vote du représentant de son pays d’« ignominie » au profit « du bédouin fou », il prend fait et cause pour l’agression otanienne : « Cette communauté internationale qui toussote, hésite, regarde le petit bout du bout de ses escarpins me débecte au plus profond. Est-ce parce que c’est un Sarkozy qui a appelé à des frappes sur l’armée du sanguinaire qu’il faille ne pas adhérer à cette option, s’en démarquer, et crier, ânonner plutôt à l’interventionnisme et au nouvel ordre colonial … Ni écouter ni vomir en petit comité devant autant d’ignominie concertée. Une ignominie à laquelle nous participons, dans laquelle nous venons de nous distinguer même en votant contre une zone de « No Fly » d’interdiction de vol pour les avions de l’héroïnomane qui règne encore sur Tripoli et son armée de mercenaires. »
Le journal Liberté n’est pas en reste. En mars 2011, également, un de ses chroniqueurs, fustige le vote de l’Algérie contre la création d’une zone d’intervention aérienne au prétexte du « sempiternel argument de la non-ingérence ». « C’est vrai, écrit-il, que nous n’avons pas un régime à comprendre une révolution pour la démocratie. Et qui craint par-dessus tout la pédagogie de la révolte populaire. Il a déjà donné des gages sanglants sur son penchant pour la répression des mouvements de protestation. C’est donc par cohérence doctrinale qu’entre sauver Kadhafi ou un maximum de Libyens, il a choisi de tenter de sauver Kadhafi ».
Toujours en mars 2011, un autre chroniqueur vedette du Quotidien d’Oran, agonit, dans un style ampoulé, la position algérienne : « L’Espoir, ce furieux animal que l’on fabrique avec le coeur et le compte à rebours entre soi et le paradis. Bien loin de l’Algérie dont l’unique acte est de s’être opposée à la zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye où Kadhafi tue les siens avec des bombes. Oh, misère des vieillissements mauvais ».
Petite parenthèse. Après avoir mijoté dans la marmite de l’extrémisme salafiste dans sa jeunesse, ce chroniqueur, qui parle toujours de lui à la troisième personne, est passé à un autre extrême, celui de l’extrême-droite française, dont il partage idées et visions du monde, parmi lesquelles celle du fantasmatique Grand remplacement popularisée par le pétainiste Éric Zemmour. C’est ce qui s’appelle le changement dans la continuité.
Quant au fond, à comprendre ces chroniqueurs et éditorialistes, l’Algérie aurait dû se joindre, sinon soutenir les bombardements et les bains de sang démocratiques de l’impérialisme humalitaire pour le respect des droits de l’homme, le triomphe de la démocratie en Libye, et partout ailleurs.
Autre registre. Dans un article publié par Le Quotidien d’Oran en août 2011, l’auteur dénonce l’agression occidentale, relève ses objectifs de domination, mais se réjouit de la « disparition » de Kadhafi : « un psychopathe délirant » (3), durant quatre décennies et dont la disparation est, bien entendu plus que bienvenue… une « disparition, souhaitée par toute personne sensée ».
Comment peut-on dénoncer « la voracité empressée des puissances occidentales » et souhaiter une « disparition » opérée par une agression militaire coalisée contre un État souverain.
Et puis, qu’est-ce qu’une « personne sensée » ? Sarkozy, Hilary Clinton, Barack Obama, Hollande, Kouchner, Cohn-Bendit, B. H. Lévy, et toute la meute atlantiste et sioniste va-t-en-guerre ? Celle-là même qui soutient la politique génocidaire de Netanyahou, l’héritier de Begin, le bourreau de Deïr Yassine, et prix Nobel de la paix, qu’Einstein – et d’autres – dans un texte datant de 1948, avait décrit comme le chef « d’un parti qui prône ouvertement la doctrine de l’Etat fasciste ».
https://forumdesdemocrates.over-blog.com/article-l-etat-des-tueurs-volontaires-51664099.html
Quant au journal El Watan, au-delà de sa UNE et de sa sinistre légende, il assumera son soutien à l’agression impérialo-sioniste contre la Libye, tout en menaçant les « autorités algériennes », dans un éditorial publié en août 2011 :
« La chute du clan de Tripoli place inévitablement les autorités algériennes dans l’œil du cyclone. Absence totale de légitimité, isolées au plan international, nos autorités ont joué avec le feu, en proposant, notamment, des lois (partis, information…) qui ne répondent en aucun cas aux exigences d’ouverture ni aux attentes de pans entiers de la société. La rentrée sociale et politique risque d’être très mouvementée. Les tergiversations du pouvoir risquent de coûter très cher à l’Algérie ». Cet « œil du cyclone » menaçant, se référait-il à l’OTAN et au scénario libyen ? La réponse se trouve dans la question. Notons, au passage, que l’éditorialiste, articule ses menaces à des questions internes : lois sur les partis, l’information, ouverture, absence totale de légitimité. N’est-ce pas là le préalable et les arguments qui légitiment, agréent le regime change.
Un autre édito du même quotidien, au mois d’août 2011, assimile les conséquences de l’agression de l’OTAN à une « révolution populaire », et proclame avec emphase : « A cause de leur cécité politique, les responsables algériens, qui n’ont pas su s’élever à la hauteur du mouvement de l’histoire des peuples de la région, risquent de perdre un partenaire et un allié qui compte ».
Certains, comme le note Djamel Labidi, ont peut-être honte aujourd’hui d’avoir pris de telles positions.
Mais, quoiqu’il en soit, leurs positions, défendues en toute conscience, auront contribué à la justification de l’exécution extrajudiciaire de Kadhafi, une pratique civilisée et démocratique, qui s’est généralisée et banalisée depuis, avec les assassinats par dizaine de dirigeants politiques, comme Hassan Nassrallah, et des responsables de l’État iranien, commis impunément par Israël, ces derniers temps.
Ils auront, au nom du scélérat « droit d’ingérence », contribué également à la justification de la dévastation d’un État souverain par des armées étrangères et leurs supplétifs terroristes, tout en menaçant leur propre pays, l’Algérie en l’occurrence, du même sort, comme l’ont laissé comprendre certains de leurs écrits. Ils auront ainsi participé à banaliser l’état de nature, c’est-à-dire la loi du plus fort, dans les relations internationales et à légitimer cette ère de « l’arbitraire ». Était-ce « par cohérence doctrinale », comme l’écrivait le chroniqueur du journal Liberté dans sa dénonciation de la position de l’Algérie contre le droit d’ingérence ?
Smaïl HadjAli
