Pour une nouvelle nuit du 4 août (ou plus)

Jérôme BASCHET

Ah, ça oui ! Il faut le reconnaître. Il nous a émus, Manu. Il nous a entendus ; il faut dire qu’avec les cotons-tiges grands comme des poutres que les infirmières lui avaient préparés, ça a dû bien lui déboucher les pavillons. Et, vous vous rendez compte, tout ce qu’il a fait depuis qu’il est président, c’était pour nous. Il nous aime tellement ! C’est pour nous qu’il avait augmenté la CSG, réduit les APL, augmenté la taxe carbone, etc. Pour notre bonheur, par amour pour nous. Et quand il nous accablait de son mépris, c’était aussi par amour. Pour nous pousser à donner le meilleur de nous-mêmes.

D’ailleurs, la preuve : il nous aime tellement qu’il a compris que le paquet de cacahuètes annoncé par le premier ministre, la semaine dernière, ce n’était vraiment pas assez. Alors là, d’un seul coup, il en a mis quatre sur la table, des paquets de cacahuètes. Pour qu’on comprenne enfin combien son amour pour nous est immense.

Bon, c’est vrai qu’en ouvrant les paquets on se rend compte qu’il y a pas mal de cacahuètes avariées, ou pas si fraîches que ça. Et même que l’un des paquets contient surtout du vent (combien d’entreprises vont donner ces primes de fin d’année ?). Et puis, au fond, un paquet ou quatre, ce ne sont jamais que des cacahuètes. Pour que les singes restent dans la cage. Pour que les moutons rentrent à la bergerie.

Et puis, vous avez vu. Même s’il parle tout doucement, avec une petite voix à l’humilité bien apprise, il continue à se croire le roi. Il a tenu à bien nous montrer qu’il parle depuis les ors élyséens. Et le détail qui tue : vous avez vu, sur son bureau, à côté des mains posées à plat pour afficher la sérénité, le petit service en or qui étincelait sous les projecteurs. C’était là pour nous narguer. Aux Gaulois récalcitrants, Macron, il a le culot de répondre par un coq en or (ou bien c’est la poule aux œufs d’or, mais alors à qui s’adresse le message ?) ! C’est moi, dit-il, qui vit dans les palais du pouvoir. Même si aujourd’hui je vous parle tout gentil-gentil pour calmer la grosse colère, c’est quand même moi le roi. Et vous vous êtes toujours les gueux !

Car bien sûr, pas question de changer un tant soit peu de politique. Pas question de revenir à l’ISF. Pas question de mettre à contribution les entreprises faisant des bénéfices élevés. Pas question de faire payer les gros pollueurs (d’ailleurs, l’écologie, on n’en parle même plus). Les mesures minimales ne sont même pas envisagées, comme la revalorisation réelle du SMIC et de l’ensemble des bas salaires et des petites retraites, ou encore le rétablissement de l’ISF, alors même que le financement de ces mesures et de quelques autres est à portée de main : il suffirait de mettre fin à la double aide aux entreprises en 2018, allègement des charges et maintien du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), ce qui représente 20 milliards de recettes supplémentaires (alors que les mesures d’hier n’en coûtent que 5 ou 6).

Mais rien de tout cela ne correspond vraiment à l’enjeu de la situation. Au fond, notre petit roi l’a sans doute compris, mais il tente une dernière ruse pour voir s’il peut nous berner encore une fois à bon compte. Car, comme le disent très bien bon nombre de gilets jaunes, quelque chose de très profond a basculé. Les gens ont repris leurs vies en main. Ils ont fait l’expérience de la puissance collective. Ils connaissent désormais la joie partagée qu’elle permet d’éprouver. Ils savent que ce qui était réputé impossible hier, devient possible lorsque le peuple se soulève et reprend sa liberté. Lorsqu’il cesse de déposer son destin dans un pouvoir et des institutions faites pour l’en déposséder.

Alors, oui, la force du soulèvement fait vaciller le pouvoir. Les puissants tremblent. Et pas seulement en France (du reste, une contagion aux autres pays européens, qui a commencé, serait décisive pour pouvoir gagner vraiment). Le processus en cours ne va pas s’arrêter comme cela. Des millions de personnes ont pris goût à la liberté et ne sont plus disposées à continuer à vivre comme avant. Il ne s’agit plus d’une goutte d’eau qui aurait fait déborder le vase ; c’est une digue qui a lâché.

