Caracas - 11 février 2019 : Après avoir passé deux jours à Caracas les 3 et 4 février, entre autres pour une réunion semi-privée avec le président Maduro, voici mon impression générale. La situation à Caracas est à l’opposé de ce que décrivent les grands médias internationaux aux États-Unis, au Canada et dans d’autres pays occidentaux. C’est calme, personne ne souffre de la faim, il n’y a pas de violence. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de crise économique, mais elle est due en grande partie aux sanctions économiques paralysantes et aux pressions que les États-Unis ont imposées au Venezuela au cours des dernières années. Les sanctions et les menaces ont commencé sous Obama en mars 2015 et ont été poursuivies par Trump, le gouvernement libéral de Justin Trudeau et d’autres.
Allons au cœur du sujet. De nombreux articles sérieux ont déjà été publiés sur le site Mondialisation concernant, d’une part, l’élection légitime de Maduro au dernier scrutin de mai 2018 et, d’autre part, la violation du droit vénézuélien et du droit international, y compris par les Nations Unies, en « reconnaissant » leur homme à Caracas. De plus, le point désormais essentiel est le droit du Venezuela à sa souveraineté et celui de choisir sa propre voie sans ingérence étrangère, indépendamment de toute autre considération. Aussi, dans cette optique, la réalité incontournable – ignorée par les médias internationaux – est l’union civilo-militaire en tant qu’élément clé de la démocratie vénézuélienne. On méconnaît par ignorance ou par une pensée magique, tout comme ceux qui veulent faire abstraction de la révolution bolivarienne le savent très bien, que c’est précisément cette union qui bloque leur plan.
Même si ce n’était pas la première fois que j’entendais parler Maduro, sa conférence du 4 février, lors de cette réunion semi-privée avec des Vénézuéliens et des invités étrangers, a été l’argument décisif. Entre autres points, il a expliqué en détail comment lui-même et les autres dirigeants (que j’ai aussi brièvement rencontrés au cours de cette réunion) ont travaillé et travaillent encore aujourd’hui pour organiser et inspirer – et à leur tour s’inspirer de – toutes les divisions des forces armées partout au pays, des pilotes et de la marine jusqu’aux militaires en passant par la milice populaire. Il a fait remarquer que cette union civilo-militaire s’était organisée dans le pays sur plusieurs décennies.
Quelle est cette union civilo-militaire ?
Chávez a déclaré avoir trouvé l’idée de l’alliance civilomilitaire dans la pensée politique de l’intellectuel vénézuélien, chef de la guérilla, Fabricio Ojeda, qui écrivait dans son livre de 1966, La Guerra del pueblo (La Guerre du peuple) : « Les bases anti-féodales et anti-impérialistes de notre processus révolutionnaire suggèrent une forme d’alliance entre les Vénézuéliens qui peut tenir compte des différences fondamentales, des crédos politiques, des conceptions philosophiques, des convictions religieuses, des statuts économiques ou professionnels ou de l’appartenance à un parti. La force et la puissance de l’ennemi commun appellent à une lutte unie pour le vaincre… Les forces les plus enclines à lutter pour la libération nationale sont les travailleurs, les paysans, la petite bourgeoisie, les étudiants, les intellectuels et les professionnels, ainsi que la majorité des fonctionnaires, des sous-officiers et des soldats de l’armée de l’air, de la marine et des forces terrestres… » Dans la vision d’Ojeda, partagée par Chávez, tous ces secteurs civils et militaires sont appelés à s’unir pour former une véritable alliance révolutionnaire nationale (Ramonet, Ignacio, 2013).
Alors que Maduro déclarait dans son discours du 4 février que son gouvernement était prêt à participer à tous les efforts de médiation, il a également précisé que le Venezuela était prêt à défendre son territoire : « Aucun soldat yankee n’entrera au Venezuela. » En fait, seulement 24 heures (le 5 février) après sa déclaration « conciliatrice » sur la médiation, le fantoche des États-Unis à Caracas a déclaré que son pays aimerait mieux « une guerre civile » plutôt que des négociations, selon son propre aveu. Néanmoins, le lendemain, le 6 février, le gouvernement de Maduro publiait une déclaration indiquant qu’il travaillait toujours activement avec l’Uruguay, le Mexique et les 14 pays du bloc des Caraïbes en plus de la Bolivie, en vue d’une séance de médiation le 7 février.