Et puis, vous avez vu que le petit roi a annoncé qu’au lieu de rétablir l’ISF il allait demander aux très riches de faire un geste. C’est Noël, une petite aumône pour les pauvres de France, ce serait tellement émouvant ! Mais dans quel monde vit-il ? C’est toujours Marie-Antoinette et ses brioches, pendant que dehors, la révolution a commencé ! Et puisqu’il s’agit de révolution, il est temps d’en appeler à une nouvelle nuit du 4 août. Ça oui, ça serait un tant soit peu à la hauteur de la situation. Du reste, les grandes fortunes, nos nobles d’aujourd’hui, devraient aisément le comprendre, s’ils veulent garder une partie de leurs privilèges. Oui, les cinq cents plus grosses fortunes de France pourraient sortir le pays de la crise dans laquelle il est plongé en acceptant d’apporter à l’effort national la moitié de leurs patrimoines. Allez, les Chanel, Hermès, L’Oréal et autres Auchan et Lactalis, vous pouvez sauver la patrie en danger. Allez, Bernard, après ce renoncement déchirant, il te restera quand même quelque 36 milliard d’euros. Même si tu perds quelques places au classement Forbes (ce qui est vraiment rageant, il faut en convenir), est-ce que, dans la vie, tu sentiras vraiment la différence ? Et puis, ces patrimoines, ils ont quand même augmenté de 17 % rien que depuis l’an dernier ; ils ont été multipliés par trois en une décennie, de sorte que même en en prélevant la moitié, ils seront toujours supérieurs à leur niveau d’il y a dix ans. Le patrimoine des cinq cents plus grosses fortunes, c’est 650 milliards d’euros ! Avec la moitié, 300 milliards en chiffres ronds, plus aucun problème pour financer les programmes dits de la « transition écologique » (100 milliards) ni pour étoffer les mesures sociales d’urgence ou lancer une remise en état des services publics (100 milliards) ; on pourrait même aider les pays africains (50 milliards) et alléger la dette pour soulager les budgets à venir de l’État (50 milliards ; vous voyez si on est raisonnables !). Mesdames et messieurs les très-très-très riches, vous entreriez dans l’histoire ! Et puis, surtout, vous pourriez arrêter le tsunami en cours qui, sinon, risque de tout emporter sur son passage. Vous avec.

Une remarque encore : vous voyez bien que cet appel n’a rien de vraiment révolutionnaire (pour qu’on puisse vraiment parler d’une nuit du 4 août, il faudrait renoncer à certains des privilèges qui permettent de constituer de telles fortunes, tels que les prérogatives des actionnaires et le pouvoir sur les salariés). Donc, ce serait céder un peu, pour garder l’essentiel. Les super-riches seraient toujours des super-riches. Ils continueraient à faire de considérables profits pour renflouer bien vite leurs caisses. De plus, ils apparaîtraient comme les bienfaiteurs de la nation et en tireraient une légitimité inédite. Cependant, il est à craindre que, malgré tant d’avantages évidents et des inconvénients si restreints, nos grandes fortunes n’entendront pas cet appel. Il n’y aura alors pas d’autre issue pour le soulèvement en cours que de pousser au plus loin les potentialités qui ont commencé à s’affirmer, partout en France, avec une détermination et une intelligence proprement renversantes.

Ce dont des millions de personnes font actuellement l’expérience, c’est que le peuple qui se soulève reprend son destin en main. Au lieu de se dessaisir de sa puissance collective au profit de la classe politique et des institutions représentatives, il peut s’organiser par lui-même et décider par lui-même de quelle manière il entend vivre. Les zapatistes du Chiapas, qui en font l’expérience depuis vingt-cinq ans, disent que nous pouvons nous gouverner nous-mêmes et appellent ceux qui s’inspirent de leur exemple à former leurs propres « conseils de gouvernement » (ou tout autre terme qui conviendra à chacun). Dans l’actuel soulèvement des gilets jaunes, certains appellent à former des comités populaires avec leurs assemblées (voir l’appel de Commercy). D’autres invoquent l’expérience des communes libres, qui repenseraient la vie collective à partir des besoins réels de tous et de toutes, et pourraient se fédérer pour traiter les enjeux régionaux et nationaux.

Et puis, lorsque tant de gilets jaunes disent qu’il n’est plus question de vivre comme on l’a fait durant tant de temps, cela suppose de repenser l’organisation collective précisément à partir de cette question : de quelle manière voulons-nous vivre ? Aujourd’hui, c’est là précisément la question qui est par principe exclue, parce que la marche du monde est dictée par un tout autre impératif fondamental : celui de l’Économie. Une Économie dont le productivisme est entretenu par l’exigence de profit, notamment celui des méga-entreprises transnationales et des marchés financiers. Une Économie dont la croissance sans limite est de plus en plus clairement déconnectée des besoins réels des humains, et qui s’avère responsable du cycle infernal des émissions de gaz à effet de serre et de la destruction généralisée du vivant, qui nous conduisent à la catastrophe.