La conférence internationale tenue en Uruguay le 7 février, dans le but de traiter de la situation au Venezuela, a réuni cinq pays d’Amérique latine et huit pays européens.
Alors que les dirigeants européens et latino-américains recherchent une « solution politique et pacifique » à la situation du Venezuela, la déclaration finale du Groupe de contact international n’a finalement pas été adoptée par tous les pays participant à la conférence internationale. La Bolivie, le Mexique et le CARICOM ont refusé de signer le traité d’accord européen soutenu par l’Union européenne (UE), lequel appelle à des élections au Venezuela « dès que possible ».
À mon avis, cela est parfaitement compréhensible, dans la mesure où la position de l’UE constitue un ultimatum pour un pays souverain qui avait DÉJÀ organisé des élections présidentielles. La tentative d’ingérence de l’UE coïncide avec celle du Groupe de Lima et du Canada.
Ces pays parlent tous hypocritement d’une « transition pacifique », mais ils poussent à la confrontation et à l’ingérence étrangère, y compris à l’option militaire, en imposant au Venezuela des conditions inacceptables.
La menace d’une intervention militaire dirigée par les États-Unis est donc plus réelle que jamais. Le point de vue est le suivant : non à une intervention militaire au Venezuela et soutien sans réserve au droit du Venezuela de se défendre dans le pire des cas. Des sondages en Europe et dans d’autres pays montrent l’appui à cette position, tandis que les principaux syndicats canadiens ont publié et publient des déclarations rejetant la position du parti libéral de Justin Trudeau favorable à Trump, et des manifestations ont lieu aux États-Unis.
Le jour même de la déclaration de Maduro, le 4 février, le gouvernement de Justin Trudeau accueillait le soi-disant Groupe de Lima à Ottawa. Le communiqué officiel réaffirmait son soutien à la position de Trump sur le Venezuela, constituant ainsi une ingérence étrangère dans les affaires intérieures de ce pays avec le total appui de sa marionnette, le soi-disant président.
La position du gouvernement de Justin Trudeau représente un changement majeur et historique (au sens très négatif du terme) de la politique étrangère canadienne, y compris au sein de son propre parti, le Parti libéral. Contrairement, par exemple, à l’ancien premier ministre du Parti libéral, Jean Chrétien, qui à l’occasion du 10e anniversaire de la guerre en Irak (mars 2013) avait déclaré dans une entrevue au sujet de la position du Canada de ne PAS soutenir la guerre américaine en Irak :
[Chrétien] ne regrette pas d’avoir refusé la participation du Canada à la mission dirigée par les ÉtatsUnis. C’était une décision très importante, à n’en pas douter. En fait, c’était la première fois que le Canada ne participait pas à une guerre impliquant les Britanniques et les Américains. (Une déclaration de Jean Chrétien à l’émission Power Play au réseau canadien d’information CTV.)
Selon lui, « cette décision a également contribué à affirmer l’indépendance du Canada sur la scène internationale. Malheureusement, beaucoup de gens pensaient parfois que nous formions le 51e État des États-Unis. Il était clair ce jour-là que ce n’était pas le cas. »
Chrétien a déclaré avoir refusé de s’engager dans une action militaire en Irak sans une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Il a ajouté que le Canada avait toujours suivi les Nations Unies et qu’il intervenait dans d’autres conflits lorsque cela lui était demandé.
Il avait également affirmé ne pas être convaincu que l’Irak disposait d’armes de destruction massive – la menace qui alimentait le soutien à une invasion du pays par les États-Unis – et cela s’est finalement avéré.
Chrétien a aussi parlé de sa visite au Venezuela la semaine dernière pour assister aux funérailles du président Hugo Chávez.
Il a dit y être allé parce qu’il connaissait personnellement Chávez et qu’il n’avait « jamais eu de problème » avec le dirigeant controversé, même s’il n’était pas d’accord avec lui « sur bien des points ». Il voulait également témoigner son respect au peuple du Venezuela.
« Il [Chávez] avait le soutien de la population et il était aimé des plus démunis de son pays. C’était une sorte de Robin des bois », selon Chrétien.
Le premier ministre Stephen Harper a irrité le gouvernement vénézuélien en disant espérer que le pays pourrait envisager un « avenir meilleur et plus radieux » après la mort de Chávez.
Chrétien a ajouté que les autorités vénézuéliennes étaient « très, très heureuses » de sa présence aux funérailles, parce qu’elles étaient « très mécontentes » des propos d’Harper. (CTV Nouvelles : « Dire NON à la guerre en Irak était une décision importante pour le Canada. » Jean Chrétien, 12 mars 2013.)
Rappelons ce que tout le monde à Cuba et en Amérique latine sait : le père de Justin Trudeau, à titre de premier ministre du Parti libéral du Canada, s’est rendu à Cuba en juin 1976 et, prenant place aux côtés de Fidel Castro lors d’une rencontre publique, il lançait : « Longue vie au président Fidel Castro ! » et il adoptait aussi d’autres positions indépendantes de celles des États-Unis.
Pour ces peuples du Sud (comme le constatent aujourd’hui les Canadiens), à l’égal de n’importe quelle autre famille, quel que soit le système, les relations et les caractéristiques familiales changent. En ce qui concerne les relations extérieures, Justin Trudeau ne ressemble aucunement à son père. La presse canadienne peut me citer ici : « Le père de Justin Trudeau se retournerait dans sa tombe s’il savait ce qu’a fait son propre fils. » Tout le monde au Canada déteste Trump pour l’ensemble de ses politiques, pourtant Justin Trudeau est aligné sur lui.
Le gouvernement Trudeau, tout en donnant des leçons de démocratie et de liberté de presse au Venezuela, comme il l’a fait le 4 février à Ottawa lors de la rencontre avec le Groupe de Lima (Affaires mondiales Canada, Déclaration du Groupe de Lima du 4 février 2019), a refusé l’accès à teleSUR et à d’autres médias lors de cette réunion du Groupe de Lima à Ottawa. De plus, son gouvernement parle de démocratie pour le Venezuela, mais il ne reconnaît pas la position de millions de travailleurs syndiqués au Canada, et d’autres contre la politique interventionniste pro-Trump au Venezuela et en faveur du droit du Venezuela à l’autodétermination et à la souveraineté.
Justin Trudeau se situe du mauvais côté de l’histoire. Avant qu’il ne soit trop tard, il devrait renoncer à sa politique et s’opposer plutôt à l’intervention des États-Unis qui, par leur nature même, autorisent le recours à l’option militaire avec toutes ses conséquences tragiques.
Les chaînes de télévision publiques et privées de langue française au Canada sont les pires, non seulement au Canada, mais également en Occident. Elles ont complètement abandonné la tradition relativement progressiste et ouverte d’esprit de la télévision d’État francophone telle que représentée par René Lévesque lorsqu’il était journaliste dans les années 1960, et plus récemment par les sections Nouvelles et Documentaires dirigées par Michel Cormier et d’autres, tel Jean-Michel Le Prince. C’est une honte pour le Québec et l’auditoire de la télévision francophone partout au Canada.
La journaliste colombienne et présidente de teleSUR, Patricia Villegas Marin, en réponse au courrier électronique d’Affaires mondiales Canada l’informant que son accréditation médias pour assister à la 10e réunion ministérielle du Groupe de Lima à Ottawa avait été refusée, a déclaré dans un gazouillis :
Le gouvernement du Canada nous refuse l’accès à une réunion du soi-disant Groupe de Lima. Ceux qui parlent de liberté démontrent, dans chacune de leurs actions, combien ils ignorent sa signification. @telesurenglish et @teleSURtv n’abandonneront PAS leur mission d’information.
Quant à Trump, il devrait prendre très au sérieux la tradition révolutionnaire civilo-militaire de la révolution bolivarienne. Personne ne souhaite une confrontation, mais les États-Unis perdront, et Trump l’aura comme héritage. La loyauté de John Bolton et d’autres super-faucons en vaut-elle vraiment la peine ?
Arnold August
Arnold August est un journaliste et conférencier canadien, auteur de Democracy in Cuba and the 1997–1998 Elections (1999), Cuba and Its Neighbours : Democracy in Motion (2013) et, récemment, Cuba–U.S. Relations : Obama and Beyond (2017). En tant que journaliste, il collabore à de nombreux sites Web en Amérique latine, en Europe [dont Le grand Soir. Note du GS] et en Amérique du Nord, y compris le site Mondialisation. Suivez-le sur Twitter et Facebook et sur son site Web : www.arnoldaugust.com.