La poule aux œufs d’or, c’est la France d’en bas qui ne s’en sort pas et que l’État achève sous les taxes. C’est tous ceux qui produisent la richesse de ce pays pour le bénéfice des grands prêtres du CAC 40. C’est notre planète que le productivisme engendré par l’exigence du profit est en train de dévaster et de rendre invivable. C’est la vie sur Terre qui agonise sous l’haleine brûlante de l’hydre capitaliste.

Destitution de Macron et de tout Pouvoir d’en haut.
Blocage de la machine folle de l’Économie qui détruit la planète.
Vive l’autogouvernement populaire !
Vive les communes libres de France et d’ailleurs !
Vive la vie digne pour tous et toutes, dans le respect de la Terre !

San Cristóbal de Las Casas, 11 décembre 2018.
An 25 du soulèvement zapatiste.
An 1 du soulèvement des gilets jaunes
et des colères de multiples couleurs.

Jérôme Baschet

 https://lavoiedujaguar.net/Pour-une-nouvelle-nuit-du-4-aout-ou-plus

COMMENTAIRES  

14/12/2018 20:00 par Gros Mytho

Cher Jérôme, merci pour ce très bel article. Malheureusement, Alain avait déjà levé ce paradoxe, il est plus facile de prendre la vie du prolétaire que les milions du milliardaire. Au lendemain de la Grande Guerre, il remarquait très justement : "La nation en guerre a autant besoin d’argent que d’hommes. C’est un fait qu’elle trouve autant d’hommes qu’il y en a en elle pour
mourir. C’est un fait aussi qu’elle ne trouve pas aisément de l’argent. (...) Ceux qui exposent leur vie jugent peut-être qu’ils donnent assez. Examinons ceux qui n’exposent point leur vie. Beaucoup se sont enrichis, soit à fabriquer pour la guerre, soit à acheter et revendre mille denrées nécessaires qui sont demandées à tout prix. (...) la fortune faite, ne va-t-il pas se trouver quelque bon citoyen qui dira : « J’ai gagné deux ou dix millions ; or j’estime qu’ils ne sont pas à moi. En cette tourmente où tant de nobles hommes sont
morts, c’est assez pour moi d’avoir vécu ; c’est trop d’avoir bien vécu ; je refuse une fortune née du malheur publie ; tout ce que j’ai amassé est à la patrie ; qu’elle en use comme elle voudra ; et je sais que, donnant ces millions, je donne encore bien moins
que le premier fantassin venu » ? Aucun citoyen n’a parlé ainsi." (Mars ou la guerre jugée). La violence "inqualifiable, inexcusable" des Gilets jaunes a surpris les maîtres au point qu’ils lâchent quelques cacahuètes. Les a-t-elle effrayés ? La taille des cacahuètes montre bien que non. D’ailleurs la motivation des Gilets jaunes est elle-même douteuse. Le pouvoir hypnotique des cacahuètes semble bien près de doucher leur juste colère, d’étancher leur soif de respect et de noyer leur sens de la justice.... J’espère me tromper. http://grosmytho.unblog.fr/

14/12/2018 21:11 par Rebours

Je pense que le represantant de la caste dominante Macron a mis á profit le mouvement des gilets jaunes pour affaiblir la securite sociale et satisfaire la petite bourgeoisie en autorisant celle-ci á avoir la possibilite de faire travailler leurs esclaves (excuse employes) au noir par les heures( dechargees )ou plutôt dans le dialecte de nos dominants defiscalisees.

15/12/2018 08:28 par Danael

Le totalitarisme du capital financier a ses gardes du corps qui agissent avec zèle. Et vous rêvez en plus d’un stage pour la jeunesse dans ces forces ?
https://www.revue-ballast.fr/violences-policieres-un-elu-raconte/
Macron encourage pour sa part la distribution à tout vent des fiches S sans résultat. Quand il les aura distribuées à plusieurs centaines de milliers de Français, pensons tout de même à mettre son gouvernement et d’autres hommes de pouvoir sur fiche ASP : Atteinte à la Sécurité du Peuple.
Oui les fichés S, vous savez ceux que Marine Lepen et la droite rêvent de mettre dans des camps de rééducation ou en détention prolongée , eh bien ce sont aussi, comme dirait la Marseillaise, " nos fils et nos campagnes".
https://www.youtube.com/watch?v=7T0NfzMG04o

15/12/2018 15:23 par Assimbonanga

Depuis que les revendications s’élargissent et prennent une tournure sociale, les partis de l’ordre ferment leur bouche et ne soutiennent plus les manifs. Marine Lepen et Laurent Wauquiez ne prodiguent plus que de lénifiantes paroles. Commerçants et gradés des forces de police font la morale à longueur d’antenne. Je m’éloigne de la télé : c’est insupportable.
La répression se généralise. La dictature prend de plus en plus corps. Les gens sont empêchés d’accéder, autoroutes ou métro bloqués. On confisque sans vergogne trousse de secours et sérum physiologique. Porter un masque (dissimulation de visage) est passible de condamnation d’association de malfaiteurs suite aux lois votées par Sarko. Le seul fait d’être venu aux Champs Elysée est devenu preuve de radicalisation. Un expert conseille la plus implacable sévérité et judiciarisation des personnes raflées.
LR apporte sa voix à Macron pour renforcer l’état sécuritaire. LR et LRem font la paire. Toute opposition a été désintégrée. Que ce soit à l’Assemblée Nationale ou au Sénat. Nous vivons une époque sombre de régression et d’obscurantisme et quand à l’état de l’environnement c’est un désastre que constatent tous les participants à la COP. Les gens informés ou concernés par la catastrophe pleurent.

16/12/2018 11:58 par desobeissant

Ce soir-là un air de révolution flottait à Commercy...
Commercy | Publié le 15 décembre 2018 | |

Ce vendredi 7 décembre au soir, alors que toute la France se demandait ce que réserverait un acte IV de mobilisation des Gilets Jaunes, présenté comme un seuil critique de menace des institutions étatiques, à Commercy flottait un air de révolution. Venues de plusieurs points de mobilisation en Meuse et même de Meurthe-et-Moselle, près de 150 personnes ont répondu à l’invitation à une « Assemblée extraordinaire des Gilets Jaunes de Commercy »………

https://manif-est.info/Ce-soir-la-un-air-de-revolution-flottait-a-Commercy-878.html

Boycottons le SNU

Publié le 14 décembre 2018 | |

Le Gouvernement a annoncé par la voix de Gabriel Attal son intention de lancer le dispositif du Service National Universel (SNU) dès le mois de juin 2019. Le dispositif sera scindé en deux parties : une première partie obligatoire d’un mois à effectuer à l’âge de 16 ans, et une deuxième partie facultative de 3 à 12 mois à effectuer avant l’âge de 25 ans.

Une phase obligatoire et militarisée

La première phase obligatoire dite de « cohésion » a un triple objectif : renforcer la « cohésion sociale », « développer une culture de l’engagement » mais aussi « prendre conscience, des enjeux de la défense et de la sécurité nationale ». Tout cela n’est pas sans rappeler le service militaire suspendu … depuis 1997. Militaires de carrière mais aussi fonctionnaires, militant.e.s associatifs se relaieront auprès des jeunes pour leur inculquer des connaissances en matière de sécurité ou d’engagement. Comme pour le service militaire, des sanctions sont d’ores et déjà prévues pour les jeunes qui ne feraient pas leur service.

https://manif-est.info/Boycottons-le-SNU-876.html

À Budapest, une mobilisation contre le « droit à l’esclavage »

Jean-Yves Dana , le 14/12/2018 à 14h29

EXPLICATION - La forte flexibilisation du temps de travail, autorisée par une nouvelle loi, inquiète les Hongrois, qui ont déjà un des niveaux de vie les plus bas d’Europe

https://www.la-croix.com/Monde/Europe/A-Budapest-mobilisation-contre-droit-lesclavage-2018-12-14-1200989709

« Avec ou sans gilet, le fric nous coûte trop cher ! »
13 décembre 2018

https://grozeille.co/avec-ou-sans-gilet-le-fric-nous-coute-trop-cher/

16/12/2018 19:30 par je hais les cookies

je rappelle en passant que la nuit du 4 août a en fait été un rideau de fumée ! on n’y a rééllement aboli que les privilèges symbolique et qui ne rapportaient pas d’argent ! Quand aux privilèges "tangibles", ceux qui rapportent ! les paysans pouvaienêt en tre libérés, à leur demande, et si ils les rachetaient moyennant un payement forfaitaire, assez élevé !
C’était donc de la foutaise !
D’ailleurs les paysans, qui dansl’ambiance d’après la grande Paur, s’attendaient à une vraie abolition, se sont mis à refuser de payer ! et à intenter des procès à leurs seigneurs. Il y a des livres et des articless d’historiens là-dessus, c’est très compliqué,et la situation variait selon les régions les provinces etc.
Finalement les priviléges pécuniers ont été REELLEMENT abolis, sans indemnité, seulement par la loi du 17 juillet 1793 (c’est elle qu’il faudrait célébrer donc !)

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